Les Forces éternelles/Le départ

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 69-71).

LE DEPART
(Août 1914)


« Quand la Liberté vous appelle
Sachez vaincre ou sachez mourir. »


On les voyait partir, se plaçant dans l’Histoire,
Régiments déliés, Alphabet des Victoires,
Stances au pas rythmé d’un poème éternel…
Leur calme résolu, grave et noble, était tel
Qu’on n’eût pu deviner à leur marche affermie
S’ils partaient pour un jour ou pour l’heure infinie.

Ainsi vont les soldats pleins d’un même génie…

Mais dès qu’ils ont touché le sol d’Alsace, — quand
Ils ont vu s’élancer tous les ruisseaux fringants
Qui venaient accueillir et porter les nouvelles,
Quand l’été flamboyant gisant sur les airelles,
Quand le galop léger du vent dans les forêts,
Quand enfin l’inquiet et l’unanime apprêt

D’un pays enchaîné hélant sa délivrance
Eut troublé ces soldats qui prolongeaient la France,
Oubliant qu’ils étaient d’abord obéissants,
Ils bondirent, jetant comme un cadeau leur sang !

— Quel appel, quel aimant mystérieux, quel ordre
Vainquit leur discipline, inspira leur désordre,
D’où battait ce lointain, vague et puissant tambour ?
— C’est que Rapp à Colmar et Kléber à Strasbourg,
Kellermann à Valmy, Fabert à Metz, et blême
De n’avoir pu sauver tout son pays lui-même,
Ney, qui voulait sur soi engloutir les combats,
Desaix, Marceau, Lassalle, — et vous aussi, Lebas,
Et Saint-Just, vous aussi ! — ô fiers énergumènes
Dont les plumets flambants sont pris chez le fripier,
Qui déchaussiez la nuit l’étranger qu’on amène.
Pour que la jeune armée eût des souliers aux pieds, –
C’est que tous les aïeux s’éveillant dans les plaines
Entonnèrent un chant, longuement épié !
C’est que, debout, dressés dans leur forte espérance,
Ces héros offensés qui rêvaient à la France
Sur le socle de bronze où le temps met les dieux,
Leur firent signe avec la fixité des yeux !
Soldats de dix-neuf cent quatorze, à quelle porte
Se ruait votre alerte et fougueuse cohorte ?

— C’est que vous vouliez faire, ô hurlants rossignols,
Rentrer dans la maison d’où s’élança son vol,
La Marseillaise en feu, qu’un soir Rouget de Lisle
Fit du bord d’un clavier s’épancher sur la ville ;
C’est que cette indomptée, aux bras tendus en arc,
Est, les cheveux au vent, la sœur de Jeanne d’Arc ;
C’est que le Rhin, sur qui les siècles se suspendent,
soldats de l’An deux, souhaitait qu’on entende,
Déchaîné par les cris, par les bras écartés,
L’ouragan de la Paix et de la Liberté !