G. Charpentier, éditeur (p. 297-301).

LXIV

Le serrurier et le charpentier venaient de sortir, emportant les instructions de Gianni pour la confection du petit appareil nécessaire à l’exécution de l’exercice nouveau dans le Cirque, et sur le pas de la porte, ils avaient pris de nouveau l’engagement que tout serait prêt dans cinq jours.

— « Eh bien, avez-vous lu les journaux de théâtre ? — se mettait à dire le Directeur, en s’adressant aux deux frères, et en amenant à lui les feuilles éparses sur son bureau, et dont certains passages étaient entourés d’un trait de crayon rouge. — Cela commence à moutonner autour de votre exercice, comme on dit aux commissaires-priseurs… Écoutez un peu… voici ce qu’ils impriment les uns et les autres. »

« On parle d’un exercice nouveau tout à fait extraordinaire… » « On s’entretient d’un exercice que les gens du métier déclarent impossible, et qu’on dit devoir être exécuté sous très peu de jours au Cirque d’été… » « Si nous croyons ce qui se répète dans le monde des gymnastes, Paris serait prochainement témoin d’un exercice digne de faire pendant aux exercices de Léotard… » « Un saut dans des conditions et d’une hardiesse que n’a pas osé l’antiquité… »

— « Votre affaire n’est pas mal annoncée, n’est-ce pas ?… Voilà la curiosité allumée… maintenant il faut sortir du vague de l’annonce… c’est le moment de jeter au public un peu de votre biographie vraie ou vraisemblable… vous me donnerez quelques notes… Voyez-vous, au piquant de l’inconnu, il faut faire demain succéder l’intérêt du connu… il faut que Paris fasse connaissance avec votre passé, vos habitudes, vos figures, l’historique de votre exercice… que vous soyez pour lui des gens dont il a vu des photographies… des messieurs définis auxquels ses sympathies puissent s’accrocher… et pour lesquels il se passionne d’avance… maintenant il est bien entendu que cette fois nous jouons de la fraternité et que nous l’affichons partout… c’est convenu, nous mettrons, n’est-ce pas, les frères Bescapé ? »

— « Non », fit Gianni.

— « Comment, non ? »

— « Non, — répéta Gianni, — Bescapé, c’est notre nom de saltimbanques… aujourd’hui nous passons à un autre… que nous voulons faire nous-mêmes. »

— « Et quel est cet autre ? »

— « Les frères Zemganno. »

— « Zemganno… mais il est vraiment original votre nom… il possède un diable de Z au commencement qui est comme une fanfare… on dirait une de nos ouvertures, vous savez, où il y a une sonnerie de clochettes dans une batterie de tambours. »

— « Oui, c’est le nom que nous avions là-bas ! »

— « Tiens, c’est vrai, je l’avais parfaitement oublié. »

« Il a eu du succès en Angleterre, reprit Gianni… et je l’ai mis de côté pour le jour où enfin… puis ce nom je l’aime, je ne sais pourquoi, ou plutôt si, je sais pourquoi. — Et Gianni dit la fin de sa phrase comme s’il se parlait à lui-même. — Nous sommes d’origine bohémienne… et ce nom, je ne suis pas sûr de l’avoir inventé… il me semble qu’il est dans mon souvenir comme un murmure sonore qui était souvent sur les lèvres de notre mère… quand j’étais tout petit. »

— « Va pour Zemganno, » fit le Directeur.

— « Et qu’est-ce qu’il vous faudra pour vos répétitions au Cirque ? »

— « Trois ou quatre jours tout au plus… le temps d’essayer le nouveau tremplin. »

— « Très bien, avec les cinq que le charpentier et le serrurier demandent… nous pourrons passer dans dix jours… Au fait, où êtes-vous nés et où

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