G. Charpentier, éditeur (p. 267-270).

LIV

Un matin, sous le treillage du pavillon de musique, le déjeuner des deux frères fini, Gianni dit à Nello, en bourrant sa pipe avec des lenteurs heureuses.

— « On l’a trouvé, frérot… et il est accroché pour de bon, cette fois ! »

— « Quoi donc ? »

— « Tu sais bien,… notre tour ! »

— « Ah fichtre… c’est ça qui ne va pas être réjouissant… d’autant plus que je m’en rapporte à toi… tu n’as pas dû nous découvrir une petite invention bien commode, hein ? »

— « Allons ne fais pas le méchant… au fait, tu sais, je loue le grenier du treillageur. »

Le treillageur, qui venait d’hériter d’une petite maison avec des champs dans sa province, était parti depuis trois ou quatre semaines, chargeant Gianni de vendre son pavillon, s’il se présentait un acquéreur.

— « Et qu’est-ce que nous avons besoin de son grenier ? »

— « Je vais te dire… C’est que, pour mon affaire, l’atelier du menuisier est trop bas… alors nous faisons démolir le plafond… et nous avons le bâtiment jusqu’au toit. »

— « Mais… est-ce que tu aurais, par hasard, la prétention de me faire sauter à pieds joints sur la tour Saint-Jacques ? »

— « Non… mais il faut sauter… et en hauteur quelque chose comme quatorze pieds. »

— « En hauteur, et perpendiculairement, je parie… mais on n’a jamais sauté cela depuis que le monde existe. »

— « Peut-être… mais c’est l’amusant… et avec un tremplin. »

— « Ah te voilà bien toi ! tu ne nous laisseras jamais vivre, un petit moment, tranquilles. »

— « Voyons Nello… nous y mettrons le temps… ça n’est pas demain… et puis quand on veut bien… tu ne te souviens pas que le père disait que tu sauterais un jour… »

— « Enfin ça sera-t-il fini après… se reposera-t-on, là, mais là tout de bon… n’auras-tu plus dans ta caboche encore de l’éreintement tout neuf à nous revendre tous les jours ? »

— « Combien crois-tu, frérot, que nous pouvons sauter à l’heure présente ? »

— « Neuf à dix pieds… et si nous les sautons encore ! »

— « Oui, c’est quatre pieds à gagner. »

— « Mais si tu voulais bien me dire ce que tu veux faire. »

— « Je te le dirai… quand tu seras arrivé à dépasser treize pieds… parce que si tu ne les sautes pas, mon tour est impossible, et alors… et puis, si je te disais tout de suite ma machine tu trouverais la chose trop difficile… et je te connais… tu désespérerais d’y venir jamais. »

— « Bon, merci ! le saut tout seul ne te paraît pas suffisant… et il y a une sauce à ton saut… de l’équilibre, je parie… et du violon vertigineux… et de tout le diable et son train… et peut-être de la casse. »

Mais tout à coup, au milieu de sa tirade, Nello voyant la figure de Gianni devenir tristement sérieuse, le jeune frère s’interrompait en disant :

— « Bête, je ferai tout ce que tu voudras… ça t’est connu, n’est-ce pas ?… mais laisse-moi au moins un petit peu geindre… ça m’encourage. »