Les Français dans l’Ouest canadien/11
Chapitre XI
Saint-Claude, paroisse sœur de Notre-Dame-de-Lourdes
La fondation de Saint-Claude est inséparable de celle de Notre-Dame-de-Lourdes. Ce sont deux paroisses sœurs nées du même mouvement et soutenues par les mêmes ouvriers.
Quelques-uns des premiers colons amenés par dom Benoit — J.-G. Trémorin (Ille-et-Vilaine), Henri Bonnet (Haute-Loire), Auguste et Alexis Rey (Isère), Théophile Rosset, Régis et Jacques Laurent (Haute-Loire), Auguste Bouillot, Raymond Minodier et Élie Fayollat (Ardèche) — s’établirent, dès 1892, dans la plaine à dix-sept milles au nord-est de Lourdes, près de l’ancienne rivière des Ilets-de-Bois. Les Pères donnèrent à cette colonie nouvelle le nom de Saint-Claude, en souvenir de la petite ville du Jura berceau de leur institut. Ils la visitèrent régulièrement, en attendant d’y placer un des leurs en résidence. Le terrain, moins boisé que sur la montagne, se travaillait plus facilement. Néanmoins, certaines parties étaient si basses et si marécageuses que les voisins, par plaisanterie, baptisèrent les habitants les « grenouilles de Saint-Claude » ; mais le travail persévérant de ceux-ci eût tôt fait de drainer le sol et de le rendre d’un excellent rapport.
Dans cette période héroïque de pauvreté générale, les colons eurent à pourvoir à tour de rôle à la nourriture du prêtre. Lorsque le P. Claude Massonnat fut installé au milieu d’eux d’une manière définitive, chaque famille, l’une après l’autre, dut pendant quelque temps lui apporter ses vivres pour la semaine. Ce système tout patriarcal n’obtint pas une popularité générale. Une partie des habitants, avouons-le, se fit tirer l’oreille au début. Le soutien du curé était une chose à laquelle on ne les avait pas encore habitués chez eux
Au bout d’un an, Saint-Claude eut son église et son service du chemin de fer. Et les colons se mirent à affluer : Jules Vandil, Pierre et Charles Arbez, Henri Cretin, Louis Lacroix, François Péchoux, Célestin Payot, tous du Jura ; Victor Robard, des Ardennes ; Vincent Doris et Frédéric Girin, de l’Isère ; Auguste Sève, de l’Ardèche ; Pierre Aubry, de la Bretagne : Pierre Gobin, de la Vendée, et Edgar Legros, de la Belgique. On comptait déjà 55 terres prises et 200 habitants. Le fondateur dom Benoît écrivait : « L’esprit religieux des habitants, leur intelligence, leur courage au travail et leur économie présagent à cette colonie un brillant avenir, qui peut un jour l’égaler à Saint-Claude, du Jura. »
Après dix années d’existence, Saint-Claude du Manitoba avait, en 1902, une population de 364 âmes qui se décomposait ainsi : 286 Français, 25 Métis français, 24 Canadiens français, 13 Suisses, 10 Anglais, 6 Belges, 5 Mexicains et 4 Luxembourgeois. On note cependant déjà que 62 personnes qui ont résidé à Saint-Claude en sont parties. Le village possède trois magasins, dont deux sont des associations commerciales à base coopérative.
Querelles entre « réactionnaires » et « démocrates »
Un assez fort contingent de nouveaux venus va bientôt renforcer les cadres de la colonie. En 1904, les familles de Moissac et de Bussac ; Julien Philippe, Jean-Mathurin Kervinio et Jacques Le Roux, tous les trois de Guern (Morbihan) ; J.-P. Chappellaz et Antoine Chappellaz, de la Haute-Savoie ; Maurice Constantin et Raoul de Villario, Jean et René Martin, Léandre et Georges Boille. L’année suivante, d’autres Morbihannais de Guern, de Melrand et de Bieuzy s’installent à Notre-Dame-de-Lourdes et à Saint-Claude, qui va devenir un centre d’émigrés bretons.
Ces colons sont demeurés profondément attachés à la mère patrie. Ils ont même apporté avec eux un certain climat favorable à la reprise des querelles du vieux pays. Il y a des « réactionnaires » et des « démocrates » qui se font grise mine. En fait, cela a entraîné une famille assez nombreuse et quelques membres d’une autre à rechercher un milieu plus sympathique. Quelqu’un affiche à la porte des deux églises un appel invitant Saint-Claudiens et Lourdois à célébrer le 14 juillet. Au nom des Lourdois, « Franciscus » répond par une « Protestation » qui s’appuie sur la thèse des deux Frances » pour condamner le projet. « Libertas » riposte qu’il n’y a pas deux Frances, et chacun reste sur ses positions. Dix ans plus tard, la polémique rebondira encore dans les journaux. Entre temps, le curé de Saint-Claude a tranché la question de façon très simple et très diplomatique. Faisant d’une pierre deux coups, il a décidé que la fête patronale de la paroisse serait transportée du 5 juin au 14 juillet. Depuis lors, la double célébration a lieu tous les ans avec une ferveur qui n’a pas connu de déclin. Dans la matinée, grand-messe chantée pour les Français morts au champ d’honneur ; le soir, banquet et feu d’artifice.
Une élite intellectuelle qui a rayonné au dehors
La population de Saint-Claude compta une élite qui lui fut un enrichissement et qui rayonna au dehors. La famille de Moissac, avec ses huit enfants, a étendu ses ramifications dans les quatre provinces de l’Ouest. Elle venait de Poitiers où le père, Henri d’Hillaire de Moissac, avait été pendant trente-deux ans contrôleur des contributions indirectes. Nous retrouverons plus loin le fils aîné, Henri-Dieudonné, à Saint-Norbert, ainsi que Louis et Hilaire, en Saskatchewan, avec la famille de Bussac, qui ne passa que peu d’années à Saint-Claude. Marie de Moissac épousera Philippe de Rocquigny, propriétaire à Haywood, et sa sœur, Élisabeth, entrera chez les Sœurs Grises. Jacques s’établira aussi à Haywood. Jean et Charles feront la guerre. Mme de Moissac, née Adèle Garnier de Boisgrollier, décéda à Saint-Claude en 1911. Le chef de la famille mourut chez son fils, Jacques, à Haywood, en 1929, laissant 45 petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Il avait été longtemps commissaire d’école et, pendant la première guerre, il s’occupa des familles des combattants.
Charles Arbez, du Jura, qui avait pris un homestead à Saint-Claude dès 1893, s’en éloigna quelques années et revint en 1904. Commerçant, juge de paix, conseiller et maire de la municipalité de Grey, c’était un financier expert, qui aida beaucoup cette dernière à sortir de l’impasse créée par la dépression générale.
Joseph du Bourg, de Lyon, passa huit ans à Saint-Daniel et y épousa une Canadienne française, avant de s’établir à Saint-Claude, où il vit encore. De ses cinq enfants, quatre sont demeurés dans la province.
Jean Martin, arrivé jeune avec une solide formation intellectuelle, collabora à La Liberté, de Winnipeg, sous le pseudonyme de « Saint-Claude ». Il écrivit des articles très au point sur la question scolaire.
Les Saint-Claudiens et la première grande guerre
En 1914, les Français de Saint-Claude se signalèrent par le nombre de ceux qui répondirent à l’appel aux armes. L’un d’eux, Jean David, avait dépassé la cinquantaine. Plusieurs ne devaient pas revoir leur patrie d’adoption manitobaine. Les premières victimes de la guerre, dans la province, furent Jean Maguin. de Haywood, et Fernand Théo, de Saint-Claude.
Eugène Kern, de Saint-Léon, — autre collaborateur de La Liberté sous le nom de plume de « Lorrain » — fut tué au nord de Mesnil-les-Hurlus en 1915. « À l’amour de la France, écrivait le journal de Winnipeg, il avait joint un profond amour du Canada français parce qu’il y voyait un prolongement du génie français, une continuation de la patrie. M. Eugène Kern portait un intérêt tout spécial, et qui dénotait chez lui une vive et lucide intelligence, à tous nos problèmes nationaux. Demeuré Français jusqu’aux moelles, il avait su devenir un Canadien dans le sens le plus large et le plus généreux de ce terme. »
Eugène Kern était l’aîné de trois fils d’une mère veuve et âgée. Ses deux frères, partis avec lui, furent blessés, l’un très grièvement.
Ceux de Notre-Dame-de-Lourdes se distinguèrent aussi. Le Dr Galliot rapporta de Salonique la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Robert Joberty, après avoir servi dans l’aviation, voulut y revenir plus tard dans des postes administratifs. Lors de la seconde Grande Guerre, sa fille, Marcelle, joindra, à dix-sept ans, l’aviation des Forces libres à Alger. Fiancée à un pilote des États-Unis, elle fera avec lui une envolée fatale. L’Américain sera tué. On sortira de l’appareil le corps de la jeune fille affreusement mutilé ; mais, par un miracle de la science, elle peut aujourd’hui se suffire à elle-même comme employée de bureau.
Un prix Concourt qui à vécu à Saint-Claude
Un autre héros de la guerre, plus connu celui-là, fut Maurice Constantin-Weyer, fameux par ses ouvrages sur l’Ouest canadien. C’est à Saint-Claude qu’il vécut de 1904 à 1914. Comme rancher et agriculteur, il se classe dans la catégorie des amateurs et des fantaisistes, dont nous avons rencontré plusieurs spécimens ; mais l’auteur d’Un homme se penche sur son passé ne perdit pas son temps au Manitoba, puisqu’il en rapporta des matériaux capables d’alimenter toute une carrière d’écrivain.
Les livres de Constantin-Weyer sont sans doute de valeur très inégale. Quand il aborde l’histoire du pays, il la romance au point de la défigurer totalement ; mais comme peintre de la nature et de la vie de l’Ouest, on peut l’admirer sans réserve. C’est la campagne de Saint-Claude qu’il décrit presque toujours, sans jamais en révéler le nom. De quelques coups de plume, il croque un coin de paysage et le place littéralement sous nos yeux. La faune et la flore de l’Ouest n’ont pas de secret pour lui. Il nous associe à la vie de la forêt, de la prairie, du lac peuplés de bêtes et de cris. Il est inimitable dans la notation réaliste des minces événements journaliers du monde des Métis et des colons.
Collaborant à L’Action française, de Paris l’auteur de Manitoba dut y retrouver avec plaisir le sympathique André Feydel, de type bien différent, lui aussi un ancien de Saint-Claude. Dans les premières années du siècle, ce jeune journaliste était attaché, avec son père, à L’Espérance du Peuple, vénérable quotidien monarchiste de Nantes, qui avait dénoncé le mouvement d’émigration vers le Canada, sous prétexte qu’il privait les propriétaires terriens de meilleure classe de fermiers. Succombant lui-même au courant qu’il avait pour mission de combattre, il vint tenter sa chance au pays, mais ne fit guère que passer à Saint-Claude. Peu après, l’on vit sa signature dans L’Avenir de l’Ouest, une petite feuille éphémère de Winnipeg. Pour donner une idée du talent journalistique de Feydel, disparu peu avant la seconde Grande Guerre, il suffira de dire que c’est à lui que le maître Charles Maurras confiait au besoin l’intérim de sa fameuse rubrique quotidienne dans L’Action française.
Un nom inséparable de Saint-Claude est celui du pasteur qui veilla sur le troupeau pendant 45 ans. L’abbé Joseph Radaz — le Père Joseph, comme on l’appelait — était né dans le Jura en 1872. Venu au Manitoba avec sa famille à l’âge de 18 ans, il entra bientôt chez les Chanoines réguliers et fut ordonné prêtre en 1898. Neuf ans plus tard, il devenait curé de Saint-Claude pour toujours. Bougon, têtu, autoritaire, il était craint et adoré de ses paroissiens. Le P. Joseph mourut sur la brèche en 1952, à 80 ans.
Un autre Jurassien très en vue fut le pionnier Louis Lacroix, venu en 1893 — homme très actif dans tous les domaines, agriculteur, maître de poste, président perpétuel de la Légion canadienne pour la région — dont la carrière s’acheva à 86 ans (1956). De ses sept enfants, deux filles et trois fils sont fixés à Saint-Claude.
Haywood et ses Savoyards
En même temps que Notre-Dame-de-Lourdes et Saint-Claude s’affermissaient et progressaient, un autre centre moins ambitieux du voisinage, Haywood, offrait aussi son cachet particulier. Il devait sa naissance à un petit noyau de Savoyards et de Bretons. Ses fondateurs furent Maurice Fay et Jean-Pierre Picton, tous deux de Jarrier (Savoie), François Gautron et Eugène Bazin, de l’Ille-et-Vilaine. Fay retourna passer deux ans en France et revint en 1904 avec d’autres Savoyards : Alexis et Marie-Martin Dequier, Alexandre Prévost, J. de Grouchy, Amédée Picton, Thomas Gagnier. Il y en eut aussi du Nord, comme Abel, Léon et Aline Eliet, qui venaient de Fourmies. Plus tard, arrivèrent Philippe de Rocquigny du Fayol : Eugène Hurion, de Paris ; Tissot, Florian Montés, de l’Auvergne ; Hainault, de la Touraine : le marquis Henri de Jocas ; Joseph Eliotte ; les deux frères Jacquot, de Nantes, qui faisaient d’excellente pâtisserie française ; Roilin et Jean Maguin, qui furent successivement maîtres de poste.
Le nom de Haywood fut choisi pour honorer un très généreux bienfaiteur de langue anglaise. L’abbé Maurice Pierquin vint, en 1909, de Saint-Daniel, célébrer la première messe dans la nouvelle église. Deux ans plus tard, il s’y installait à titre de curé fondateur. La paroisse put bientôt s’enorgueillir de posséder le premier cercle de Jeunesse catholique du Manitoba.
Les deux premiers instituteurs, qui exercèrent leurs fonctions avant 1914, MM. G. Brunet et Camille Fournier, gardent le souvenir d’un coin de terre où la vie offrait un aspect particulièrement agréable. Il régnait une grande cordialité entre tous ces Français, quelle que fût leur extraction. Riches et pauvres étaient sur le même pied, jouissant d’un crédit égal. Camille Fournier, ancien professeur à Saint-Boniface, parle encore de l’agrément qu’il éprouva à fréquenter ce groupe de gens instruits et raffinés, qui recevaient livres, revues et journaux de France. Il fut surtout impressionné par la haute déférence que montraient les parents au jeune maître chargé de l’éducation de leurs enfants.
À la suite de nombreux départs, cette atmosphère des premiers temps se modifia quelque peu. Hainault ne persista pas. Florian Montès, Jean-Louis Picton, Alexandre Prévost, Eugène Hurion et quelques autres délaissèrent Haywood pour aller ouvrir la colonie de Saint-Front, en Saskatchewan. Le marquis de Jocas gagnera l’Est et les Eliet abandonneront la culture pour l’élevage des renards argentés à Otterburne. Jean Maguin, Joseph Eliotte et Charles Jacquot seront tués à la guerre. Mais d’autres sont venus prendre la place des partants. La paroisse de Haywood, en dépit de ces pertes, a survécu et prospéré.
Un mot sur Saint-Lupicin
Il nous reste à dire un mot de Saint-Lupicin, le dernier tronçon à se séparer de la paroisse mère de Notre-Dame-de-Lourdes. L’un des premiers défricheurs, Louis Bourrier celui que tout le monde appelait le « père Bourrier » — vint avec sa famille de la Lozère en 1891, à l’âge de 60 ans. Il y eut ensuite Bahuaud, Pigner et Lemeau, des Deux-Sèvres ; Charles Colonval et Taillefer, de la Savoie. En 1904, trois jeunes gens de Saint-Étienne-de-Montluc (Loire-Atlantique) prirent des homesteads à Saint-Lupicin : Pierre Rincé, Étienne Soulodre et Joseph Massé.
L’ancêtre Bourrier vécut jusqu’en 1917 et dépassa, malgré tout, son quart de siècle à Saint-Lupicin. Cinq ans avant sa mort, il fit venir un gendre, Joseph Chaleil, avec sa femme et ses neuf enfants. Lui aussi n’était plus jeune, ayant atteint le milieu de la soixantaine. Il quitta de bonne heure Saint-Lupicin pour La Broquerie et passa ses quinze dernières années à Saint-Boniface.
Étienne Soulodre, après avoir fait la guerre, épousa Agnès Bourrier. Il demeura très longtemps sur sa ferme et vint mourir à Saint-Boniface, laissant une belle famille de dix enfants dont aucun n’a embrassé l’agriculture. Une fille est technicienne de laboratoire à l’Hôpital de Saint-Boniface, un fils chez les Oblats, un autre dans la banque, un troisième gérant de cinéma.
En 1921, Marc Moreau, fils d’un des premiers colons de Notre-Dame-de-Lourdes, vint s’établir, avec sa famille, sur une demi-section de terre à Saint-Lupicin. Il devait occuper pendant vingt-neuf années le poste de conseiller de la municipalité de Lorne et travailler activement en faveur du district. Marc Moreau est décédé en 1956, laissant son épouse et neuf enfants.
Azarie Encontre, né à Saint-Guste (Aveyron) en 1881 et venu à Saint-Lupicin en 1907, vécut aussi jusqu’en 1956 et laissa onze enfants.
Un survivant des anciens est Édouard Brunel, de la Haute-Loire, retiré à Saint-Boniface. Deux fils et deux filles demeurent sur la terre. Également à Saint-Boniface les époux Paul Bergeron, dont le fils, Henri, après avoir débuté comme speaker à Radio-Saint-Boniface, est aujourd’hui attaché au poste de télévision français de Montréal.
Depuis son détachement de Notre-Dame-de-Lourdes, il y a trente-cinq ans, la paroisse n’a connu qu’un seul pasteur : l’abbé Joseph Picod. Né à Burignat d’Aromas (Jura) et ayant vieilli avec ses ouailles, il est maintenant octogénaire,
La fin de l’œuvre colonisatrice de dom Benoît et de son Institut au Manitoba
La colonisation française dans la région de Pembina fut donc l’œuvre de dom Benoît et de ses frères en religion. De Notre-Dame-de-Lourdes ils étendirent leurs ramifications à Saint-Claude, Saint-Léon, Saint-Alphonse et Saint-Lupicin, au Manitoba, puis jusqu’à Bonne-Madone, en Saskatchewan, et à Végreville. en Alberta.
Au physique, dom Benoît était le type classique du moine des temps anciens : grand, maigre, figure osseuse et anguleuse, regard ardent et sévère, large front du penseur ; bref, tous les traits qui caractérisent une nature d’une énergie extrême et d’une grande austérité. Au moral, un géant par la puissance de sa volonté, aussi bien que par l’ampleur et la variété de ses œuvres. Dom Antonio Champagne, qui vécut à ses côtés pendant plus de huit ans et fut son secrétaire particulier, demeure confondu par la somme de travail quotidien qu’il fournissait. Colonisateur, professeur, supérieur de communauté, écrivain, curé, il entretenait en outre une correspondance formidable avec les évêques, ses supérieurs d’outre-mer et les parents des colons dont il avait la tutelle.
Austère pour lui-même, ne connaissant aucune borne à ses forces physiques et morales, dom Benoît était convaincu que les autres pouvaient l’imiter. Ce qui conduisit plusieurs de ses sujets au découragement. Pas un de ses trois compagnons de la première heure ne persévéra dans la communauté. Ce fut aussi le cas d’un grand nombre de jeunes novices attirés par la vie monastique. Avec ses paroissiens, il n’avait foi qu’en la manière forte et préconisait l’intervention de l’autorité civile. Comme son supérieur dom Gréa, c’était un homme du XIIIe siècle transporté dans le XIXe. Leur idéal consistait, d’ailleurs, à revenir au moyen-âge monastique et canonique. Le disciple allait même plus loin que son maître.
En 1913, l’Institut des Chanoines réguliers subit de graves réformes internes qui abolissaient les observances, jugées trop sévères, auxquelles étaient astreints les religieux. Dom Benoît fut destitué de ses fonctions de supérieur et envoyé à Saint-Léon. Dom Antoine Chalumeau, de Villevieux (Jura), venu au Manitoba en 1892, lui succéda. Tous les autres membres demandèrent et obtinrent leur passage dans le clergé séculier. Ceux qui faisaient du service paroissial demeurèrent à leurs postes.
Dom Benoît passa en France, gardant toujours l’espoir que Rome reviendrait sur sa décision. Il mourut à Saint-Chamont (Rhône) en 1915. Dix ans plus tard, ses restes furent ramenés à Notre-Dame-de-Lourdes. Une grande croix en pierre de Tyndall, au centre du cimetière, marque le lieu de sépulture de l’inoubliable fondateur.
Les Chanoines réguliers n’eurent plus dans l’Ouest que la paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes. Au départ de dom Chalumeau, en 1932, dom Antonio Champagne, Canadien du Manitoba, devint le troisième curé. Les religieux quittèrent définitivement, en 1948, la paroisse qu’ils occupaient depuis cinquante-sept ans.
Le curé actuel, l’abbé Marcel Dacquay, est un enfant de Notre-Dame-de-Lourdes. Son père, venu du Morbihan en 1905, y avait acheté l’année suivante une terre qu’il exploita longtemps et que dirige aujourd’hui l’un de ses fils. Dernier d’une famille de sept enfants, Marcel partit à l’âge de sept ans, avec un autre frère, sous la conduite du père, pour aller faire ses études en France. L’aîné revint après quatre années de cours primaire, tandis que le plus jeune entrait au collège et, plus tard, au Grand Séminaire de Vannes.
Notre-Dame-de-Lourdes fournit deux prêtres-soldats à l’armée française de la dernière guerre
Lorsque l’abbé Dacquay fut mobilisé, en août 1939, il était sous-diacre. Grâce à un congé de convalescence, il put recevoir la prêtrise en février 1940. Sa participation aux hostilités le retint plusieurs mois en Alsace-Lorraine. Fait prisonnier le 21 juin 1940, il dut traverser toute l’Allemagne en wagon à marchandises pour aboutir à Stettin, sur l’Oder, où il connut presque cinq ans de captivité. Les Russes devaient le délivrer, avec ses camarades, le 1er mai 1945. Rentré en France, le jeune prêtre fut vicaire à Quéven, dans le diocèse de Vannes, jusqu’en septembre 1949, époque à laquelle il revint au Manitoba. Deux ans après, il était nommé curé de Notre-Dame-de-Lourdes.
Un autre ecclésiastique enfant de la même paroisse est l’abbé Henri Donze, aumônier national de l’Action catholique à Paris. Son père, Louis Donze, avait quitté sa ville natale de Tourcoing (Nord) en 1907, pour venir s’installer à Notre-Dame-de-Lourdes, où il se maria deux ans plus tard. Il retournait en France avec sa femme et ses trois fils en 1921. Henri fit ses études secondaires au collège de Saint-Jean-de-Maurienne et sa théologie au Séminaire français de Rome. Ordonné en 1936, il devint professeur au Grand Séminaire de Saint-Jean et servit pendant la guerre comme sous-officier dans un régiment du génie.
Un autre fils, Albert, est marié et occupe une situation dans une industrie en Savoie. Le plus jeune, Pierre, est également prêtre, après avoir parachevé ses études aux Facultés catholiques de Lyon. Aujourd’hui professeur au Petit Séminaire de Rumilly (Haute-Savoie), il a obtenu récemment le diplôme de docteur ès-sciences, à la suite d’une thèse brillamment soutenue à l’Université de Lyon.
Ces trois enfants de Notre-Dame-de-Lourdes, qui font honneur à leur petite patrie manitobaine, y ont encore deux grands-oncles Charles et Jean Augert, sans compter plusieurs cousins et cousines.[1]
- ↑ Pour ce chapitre et le précédent, l’auteur a largement puisé dans les notes du R. P. Antonio Champagne, qui a étudié spécialement l’histoire de la région. Il a également mis à profit les souvenirs de MM. l’abbé Marcel Dacquay, Joseph Blain, Godias Brunet, Camille Fournier et Édouard Brunel. Sans oublier M. Louis Donze, de Cognin (Savoie), et M. Grégoire Le Clech. directeur d’école à Leuhan (Finistère), auteur de remarquables études, Sur la piste des émigrants bretons en Amérique, publiées dans la revue Penn ar Bed, à Quimper