Les Frères de la Bonne Trogne (De Coster)/10


Imprimerie de F. Parent (p. 10-11).
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X.


Ce nonobstant, le fait n’advint qu’une fois seulement ; car au lendemain les buveurs choppinant en la Trompe et les bonnes femmes y étant venues pour les en tirer, furent chassées honteusement.

Pour ce qui est d’eux, ils buvaient et chantaient noëls joyeux.

Maintes fois survint la veille de nuit leur enjoindre de ne point mener si grand tapage après le soleil couché. Ha, ils l’écoutaient bien respectueusement et semblant tout confits en repentance de leur faute ; ils disaient leurs meâ culpâ ; entretandis, ils lui donnaient à boire tant amplement que la pauvre veille issant hors, s’en allait faire sa ronde contre quelque mur et là ronflait comme viole. Eux poursuivaient leurs buveries et lourds sommeils, ce dont les dolentes épousées, ne cessaient de se lamenter. Et ainsi pendant un mois et quatre jours.

Mais le grand mal était que le bon duc avait guerroyé avec monseigneur de Flandres et que nonobstant que la paix fût faite ; il restait encore sur pied, une bande de faquins et ribauds, gâtant le pays et robbant le bonhomme.

Ladite bande était commandée par un farouche capitaine nommé la Dent de fer, pource que sus son casque était une dent longue, aiguë, tranchante, dent de diable ou d’oliphant d’enfer, sculptée fantastiquement. En la mêlée, il donnait souventefois de la tête avec icelle dent comme bélier. Ainsi furent occis moult braves soudards en la duché de Brabant.

La Dent de fer était accoutumé venir de nuit faire son coup ès villages, égorgeant sans merci les pauvres bourgeois ensommeillés, emportant bijoux, vaisselle, femmes et filles, mais les jeunes seulement. Quant aux vieilles, il les laissait en vie, disant qu’il ne les lui fallait point occire, attendu qu’elles mourraient bien de peur, sans aide.