Les Gisements de houille dans l’extrême Orient

LES GISEMENTS DE HOUILLE
dans l’extrême orient.

La question de l’exploitation des mines de houille est à l’ordre du jour dans le monde industriel ; l’alimentation des foyers de machines à vapeur du monde entier consomme chaque jour des masses de charbon, tellement considérables, que l’on entrevoit déjà le moment où l’homme n’aura plus à sa disposition, cet élément précieux de force motrice, ce pain quotidien de son industrie.

Par quels moyens saura-t-il remplacer le combustible des houillères ? C’est ce que nul ne saurait dire aujourd’hui ; mais il semble certain, d’après les investigations de quelques voyageurs, que le cri d’alarme jeté par les statisticiens est prématuré.

Nous ne connaissons pas encore bien les richesses houillères de l’écorce terrestre ; chaque jour des investigations nouvelles, faites dans des régions lointaines, ouvrent à l’industrie des horizons remplis de promesses pour l’avenir. Les pays inexplorés, les régions inconnues renferment peut-être des gisements capables d’alimenter pendant des siècles les machines humaines. La Chine vient d’être notamment explorée sous ce rapport, et ce vaste empire se présente désormais comme un véritable grenier d’abondance de charbon ; ce sont des trésors que des voyageurs anglais y ont rencontrés, trésors sinon inépuisables, du moins, aptes à retarder singulièrement l’heure fatale. M. Gay-Lussac, lieutenant de vaisseau, vient de publier d’après les documents récents, un fort curieux travail sur les ressources immenses que l’industrie peut emprunter à la Chine, au point de vue du combustible houiller. Nous empruntons à cet officier distingué les documents d’un si haut intérêt qu’il a si bien su mettre en évidence.

Les gisements du Céleste-Empire couvrent une surface de 400,000 milles carrés, environ 33 fois la surface de ceux d’Angleterre et qui ont suffi pour faire de celle-ci la maîtresse du monde par ses productions. La grande province de Hunan a un gisement qui occupe une étendue de 21,700 milles carrés. La province de Hunan possède deux couches distinctes de houille, l’une, de houille bitumineuse, et l’autre d’anthracite ; cette dernière est favorablement située pour le transport par eau ; elle couvre une surface égale à celle des gisements de Pennsylvanie et donne de l’anthracite de la meilleure qualité. La province de Shansi possède un gisement de 30,000 milles carrés, et peut fournir le monde entier pendant des milliers d’années, même en tenant compte de l’augmentation rapide de la consommation actuelle. L’épaisseur des filons varie de 12 à 30 pieds ; la profondeur du gisement est d’environ 500 pieds, et les terrains offrent de grandes facilités pour creuser des mines. Une grande quantité de minerai de fer augmente encore la richesse de cette grande province. D’après le baron Richthofen, les Chinois n’emploient qu’une espèce de minerai de fer (un mélange de minerai de fer argileux et de spath combinés avec du carbonate de chaux et de la sanguine), qui se trouve en blocs irréguliers au milieu de calcaires inférieurs à la formation de la houille. Tous ces matériaux sont d’une facile exploitation ; les quelques centaines de pieds de terrain houillers fournissent on premier lieu un minerai de fer d’une grande pureté, riche en métal et facilement fusible ; en second lieu, toutes sortes d’argiles et de sable, propres à la confection de creusets, moules, etc. ; en troisième lieu, un excellent anthracite.

Il peut paraître étrange, que, possédant tous ces avantages au milieu d’une population de 200 millions d’habitants d’un caractère industrieux, ordonné et âpre au gain, les gisements de charbon de la Chine aient été si peu exploités. On en fait un commerce sans importance dans la province de Szechuen, dans la province Nord de Chiti et en Mandchourie. La province de Hunan produit suffisamment de charbon pour approvisionner tous les marchés situés à proximité de rivières ou canaux, mais, étant établi que la Chine possède plus de charbon qu’aucun pays du monde, elle est en ce moment un vaste entrepôt de charbon et de fer. Les raisons de ce curieux état de choses sont de deux sortes ; premièrement l’exploitation est très-pénible, et en même temps peu productive ; les puits ne sont pas perpendiculaires, mais bien inclinés à 45° et offrant 400 à 500 pieds de long. M. Adkins, consul anglais à Newchang, golfe de Péchili, raconte que les hommes portent le minerai sur leurs épaules, dans des mannes pendues aux deux extrémités d’une perche placée sur leur épaule gauche. Les galeries ont environ 7 pieds de haut et autant de large ; elles sont soutenues par des planches que maintiennent des étais de chaque côté, et le passage est couvert en planches formant des degrés que le mineur saute les uns après les autres en s’aidant d’un bâton courbé qu’il porte dans sa main droite. Ces procédés primitifs d’extraction ne sont rien, comparés aux difficultés des transports. Les districts à charbon, d’après M. Adkins, ne sont pas à plus de 100 milles dans l’intérieur. Le prix du charbon, rendu à Newchang, augmente de 31 shillings et demi à 49 shillings et demi par tonne. La qualité est excellente, mais le prix effrayant, et les difficultés du transport entre les mines et Yang-Tze, le port de Newchang, sont telles que ce port n’a aucune chance de devenir un entrepôt de charbon, pour les vapeurs, entrepôt bien nécessaire dans les mers du Nord.

La dynastie tartare, les guerres civiles, et les règlements d’une bureaucratie immuable, sont de faibles obstacles aux progrès en Chine, si on les compare à l’absence complète de routes. Le célèbre système de canaux, dont on a tant parlé, est confiné dans le bassin inférieur du Yang-Tze. Dans cette partie de l’empire, la terre est coupée par les canaux en blocs d’iles, et ces canaux fournissent les moyens du transport, lents, mais sûrs, et économiques. Seulement il n’y a qu’une faible partie de la Chine qui en soit dotée. L’introduction des vapeurs sur les rivières, a quadruplé le commerce à cause de leur rapidité, et surtout à cause des sécurités qu’ils offrent contre les pirates, qui sont la plaie de la navigation chinoise.

Les routes sont en simple état de nature. Les profondes ornières des véhicules primitifs du pays en indiquent la direction. Souvent ces ornières rendent le passage impraticable, mais la pluie les comble, le soleil, durcit la masse, et ce procédé de réparation suffit aux besoins de la population. Les voitures sont tout aussi primitives ; dans certaines provinces, il y a des chariots à deux roues, mais généralement dans les provinces du centre, on emploie un véhicule à une seule roue, dans le genre d’une brouette, et dans les districts montagneux, ce grossier véhicule cède la place aux bêtes de somme.

Les transports par terre, demandent vingt à quarante fois plus de temps que ceux par eau, et l’on conçoit que les transports des minerais de charbon ou de fer soient pratiquement impossibles. Dans la province de Shansi, le charbon qui coûte 1 shilling par tonne à la mine, s’élève à 24 shillings à 30 milles, et à 42 shillings à 60 milles, de sorte que ceux qui demeurent près des puits d’extraction sont les seuls qui puissent profiter du charbon produit par le Céleste-Empire. Il en est de même pour tous les transports en Chine, ce qui empêche le développement de ses productions, et permet de constater d’effroyables famines dans un pays où les récoltes sont splendides et d’une grande abondance[1].



  1. Revue maritime et coloniale.