Éditions Édouard Garand (p. 21-23).


L’AUBE


À. M. Alphonse Desilets,

Au chantre des terriens.


Les étoiles s’enfuient lentement, une à une.
Par-delà les sommets des monts silencieux
Une étrange lueur nimbant le fond des cieux
Émerge à l’horizon, tel un rayon de lune.

Les coqs, à pleine voix, éveillent le bétail.
Sur la paille étalant leur toison courte et rêche,
Les bœufs, en ruminant, front bas devant leur crèche,
Pressentent le moment du retour au travail.

L’aube à lui. Sur les toits, il n’est pas jour encore
Et ce n’est plus la nuit ; car, quittant son sommeil,
La nature préside au mystique réveil
Des choses et reçoit le baiser de l’aurore.

L’air printanier est pur et sent bon les moissons.
Baigné des pleurs féconds du matin, le feuillage,
Par la brise agité mêle son babillage
Aux trilles des oiseaux cachés dans les buissons.


On devine la vie indéfiniment neuve,
Toujours compatissante à nos rêves humains,
Car le jour nouveau-né, du bonheur plein les mains,
Ne connaît rien du monde où le vice s’abreuve.

Les prés se font moins gris sous le dense brouillard
Qui nonchalamment monte en un frêle nuage
Des vallons verdoyants, des abords du rivage,
Où jase au gré des flots un moulin babillard.

Mais, soudain, au village où des champs recommence
Le travail coutumier, résonne l’Angélus.
L’homme évoque en son cœur les siens qui ne sont plus
Et qui pourtant rêvaient de faire leur semence.


Pour eux, l’aube nouvelle est éclose à jamais ;
Car plus heureux que nous une aurore éternelle
À leurs yeux resplendit, et si pure et si belle,
Que nous aspirons tous à la leur désormais.

C’est pourquoi, le matin, au soleil qui rougeoie,
Sortant de leur paisible et rustique maison,
Les paysans s’en vont aux champs, vers l’horizon,
Avec un cœur rempli de lumière et de joie.