Librairie nouvelle (p. 185-187).
Les sottises des nations. — Castigat ridendo mores

Les sottises des nations.

(Castigat ridendo mores.)


Je déteste la tartuferie, et rien ne m’exaspère comme les proverbes, qui affichent, et sur une toile de théâtre encore, des prétentions morales. Une sentence latine prétend que le théâtre de l’Opéra-Comique épure les mœurs. Car son castigat n’a pas d’autre signification réelle. N’est-ce pas là une tartuferie stupide en style lapidaire ? Et quand ce serait une vérité, qui demande aux théâtres cette fonction dépurative ? Nigauds ! Épurez votre répertoire, épurez la voix de vos chanteurs, épurez le style de vos auteurs et de vos compositeurs, épurez le goût de votre public, épurez la population de vos premières loges et n’y laissez entrer que de jeunes et jolies femmes, votre mission sera remplie, c’est tout ce que nous voulons. D’ailleurs, voyez à quel point est sage la sagesse des proverbes !

Qui trop embrasse mal étreint !

Il ne faudrait donc jamais s’occuper que d’un seul travail, que d’une seule entreprise, il ne faudrait pas avoir plus d’un vaisseau sur le chantier, plus d’un canon à la fonte, plus d’un régiment à l’exercice. César, qui dictait trois lettres à la fois en trois langues différentes, était un sot ; Napoléon qui, à Moscou, trouvait le temps de réglementer le Théâtre-Français, un esprit léger. Et les maris affligés d’une grosse femme ont donc tort de l’embrasser, car en l’embrassant ils embrassent beaucoup et étreignent mal.

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Ce proverbe-ci tend à déconsidérer et à détruire le commerce, ni plus ni moins. Il tend à détruire même l’agriculture, car si le laboureur en tenait compte, il garderait son grain au lieu d’ensemencer sa terre ; et nous mourrions de faim.

L’ennui porte conseil.

Néo-proverbe mensonger ; j’assiste journellement à des opéras, à des cantates, à des soirées, à des sonates d’un ennui mortel, et loin d’être bien conseillé par l’ennui, je sens, en sortant du lieu de l’épreuve, que j’étranglerais avec transport des gens que j’eusse volontiers salués courtoisement en y entrant.

On n’est jamais trahi que par les chiens.

Celui-ci est d’une naïveté qui le met au-dessous de la critique ; on est trahi par tout le monde.

Il faut hurler avec les loups.

Quant à cet aphorisme, une foule de chanteurs de notre temps en ont reconnu la justesse ; ils en blâment seulement la forme ; ils le trouvent trop long de moitié.

Ces exemples me paraissent suffisants pour démontrer que les proverbes latins et français sont les sottises des nations.