CHAPITRE VI

éclaircissement. — sinistres nouvelles

Le Fort Presqu’île était situé sur l’extrémité méridionale du Lac Érié, près de l’emplacement actuel de la ville Érié.

Sur l’un de ses bastions avancés était une grosse citadelle en troncs d’arbres, une Block-House, comme on disait alors, spécimen favori des fortifications américaines à cette époque primitive de la civilisation. Elle avait deux étages de hauteur ; celui de dessus excédant l’autre en diamètre, de telle façon que la garnison pouvait, au besoin, faire feu sur les assaillants, jusque sous les murs de la citadelle.

La toiture, formée de plaques d’argile cuites au feu, était à l’abri de l’incendie et, par surcroit de précaution, au faîte de l’édifice se trouvait un vaste réservoir en bois, toujours rempli d’eau, en cas de besoin.

La position de ce fort n’était pas heureuse. On l’avait bâti sur une langue de terre avancée, entre les eaux du Lac et un petit ruisseau qui venait s’y jeter à angle droit. Mais, à environ cent cinquante pieds de la Block-House, s’élevait un monticule qui la dominait presque entièrement ; c’était un point d’attaque formidable contre le Fort : de l’autre côté, le Lac fournissait toutes les facilités possibles pour une attaque par eau.

Les événements dont nous retraçons l’histoire, se passaient à l’époque éminemment critique pour les émigrants Européens, où le fameux Pontiac, le célèbre chef des Ottawas, faisait de gigantesques efforts pour exterminer les Faces-Pâles dont l’irruption envahissante depuis la défaite du Roi Philippe[1], absorbait de jour en jour les territoires Indiens, refoulait les Peaux-Rouges dans le désert.

Ce chef habile, avec un corps composé de mille hommes d’élite, avait établi son quartier général au Détroit, dont il faisait le siége ; pour coopérer à son œuvre de destruction, toutes les peuplades, à cent lieues à la ronde, avaient envoyé leurs contingents dans chaque territoire occupé par les Européens, et leur faisaient une guerre héroïque.

Devant eux tombèrent successivement les forts nombreux établis sur une immense ligne de frontières : ces établissements militaires protégés par de minimes garnisons, furent saccagés au moment où leurs défenseurs y songeaient le moins. Les officiers supérieurs, isolés dans la solitude du désert, séparés les uns des autres par plusieurs centaines de milles, passaient souvent plusieurs mois sans recevoir aucune nouvelle de leurs plus proches voisins ; leur désastre n’éveillait aucun écho ; ils disparaissaient ignorés, comme avaient disparu leurs concitoyens, sans secours, sans consolations, sans aucune chance de salut.

Le fort Sandusky tomba ainsi au milieu de mai 1764. Le fort St-Joseph, à l’embouchure de la rivière Sainte-Marie sur le Lac Michigan, subit le même sort quelques jours après. Ensuite le Michilimackinac ; l’Onataton sur l’Wabash ; le Miami sur le Maumee. Nous verrons bientôt périr aussi le fort Presqu’Île aux dernières péripéties duquel sont consacrés les récits qui composent cette histoire.

Cette esquisse générale terminée nous rentrons dans notre sujet.

Plusieurs mois s’étaient écoulés : par une belle soirée de juin, l’Enseigne Christie, commandant du Fort Presqu’Île, debout devant la Block-House, sur le bord du lac, était en grande conversation avec notre ami Basil Veghte.

Christie était un homme robuste, musculeux, coulé en bronze, dont le visage calme et sévère avait un puissant cachet de détermination et d’intelligence ; sa voix était vibrante et sympathique, sa conversation agréable mais il avait, en parlant, une singulière contenance : il avait toujours les bras croisés, la tête basse ; il ne remuait que ses pieds, fort occupés à lancer au loin des cailloux.

Veghte, suivant son invariable habitude fumait démesurément, armé d’une énorme pipe en racine de bruyère : lorsqu’il voulait gesticuler, il retirait invariablement sa pipe de sa bouche et la faisait participer à la pantomime qu’exécutait sa main.

Christie ne relevait guère les yeux ; seulement, lorsqu’il était parvenu à hisser sur le bout de son pied un caillou convenable, il le suivait du regard après l’avoir lancé le plus loin possible.

Au contraire les yeux du Forestier étaient dans un mouvement perpétuel sur le lac, sur les collines, sur les bois, devant, derrière, sur les côtés, ils étaient partout. Cette mobilité cauteleuse du regard, devenue une seconde nature, est le type caractéristique du Frontiersman ; sa vie aventureuse l’a accoutumé à une vigilance forcée, permanente, infatigable.

— Oui… dit Christie, répondant après un long silence à une observation que lui avait faite son compagnon, je ne tire pas bon augure de cette tranquillité affectée des Indiens. Ils se sont éloignés du fort ostensiblement, pendant la journée, et pourtant, ce soir, je crois flairer des embuscades tout autour de nous. Oui, ce départ n’est pas naturel, je m’en méfie beaucoup.

— Je suis parfaitement de votre avis, ils ne sont pas loin, vous pouvez vous mettre ça dans l’esprit. Il y en a partout de ces vermines-là : en bon compte, c’est trop de moitié.

— Je voudrais avoir des nouvelles du Détroit, ajouta Christie après une nouvelle pose, il s’est présenté un Indien, la semaine dernière, alors que vous étiez en chasse, cet homme avait quelque chose à nous dire. Tout ce qu’on a pu saisir dans son baragouin a été ceci : « PontiacDétroit… » Sur le moment, je n’ai pas fait grande attention à ses paroles mais depuis, j’ai réfléchi, il doit y avoir quelque mauvaise affaire dans l’air ; je suis sûr que ce Sauvage avait des détails intéressants à nous donner.

— Vous pensez que le vieux chef aurait pris la place ?

— Je le crains.

— Eh bien pas moi. Lorsque je l’habitais, ce Fort me faisait l’effet d’être la plus forte citadelle qu’on pût désirer en cas de guerre Indienne.

— Cela pourrait être si ces sauvages combattaient comme les hommes blancs. Mais, Basil, vous savez aussi bien que moi leurs façons extraordinaires d’attaquer. Ce serait un jeu pour le Major Gladwyn de repousser un assaut livré ouvertement, en plein jour ; mais je tremble toujours qu’ils ne le surprennent à l’improviste hors de garde.

— Je n’en disconviens pas : mais n’a-t-il pas fréquenté les bois autant que vous ? Or, vous ne seriez pas homme à vous laisser surprendre.

– Ah ! bien des circonstances sont venues m’instruire : j’ai peut-être plus d’expérience que lui. Peut-être m’y laisserais-je prendre, si je n’avais pas reçu vos leçons.

— Oh ! je ne suis pas un savant, moi ; seulement, je serais un triste imbécile si je n’avais pas un peu appris à connaître les Indiens, depuis le temps que je les fréquente.

— Vous rappelez-vous votre aventure avec Johnson, l’hiver dernier ? cette nuit où vous sauvâtes une fille Indienne à demi-gelée ?

– Je le crois bien ! je ne suis pas près de l’oublier.

— Depuis, avez-vous eu des nouvelles de ce Johnson ?

– Non. Le pauvre diable était bien bas quand je l’ai laissé ; il était gravement blessé, les Indiens étaient sur ses talons, je ne sais trop comment il aura fait pour leur échapper ; sa seule ressource aura été de sauter hors du canot et de se noyer pour ne pas tomber entre leurs mains.

— C’est bien lui qui était venu au fort plusieurs fois, dans le courant de l’été dernier ?

— Oui, il est venu à diverses reprises.

— Eh bien ! mon pauvre Basil, je l’ai revu l’autre jour, cet homme-là.

Le Forestier releva la tête avec une expression de surprise facile à comprendre. Christie lui adressa un paisible sourire.

— Oui ! je l’ai vu, reprit-il, comme je vous vois en ce moment. Il n’était pas à cent pas de distance.

– Et où donc ?

— Sur ce ruisseau même. J’étais allé à la chasse, vous vous en souvenez, mercredi dernier ; j’avais remonté le cours d’eau sur un espace d’environ un demi-mille : tout à coup j’entends le bruit d’un canot courant sur l’eau ; je me retourne à temps pour le voir passer, et pour distinguer parfaitement Master Johnson assis au gouvernail, avec le calme et la majesté d’un commodore.

— Ah voilà qui est merveilleux ! Je suis bien aise de cette nouvelle car j’avais sur le cœur l’idée que cet homme avait péri malheureusement. Les Sauvages en auront eu pitié, l’auront soigné ; il se sera ensuite arrangé de manière à leur glisser entre les mains.

— C’est possible mais dans ce cas, il y en a un ou deux qui n’ont pu se décider à être séparés de lui. Il était en compagnie d’un superbe couple d’Indiens, peints magnifiquement en guerre.

Veghte regarda le commandant dans les yeux, pour se convaincre que ses paroles étaient sérieuses.

— J’ai reconnu même un de ces sauvages, poursuivit l’officier ; quant à l’autre, il ne me semble pas l’avoir jamais vu. Mais vous aussi, avez eu affaire avec l’un de ces guerriers du désert.

— Comment le nommez-vous ?

— Balkblalk, ce gros vaurien d’Ottowa. Il est venu rôder souvent par ici, sous prétexte de chasse : j’en ai toujours eu méchante opinion.

— Johnson est en mauvaise compagnie, répliqua le Forestier ; cet Ottowa est un drôle capable de faire tout, grand traître ami du mal fait dans l’ombre. Je suis sûr qu’il m’a tenu un jour au bout de son fusil et ne s’est pas gêné pour tirer ; si j’ai échappé, c’est par un miracle de la bonté de Dieu. Je serais bien aise de le rencontrer sur mon chemin.

— Non ; ce n’est pas le moment. Évitons tout conflit avec les Indiens, tout prétexte d’hostilité. Ils nous sont assez ennemis, il n’y a pas besoin de les exciter davantage. — Ce fut une étrange aventure, n’est-ce pas, Basil ? poursuivit Christie après un instant de silence, que cette rencontre d’une fille Indienne au beau milieu d’une tempête, en plein désert, par une nuit noire de décembre ?

— Oui ça été le plus grand étonnement de ma vie. Ah ! si j’avais été un malin, j’aurais approfondi la question : aujourd’hui je me repens de ne pas l’avoir fait.

— Qu’y auriez-vous gagné ? Des coups de fusil probablement : on a toujours du désagrément à se mêler d’affaires de femmes.

— Les femmes sont de drôles de choses ! répéta Veghte avec une mélancolie comique ; je n’en saurais parler convenablement.

Pendant environ deux minutes, l’Enseigne Christie fut complètement absorbé par le lancement difficile de plusieurs petits cailloux suspendus en équilibre sur le bout de son pied. Il se contenta de sourire, sans parler, ni relever la tête, au naïf axiome de son compagnon.

Ce dernier, toujours les yeux au guet, inspectait le Lac et ses rives comme s’il ne les avait jamais vus.

Tout à coup il poussa une exclamation.

— Commandant ! jetez un regard sur ce rivage, la bas, au couchant, et dites-moi si ce n’est pas un bateau qui s’avance. Oui, c’est un bateau, j’en suis sûr maintenant.

Christie regarda dans la direction indiquée, et répondit aussitôt :

— Oui, c’est un bateau, rempli de monde, et qui vient dans cette direction.

– Il y a deux embarcations, reprit vivement Basil : voyez-vous, une d’elles s’avance au large dans le lac ; l’autre la suit. Ah ! cette seconde passe devant, maintenant.

— Elles ne sont pas à plus d’un mille de distance, répondit Christie ; à la manière dont les rameurs manient les avirons il est facile de voir qu’ils sont rudement fatigués, regardez comme les rames se lèvent et s’abaissent avec lenteur.

– Oui, probablement ils ont fait une longue journée.

— Qui croyez-vous le ce puisse être, Basil ?

— Vraiment je ne saurais le dire. Ce sont peut-être des gens qui ont entendu parler d’un danger menaçant Presqu’Île, et qui viennent pour nous donner un coup de main.

— Pire que cela, Basil ; pire que cela ! Je parierais qu’il y a quelqu’un de nos forts saccagé, et que les survivants viennent nous demander asyle.

— Quelle place ? le fort Sandusky, peut-être.

— Justement, j’y pensais. C’est une triste affaire, vous pouvez en être sûr.

Pendant ce temps, quelques hommes de la citadelle avaient signalé l’approche des bateaux, et s’étaient portés à leur rencontre jusqu’à l’extrémité de la langue de terre. Peu après les barques abordèrent et les navigateurs firent leur débarquement.

Ils étaient environ une quarantaine ; tous dans un état de délabrement pénible à voir ; visages bandés, bras en écharpe, figures hâves et amaigries, vêtements en lambeaux : tel était leur aspect lamentable.

Leur chef, le lieutenant Cuyler, s’avança rapidement vers l’enseigne Christie, et lui dit d’un ton abattu :

– J’ai de mauvaises nouvelles à vous annoncer.

– Je le pressentais, répondit l’autre avec tristesse, voyons de quoi il s’agit.

Pendant que les deux chefs conversaient ensemble, on prit soin des hommes, et on leur offrit avec cordialité les rafraîchissements dont ils avaient grand besoin.

– Voilà tout ce qui me reste de mes quatre-vingt seize hommes, dit le lieutenant, nous avons quitté le fort Niagara le trente mai, et nous nous sommes traînés comme nous avons pu, tout le long des rivages nord du Lac Érié, nous dirigeant vers le fort Détroit.

– Pourquoi preniez-vous cette direction ?

– N’avez-vous pas appris que Pontiac a commencé le mois dernier à assiéger cette place ?

— Non, en vérité ; mais je soupçonnais que tout n’était pas au mieux pour le major Gladwyn.

— Oh ! sa position est presque désespérée. Il est serré de près par des forces énormément supérieures : je le crois perdu avec sa garnison.

— Vous croyez ?

– Mon Dieu, oui. Un courrier est venu nous apporter un pressant message pour nous demander des renforts en hommes et en munitions : Nous sommes partis aussi vite que possible. Mais nous ne pouvons plus essayer de rejoindre le major Gladwyn, car, après le désastre que nous venons d’éprouver, ce serait marcher à une destruction certaine.

– Je suis bien désireux d’entendre votre récit lieutenant ; mais ne voudriez-vous pas accepter quelques rafraîchissements, vous semblez épuisé ?

— « Je vous remercie, tout-à-l’heure. Après plusieurs jours de marche, nous sommes arrivés à la Pointe au Pelé, près de l’embouchure de la rivière Détroit, où nous pensions trouver un lieu favorable de débarquement. Une fois sur les lieux, nous les avons soigneusement explorés en tout sens pour nous assurer des indices qui auraient pu révéler la présence des Indiens. Nous ne pûmes rien découvrir il n’apparaissait pas l’ombre d’un danger. »

– Signe certain qu’il y avait quelque désastre dans le vent ; grommela Basil.

— « Nous avions pris toutes nos mesures pour nous mettre sur la défensive ou même nous échapper, en cas d’alarme. Nos huit bateaux étaient rangés sur le bord, tout prêts à appareiller. Un de nos hommes et un mousse étaient entrés dans le bois pour y ramasser des broussailles destinées à allumer le feu. Tout à coup un sauvage surgit, fend la tête au mousse d’un coup de tomahawk, en fait autant à l’homme qui vient mourir dans le camp, en donnant l’alarme.

« Je forme sur le champ mes hommes en demi cercle devant les bateaux, et je leur recommande de se tenir fermes et inébranlables, le moindre mouvement inopportun pouvant nous devenir fatal.

« Cependant les choses s’annonçaient mal ; plusieurs pauvres diables tombèrent foudroyés, sans qu’il fut possible de voir même d’où arrivaient les coups de feu. Je vis bien qu’une attaque sérieuse nous serait funeste.

« J’avais à peine donné mes premiers ordres, que les démons rouges ouvrirent leur feu du fond de la forêt ; mes hommes leur ripostèrent de leur mieux. Si les Indiens avaient été quelque peu en vue, la lutte aurait été moins défavorable : mais vous savez, mon cher Enseigne, combien il est démoralisant pour un corps d’armée régulier de se débattre contre un ennemi invisible, qui sème tout autour de lui une tempête mortelle de feu et de plomb.

Les Indiens s’aperçurent sans doute de l’hésitation de nos soldats, car au bout d’un instant, leur bande entière sortit du bois avec des hurlements si épouvantables, qu’en y pensant seulement, mon sang se glace dans mes veines.

« Je recommandai à mes hommes de se tenir fermes : mais il avait suffit de la présence des Indiens pour les consterner. Le centre de mon petit bataillon céda sous le choc, se laissa entamer, et tout le monde se retourna vers les bateaux. Ce fut un moment affreux : les braves cœurs qui essayèrent de résister furent mis en pièces ; les autres furent culbutés jusque dans les bateaux, où les sauvages, avec une audace incroyable, arrivèrent en même temps que nous.

« Tant bien que mal on démarra cinq bateaux sur lesquels les survivants s’empilèrent précipitamment, et on poussa au large. Voyant tout perdu, je me jetai à l’eau le dernier, et je me cramponnai au dernier bateau qui fuyait. On me hissa ensuite, une fois en pleine eau, car dans la confusion du premier moment, personne ne s’était aperçu de ma disparition.

« Mais, le croiriez-vous, Sir ! Les sauvages eurent l’acharnement de se jeter sur trois de nos bateaux, d’en renverser les hommes et de les jeter à l’eau tout sanglants. Nos malheureux camarades épouvantés ne firent pas la moindre résistance : ce fut une boucherie. Les deux embarcations restantes s’échappèrent à force de rames : nous avons erré toute la nuit et la matinée sur le Lac, et nous voilà. »

— Avez-vous passé au fort Sandusky ?

— Oui ; nous n’avons trouvé que des cendres.

— Ciel est-il possible ?

— Mon Dieu oui ! il a disparu, et je vous l’annonce, votre poste ne tardera pas à subir le même sort.

— Parlez-vous sérieusement, lieutenant ?

— Malheureusement oui. Quelle est la bande Indienne qui résistera à la tentation de vous attaquer, ayant devant les yeux de semblables précédents. Voyez, d’ailleurs, ce côteau d’où sort votre ruisseau, voyez le bord du Lac ! Nos ennemis peuvent-ils désirer mieux pour avoir sur nous tous les avantages ?

— Je reconnais que ce fort a été établi d’une façon aussi misérable et inintelligente qu’incompréhensible. Mais, avant de détruire les murailles, il faudra anéantir la garnison.

— C’est possible : néanmoins souvenez-vous de mes paroles, votre fort tombera ; il n’est pas au pouvoir des forces humaines de prévenir ce désastre. Mon intention n’est pas de vous effrayer, je vous avertis, c’est mon devoir.

— Oh vous ne m’effrayez pas, répondit Christie avec un triste sourire ; il y a ici des bras robustes et des cœurs inébranlables ; nous nous ensevelirons sous les ruines plutôt que de reculer.

— Je n’en doute pas ; pourtant, je persiste dans mon opinion. Cet archi-diable de Pontiac a soulevé toutes les peuplades indiennes, les plus épouvantables périls sont suspendus sur nos têtes. Et maintenant, mon cher Enseigne, j’accepterai volontiers votre bienveillante hospitalité.

On rentra dans le fort, où tous les efforts furent mis en œuvre pour réconforter les pauvres fugitifs autant que le permettaient les circonstances.

Le lendemain ils se remirent en route dans la direction de Niagara, pour porter à leur chef la nouvelle du désastre qu’ils avaient essuyé.

Pour compléter les détails relatifs à cet épisode, nous ferons connaître au lecteur le sort des trois embarcations et des hommes capturés par les Indiens.

« Les malheureux » dit Parkmann dans son histoire de la vie de Pontiac « furent entraînés au camp du chef, près de la rivière Détroit : là, on les massacra de la façon la plus révoltante après les avoir brûlés vifs, on les coupa en morceaux, et, pendant plusieurs jours, la garnison consternée du fort, put voir flotter sur la rivière des débris humains, des têtes, des bras, des jambes, des troncs calcinés et tailladés, que se disputait la voracité des poissons. »

  1. Voir le 6o volume de la 2me série — Le Scalpeur des Ottawas — qui reproduit les phases émouvantes de la guerre du roi Philippe.