Les Forces éternelles/C’est après les moments…

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 346-347).

C’EST APRÈS LES MOMENTS…


C’est après les moments les plus bouleversés
De l’étroite union acharnée et barbare,
Que, gisant côte à côte, et le front renversé,
Je ressens ce qui nous sépare !

Tous deux nous nous taisons, ne sachant pas comment,
Après cette fureur souhaitée et suprême,
Chacun de nous a pu, soudain et simplement,
Hélas ! redevenir soi-même.

Vous êtes près de moi, je ne reconnais pas
Vos yeux qui me semblaient brûler sous mes paupières ;
Comme un faible animal gorgé de son repas,
Comme un mort sculpté sur sa pierre

Vous rêvez immobile, et je ne puis savoir
Quel songe satisfait votre esprit vaste et calme,
Et moi je sens encore un indicible espoir
Bercer sur moi ses jeunes palmes !

Je ne puis pas cesser de vivre, mon amour !
Ma guerrière folie, avec son masque sage.
Même dans le repos veut par mille détours
Se frayer encore un passage !

Et je vous vois content ! Ma force nostalgique
Ne surprend pas en vous ce muet désarroi
Dans lequel se débat ma tristesse extatique.
— Que peut-il y avoir, ô mon amour unique,
De commun entre vous et moi !