Les Forces éternelles/Prière du combattant

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 47-49).

PRIERE DU COMBATTANT



Pulpe du jour, azur pénétré de lumière,
Vol calme des oiseaux, bien-être respirant.
Confiante douceur des choses coutumières,
Me voici, simple, fier et franc.

J’offre à votre splendeur éternelle et candide
Ce corps, souvent blessé, qui n’eut d’autre souci
Que de combattre avec une audace lucide,
Mourir c’est vous aimer aussi.

Lorsque je défendais le rivage et la terre
Où vous m’avez fait croître ainsi que l’olivier,
Nature, dont je suis la plante humble et prospère.
Je mourais pour que vous viviez.


Je ne vous dirai point de trompeuses paroles,
La guerre est pour tout être un fléau révoltant,
La Pitié, cheminant quand les Victoires volent,
Pleure sur tous les combattants.

Parfois, lorsque, parmi de longues agonies, ,
La lune au clair visage aplanissait les cieux,
Mon cœur se reliait à la nue infinie :
L’homme a sa grandeur par les yeux.

Je contemplais l’espace où tout fermente et veille,
Où l’esprit se mélange à l’éternel Destin,
Et j’entendais ce bruit de pensantes abeilles
Que font les astres clandestins !

Vainqueur, mon front guerrier fut couronné de lierre,
J’ai passé fier mais doux au milieu des vaincus,
Mon orgueil réjoui absorbait la lumière,
Et cependant je n’ai vécu

Que depuis le moment où, soumis, ô Nature
À ton unique vœu solennel et secret,
Je presse contre moi l’humaine créature
Qui m’est soleil, onde et forêt !

 

Mon être qui flamboie au souffle de sa bouche
Voit la vie et la mort en lumineux confins,
C’est par la volupté brûlante que l’on touche,
Ô monde, à ton âme sans fin !

L’univers provocant que jamais n’apprivoise
Le suppliant désir tendu vers sa beauté,
Je l’attire et l’obtiens lorsque mes bras se croisent
Sur un corps semblable à l’été !

Je travaille, je sais que l’homme est éphémère,
Que son ouvrage est vain, que son renom est court,
Que, pareil à l’Automne, il se mêle à la terre.
Mais la gloire est sacrée en servant à l’amour.
— Amour, divinité immense et solitaire ! —
Et quelquefois, la nuit, mon esprit curieux
Entend, tel un torrent situé sous les cieux
Qui roule mollement comme un dolent tonnerre,
Le soupir des amants et des ambitieux !