Les Fleurs du mal/1868/Le Goût du néant

Spleen et idéal
Les Fleurs du mal (1868)Michel Lévy frèresŒuvres complètes, vol. I (p. 205).

LXXXII

LE GOÛT DU NÉANT


Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte,
L’Espoir, dont l’éperon attisait ton ardeur,
Ne veut plus t’enfourcher ! Couche-toi sans pudeur,
Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur,
L’amour n’a plus de goût, non plus que la dispute ;
Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte !
Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur !

Le Printemps adorable a perdu son odeur !

Et le Temps m’engloutit minute par minute,
Comme la neige immense un corps pris de roideur ;
Je contemple d’en haut le globe en sa rondeur,
Et je n’y cherche plus l’abri d’une cahute !

Avalanche, veux-tu m’emporter dans ta chute ?