G. Charpentier, éditeur (p. 198-199).

XL

Entre les deux frères et les gymnastes et les écuyers du Cirque, s’étaient vite noués des relations amicales, des rapports de chaude et excellente camaraderie. En ces professions, le danger mortel des exercices fait taire les jalousies ordinaires du monde des autres théâtres, des théâtres lyriques surtout ; il unit, ce danger, tous ces artistes exposés, tous les soirs, à se tuer, dans une sorte de fraternité militaire, dans presque l’affectueux compagnonnage coude à coude des soldats en campagne. Il faut dire aussi que ce qui aurait pu rester, chez quelques-uns, des envies et des instincts haineux de la vie de saltimbanque, de leur passé de misère, s’est humanisé dans l’aisance, la considération, la petite gloire de leur existence actuelle.

Du reste, les deux frères étaient faits pour plaire au personnel du Cirque. L’aîné avait de sérieuses qualités de franc et dévoué camarade, et cela, avec sur sa figure grave, un bon et doux sourire en éclairant la gravité un peu triste. Le plus jeune, lui, avait fait tout de suite la conquête de tous, par son entrain en société, ses badinages gamins, un rien même de taquinerie qu’il savait rendre caressante, et par le remuement, et par l’animation, et par le bruit qu’il jetait dans l’ennui, l’embêtement de certains jours, et par la séduction indéfinissable d’un joli, plaisant et vivant être au milieu d’individus soucieux, et par ce charme, dérideur des fronts, que secouait et répandait autour de lui, depuis son enfance.