Les Femmes poètes de la Belgique/Texte entier

Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 1-340).

LYA BERGER




LES

FEMMES POÈTES
DE LA BELGIQUE




LA VIE LITTÉRAIRE ET SOCIALE DES FEMMES BELGES




Librairie académique PERRIN et Cie
LES

FEMMES POÈTES

DE LA BELGIQUE
DU MÊME AUTEUR

Poésie

Réalités et Rêves, préface de SULLY PRUDHOMME.

Les Pierres sonores. Ecce Homo.

Théâtre

Les Effigies.

Du Tocsin au « Te Deum ».

L’Ame des Roses, acte en vers.

Prose

Le Rêve au cœur dormant, acte en vers. (Tous ces volumes à la Société Française d’Imprimerie, 15, rue de Cluny).

Sur l’Aile des Moulins, roman couronné par la Société des Gens de Lettres et la Société d’Encouragement au Bien (A. Colin, éditeur).

L’Aiguilleuse, roman (Librairie académique Perrin).

La Voix des Frontières, roman (Jouve, dépositaire).

La Germania vaincue, roman (Jouve, éditeur).

Les Revanches, contes de guerre (Jouve, éditeur).

Les Femmes poètes de l’Allemagne, préface de M. A. BOSSERT, ouvrage couronné par l’Académie Française (Librairie académique Perrin).

Les Femmes poètes de la Hollande, couronné par l’Académie Française, 1922 (Perrin).

Sur les Routes bretonnes, ouvrage pour la jeunesse, adopté par le Ministère de l’Instruction publique (Société Française d’Imprimerie).

En Vacances aux bords du Rhin, ouvrage pour la jeunesse, adopté par la Ville de Paris (A. Colin, éditeur).

POUR PARAÎTRE PROCHAINEMENT :

À l’Ombre de la Bonne-Dame, roman.

EN PRÉPARATION :

Esquisses françaises et étrangères.

Copyright by Lya Berger, 1925
LYA BERGER

LES
FEMMES POÈTES
DE LA BELGIQUE

La Vie littéraire et sociale des Femmes belges

PARIS

LIBRAIRIE ACADÉMIQUE

PERRIN ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS

35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 35

1925

Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation réservés pour tous pays.


INTRODUCTION


L’idée initiale de ce livre date d’une époque déjà lointaine.

Lors de mon premier séjour en Belgique, en 1908, j’avais recueilli des notes concernant les principales femmes de lettres de ce pays et fait la connaissance de quelques-unes d’entre elles.

Ce début de relations stimula mon désir de révéler ou de faire mieux connaître la personnalité et l’effort de ces écrivains au public français.

Un article d’ensemble sur les poétesses belges de notre temps fut ainsi publié, dès janvier 1910, dans la revue Les Pages modernes, aujourd’hui disparue. Le jugement que je portais sur les auteurs en cause se trouva confirmé par une étude similaire que M. Léon Bocquet donna dans Le Mois littéraire et pittoresque, à la fin de la même année[1].

Quelques critiques littéraires qui, à cette époque, voulurent bien réserver à mon ouvrage Les Femmes poètes de l’Allemagne[2] un excellent accueil, m’engagèrent à étendre ces études ayant pour objet la littérature féminine aux Pays-Bas, puisque j’étais, d’autre part, en train de me documenter sur les poètes féminins de la Hollande.

Mes projets, ainsi encouragés, furent mis à exécution.

Les résultats de l’enquête menée simultanément en Belgique et en Hollande devaient paraître en un seul volume.

J’ai déjà expliqué, dans Les Femmes poètes de la Hollande[3], comment cette publication avait été retardée, d’abord à cause de son importance même et des difficultés provoquées par l’éloignement des sources de documentation, puis par la faute des multiples complications nées de la guerre… et de l’après-guerre.

J’ajouterai ici pourquoi l’ouvrage en cours dut, finalement, être présenté au public en deux tomes distincts.

L’abondance des matières en est le principal motif. J’ai vu, journellement, au cours de ma double tâche, s’étendre, s’amplifier le champ d’étude, en particulier pour la partie qui concerne les temps modernes, la plus intéressante pour nous.

De plus, malgré l’apparente similitude qui semble lier deux contrées si voisines, rapprochées encore par leur histoire, leur atmosphère, leurs coutumes, leur langage — en ce qui concerne, du moins, la partie flamande du pays belge — il existe, entre la Belgique et la Hollande, des différences essentielles, des oppositions aussi profondes que subtiles dont l’importance s’affirme davantage à mesure qu’on les observe de plus près.

Ce que disait Eugène Fromentin, à propos de l’histoire de la peinture dans les deux pays, est également vrai pour la littérature : « La Hollande serait ici avec toutes choses et toutes gens qu’elle n’a pas connues, qu’elle a reniées, contre lesquelles elle a combattu cent ans et dont son génie, ses instincts, ses besoins, par conséquent sa destinée, devaient nettement et violemment la séparer. De Moerdrick à Dordrecht, il n’y a que la Meuse à passer : il y a tout un monde entre les deux frontières[4]. »

Toutefois, le spectateur étranger est parfois dérouté par le sentiment de fierté qui fait, en certains cas, revendiquer par les deux pays le même homme de génie… ou de talent.

Les grands peintres de l’école flamande sont traités par les Hollandais en compatriotes, de même que les historiens de la littérature néerlandaise comptent à l’actif de la Hollande, sous la classification : Zuid-Nederlandsche Letterkunde (littérature de la Hollande méridionale), le groupe flamand qui, de Willems à Frank Lateur, en passant par Hendrik Conscience, Van Duyse, Ledeganck, Van Beers, Guido Gezelle, Pol de Mont et le cercle plus jeune de Van nu en Straks, travailla, avant tout, pour la gloire du pays belge, en cherchant à créer, à garder à sa littérature un caractère national.

Il y a là une usurpation inconsciente. Pour cette raison, j’ai tenu à laisser à la Belgique ce qui, en réalité, lui appartient.

Je sais bien que le mouvement flamingant de Belgique vise, de plus en plus, à opérer une scission entre les provinces de langue française et les régions où est parlé le flamand. La Hollande, forcément, en bénéficie… Mais, elle n’est pas la seule à profiter de cette tendance. Tout ce que nous pouvons souhaiter, nous autres, Français, c’est que l’élan peut-être excessif de cette croisade ne pousse pas les esprits et les cours à franchir, plus loin que la frontière néerlandaise, la ligne de fils barbelés qui, durant la guerre, séparait la Hollande de sa rapace voisine, la Germanie, dont l’influence est souvent aussi sournoise que néfaste. Gardons notre confiance en nous rappelant, précisément, qu’en des circonstances non prévues par Fromentin, la lointaine parenté qui lie les deux peuples de Belgique et de Hollande s’est affirmée par un échange spontané d’amitié. La voix des femmes fut, plus d’une fois, l’interprète de ce sentiment.

En effet, lorsque pendant la grande guerre, les femmes belges des pays occupés lancèrent, par la voie du journal Le Temps, un Appel aux femmes des pays neutres en faveur des malheureux civils soumis au traitement des forçats, un groupe de femmes hollandaises « au nom des milliers et des milliers qui, dans leur patrie, pensaient et sentaient comme elles », proclamèrent, avec un noble élan de sincérité, « leur sympathie, leur compassion, leur révolte contre l’envahisseur qui, abusant d’une force brutale, n’a reculé devant aucun méfait pour réaliser ses rêves criminels de maîtriser le monde ».

Cette réponse disait encore : « Entre Belges et Hollandais qu’un sort cruel avait jetés ensemble, des liens d’amitié se sont noués qui dureront bien au delà de cette guerre. Quoi que s’efforcent à vous en faire croire vos ennemis, sachez que la grande, la meilleure partie des nôtres ne leur pardonnera jamais le crime commis envers vous ! ».

Ce réconfortant souvenir remis en mémoire, revenons vers la seule Belgique… C’est chez elle que nous nous trouvons ici.

À écrire ces simples mots, une émotion m’étreint le cœur…

Chez elle ! Quelle évocation ! Ah ! certes, si, comme Française, comme artiste, j’ai goûté, autrefois, un vif et inépuisable plaisir à visiter ce pays si voisin, si frère du nôtre et d’un si puissant intérêt pour les amateurs de cités archaïques, de musées merveilleux, de paysages séduisants par leur charme de mélancolie ou leur aspect de fécondité, si, devant les remparts d’Anvers, je me suis sentie fière d’être la petite-fille d’un des Français qui, jadis, aidèrent ce « brave petit peuple » à conquérir son indépendance, quel trouble profond ne dois-je pas éprouver aujourd’hui en prononçant son nom, en évoquant ses décors !…

Avoir senti palpiter le cœur médiéval du vieux Bruxelles, avoir visité la cathédrale et le Musée Plantin d’Anvers, contemplé les Memling de Bruges, erré dans les dédales patinés de Malines l’heureuse », rêvé sur les remparts de Namur au pied desquels la Sambre et la Meuse mêlent l’harmonie de leurs ondes, ou le long des dunes septentrionales — front houleux que sillonne la veine ardente de l’Yser —, s’être recueillie dans la bibliothèque de Louvain et agenouillée sur le tertre de l’Aigle, à Waterloo, tout cela n’explique-t-il pas la révolte et l’angoisse souffertes devant la destruction possible et barbare de ces merveilles, de ces reliques et l’amertume d’avoir dû pleurer sur les ruines de la plupart d’entre elles ?

Nommer la Belgique, depuis 1914, n’est-ce pas aussi se souvenir qu’un jour, lorsque la France, déjà, sentait peser sur les ailes de ses drapeaux l’invasion ennemie, elle put se redresser soudain, elle se vit sauvée parce que l’élan des « masses profondes » était contenu, retardé, brisé, grâce au geste fraternel, loyal, héroïque du peuple ami qui, mettant en pratique sa généreuse devise, l’Union fait la force, sacrifiait son intérêt personnel à la cause commune ?

Et c’est pourquoi, en effet, en traçant ces lignes, je me sens étrangement troublée. Quand, la guerre finie, je quittai les tâches que le devoir patriotique m’avait fait entreprendre et revins vers les travaux littéraires délaissés durant quatre années, ce fut avec recueillement, avec piété, avec amour, que je repris celui-ci, conçu et commencé dans un temps où nul d’entre nous ne prévoyait les événements qui allaient suivre, heureuse de traduire, dans une œuvre de ma pensée, le sentiment de sympathique admiration et l’hommage personnel de ma fervente et durable gratitude pour la nation sœur qui nous a aidés à nous reprendre, à vaincre et, par conséquent, à vivre !

Obscurément, au fond de mon cœur, je dédie ce livre :

À l’Âme de la Belgique,

À ceux qui l’ont si vaillamment, si noblement incarnée :

À ses admirables souverains, d’abord, dont le peuple n’a eu qu’à suivre l’exemple pour réaliser le plus bel exploit de son histoire : Albert Ier, paladin de l’Honneur, Élisabeth de Belgique, l’intrépide et si douce infirmière, céleste apparition dans l’enfer des champs de batailles, des dunes ravagées et des citées écroulées, couple insigne planant très haut dans le domaine des entités glorieuses qu’auréole le prestige des légendes…

Aux grandes figures, dressées à leurs côtés, de son Éminence le Cardinal Mercier, du bourgmestre Max, de Mme la Comtesse Henry Carton de Wiart… Aux combattants dont le courage crût avec les difficultés de leur tâche… Aux infirmières entre les mains de qui tant des nôtres rendirent le dernier soupir…

Aux victimes civiles des villes et des villages martyrs où tant d’agonies sublimes resteront à jamais ignorées, et, en particulier, à Celle qui, au milieu de cette sanglante théorie se dresse, dans toute l’attendrissante beauté de sa jeunesse, de sa pureté, de sa vaillance avec le titre d’héroïne nationale, Gabrielle Petit, l’humble employée de Tournai, exécutée à 22 ans, le 1er avril 1916, pour avoir rendu d’inoubliables services à sa patrie et tenu tête aux Allemands qui la proclamèrent « leur grande fusillée ». Plus tard, un autre hommage plus digne d’elle, celui de son pays, lui fut rendu, au cours duquel la reine elle-même épingla sur le cercueil de la martyre la croix de Chevalier de l’ordre de Léopold, tandis que S. E. le Cardinal Mercier exaltait le nom de cet enfant en qui la Belgique salue sa miss Cavell, et, mieux encore, sa Jeanne d’Arc[5].

En réalité, ce petit pays fut grand parce qu’il contenait de grandes âmes.

Et l’Histoire nous apprend que celles-ci n’ont pas attendu notre époque pour se manifester.

La guerre de 1914 semble avoir été, néanmoins, pour la Belgique, la pierre de touche de sa valeur, le carrefour où l’attendait l’Ange des Destinées.

Ceux qui seraient tentés de dénier au génie le don de seconde vue feront bien de relire la lettre, datée du 21 janvier 1862, et dans laquelle Victor Hugo qui professait, à l’égard de la Belgique, la reconnaissance des exilés, adjurait ce peuple d’user de clémence envers la « bande noire de Charleroi » dans les termes suivants :. « Je supplie la nation belge d’être grande. Il serait beau que ce petit peuple fît la leçon aux grands et, par ce seul fait, fût plus grand qu’eux ; il serait beau, devant la croissance abominable des ténèbres, en présence de la barbarie recrudescente, que la Belgique, prenant le rôle de grande puissance en civilisation, donnât tout à coup au genre humain l’éblouissement de la vraie lumière. »

À soixante ans de distance et en des circonstances bien autrement puissantes, quel sens prophétique revêtent à nos yeux ces lignes du poète de la Légende des Siècles !

Si la vérité sort parfois des lèvres des grands hommes, elle s’exhale aussi, souvent, dit-on, de la bouche des enfants… Qu’on me permette d’en donner ici une preuve étroitement liée au sujet qui nous occupe.

Au mois d’août de l’année 1908, je venais de visiter la Belgique et je regagnais, par le Luxembourg, la Lorraine où m’attendaient les miens. À Arlon, montèrent, dans le compartiment du wagon que j’occupais, une femme entre deux âges et un petit garçon de 7 à 8 ans ; il me fut aisé de reconnaître bientôt, en eux, une gouvernante de bonne famille et son élève. L’enfant, qui avait une physionomie intelligente et fine, débordait de l’entrain de son âge ; il s’intéressait à toute chose, questionnait sans cesse l’institutrice ; celle-ci, raide, la mine renfrognée sous sa capote démodée qui emboîtait les multiples tours de nattes d’un faux chignon, ne se prêtait nullement à son rôle ; au lieu de répondre aux questions du gentil bonhomme, elle le morigénait avec un accent tudesque des plus caractéristiques. À la fin, voyant que l’enfant ne se décidait pas à rester immobile et muet pour lui permettre de lire le roman qu’elle tenait en main, elle se pencha vers lui, fort en colère :

— Foulez-fous m’opéir, oui ou non ?

— Non riposta tranquillement l’élève, non sans un malicieux sourire.

— Ah ! Et bourquoi ?

— Parce que… parce que vous n’êtes qu’une Allemande et que je ne vous aime pas…

La scène commença de m’intéresser vivement. Je me tournai vers la Fraulein qui, blême, le visage contracté, cria :

— Ah ! che ne suis qu’une Allemante !… Et pien, qu’est-ce que tu es, toi, donc, espèce de camin ?

— Moi, fit simplement l’enfant redressé, avec une ingénue et touchante fierté, je suis un Belge et…

— … Ah ! oui, parlons-en, un grand bays, un peau bays ta Pelgique… à côté de l’Allemagne…

Debout, l’enfant l’arrêta, trépignant :

— Oui, s’écria-t-il avec force, c’est un beau pays, un grand pays, la Belgique, plus grand, plus beau que le vôtre, je le sais bien, moi… et je ne veux pas, non je ne veux pas que vous en disiez du mal !…

L’Allemande, calmée, se contenta de ricaner en haussant les épaules. Pour mon compte, tout émue de la profession de foi patriotique du bambin, j’avais envie de lui dire : Bravo, petit ! et de l’embrasser…

La conversation s’arrêta, car le train arrivait à une station où mes compagnons de route descendirent.

J’avoue que, plus d’une fois, au cours des années d’épreuve, j’ai songé aux paroles convaincues du petit Belge. Peut-être celui qui les prononça, et qui est maintenant un homme, les a-t-il oubliées ? J’imagine, en tout cas, qu’il a dû, bien que si jeune, sentir profondément la guerre, puis se réjouir éperdûment que son grand petit pays ait su vaincre, de toute façon, celui de son ex-gouvernante, et, selon la forte expression de Victor Hugo, donner au monde « l’éblouissement de la vraie lumière ».

Lorsqu’on connaît bien la Belgique, on devine aisément le caractère dominant de sa littérature.

Le comte Henry Carton de Wiart l’a défini d’un mot : « Le vrai domaine de la littérature, c’est l’émotion[6]. »

La littérature belge, en effet, est née, s’est développée au rythme des battements du cœur du pays.

Est-il étonnant, après cela, de constater que cette littérature qui eut, pour premiers balbutiements, des épopées, et dont le véritable éveil s’opéra aux sons de la diane lancée par la voix d’Ulenspiegel, le héros national, d’une saveur si flamande, subit profondément l’influence de la grande guerre ?

De même, peut-il sembler surprenant que, de tout temps, le coup d’archet de l’émotion ait, au souffle de l’air natal, fait éclore, en Belgique, beaucoup de poètes ?

La poésie est comme la respiration même des peuples doués de sensibilité. La poésie belge reflète bien le caractère à la fois positif et ardent de cette race que ses atavismes divers vouent en même temps au sage équilibre des races des pays tempérés, au symbolisme mystique du septentrion, aux emballements fougueux du sang ibère, complexité à laquelle le phénomène du bilinguisme ajoute une étrangeté et une richesse de plus, en offrant au monde deux expressions différentes d’une même source d’harmonie.

Nous verrons, au cours des pages qui vont suivre, quels sont les caractères, les phases, les évolutions, les apports simultanés de ce double courant, à travers les âges.

L’auteur de ce livre n’a toutefois point la prétention de donner ici une étude complète de la littérature belge. Ce travail a été accompli par d’autres, à diverses reprises, et beaucoup mieux qu’elle ne le pourrait faire. C’est à dessein, et pour continuer la série commencée par l’étude des femmes poètes de l’Allemagne et de celles de la Hollande, qu’elle s’est spécialisée dans le domaine de la littérature féminine, un peu trop négligée, à l’étranger, dans les anthologies et les manuels généraux. En réalité, l’enquête est plus complète que son titre ne l’indique, car, dans ce livre, les prosatrices ne sont pas complètement négligées au profit des poètes.

Cette extension a été provoquée par l’intérêt même que présentent la personnalité et l’œuvre de certaines romancières, essayistes et sociologues belges, puis parce qu’il existe un contact étroit entre les diverses formes de la pensée et, qu’enfin, le tout concourt à la manifestation d’un intéressant mouvement féministe, aussi modéré qu’efficace dont l’action est d’autant plus rapide et utile que les théories y sont mises en pratique pour le meilleur des buts philanthropiques en faveur du sort de la femme.

Si, dans cette étude où les traits principaux de la littérature belge ont été esquissés et observés dans leurs grandes lignes, les écrivains masculins voient leurs noms et leurs œuvres laissés à l’arrière-plan, ils sauront, je l’espère, ne pas m’en tenir rigueur.

La part essentielle de leur contribution n’y est pas moins reconnue et appréciée. Partout et toujours ne sont-ils pas les traceurs de routes et les guides ? Mais ils savent aussi le geste de l’effacement courtois devant la femme… Ils se retrouveront donc, quand même, au cours de cet ouvrage où leur pensée constitue, en quelque sorte, le canevas sur lequel les doigts de l’ouvrière ont assorti, groupé et fixé les soies aux teintes diverses, afin d’y tracer son dessin et d’y composer sa broderie.

L. B.

I

PREMIÈRE PÉRIODE


DES ORIGINES À 1830

Les plus anciens monuments littéraires belges. — Le bilinguisme, ses causes, ses conséquences. — Les femmes protectrices des Lettres au moyen âge. — Les premières femmes poètes : la nonne Hadewych ; Marie de Brabant ; Marie Dregnan ; la Demoiselle Deprez ; la Belle Doëte ; la Sœur Dimenche ou Nonain de Berchinge. — L’Université de Louvain. — Le siècle des ducs de Bourgogne. — Marguerite d’Autriche et son œuvre. — Mlle de Baude et Mlle Huclam. — La Réforme et la Renaissance. — La poésie spirituelle : Anna Bijns ; la Sœur Josine des Planques. — XVIIe et XVIIIe siècles.

Placée, durant des siècles et au gré des guerres ou des alliances qu’elle dut subir, sous la domination successive de la France, de l’Autriche, de l’Espagne, la Belgique ne put être constituée géographiquement et politiquement que fort tard.

Son histoire littéraire s’est ressentie de cette situation dépendante.

On a coutume de dire que la littérature belge n’exista point avant 1880.

Il ne faut pas oublier, pourtant, que la Belgique apporta son contingent, son influence dans les premières manifestations de la littérature française et de la littérature germanique.

Au moyen âge, plusieurs de nos provinces septentrionales, l’Artois, le Cambrésis lui appartenaient. C’est dans le pays des trouvères et des puys qu’on vit éclore les premières fleurs de nos cycles des Chansons de Geste, la Cantilène de Sainte-Eulalie, l’Histoire d’Aucassin et de Nicolette, la Berthe aux grands piés d’Adenès le Roi, les Quatre fils Aymon et peut-être aussi le Roman de Renart, auquel certains critiques donnent une source flamande[7].

Une autre cause de la naissance tardive d’une littérature belge est la particularité du bilinguisme qui se manifesta en ce pays et qui mit longtemps des entraves à la formation, à l’expansion de la pensée nationale.

Les Wallons et les Flamands se partagent, en effet, d’une façon à peu près égale, le territoire de la Belgique. L’esprit de rivalité qui les séparait, il y a quinze siècles, n’a, d’ailleurs, pas disparu.

Les Wallons, formés d’un mélange celte et roman, présentent le caractère et les tendances de la race française. Leur langue populaire est une sorte de patois français, mieux encore, un ancien dialecte roman du Nord. Les Flamands, eux, eurent pour ancêtres des Francs et des Germains.

Bien que les régions où s’emploient respectivement les deux langues ne puissent être définies d’une façon précise, on peut, néanmoins, dire que le wallon se parle dans les provinces de Hainaut, de Liège, de Namur et le flamand dans les régions de la Flandre, du Brabant, du Limbourg.

En Flandre orientale, on reconnaît même deux tendances. Selon M. Auguste Gittée, apôtre du folk-lore, certains Flamands, les plus cultivés, ont pour idéal de se rapprocher du hollandais ; les autres parlent tout bonnement le patois : on appelle ces derniers des particularistes.

M. Gittée paraît regretter ce fait puisqu’il ajoute : « Voilà donc l’état de choses auquel nous avons abouti en Flandre ! Après quarante ans de travail pour arriver à l’unification de la langue, une moitié des Flamands n’accepte pas encore la suprématie du dialecte hollandais comme langue littéraire[8]. »

Qui dit deux langues dit, en général, deux tendances d’esprit, deux âmes.

« L’âme belge, ne craint pas d’affirmer M. Virgile Rossel, sera toujours double par bien des côtés. L’âme wallonne, précise-t-il, doit encore obéir au génie de sa race qui est latin, sans renoncer à puiser dans le fonds national ; il faut qu’elle aille boire à la grande source où sont naturellement conviées toutes nos petites Frances hors de France[9]. »

La Belgique est un pays essentiellement bilingue, décrète, de son côté, M. Henri Pirenne[10], en faisant remarquer que la langue française y régna par infiltration naturelle et non par droit de conquête et qu’elle y fut toujours la langue aristocratique, tandis que les dialectes dérivant de l’allemand sont parlés surtout dans le peuple.

Il est juste de reconnaître à la langue flamande un droit d’antériorité. Elle a été employée dans les plus anciens monuments littéraires belges. À diverses reprises, et, en particulier, au temps de la maison de Bourgogne, elle devint langue officielle en Brabant, remplaçant le latin dans les actes et les chartes.

Elle eut son rôle aussi dans la création de la poésie en Belgique[11]. Très rythmée, avec la cadence des syllabes fortes et faibles, elle se prêtait à la création des poèmes musicaux. La versification thioise ou théostique (nom du flamand à cette époque), assez monotone, réclamait le relief du chant qui reste mêlé à l’histoire de l’âme flamande.

Les « marchands de chansons » abondaient sur les marchés, dans les kermesses ; le soir, dans les veillées familiales, appelées écraignes, à la lueur du crasset, petite lampe à huile, on se transmettait ces chansons, avec les récits populaires, les légendes, comme cela se passait en Lorraine, autour du copion de verre à mèche fumeuse, en Bretagne sous la lueur vacillante du golo lutil, ou au fond des burons auvergnats, près des tchares et des luns de cuivre accrochés par leur crémaillère de bois aux poutres enfumées du plafond.

M. Van Eeghem, professeur à l’Athénée royal d’Anvers, a réuni dans une brochure les plus connus des chants flamands du XIIIe au XXe siècle[12].

Il y regrette qu’avant le XIIIe siècle le dédain des intellectuels pour les manifestations de l’âme populaire n’ait pas permis (l’imprimerie n’existant point) de conserver sur le parchemin, qui coûtait cher, ces documents primitifs. M. van Eeghem démontre que la chanson jouit d’une vogue constante en Flandre jusqu’au XVIIe siècle ; elle déclina ensuite, comme, d’ailleurs, tout le mouvement littéraire, « par suite de l’émigration des forces vives de la nation en Angleterre ou en Hollande devant le régime de la tyrannie espagnole ».

Les poèmes religieux, très répandus dans les Pays-Bas et qui, au moment des luttes de la Réforme ou de certaines guerres, prirent le caractère de pamphlets ou de satires, furent écrits, de même, en flamand. Si j’insiste sur ce point qui semble, au premier abord, relever plutôt de la linguistique que de la littérature, c’est que, précisément, la poésie exerça, de tout temps, et sous toutes ses formes, une réelle influence sur les destinées des Lettres belges.

Et puisqu’il s’agit ici de rechercher les grandes lignes de ce double courant wallon et flamand à travers l’histoire littéraire belge, il est bon de rappeler que les fluctuations en furent soumises au bon plaisir des maisons souveraines qui exercèrent tour à tour le pouvoir dans le pays.

Après avoir été à l’honneur jusque sous la domination autrichienne, le flamand, réduit, au XVIIIe siècle, à l’état de dialecte, subit encore une éclipse presque totale au XIXe siècle.

La libération de la Belgique, en 1830, avait provoqué parmi les populations une antipathie contre la Hollande au profit de la France. Mais cet ostracisme fut de courte durée. Dès 1834, se dessina une réaction en faveur du mouvement flamingant.

Nous verrons plus loin que l’initiative en revient encore aux poètes.

Depuis lors, jusqu’à nos jours, entre les partisans du flamand et ceux du wallon, s’engagent des débats sans fin sur l’égalité des deux langues.

En 1887, eut lieu, dans les Chambres belges, une discussion qui prit le nom de querelle des Langues. En 1898, la loi de Vriedt proclama cette égalité en prescrivant l’emploi officiel des deux langues dans les actes, dans les écoles, dans l’armée. Peu de temps avant la guerre de 1914, le mouvement flamand s’accentuait de plus en plus. D’aucuns s’en inquiétaient à cause de la ressemblance qui existe entre cette langue et la langue allemande. On redoutait, dans cette tendance, une influence germanique.

Un exemple symptomatique de cet engouement pour le flamand est le suivant :

Une femme de lettres belge écrivit, avant la guerre, un ouvrage — en français — sur une célébrité nationale. Il se trouva un critique qui, tout en vantant les mérites du livre, fit cette réserve : « Il est regrettable qu’une telle œuvre n’ait pas été écrite dans notre langue nationale[13]. »

N’était-ce pas aller un peu loin ? Ce critique n’avait pas les raisons de Jacob Maerlant, créateur du genre didactique en Hollande, qui, tout en aimant la France, jugeait que la poésie galante et conventionnelle de l’époque, en grande faveur chez nous, convenait peu à son pays où il ne tolérait que des œuvres sérieuses, écrites en néerlandais.

En ces derniers temps, la lutte a pris une acuité plus vive, à propos, notamment, de l’Université de Gand. Il nous est difficile, à nous Français, de juger ce débat en toute connaissance de cause. Il a des raisons profondes et multiples dont l’exposé dépasserait le cadre de cette étude. En outre, notre légitime désir de voir sauvegardés les droits de la langue et de l’esprit français ne nous laissent pas l’impartialité qui convient au rôle du strict témoin.

En résumé, le flamand et le français ont tenu bon tous deux et se partagent les faveurs de la renommée littéraire.

Faut-il regretter cette dualité d’expression dans le même pays ?

Dans un sens, non, qu’il s’agisse de l’effet produit sur un public étranger ou des destinées mêmes de la pensée nationale, car, d’une part, elle prête à la littérature belge, prise en son ensemble, un charme de complexité plein de saveur ; de l’autre, elle crée, entre les deux camps, une émulation susceptible d’en favoriser le perfectionnement.

Mais les dangers d’un tel état de choses sont cependant indéniables, lorsqu’il s’agit d’assurer à l’une des deux langues la supériorité administrative et politique. De plus, les divisions créées au cours de cette lutte, où chacun apporte une certaine dose de passion, peuvent compromettre la sécurité de « l’union sacrée », si nécessaire partout devant le péril extérieur.

Diversité ne doit pas signifier antagonisme. Les deux routes parallèles suivies par les Belges sont dirigées vers le même but, vers un commun idéal : la grandeur de la Patrie.

Wallons et Flamands sont fils de la même mère. À maintes reprises, le péril national fut la pierre de touche de cette parenté.

Froissart — une gloire franco-belge ! — rapporte déjà qu’en 1382, Gantois et Liégeois fraternisaient dans les luttes contre l’ennemi. Les victoires des uns devenaient celles des autres : « Tous ceux des bonnes villes, les douze flamandes comme les onze wallonnes (de la Fédération), en estoient si resjoys qu’il semblait proprement que la besogne fût leur. »

M. J. Stecher, dans son ouvrage : Wallons et Flamands, rappelle que l’instinct de fraternisation a toujours existé entre les diverses provinces. Jadis, de l’une à l’autre, on effectuait des « échanges d’enfants » comme la mode s’en est affirmée de nos jours, pendant les vacances, pour faciliter aux écoliers l’étude des langues étrangères. Au XVIe siècle, les habitants de régions voisines s’instruisaient réciproquement de leur langage et de leurs coutumes. À ce propos, M. Stecher répète, avec opportunité, le mot de Charles-Quint : « Qui sait deux langues, vaut deux hommes ! »

Il conclut, avec optimisme, que la dualité qui, malgré le temps, subsiste en Belgique, est un garant d’équilibre et la pierre angulaire de l’édifice national[14].

Durant la rude épreuve de la grande guerre, qui mit si hautement ses qualités en valeur, la Belgique a donné raison à cette déclaration.

Se ralliant à la sage devise brabançonne Eendracht maakt macht (l’Union fait la force), les fils du Hainaut, de la Flandre, du Brabant, du Limbourg, de l’Ardenne ont su comprendre que leurs intérêts sont communs et contresigner l’affirmation du poète populaire et patriote, Antoine Clesse :

Halte-là ! Sur nos bataillons
Le même étendard flotte et brille.
Soyons unis ! Flamands, Wallons,
Ce ne sont là que des prénoms :
Belge est notre nom de famille.

Quoi qu’il en soit, le double courant se faisant sentir à travers toute l’histoire littéraire de la Belgique, il est impossible de ne pas en étudier simultanément les deux aspects dans les traditions, les associations, les revendications, les œuvres propres à chacun.

Les femmes, comme les hommes, ont des représentants dans les deux écoles.

Il conviendra donc, au cours de cette étude, de respecter le mur mitoyen qui sépare les deux jardins poétiques, tout en comparant les parfums des fleurs qui y poussent et en recherchant si, d’un côté plus que de l’autre, l’expression linguistique a été propice à l’éclosion d’œuvres originales et fortes.

Les premiers noms féminins mentionnés dans les annales intellectuelles de la Belgique ne sont pas précisément des noms d’écrivains. Mais tous les arts étant parents, ce n’est point sortir tout à fait de notre cadre que d’évoquer ici les sœurs Harlindis, ou Herlinde, et Reynula, ou Renilde qui, ayant fondé une sorte de couvent pour l’éducation des jeunes filles, y enseignaient à leurs élèves les premières notions des lettres et des sciences et surtout l’art de l’enluminure. On possède, de ces deux religieuses qui, par la suite, furent canonisées, deux évangéliaires remarquables déposés dans le trésor de l’église de Maeseyck (Aeck-sur-Meuse).

Ces artistes vivaient au VIIIe siècle. Elles évoquent le souvenir de l’Alsacienne Herrade de Landsberg, abbesse du Couvent de Sainte-Odile, qui, dans la retraite du mont boisé, composa le curieux et précieux Hortus deliciarum, joyau du XIe siècle, que le feu ennemi détruisit à Strasbourg, en 1870.

Quatre siècles plus tard, une autre nonne, pourvue, celle-ci, par le ciel, du don divin de poésie, se rendit célèbre dans les Flandres en écrivant des chants mystiques d’une ardeur, d’un lyrisme remarquables tant par la beauté de l’inspiration que par l’harmonie et la force de l’expression.

Cette nonne s’appelait HADEWYCH, ou HADEWYCK (forme flamande d’Hedwige) et ses poèmes ont pour titre Liederen der minende Siele (chants de l’Ame aimante).

Son origine exacte nous est inconnue ; elle appartenait, croit-on, à une famille d’un certain rang et fut abbesse du couvent cirstercien d’Aywières, en Brabant, où elle mourut, assez âgée, en 1248.

Ayant parlé en détail d’Hadewyck et de son œuvre dans l’ouvrage Les Femmes poètes de la Hollande, je prie les lecteurs de se reporter à ce livre[15].

Il suffira de répéter ici que les chants de l’Ame aimante constituent, en cette période primitive, un monument littéraire d’une originalité indéniable. La tendre, passionnée et naïve religieuse reste, au fond de son cloître, une des plus siņcères poétesses de l’Amour mystique.

Du XIIIe au XVe siècle, les trouvères belges n’eurent que de rares émules dans le clan féminin.

Par contre, les femmes instruites de ce pays, celles, surtout, à qui leur rang social octroyait quelque omnipotence, témoignèrent d’un goût très vif pour « les choses de l’esprit » et accordèrent leur protection aux écrivains.

Adèle de Hainaut, fille de Guillaume le Conquérant, possédait le don des vers, si l’on en croit l’évêque Baudri de Bourgueil qui, chroniqueur et poète lui-même, lui dédia plusieurs poèmes.

C’est à Adelaide de Louvain, première femme de Henri Ier d’Angleterre, que Philippe de Thaun offrit son Bestiaire (1121), premier ouvrage de ce genre dont il soit fait mention.

Alix de Brabant, seconde femme de ce souverain, aida, dans ses débuts, Hermann ou Guillaume de Valenciennes, considéré comme le premier trouvère ayant écrit en langue romane.

Sibylle d’Anjou, épouse de Thierry d’Alsace, aimait à entendre, à protéger les poètes, ainsi, d’ailleurs, que Marie de Champagne, épouse de Beaudouin VI de Flandre.

Philippe d’Alsace, fils de Thierry, fut élevé dans ces principes. Sa femme, Elisabeth de Vermandois, était célèbre par ses « jugements d’amour ». Sous leur règne, la cour de Flandre devint un rendez-vous de lettrés romans. Le « parler françois » y fut à la mode. De nombreux mariages conclus entre des familles françaises et flamandes accentuèrent ce mouvement. Ces mariages et les fêtes auxquelles ils donnaient lieu fournissaient des sujets de poèmes aux trouvères du temps : mœurs, usages, costumes y étaient dépeints, ce qui leur donne un véritable intérêt documentaire.

Jeanne et Marguerite, comtesses de Hainaut, dont l’éducation se fit à Paris, avaient fait bâtir, au Quesnoy, un château où, l’été, leur petite cour était conviée à des tournois galants.

Jeanne fut la « dame » de Beaudouin de Condé qui s’acquit une célébrité dans les dits satiriques ou courtois à vers équivoques[16](les Dits d’amour, de la Rose, du Salut Notre-Dame, du Dragon, etc.).

Philippine de Hainaut, épouse de Édouard III d’Angleterre, celle-là même qui sauva la vie des Bourgeois de Calais, fit de Froissart son familier. Sainte-Beuve nous décrit[17] la vie agréable qui était offerte au « clerc de la chambre de la reine » chez sa protectrice à laquelle « il servait de beaux livres de poésie et traités amoureux »… en attendant le travail plus grave des Chroniques.

Ces évocations ne réveillent-elles pas dans notre pensée le souvenir de Marguerite d’Écosse, prodiguant ses soins à Alain Chartier, d’Anne de Bretagne élisant son poète en la personne de Jean, Marot, de Marguerite de France s’intéressant aux destins de la Pléïade ?…

Les princesses, d’ailleurs, n’avaient pas, seules, le privilège d’inspirer des œuvres littéraires ou d’en recevoir l’hommage. Des livres furent dédiés à de nobles dames, à des « bourgeoises » de qualité, à des religieuses même, comme Maria van Berlaer, sœur Gothile et dame Femina van Hoye, abbesse du couvent aristocratique de Saint-Trond, qui fit refaire en vers la légende de sainte Lutgarde, composée au siècle précédent. Cette nonne eut également la dédicace de la Vie de sainte Christine l’Admirable[18].

Entre toutes les célèbres « marraines » de poètes, il faut accorder une mention particulière à MARIE DE BRABANT qui ne se contenta pas de protéger les trouvères, mais qui pratiqua elle-même l’art des vers.

MARIE DE BRABANT peut donc être considérée comme l’aïeule des poétesses belges.

Fille de Henri III, duc de Brabant, et d’Alix-Adélaïde de Bourgogne, dont l’esprit était très cultivé, elle appartenait à une famille connue pour son goût des belles-lettres dans lesquelles cinq représentants du nom s’étaient déjà distingués.

Henri III, surnommé le Débonnaire, avait écrit, pour son compte, des pastourelles, des chansons courtoises.

Ainsi que chez ses ascendants, le poète se doublait, chez lui, d’un Mécène.

Il accordait, notamment, une large hospitalité à Adam ou Adenès le Roi, dont les conseils encouragèrent la vocation de la jeune Marie à qui le trouvère dédia son récit de Berthe aux grands piés et qu’il alla rejoindre plus tard à la cour de France.

Née vers 1260, Marie de Brabant, en effet, épousa, dans le cours de sa quinzième année, le roi de France, Philippe III le Hardy, veuf depuis trois ans d’Isabelle d’Aragon. Marie fut sacrée reine à Paris, au mois de juin 1275, par l’archevêque de Reims. De grandes fêtes furent données à l’occasion de cette cérémonie.

Marie eut une influence heureuse sur la cour française où elle fit régner le goût artistique qu’elle apportait du pays paternel.

Très jeune, jolie, pleine d’entrain, elle était aimée de tous… sauf du favori de son mari, un certain Pierre de la Brosse, ou la Broce, contre qui, précisément, les proches et les fidèles du roi cherchaient à utiliser le pouvoir de la nouvelle épouse, car Pierre de la Brosse, ambitieux et fourbe, savait profiter de la faiblesse du souverain pour servir ses propres intérêts.

Le courtisan comprit où tendaient les manœuvres de ses adversaires.

Un jour, l’aîné des fils que Philippe avait eus de son premier mariage, le prince Louis, tomba subitement malade et mourut d’une façon foudroyante.

La Brosse accusa la reine de l’avoir fait empoisonner. Malgré les dénégations de Marie, Philippe, écoutant son chambellan, la fit arrêter et enfermer quelque temps dans le château de Vincennes. Il parut ensuite regretter cette détermination et rappela auprès de lui la reine.

Peu après, celle-ci eut sa revanche car, convaincu, à son tour, de trahison et d’empoisonnement, Pierre de la Brosse paya cher son audace et sa félonie. Il fut emprisonné, puis pendu au gibet de Montfaucon, en 1278.

Marie de Brabant eut plusieurs enfants auxquels elle survécut. Elle mourut près de Meulan, en Seine-et-Oise, en 1321.

On a dit qu’elle avait collaboré à certaines des œuvres d’Adenès-le-Roi. Ce dernier paraît le reconnaître dans le début de son Cléomadès. Marie n’aurait même pas été la seule muse dont le galant trouvère acceptait la participation poétique.

M. Arthur Dinaux, dans son ouvrage, Trouvères, Jongleurs et Ménestrels du nord de la France et du midi de la Belgique, nous cite le passage où le ménestrel fait allusion à

Deux dames en cui maint la fleur
Et de bonté et de valeur…

Deux dames ! Lesquelles ? Était-il possible de dévoiler, du premier coup, l’identité des deux poétesses dont l’une était la reine de France, et l’autre, sa cousine et amie, Blanche d’Artois, qui épousa, plus tard, Henri de Champagne, roi de Navarre ?

Non, certes Tant de simplicité eût offensé la discrétion… et mal servi la curiosité qui aime à être aiguisée par le mystère…

Leurs noms ne veut en apert dire
Car leur pès aim et dout (redoute) leur yre (colère)

Mais, par un tour adroit, fréquent à l’époque, ce trouvère, qui sait jouter en courtoisie autant qu’en poésie, révèle :

Pour ce, seront leurs noms nommé
Si je puis si couvertement
Qu’entendre ne puisse la gent
Les noms d’elles quand le liront
S’en ne leur monstre où li nom sont.

Suit alors une pièce de 34 vers dont les lettres initiales forment un acrostiche où l’on peut lire : La Reine de France Marie, Madame Blanche.

Mme Defontaine-Coppée, femme poète belge, dont nous aurons l’occasion de reparler, a retracé, en vers et en prose, dans ses Femmes illustres de la Belgique[19], la vie de Marie de Brabant. Elle n’oublie pas d’y faire allusion au talent littéraire de la reine :

souvent pour charmer les longs ennuis des cours
« Près ly rois Adenès » elle montait sa lyre
Et les vers en tombaient embellis d’un sourire.
Les Muses lui parlaient avec des mots de miel
En lui chantant en chœur les chansons de leur ciel.
Les lettres et les arts fleurirent autour d’elle
Déposant sur son front la couronne immortelle…

À l’époque où rimait, en son lointain château de France, Marie de Brabant, vivait à Lille, alors ville flamande, une femme, Marie, ou Marotte Dregnan, qui a composé plusieurs œuvrettes, dont une seule nous est restée :

Moult m’abelis quand je vois revenir
Iver, grésill et gelée aparoir
Car en toz tens se dois bien resjoir
Bele pucele et joli cuer avoir
Si chanterai d’amors pour mieux valoir
Car mes fins cuers pleins d’amorous désirs
Ne m’y fait pas ma grande joie faillir.

André van Hasselt[20] n’a pas craint, non plus, de citer le nom de Marotte parmi ceux des poètes flamands du XIIIe siècle. « Marie de Lille, écrivait-il, mêle à toutes ces voix qui chantent sa douce et naïve voix de jeune fille. »

Les annales littéraires du temps mentionnent aussi la Demoiselle Deprez, faiseuse de jeux-partis, originaire du pays d’Artois ; puis, une « chanteresse », La belle Doëte, qui écrivait en langue romane et, enfin, une « troveresse », appelée sœur Dimenche, ou encore Nonain de Berchinge.

A. Dinaux[21] présume que ce nom doit être un pseudonyme inspiré du « jour du Seigneur », mais en ajoutant qu’il pourrait venir aussi du prénom : Demenche (Dominique).

L’orthographe du mot semblerait, selon lui, indiquer une origine wallonne, bien que Berchinge appartienne au territoire flamand… « à moins, encore, qu’il ne s’agisse du Beurchon de la province de Liège… » On est forcé, en pareil cas, de s’en tenir aux conjectures.

Sœur Dimenche, qui savait le latin, écrivit une Vie de Sainte Catherine, en vers. Le manuscrit, datant du commencement du xive siècle, appartient à la bibliothèque de la Sorbonne.

En voici quelques vers, à titre de curiosité :

Jon qui le vie ai translatée
Suis par nom Dimence nomée
De Berchinge suis nonain
Por s’amor pris ceste œuvre en main
A tous chians qui cest livre orront
Et de fin cuer l’entenderont.
Por amor Dieu prie et requier
Qu’il veuille Dieu por moi prier
Qu’Il mete m’âme en paradis
Et gart mon cors tant com iert vis
Qui vit et règne et règnera
In soeculorum soecula

Il n’est pas étonnant de voir des œuvres littéraires naître dans les couvents où l’instruction des femmes était plus étendue, en général, que dans le monde. La nonne Rothswitha a donné, dès le xe siècle, toute une œuvre dramatique à la littérature allemande.

En France, la règle des couvents et des abbayes, plus sévère, ne paraît pas avoir laissé aux religieuses la même latitude de communiquer au dehors les œuvres composées. Un certain nombre de celles-ci, d’ailleurs, ont pu disparaître dans les incendies allumés par la Révolution…

Par une association d’idées aussi mélancolique que naturelle, l’évocation des brasiers destructeurs allumés par des mains barbares, m’amène à rappeler qu’à cette place, c’est-à-dire au début du xve siècle, s’inscrit une date mémorable celle de la fondation de l’Université de Louvain qui eut lieu exactement en 1425, sous le gouvernement du dernier Brabant de la ligne directe.

Un chroniqueur du XVIe siècle, Adrian Barlande, rhétoricien de Louvain, auteur des Chroniques des ducs de Brabant, « nouvellement enrichies de leurs figures et portraits par la dispense et vigilence de Jean-Baptiste Vrient » et dédiées aux princes sérénissimes Albert et Isabelle »[22], décrit avec amour cette petite ville déjà surnommée « la Savante », alors que Bruxelles était dite « la Noble », et qu’Anvers s’intitulait « la Riche ».

« Louvain, écrivait-il, est la ville principale de tout le païs de Brabant qui ne cède à aucune autre en température d’air et clémence du ciel. C’est à bon droit que nos pères l’ont choisie pour être le séjour des sciences et des bonnes lettres, car elle a une Université qu’après Paris, il n’y en a point de mieux peuplée ni de mieux ordonnée.

« Vis-à-vis de l’église Saint-Pierre, c’est la Maison de Ville qui est une belle œuvre et qui témoigne, en plusieurs choses, que Louvain, autrefois, a esté une fort grande et florissante ville. Les Français, les Allemands, les Anglais, les Italiens qui la voyent s’esmerveillent de ce bastiment et de son artifice. »

Las ! Parmi ces peuples admiratifs, il en est un qui, en raison de sa très particulière kultur, a perdu, au cours des siècles, le respect des trésors sacrés de l’art et du travail ! Les torches… ou les engins incendiaires qui ont mis le feu à l’Hôtel de Ville et à la Bibliothèque de Louvain ont marqué au front, à jamais, les fils de cette Allemagne que Verhaeren appelait « exterminatrice de races « et « faiseuse de crépuscule ».

Quelques années avant la fondation de l’Université de Louvain, « l’an du salut du monde MCCCCVI », était morte la duchesse Jeanne, femme du duc Wenceslas de Brabant qui, aux côtés de son époux, avait fait beaucoup pour la belle cité. C’était une femme digne et avisée « vraiment excellente », au dire du chroniqueur, et qui, devenue veuve, avait su prendre en main « le maniement des affaires et fit beaucoup de choses et prudemment et vertueusement ».

Tel fut le rôle des femmes dans la littérature belge, au moyen âge.

C’est à dessein que j’ouvre ici un nouveau paragraphe de leur histoire bien que, chronologiquement parlant, la période du moyen âge ne prenne fin qu’un siècle plus tard, environ.

Au xive siècle, en effet, les Flandres étaient passées sous la domination de la Maison de Bourgogne.

Les quatre représentants de cette maison, seconde du nom, portaient en leurs veines le bon sang de France : Philippe le Hardi[23], Jean sans Peur, Philippe le Bon ou le Magnifique et Charles le Téméraire témoignent, par leurs seuls noms, de la bravoure, de la valeur militaire auxquelles leurs contemporains ont rendu hommage. Mais ce penchant viril pour les armes ne les empêcha point, grâce aux lois de l’atavisme, de partager le goût de leur père et aïeul Jean le Bon, roi de France, pour les lettres et les arts.

Leur règne — on peut appeler ainsi le gouvernement de princes qui eurent puissance et prestige de rois — eut tant d’influence sur les Pays-Bas, dans le domaine intellectuel comme dans celui de la politique, qu’on ne peut le rattacher à l’ère des essais et des semailles, mais, plutôt, à celle des éclosions et des épanouissements.

Donc, à la cour fastueuse dont M. Frantz Funck-Brentano nous a donné, un jour, une si vivante description[24], les poètes, les peintres trouvaient asile et encouragements. Les dues aidèrent à la création d’œuvres, de bibliothèques, favorisèrent l’art de l’enluminure, l’industrie de la reliure luxueuse.

Leurs femmes, Marguerite de Flandre, Marguerite de Bavière, Isabelle de Portugal et Marguerite d’York, les secondèrent dignement dans cette tâche. Elles eurent leurs bibliothèques particulières[25], présidèrent, stimulèrent des joutes poétiques, tinrent des « cours amoureuses » et furent successivement célébrées pendant leur vie et à leur mort par des poèmes officiels signés des auteurs fameux du temps.

Cette période bourguignonne, qui réunit les noms d’Olivier de la Marche, de Monstrelet, de Chastellain, n’eut toutefois pas de gloire féminine à opposer à celle de notre Christine de Pisan.

Les Flandres ne connurent pas, non plus, la surprenante éclosion de « prodiges féminins » dont l’Italie du xve siècle eut à se glorifier, grâce aux mérites des Costanza Varano, des Ippolita Sforza, des Laura Benzoni qui écrivaient, à l’époque de leur adolescence, des vers latins, grecs et italiens, sans oublier Cassandra Fedele, l’épistolière surnommée « l’honneur de l’Italie », ni l’érudite aveugle Margherita de Ravenne[26].

On s’y occupait, toutefois, beaucoup des femmes ; on y écrivait des œuvres qui leur étaient spécialement destinées : le Champion des Dames, le Miroir des Dames, le Tournoi des Dames, le Dit des Dames, l’Évangile des Femmes, etc., etc.

M. Georges Doutrepont, professeur à l’Université de Louvain, dont la magistrale étude sur la Littérature française à la cour des Ducs de Bourgogne[27] donne une documentation complète sur la bibliographie et la bibliophilie de ce temps, fait remarquer, toutefois, que ces prétendus féministes et leurs œuvres ne sont pas toujours les « louangeurs » des femmes, puisque, sous le masque d’un titre trompeur, ils en signalent les défauts et en ridiculisent les allures.

M. Doutrepont s’appuie, à ce propos, sur le jugement impartial d’une femme qui a étudié la question avec un soin tout particulier[28].

Aussi bien, tout n’est pas à admirer ni à louer dans l’ère bourguignonne. L’eau bouillonnante n’est pas l’eau profonde. Les fastes et les plaisirs entraînent à une licence des mœurs, à un éparpillement des forces de la pensée qui, tôt ou tard, provoquent une dégénérescence.

Très brillante, l’œuvre des quatre ducs manqua d’unité, de logique, parfois, et même, dans certains cas, de dignité.

Mais ce fut déjà beaucoup qu’en ce siècle encore imprégné de l’esprit barbare, elle constituât une sorte de pré-Renaissance qui prépara les Flandres à l’essor littéraire et artistique dont on les verra rayonner sous le gouvernement de Marguerite d’Autriche. Ainsi que le fait remarquer M. Funck-Brentano[29], « les grands ducs d’Occident ont favorisé l’éclosion de cet art si original, si coloré, si vivant qu’on a pu appeler l’art bourguignon, où se mêlèrent harmonieusement le réalisme savoureux de la Flandre et la finesse d’inspiration, les tendances vers l’idéal du génie français ».

La brusque fin de cette dynastie enivrée de grandeur et de luxe est tout de même un symbole…

Charles le Téméraire périssant nu, abandonné, attaqué par les loups dans les marais glacés de Lorraine, démontrait, après saint Jean Chrysostôme, et avant Bossuet, la vanité des vanités humaines…

La fille de Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne, en épousant Maximilien d’Autriche, voua les Flandres à un nouveau maître qui devait, un jour, y apposer une empreinte très personnelle. Ce maître fut une femme…, une femme de lettres, Margueriete d’Autriche.

Née, en effet, de l’union de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne, Margueriete d’Autriche vit le jour à Bruxelles, en 1480. Elle fut baptisée à Sainte-Gudule, avec le parrainage de Philippe de Clèves et de Marguerite d’York, sa tante.

Sa petite enfance se passa au vieux château de Bruxelles où, à l’âge de 2 ans, elle perdit sa mère, morte des suites d’une chute de cheval…, début précoce d’une vie de deuils et de souffrances dans laquelle luira pourtant le rayon consolateur de tant de meurtris du destin : la poésie.

Fiancée, peu après, à Charles VIII, roi de France, qui atteignait alors sa quatorzième année, Marguerite fut amenée à la cour d’Anne de Beaujeu. Mais, en 1491, Charles, ayant décidé d’épouser Anne de Bretagne, rompit ses premières fiançailles, et Marguerite, vivement froissée dans son amour-propre, garda de cet affront un sentiment de rancune contre la France.

Après son séjour au château de Melun, elle retourna chez son père.

En ces huit années passées à la cour de France, elle manifesta un vif penchant pour l’étude et montra des dispositions artistiques qu’on encouragea. Ces tendances ne firent que s’accentuer par la suite ; elle leur donna satisfaction après son retour au foyer paternel. En 1497, de nouvelles fiançailles avec Jean de Castille, fils de Ferdinand et d’Isabelle d’Espagne, l’obligèrent à faire un voyage dans ce pays ; au cours de la traversée, une tempête éclata ; Marguerite fut un moment en péril. Sur cette aventure, elle composa un distique mi-ému, mi-plaisant, qu’on eût pu, disait-elle, inscrire sur son tombeau, si elle fût morte :

       Ci-gît Margot, la gentil demoiselle
       Qui a deux marys et encor est pucelle…

Elle débarqua, toutefois, saine et sauve, se maria, mais devint veuve dans le cours de la même année. Elle eut un enfant, qui ne vécut point, et regagna, une fois de plus, la terre natale.

En 1501, elle épousa, près de Genève, Philibert le Beau, duc de Savoie. Elle goûta près de lui un bonheur de courte durée, car Philibert mourut trois ans plus tard.

La pauvre Marguerite pouvait dire, en vérité :

     Oncques à dame qui fut dessus la terre
     Les infortunes ne firent tant la guerre
     Qui font à moi triste infortunée…

C’est alors qu’elle adopta pour devise :

     Fortune infortune fort une.

À 26 ans, elle se trouvait seule, mûrie par l’épreuve et ayant acquis, avec l’expérience de la vie, celle des affaires. Elle se rattacha à l’existence, d’abord par instinct, grâce à sa jeunesse, puis par un besoin d’action et d’initiative qui inspira à ses proches l’idée de lui confier l’éducation de ses neveux et nièces et, en même temps, le gouvernement des Pays-Bas.

Elle accepta la double tâche, s’installa à Malines où résidait avant elle Marguerite d’York, et qui devint son domaine.

Politiquement, elle représenta, en Belgique, l’idée bourguignonne chère à son aïeul Charles le Téméraire et à son bisaïeul Philippe le Bon[30].

Conservant au fond du cœur un grief contre la France qui l’avait repoussée, Marguerite se rapprocha de l’Allemagne dans l’espoir de contracter une alliance avec elle. Elle eut à lutter, sur ce point, contre ses compatriotes qui ne partageaient pas toujours sa manière de voir.

Elle fit preuve d’autorité et de décision dans les résolutions qu’elle eut à prendre et les projets qu’elle voulut réaliser.

Elle se mêla à diverses manifestations politiques européennes, notamment à la Ligue de Cambrai, dirigée contre Venise, puis à celle que le roi d’Angleterre entreprit contre la France. Elle intervint, cependant, auprès de son neveu, Charles-Quint, pour la mise en liberté de François Ier et elle conclut fort intelligemment, avec Louise de Savoie, la Paix dite de Cambrai ou des Dames (1529).

Son attitude envers les Réformés prouve qu’elle avait l’esprit tolérant et le cœur généreux.

Tout en s’occupant de l’éducation de ses neveux et nièces et, en particulier, de celle de Charles-Quint, en exerçant une influence morale et intellectuelle sur ses jeunes demoiselles d’honneur, à qui elle témoignait une affection quasi-maternelle, Marguerite d’Autriche contribua à embellir la ville de Malines, y favorisa l’essor du commerce, y organisa, à diverses reprises, des fêtes, des kermesses dont le souvenir demeure, notamment celui des cérémonies qui eurent lieu en l’honneur de Maximilien et pour l’entrée triomphale de Charles-Quint.

Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est le rôle que joua la première Gouvernante des Pays-Bas dans le mouvement littéraire et artistique de l’époque.

Son intelligence, son goût sûr, sa libéralité judicieuse et le grand sentiment d’amour-propre national qu’il faut lui reconnaître attiraient, retenaient à sa cour les lettrés, les artistes.

Les sculpteurs Jean Perréal (qu’elle avait connu à Amboise, auprès d’Anne de Beaujeu), Van Boeghem qui, comme le précédent, prit part à l’érection de la célèbre église de Brou, les peintres Jean Vermegen, Jean de Maubeuge, Jacob de Barbari, Bernard van Orley y acquirent ou y entretinrent leur renommée.

L’art de la tapisserie, celui de l’orfévrerie, ainsi que le culte de la musique y devinrent à la mode.

Mais c’était surtout aux Lettres que Marguerite consacrait son temps et accordait ses préférences. Des indiciaires, sortes de secrétaires-bibliothécaires, furent successivement attachés à sa personne, parmi lesquels Jean Molinet, dont le mérite réside moins en ses œuvres puériles, bien qu’il ait été « rhétoriqueur » et historiographe de Maximilien Ier, qu’en son titre d’oncle de Jean Lemaire, Julien Fossetier, auteur de la Chronique margaritique, encyclopédie de l’antiquité, dédiée à Marguerite d’Autriche, Remy du Puys et, enfin, le fameux Jean Lemaire de Belges[31], polémiste, poète et historien qui, à l’exemple de son oncle Molinet, aima peut-être un peu trop l’acrobatie poétique, mais sut, néanmoins, dans le reste de ses écrits, rester simple et sincère malgré les entraves que sa vie errante et dépendante mettait à son inspiration.

Marguerite d’Autriche sut, comme lui, résister au courant de ce snobisme avant la lettre qui sacrifiait la personnalité, la spontanéité aux conventions de la mode.

Elle avait souffert ; elle exprima ses peines sans emphase inutile, mais aussi sans fausse pudeur. Et elle toucha parce qu’elle fut vraie. Malgré ses nombreux sujets de mélancolie ou ses préoccupations, elle voulait autour d’elle de la grâce, de la gaîté. Ses familiers prolongeaient le règne des cours d’amour du moyen âge. Elle initiait ses demoiselles d’honneur, en particulier Mlles de Verre, de Planci, de Baude et Huclam, à l’art des vers.

Jean Lemaire lui dédia une partie de ses Illustrations de Gaule, ainsi que la Couronne Margaritique, sorte de guirlande à Julie d’un seul auteur, mièvre, mais de tour ingénieux.

Parmi les œuvres qui nous restent de Marguerite d’Autriche, il faut citer sa Correspondance, curieuse par la révélation qu’elle nous donne du caractère de cette femme, aussi spontanée et naïve dans ses lettres privées que résolue ; réfléchie et habile lorsqu’il s’agit des affaires du gouvernement.

Nous y trouvons aussi des documents sur l’état d’esprit, les événements, les mœurs et les coutumes de l’époque.

Les discours sur sa vie et ses infortunes peuvent constituer un recueil à part à cause de leurs tendances philosophiques et de leur ton de confession.

Enfin, les Albums contiennent des poèmes nombreux et divers, si divers que des critiques autorisés, notamment MM. François Thibaut et Virgile Rossel, ont dit qu’il était difficile de distinguer ceux qui sont entièrement dus à l’auteur de ceux auxquels ses amis ont collaboré…

Sur quatre manuscrits comprenant des chansons, des ballades, des rondeaux, des dialogues, une seule pièce est écrite de sa main.

Il n’y a guère à se méprendre, semble-t-il, sur les vers qui traduisent la constante mélancolie de son âme, comme ceux-ci :

    Incessamment mon pauvre cœur lamente…
    Sans nul repos, souvenir me tourmente…

ou comme les suivants :

      Souvenir tue et soir et main (matin)
      Et si ne donne un coup de main
      D’asche, d’espée ni de lance
      Mais au cœur tant de regrès lance
      Qui convient en demourer vain.
      
      Son cop est fort rude et soudain
      Par quoi je dis et non en vain
      Que par sa très dure grévance
      Souvenir tue et soir et main…

      Quant du passé l’on se remain
      Qu’on n’avait nulz regretz villain
      Mais que tout venait à plaisance
      Et par rebours que déplaisance
      Tient en prison un cueur humain
      Souvenir tue et soir et main…

Elle s’égare parfois en des soucis plus prosaïques et se plaint d’avoir besoin d’argent avec une naïveté qui ne manque pas de saveur :

Fortune m’a de prou à peu restraincte
Dont nuit et jour j’ai la puce à l’oreille.

. . . . . . . . . .


Pour abréger j’ai tous les jours de rente
Amour, désir, regret, espoir et doulte…

Si certains poèmes peuvent paraître apocryphes, ce sont ceux où elle discute sur les choses d’amour avec entrain et malice, parce qu’on n’y reconnaît pas « < sa manière ».

Ne la retrouve-t-on pas, au contraire, tout entière, dans ce Rondel à Notre-Dame[32] :

Dame, qu’estes de Dieu la fille
Qui conceupte vostre souverain père
Et l’enfantant, demourastes pucelle
Conduisez-moi à mener vie telle
Que par péchier mon âme ne se altère.

Et Vous, Dame, tellement m’ame espère
De parvenir à telle fin prospère
Que parviendra en joye supernelle
Dame, qu’estes de Dieu la fille.

Deffendez-moi de l’ennemi haustère
Quant me faudra gouster la mort aspère
Et départir de la vie mortelle
De mon âme faites telle tutelle
Que point ne soir des enfers en misère
Dame qu’estes de Dieu la fille.

Son cœur douloureux et fidèle apparaît non moins dans cette Chanson : La Blessure[33], écrite et mise en musique par elle :

« C’est dans mon cœur que je porte ma blessure. C’est une violente passion pour toi qui me l’a transpercé (6 combien cruellement !… — Et qui le rend de plus en plus inguérissable. — Où que j’aille et quoique je fasse, une même inquiétude me tourmente. — Où que j’aille et quoique je fasse, — c’est toi, toi seul qui gouvernes ma pensée. »

Malgré son énergique volonté et ses capacités indéniables, Marguerite d’Autriche ne semble pas avoir été une ambitieuse. Elle sut rester très femme jusque dans ses agissements politiques. Elle apparaît dans ses œuvres, et elle est, en réalité, une meurtrie de la vie qui chercha un dérivatif à ses peines dans les rêves supérieurs : le travail, l’art, le bien.

Son rôle fut utile et noble, mais il resta pour elle un rôle, dans l’acception exacte du mot. La fin de sa vie, assez prématurée, puisque Marguerite avait tout juste 50 ans lorsqu’elle mourut, donne raison à cette plainte de sa lyre :

Deuil et enuy me persécutent tant
Que mon esprit à comporter s’estent
Tous les regrets qu’on ne sçaroit penser.

Elle songeait à se retirer dans un couvent quand une maladie indéterminée, une sorte d’empoisonnement du sang à la suite d’une blessure au pied, l’emporta le 1er décembre 1580.

Selon le vœu qu’elle avait exprimé, son corps fut transporté près de Bourg-en-Bresse, dans cette église de Brou qui est un bijou de pré-Renaissance d’une richesse un peu païenne et excessive, mais d’une si grande finesse en tous ses détails, et qu’elle avait fait bâtir afin d’y ériger les mausolées enfermant les cendres des siens[34].

Marguerite d’Autriche repose donc dans la terre de France, de cette France dont elle faillit être une des souveraines et contre laquelle elle garda toujours un ressentiment qui a ses circonstances atténuantes. Ne fut-elle point, par les qualités de son esprit, une vraie descendante des « Bourgogne » ?

Les pèlerins d’art qui vont visiter Brou et méditent devant le riche mausolée gravé de la mélancolique devise : « Fortune, infortune, fort une » ne peuvent que tracer, sur cette vie de vaillance douloureuse, le signe chrétien d’amour et de paix.

À Malines, Marguerite d’Autriche n’est pas oubliée non plus. Sa statue, due au sculpteur Tuerlinckx, se dresse, vivante et dominatrice, sur la grand’place, entre l’Hôtel de Ville, le vieux Palais des Echevins et les Halles, à l’ombre de la tour Saint-Rombaut[35].

Quel frisson dut parcourir ce blanc fantôme quand l’Allemand, l’allié rêvé de jadis, vint s’abattre, cupide et brutal, sur la chère cité de Mechelen[36], nid de souvenirs et de grâces artistiques, pour la martyriser, comme sa sœur et voisine, Louvain, comme, plus tard, son ancienne mère spirituelle, Cambrai[37]

Depuis, la libération est venue avec la victoire ; les étendards français et belges ont flotté côte à côte sur les ruines héroïques.

Le temps a réponse à tout.

Puisqu’il a été fait mention du talent poétique des demoiselles d’honneur de Marguerite d’Autriche, voici, à titre de curiosité, un poème de

Mlle de Baude et un autre de Mlle Huclam :

RONDEL
par Mlle DE BAUDE

Tout pour le mieux, bien dire l’ose
Vient maleur qu’il fault soultenir
Se, c’est pour a mieulx parvenir
L’endurer est bien peu de chose.

Mon cueur en franchise repose
Sans rien parcial sey tenir
Tout pour le mieulx.

De ma part rien je ne propose
Vi euque ce qui pourra venir
Car dire veulx et maintenir
Que des emprinses Dieu dispose
    Tout pour le mieulx.

POÈME
par Mlle HUCLAM

Pour mon devis patience me duit
Veu que mon cueur est plaitrié et enduit
De penser dur et de mélancolie
Et de regretz, combien que je pallye
Tant que je puis mon mesain et ennuyt.

Hélas ! Espoir a trop mon cueur séduit
Quant fortune le rebours lui produit
Dire m’en fault comme de ce mal lye
    Pour mon devis.

Se triste suis de jour, pis suis de nuyt
Rien je ne prens en grez, mais tout me nuyt
Tant soit perde, prouffitz, sens ou folie
Puisque tristeur ainsi fort mon cueur lie
Il n’a pas tort se à dire s’est induit
    Pour mon devis.

Les deux successeurs féminins de Marguerite d’Autriche au gouvernement des Pays-Bas, sa nièce Marie d’Autriche et sa petite-nièce Marguerite de Parme, remplirent avec succès et dignité la mission qui leur était confiée, mais sans imiter, toutefois, leur devancière dans le culte actif qu’elle avait voué aux Lettres et aux Arts[38].

Charles-Quint ne suivit pas non plus, sur ce point, l’exemple de son éducatrice. Il ne témoigna guère d’intérêt qu’à Érasme, qu’il rappela d’Angleterre en Flandre et pensionna.

Les écrivains de son époque se plaignirent amèrement de n’être ni compris, ni encouragés. Leur inspiration s’en ressentit ; ils manquèrent de verve et d’originalité et imitèrent surtout les auteurs étrangers.

Sous la régence du duc d’Albe, ce fut pis encore. La tyrannie sanguinaire du représentant de Philippe II produisit, sur les Pays-Bas, l’effet d’un vent desséchant qui ne laisse sur son passage que ruines et stérilité. Les émigrations dues à ce maladroit gouvernement enlevèrent à la nation belge ses meilleurs éléments de vie.

Quelques noms émergent, pourtant, de l’obscurité ; celui, d’abord, de Marnix de Sainte-Aldegonde, qui appartient également aux lettres françaises, belges et hollandaises, non moins connu, d’ailleurs, pour le rôle politique qu’il joua dans la Révolution des Pays-Bas que par ses nombreux ouvrages ; puis ceux, moins célèbres, des poètes Sylvain de Flandre, Jean Polit, Denys Coppée, auteur de tragédies religieuses dont on a dit — ce qui est vraiment excessif — qu’elles causaient « autant de gloire à Huy, son pays natal, que le poème de Dante valait d’honneur à Florence » !

Une floraison de poésie mystique jaillit alors dans les Pays-Bas, sans doute pour y faire contrepoids aux œuvres galantes et parce que l’esprit de la Réforme incitait les catholiques, aussi bien que les protestants, à défendre leurs convictions sous toutes les formes et par tous les moyens. La plus connue des poétesses d’inspiration religieuse est Anna Bijns, la modeste et vaillante institutrice, auteur de nombreux Refrains et adversaire acharnée de Luther, comme la religieuse suisse Jeanne de Jussy le fut de Calvin. La Belgique et la Hollande la revendiquent à la fois comme Hadewyck ; elle naquit, en 1494, à Anvers. L’histoire de sa vie et de son œuvre a été retracée dans la galerie des femmes de lettres néerlandaises[39]. C’est pourquoi je n’y insiste pas davantage ici.

Une émule d’Anna Bijns est la sœur Josine des Planques, née en 1478, et qui fut prieure du couvent Sainte-Agnès, à Gand, en 1518. Elle écrivit plusieurs beaux chants spirituels. Malheureusement, ses œuvres ont été perdues, à l’exception d’un chant, Scoen gheestelic refreyn, paru en 1533.

L’abbesse Josine des Planques est morte en 1535.

Puis vint le règne des Chambres de rhétorique, confréries littéraires, sociétés d’émulation qui organisaient des séances où avaient lieu des discussions philologiques ou philosophiques, des concours, des représentations…

Elles avaient été précédées, au xive siècle, par les puys, sociétés littéraires créées à l’imitation de celle qui existait à Puy-en-Velay. Les villes du Nord eurent des puys célèbres : l’un des plus anciens, à Arras, fit représenter une œuvre de Jehan Bodel[40]. M. Joseph Hayois cite également ceux de Tournay, de Diest, d’Alost, lequel prétendait remonter aux Croisades[41].

Si, dans les Chambres de rhétorique, les femmes ne jouèrent pas un rôle actif, elles y furent du moins, plus d’une fois, le sujet des brillants entretiens.

Une amie d’Anna Bijns, Roseane Coleners, qui habitait Dendermonde, ancien nom de Termonde, l’une des petites villes belges saccagées par les Allemands en 1914, composa une pièce que fit représenter la Chambre de rhétorique, dite du Rosier, à Amsterdam.

Ces « chambres » poétiques portaient des noms de fleurs et se choisissaient des devises dans le goût courtois de l’époque.

Les bourgeoises des grandes villes flamandes étaient fort riches ; elles aimaient le vrai luxe, les distractions et tenaient leur place dans la société. Trois siècles plus tôt, les magnifiques atours de leurs aïeules avaient excité la jalousie de notre reine, Jeanne de Navarre, en lui arrachant un cri de surprise dépitée, lors de son voyage à Bruges, en compagnie de Philippe le Bel : « Je me croyais seule reine ici, j’en vois plus de six cents ! » Ces « femmes de qualité », dépeintes par Olivier de la Marche dans son Parement et triomphe des Dames d’honneur, provoquèrent aussi l’étonnement admiratif de Marguerite, reine de Navarre, lorsqu’elle traversa les Flandres, en 1574, sous la conduite de don Juan d’Autriche, pour aller prendre les eaux de Spa.

Ne se contentant pas d’être fortunées et bien parées, les « dames » belges aimaient aussi à s’instruire et témoignaient d’un goût très vif pour la lecture ; les romans français, en particulier, leur plaisaient.

C’est un livre concernant les femmes, l’Institution d’une fille de maison noble, qui eut l’honneur d’étrenner les presses de la célèbre imprimerie Plantin, en 1515.

On sait que cette maison, dénommée la perle d’Anvers, fut fondée par un Français, originaire de la Touraine et dont la femme était Normande. Christophe Plantin laissa l’imprimerie à son gendre Moretus, dont la postérité continua la même œuvre dans la même demeure. L’imprimerie avait la spécialité des livres d’Heures aux fines enluminures.

Depuis une quarantaine d’années, la ville d’Anvers l’a achetée et y a organisé un musée des plus intéressants.

La petite cour à arcades enguirlandées d’une vigne plusieurs fois centenaire, dont les festons encadrent les fenêtres aux menus carreaux sertis de plomb, est un bijou de grâce archaïque qui offre un heureux contraste avec certaines reconstitutions malencontreuses de l’art germain, comme les lourdes masses rougeâtres de la Maison des typographes et de la Maison des libraires, à Leipzig.

L’esprit d’un peuple se retrouve jusque dans les pierres de ses monuments.

Au xviie et au xviiie siècle, les diverses tentatives faites par les Belges pour se créer une littérature personnelle échouèrent à cause des luttes tour à tour religieuses, militaires, civiles, qui désolèrent le royaume.

Toutefois, si l’on en croit certains mémoires, la cour de Bruxelles fut très brillante, au xviie siècle, lorsque les souverains Albert et Isabelle[42] y recueillirent les émigrés princiers de France, notamment Marie de Médicis, Gaston d’Orléans et leur suite.

Les détails contés pittoresquement par M. Ernest Gossart dans son article : L’Auberge des Princes en exil[43], ressuscitent à nos yeux les fêtes, les joutes, les soirées qui s’y succédaient. À la mode espagnole, les hommes célébraient leurs belles en faisant donner des sérénades sous leurs fenêtres. Une des « reines » les plus entourées était la princesse de Chimay. Mais tout ce galant manège n’allait pas sans rivalités, jalousies et querelles. Des duels s’ensuivaient ; ils avaient leur dénouement sur la grand’place de Laeken, ce petit Versailles de la cour bruxelloise ; blotti dans la verdure, s’y érige le château royal, rebâti sur les vestiges de celui qui fut, en 1899, la proie des flammes, et où Napoléon Ier, en 1812, avait signé la déclaration de guerre à la Russie…

Au xviiie siècle, les arts, en Belgique, rayonnèrent d’un plus vif éclat que les lettres, avec les grands noms de Rubens, de van Dyck, de Jordaens, des Téniers, de Rembrandt, de Gérard Dow… La musique, même, surtout dans le pays wallon, florissait avec succès depuis deux siècles. De Roland de Lattre et ses contemporains à César Franck, en passant par Gossec et Grétry, l’harmonieuse chaîne des musiciens ne s’est pas interrompue du xve siècle à nos jours.

Marie-Thérèse d’Autriche essaya de donner une impulsion aux travaux intellectuels en fondant à Bruxelles, en décembre 1772, l’Académie des Sciences et Belles-Lettres[44].

Elle eut le bon goût d’apprécier l’homme de race et d’esprit en qui s’incarna, vers le milieu du XVIIe siècle, la pensée belge, le prince de Ligne, dont le domaine de Bel-Œil, près d’Ath, fut, pour la société aristocratique de Belgique, ce qu’avait été, un demi-siècle plus tôt, en France, le château de Sceaux lorsque le duc du Maine en était le propriétaire.

Dans le temps qui précéda sa demi-disgrâce, causée par les affaires d’Autriche, le prince de Ligne partageait ses dons d’éloquence et de courtoisie entre ses aristocratiques compatriotes et les souveraines des cours étrangères.

Ses relations avec Marie-Thérèse d’Autriche et Catherine de Russie, dont il recevait les grâces impériales, ne l’empêchaient point d’utiliser les fantaisies de sa verve épistolaire en faveur de la marquise de Coigny et de la juive berlinoise Rahel Lewin[45].

Ce poète, qui n’écrivait que de pauvres vers, laissa derrière lui un sillage lumineux parce qu’il sut la grâce et le pouvoir du sourire. Il puisa son optimisme à la plus riche des sources : l’amour de la nature. « Cet homme, remarque très justement M. Gérard Bauer, goûtait pleinement les choses parce qu’il les abordait avec un sourire frais et neuf[46]. »

Les nombreux historiens littéraires, biographes, chroniqueurs qui se sont occupés du prince ne font aucune allusion à l’élément féminin de la famille de Ligne, qui aidait le châtelain de Bel-Œil à faire les honneurs de son fastueux domaine.

Si l’on ne savait qu’il eut un fils tué en Argonne, à la bataille du Chêne-Populeux, dans les rangs autrichiens, en 1792, on serait tenté de le croire célibataire.

Sa femme, une Lichtenstein, gouvernait cependant la maison d’une main despotique durant les longues absences de l’époux voyageur. Et il y eut aussi, dans les merveilleux jardins de Bel-Œil, une petite fée qui ensoleilla cet éden avant d’y jeter, par une faute folle, le désarroi et la douleur. C’était la jeune femme du fils aîné du prince, une Polonaise, Hélène Massalska, élevée à l’Abbaye-aux-Bois, puis mariée à 15 ans, jolie et capricieuse poupée, trop éprise de plaisir, au gré de son mari, plus sérieux, qu’elle finit par abandonner[47].

La petite princesse Charles de Ligne s’entendait bien avec son beau-père ; il y avait entre eux des affinités, un peu-le même esprit brillant et superficiel, le goût de vivre et de paraître, un sens aigu de l’observation, du bon sens.

Il écrivit ses Mémoires, elle laissa un Journal rédigé du temps qu’elle était pensionnaire à l’Abbaye-aux-Bois. Cette œuvrette d’une enfant de 14 et 15 ans — plus tard imprimée sur les presses installées à Bel-Œil — rappelle, par ses qualités de spontanéité, d’absolue franchise sur soi et envers les autres, d’indépendance et de jugement, le fameux Journal qui rendit célèbre la précoce et séduisante Marie Bashkirtseff, de race slave, elle aussi.

Malgré les efforts tentés par Charles de Lorraine, alors vice-roi des Pays-Bas, puis par l’archiduchesse Marie-Christine, « gouvernante » du pays, et de son mari, l’archiduc Albert, qui, tous trois, s’efforcèrent d’encourager les lettres et les arts, il survint, à ce moment, en Belgique, dans le clan féminin en particulier, une « vague » d’indifférence et de paresse à l’égard des occupations intellectuelles. M. Oscar Grosjean nous cite l’opinion d’un étranger qui séjournait alors dans cette contrée : « Une femme qui voudrait établir à Bruxelles, dans sa maison, un tribunal de littérature, serait vilipendée, bafouée, et, loin d’obtenir de la considération, chacun aurait pris pour elle le plus grand mépris[48]. »

Que nous sommes loin des salons français contemporains, de ces « bureaux d’esprit » dans lesquels nos célèbres Parisiennes du xviiie siècle tenaient, dans une attitude souveraine, leur sceptre enguirlandé de roses !…

L’érudition, seule, occupait, en Belgique, les cerveaux masculins qui faisaient effort pour briser la glace d’apathie où se figent les meilleures volontés.

On peut donc dire que le mouvement de réaction qui se produisit en 1880, à l’heure de la proclamation de l’indépendance territoriale de la Belgique, fut plutôt une naissance qu’une renaissance.

Soyons fiers de penser que la France y joua son rôle, non seulement en aidant les Belges à secouer le dernier joug étranger, mais encore en favorisant, par la suite, l’expansion intellectuelle jusqu’à la vraie Renaissance belge de 1880, celle qui proclama le droit à la vie du pays et rendit évidente une personnalité nationale qu’on vit s’affirmer ensuite, de jour en jour, avec plus de maîtrise, afin d’apporter son contingent de richesses au trésor de la Pensée humaine.

II
DEUXIÈME PÉRIODE


DE 1830 À 1880

Caractères et tendances de la littérature de cette période dans les œuvres d’expression française et d’expression flamande.

Mme Félix de la Motte et Mevrouw[49] van Ackere-Doolaeghe. — Louise Stappaert-Ruelens. — Mme Defontaine-Coppée. — Amélie Strumann-Picard. — Isabelle Lippens. — Agnès-Lucie Masson. — Mme Epgar Tinel. — Mme Braquaval (Pauline l’Olivier). — Mme van Langendonck. — Clémentine Louant. — Mme H.-O.-G. de Lalaing.

Marre Nizet (Mme Mercier-Nizet).

Mevrouw Courtmans. — Mewrouv David (Mathilda van Peene). — Rosalie et Virginie Loveling.

Les premières productions littéraires qui marquèrent la proclamation de l’indépendance belge donnent, selon l’expression de M. Raymond Poincaré[50], « l’impression d’une flore timide », essayant de jaillir du sol de régions que, d’autre part, Eugène Gilbert comparait, littérairement, à « des landes stériles, à des champs en friche où la désolation régnait[51]».

Ce furent de modestes fleurettes, en effet, sœurs des pâles perce-neige, qui apparurent, en 1884, avec les Primevères de André van Hasselt.

André van Hasselt peut être considéré comme la souche à double rameau de l’arbre généalogique littéraire belge qui crût et s’épanouit pendant cette période de cinquante années. Né à Maëstricht, en 1806, ayant fait ses études à Gand et à Liège, et définitivement opté pour la patrie belge, en 1888, van Hasselt écrivit simultanément en langue flamande et en langue française[52].

Variée, imagée et harmonieuse, bien que parfois conventionnelle à la manière du temps, sa poésie fit école, tandis que son Essai sur l’Histoire de la poésie française en Belgique servit de guide initial aux ouvrages du même genre, conçus par la suite.

À l’exemple de van Hasselt, les écrivains belges des deux races rivalisérent de zèle pour suivre la voie qui leur était tracée.

Parmi les premiers, il faut citer Antoine Clesse, le poète populaire, Charles Potvin dont les œuvres, inspirées par le sentiment national, obtinrent trois fois le prix triennal de littérature dramatique, puis Charles De Coster, le pur artiste, auteur de la Légende d’Uylenspiegel[53], et Octave Pirmez, le rêveur harmonieux.

On a souvent apparenté, malgré la différence de leur inspiration, ces deux derniers écrivains qui, affranchis du moule de la tradition, firent résonner une voix personnelle et peuvent être considérés comme des précurseurs.

À la fin de cette période appartiennent aussi les premières œuvres de Camille Lemonnier, le peintre de mœurs à la touche puissante, et de Georges Rodenbach[54], silhouette ardente et mélancolique qui profile ses lignes pensives sur les calmes et morbides perspectives de Bruges. Du côté des lettres flamandes, c’était l’éveil aussi, grâce aux travaux passionnés de Jean-François Willems et de son groupe, intuitifs et persévérants sourciers qui s’appliquèrent à découvrir, à faire connaître les sujets d’inspiration les plus propices au développement moral et économique de la nation.

Ces efforts, dirigés vers un but si utile et si haut, provoquèrent la collaboration enthousiaste d’écrivains remplis de foi et d’ardeur pour cet apostolat. Au milieu d’eux, Hendrik Conscience[55], auteur de trois œuvres successives, l’Année des Merveilles (Het Wonderjaar) (1837), le Lion de Flandre (1888), le Conscrit (1850) apparaît comme un héraut d’armes qui, en exaltant les gloires du passé, jette, parmi ses contemporains, de nouvelles semences de vie nationale dont il tirera lui-même profit pour mieux comprendre et dépeindre le cadre et les âmes de son pays.

Sa célébrité, non plus que celles de son rival, Dominique Sleeckx, plus rude et moins optimiste, de son émule Snieders, ou de Mevrouw Courtmans[56], au talent fécond et précis, ne font pas oublier la floraison de poètes qui, par ailleurs, illuminent le « jardin » de cette école. Ledeganck, barde évocateur des « trois villes-sœurs »[57], Anvers, Bruges et Gand, a été pour le peuple flamand, ainsi que le dit si bien M. Vermeylen[58], « une force morale ». À ses côtés, brillèrent le sympathique Prudens van Duyse, Théo van Ryswyck, d’une inspiration moins large, mais mélodieuse aussi, la sensibilité fine de De Laet, celle plus familière de van Beers, qu’on comparé au poète des Intimités, François Coppée, Emmanuel Hiel, amateur de rythmes populaires, et, enfin, « le génial et doux chanteur », [59] Guido Gezelle, le saint François d’Assise de la poésie, dont l’âme ardente et pure se consuma, comme un cierge, dans le demi-jour de l’abnégation religieuse, et survit en ses vers avec tout l’éclat mystique et chaud des précieux vitraux d’église.

Des deux parts, on le voit, une préoccupation patriotique dominait les esprits.

Après tant d’esclavages successifs, la Belgique, ayant rejeté ses chaînes, aspirait non seulement à jouir de sa liberté, mais à la proclamer et à la sauvegarder dans l’avenir. Toutefois, ainsi qu’une convalescente aime à étayer sa faiblesse contre un appui sûr, elle n’osait, du premier jour, vivre exclusivement sur son propre fonds ; elle essayait ses pas, sa voix, en regardant marcher, en écoutant parler les autres.

Les autres !… c’est-à-dire surtout la France, son alliée et amie des jours récents contre la Hollande. L’étincelle française couvait en son foyer, car l’occasion d’acquitter sa dette de reconnaissance lui avait été aussi offerte et, en âme loyale, généreuse, elle ne l’avait point laissé échapper. Elle accueillit, en 1836, les révolutionnaires devenus suspects au sein de leur propre pays, comme elle avait fait les conventionnels de 1815.

Plus tard, encore, en 1851, elle renouvela son geste hospitalier en faveur des proscrits politiques dont certains s’appelaient Proudhon, Quinet, Alexandre Dumas, Emile Deschanel, Victor Hugo…

Ces philosophes, ces orateurs, ces écrivains, ces poètes rendirent à la Belgique bienfait pour bienfait. Leur pensée puissante, leur voix entraînante contribuèrent à l’éveiller de sa torpeur en même temps qu’elles l’imprégnaient des meilleures substances de la culture française.

Ainsi, les deux peuples purent coopérer à la même œuvre intellectuelle et morale.

Ils se sentirent aussi plus solidaires l’un de l’autre, avec, peut-être, l’obscure prescience de la future épreuve commune qui les unirait à jamais par le plus fraternel des liens.

Dès l’aube de cette période de réveil, peu après l’apparition des Primevères d’André van Hasselt, deux femmes offrirent presque simultanément au public les prémices de leur butin poétique.

L’une d’elles, Mme Félix de la Motte, d’origine flamande, compte cependant parmi les auteurs de langue française ; l’autre, Mevrouw van Ackere-Doolaeghe, au contraire, était une pure flamande, ce qui permet de différencier, dès le début, l’inspiration et l’expression propres à chacune des deux races.

Mme Félix de la Motte, née Coralie van den Cruyse, appartenait à une famille aristocratique de Gand, où elle naquit le 13 octobre 1796. Son mari était officier.

Sa situation de femme du monde, fine, élégante, enjouée, lui assurait des succès dans les salons, où elle disait ses vers avec grâce. Elle représente, à nos yeux, le poète amateur, plus renommé pour son charme personnel que pour son talent. Ses vers, néanmoins, ne manquent ni d’à-propos, ni de verve.

Sa première œuvre, une comédie anecdotique en un acte, en vers, les Orphelins de la Grande Armée[60], est animée d’un souffle de généreuse pitié en même temps que d’un sentiment d’ardent patriotisme.

Ses poésies lyriques sont contenues dans deux recueils : Violettes[61] (1836) et Fictions et Réalités[62] (1848).

Elles ne peuvent prétendre, évidemment, à la gloire littéraire ; des conseils moraux, des effusions religieuses ou familiales, alternant avec des fantaisies empreintes d’un piquant esprit remplissent ces pages où, en dépit des sourires d’une destinée propice, perce parfois une mélancolie désenchantée.

Peut-être n’y a-t-il là qu’un procédé de poète ? Quoi qu’il en soit, Mme de La Motte se console des désillusions de la vie en la compagnie de sa muse :

Les arts furent créés pour l’âme…
Avec eux point de solitude !

. . . . . . . . . .


L’homme qui s’attache à l’étude
Ne recueille que des fruits mûrs.

Il lui arrive de défendre, non sans malice, la cause des femmes écrivains. On pourra juger de ses arguments par le poème intitulé les Bas-bleus qui répond, sans doute, à l’attaque d’un confrère antiféministe et contre quoi Barbey d’Aurévilly se fût plu à décocher une de ses flèches :

Cher Méphistophélès, dont le vers graveleux
N’est point le fait d’une mazette,
À mes consœurs, à ces pauvres Bas-bleus,
Tu donnes, en jouant, de bons coups de lancette !
Écrire est peut-être une erreur,
Mais c’est une erreur qui console.
Quand l’homme, du savoir, gardant le monopole,
Doit-il de ses écrits s’ériger le censeur ?
Hélas, notre siècle sceptique
À dépouillé le cœur de ses rêves dorés ;
L’austère et sèche politique
À flétri d’un soufflet les amours émigrés.
Lorsque tout s’agite et fermente,
Lorsque l’esprit humain lutte dans la tourmente
Et s’agrandit de ses propres efforts,
Tu veux que la femme isolée
Cache sa vie inconsolée
Sous le sombre crêpe des morts !
Mais toi, Satan, chez qui l’esprit abonde,
Qui disputes au ciel le sceptre de ce monde,
Fais nous reculer de cent ans ;
Rends-nous les festins de familles,
La ronde à l’ombre des charmilles,
Notre âme simple et nos plaisirs d’enfants,
Voire même un galant, bien nigaud, bien timide,

Mais qui sente l’amour au cœur,
Et qui ne classe point dans son calcul sordide,
L’argent plus haut que le bonheur.
Lors tu verras la jeune mère
Endormant son poupon au bruit de son rouet ;
Elle ne lira point l’Iliade d’Homère
Ni le poème d’Arouet…
Elle sera bonne et bien simplette,
Ignorante, mais point coquette,
Telle enfin que tu nous voudrais !
Mais le temps a marché pour l’homme et pour la femme.
Du siècle, pour nos yeux, s’est rembruni le drame.
Et du bonheur, en aurons-nous jamais ?
Grâce à ton omnipotence,
Je veux te dire, en confidence,
Le secret de la femme auteur :
Elle écrit, vois-tu bien, car son âme la brûle ;
Souvent un timide opuscule
A donné le change à son cœur…

Mme Félix de la Motte dut approuver la définition de la gloire féminine donnée par Mme de Staël : « Elle n’est que le deuil du bonheur ».

Les lauriers dont nous couvrirons son, nom sont modestes…, plutôt des lauriers-roses, parmi lesquels on croit voir trembler la tige timide et douce du romantique : « Ne m’oubliez pas » !

Maria van Ackere, née Doolaeghe, est plutôt connue, en littérature, sous ce dernier nom, dont elle signa la plupart de ses ouvrages.

D’origine plus modeste, elle était la fille d’un potier de Dixmude qui fabriquait les conduits de canalisation servant au drainage des sols humides du bassin de l’Yser. Elle chanta le métier paternel dans un poème : Pottebakkertje, devenu une des sonneries familières du « Carillon de Dixmude » et dont, à titre de curiosité, nous donnons ici la première strophe et le refrain :

LE CHANT DU POTIER
Mis en musique par van Cup

Agiles ou lents, tournez sur ma roue
À ma volonté !
Je saisis le morceau de terre
Aussi gros et lourd qu’il puisse être
Et je le façonne en forme jolie
Grâce aux secrets de mon art habile
Et dans un instant l’on admirera
Chaque petit pot élégant et fin !

REFRAIN


Chantez, camarades, chantez une gaie chanson !
Les mauvais temps, certes, ne nous gênent point.
Notre art ne connaîtra misère
Tant qu’existeront palais et chaumière…

Dixmude ! l’Yser ! Ces noms évocateurs ne suffisent-ils pas à nous émouvoir aujourd’hui par le souvenir des scènes tragiques qui s’y déroulèrent et que la plume d’un Charles Le Goffic[63], d’un Léon Bocquet, d’un Ernest Hosten[64] exaltèrent en même temps que le pinceau d’un Léon Cassel.

Maria Doolaeghe naquit le 25 octobre 1803, dans la pittoresque cité qui abritait un des célèbres béguinages des Flandres. Les parents de la fillette lui firent donner une éducation soignée. Elle fut mise en pension chez les dames de Rousbrugghe, à Ypres, afin d’y apprendre le français. Quand elle revint chez elle, on lui donna des professeurs de langue flamande car, dans les institutions du genre de celle de Rousbrugghe, on n’enseignait guère que le français.

Maria Doolaeghe écrivait avec facilité ; elle terminait volontiers ses lettres, selon la mode de l’époque, par des vers amicaux, laudatifs ou malicieux, suivant la qualité et l’âge de ses correspondants. Ses maîtres, remarquant cette disposition, l’encouragèrent et donnèrent à la jeune fille des sujets à traiter en vers. Ses essais furent montrés à des écrivains de la région qui la poussèrent également à suivre cette vocation.

En 1823, eut lieu, à Dixmude, un grand concours de poésie flamande ; elle y obtint les premières récompenses. Il en fut de même à Courtrai, à Ypres, où elle présenta une Ode à Homère.

Des publications flamandes lui demandèrent sa collaboration. Elle y écrivit en vers et en prose et contribua, pour sa modeste part, au « réveil des Flandres ». Elle aimait particulièrement à célébrer les hommes qui, soit dans le domaine de l’art, soit dans celui de la science, ou encore dans l’ordre politique ou économique, ont agi favorablement sur les destinées de sa petite patrie.

Elle eut un vrai culte d’amitié pour le poète van Duyse et entretint de cordiales relations avec les descendants spirituels des rhétoriqueurs dont l’ancienne « Chambre », la Nu Morgen niet, survivait, ainsi qu’une de ses sœurs, la Scerpduere, sous la forme de société littéraire.

Le premier livre de Maria Doolaeghe, Madelieven (les Marguerites ou Pâquerettes), parut en 1834 ; elle écrivit ensuite De Avondlamp (la Lampe du soir), 1849, puis Nieuwe Gedichten (Nouveaux poèmes), Winter blæmen (Fleurs d’hiver), 1877, et Jongste Dichtbundel (Nouveau recueil poétique), 1884[65].

Son mariage avec le chirurgien van Ackere lui a suggéré l’idée de son court poème Palfyn, qu’on a qualifié d’œuvre nationale et qui célèbre, à cause de ses conséquences pour le bien de l’humanité, l’invention du forceps.

Elle a composé un grand nombre de récits, de nouvelles, de légendes exaltant les gloires flamandes.

Bien que restant toujours, en ses vers, la petite bourgeoise pratique qui attache grande importance au sens positif de la vie et tient à faire profiter les autres de son expérience, elle a peutêtre moins de simplicité que Mme Félix de la Motte. Ceux qui la lisaient goûtaient, en tout cas, des pages comme celle qui s’adresse à sa petite-fille, Mlle Marie Haemers :

« Chère enfant, tu es le vivant portrait — de ta mère la bien douée qui s’appliquait à sa tâche commerciale — avec tant d’habileté, — hautement honorée de tous — pour la vertu et la bonté qui illuminaient son beau visage et attiraient vers elle tous les regards. — Elle ignorait le mensonge, la haine et la jalousie et donnait à chacun son salut amical Maria tu es son unique enfant, tu hérites de sa vertu et de ses charmes et tu aimes ce qu’elle a le plus aimé, les joies paisibles de son foyer… »

Parfois, c’est avec une ingénuité presque enfantine que Mme Doolaeghe s’exprime devant les merveilles de la nature :

« Petit oiseau, ô chère hirondelle ! — avec quel soin tu sais nourrir tes petits ! Le ciel entier est ton domaine et sous le toit de chaume tu t’abrites. — Dieu sait te prouver qu’Il t’aime — et ton sort est doux, petit oiseau !… »

Ailleurs, de même qu’elle a chanté les poteries paternelles, elle célèbre les dentelles renommées de son pays :

« Notre dentelle si bien faite est recherchée par l’Angleterre et beaucoup aussi par la France !

Est-il une plus belle chose ?

Et de quelle charmante jeune fille la dentelle n’avive-t-elle encore l’éclat et la grâce ? »

Tout cela est rendu bien prosaïque par la traduction ! La rustique langue flamande, bien rythmée, convient mieux à ces sujets nationaux.

Par contre, l’allure romantique se retrouve dans La plainte de Fanny, petit poème d’amour mélancolique…

« Reste là, ma lyre suspendue au mur et vouée à l’oubli ! Les joues ruisselantes de pleurs, je dis adieu à la poésie, je dis adieu à l’art ! Si je veux suivre le sentier parcouru par Moëns[66], — mon amoureux n’est plus là pour m’inspirer et me conduire. Les désirs et le courage, tout m’abandonne… Mon tendre ami repose auprès du souverain Être. J’ai perdu mon amant fidèle !

« Ô banc gazonné où nous nous sommes si souvent assis, à quoi sert aujourd’hui ta fraîcheur ? — Je n’ai que faire de tes attraits et de tes caresses, ô Philomèle. — Tu peux cesser ton chant si doux ; à quoi bon, zéphirs, voltiger voluptueusement autour de mon front ? — que m’importe, nature, que tu renaisses avec splendeur ? Va, couvre-toi de nouveau de tes vêtements de deuil, ― car j’ai perdu mon amant fidèle… »

C’est bien là « la plaintive Elégie décrite par Boileau et que les contemporains d’Elisa Mercœur, d’Eugénie de Guérin, d’Anaïs Ségalas trouvaient si fort à leur goût.

La contribution poétique de Maria Doolaeghe est fort importante quant au nombre des poèmes composés entre 1830 et 1877.

Outre les prix littéraires qui couronnèrent ses efforts, Mevrouw van Ackere-Doolaeghe reçut du gouvernement des commandes de poèmes officiels ; elle fut aussi chargée de publier un recueil de Chansons populaires illustrées.

Sa laborieuse vie goûta, à l’heure du repos, une joie très douce lorsque, en 1883, la croix de Chevalier de l’ordre de Léopold vint lui apporter une flatteuse consécration.

La poétesse avait alors 80 ans ; son jubilé fut l’occasion d’une cérémonie touchante, organisée en son honneur par ses concitoyens. Un livre d’or, contenant des hommages, des poèmes, des dessins, des pages de musique signés par les artistes flamands, lui fut offert.

Après sa mort, survenue l’année suivante, ce souvenir devint la propriété de sa petite-fille, Mme Edgard Reynaert[67] qui, malheureusement, lors de la fuite obligatoire, en 1914, sous l’intense bombardement, n’eut que la ressource de le cacher dans la maison aujourd’hui réduite en cendres, comme le voisin Hôtel de Ville, où le buste de la vénérable femme, une des célébrités de Dixmude, se voyait entre ceux de deux édiles de la cité[68].

Les descendants de Maria Doolaeghe van Ackere honorent pieusement sa mémoire, heureux que le don poétique qu’elle avait reçu se retrouve en l’une de ses arrière-petites-filles ; mais, religieuse, vivant au fond d’un couvent, celle-ci n’a ni l’occasion, ni le désir de développer ni même de révéler au dehors, son talent.

Entre 1830 et 1880, les œuvres poétiques féminines sont nombreuses… Je n’oserai ajouter que la qualité en égale la quantité… Trop de ces productions, pleines d’excellentes intentions, n’offrent aucun intérêt psychologique ou artistique.

Qu’il s’agisse de Mme Louise Stappaeet-Ruelens[69], dont les Pâquerettes (1844) et les Impressions et Rêveries (1845) pourraient tout juste apprendre la cadence prosodique aux élèves des maisons d’éducation, de Mme Defontaine-Coppée[70] qui, dans ses Chants de Mai et ses Fleurs du Hainaut, de même que dans ses deux ouvrages en prose : les Femmes illustres de la Belgique et les Femmes célèbres du Hainaut, exalte avec attendrissement les gloires de son sexe et celles de son pays, de Mme Strumann-Picard[71] laissant se paralyser les manifestations de sa personnalité dans le miel enliseur des poèmes dits « de circonstance », de Mme Isabelle Lippens[72], née Behaegel, descendante du grammairien Pierre Behaegel et auteur d’un ouvrage sur Louise-Marie-Thérèse-Charlotte d’Orléans, première reine des Belges, d’Agnès-Louise Masson et de Louise Bovie, publiant à quelques années de distance leur premier recueil sous un titre identique, Essais poétiques[73], de Mme Edgar Tinel, née Emma Coekelberg, qui, à ses Heures perdues, tressa des Epines très fleuries de roses, ou encore de Mme Braquaval (Pauline l’Olivier), directrice de pensionnat, et dont l’Académie royale de Belgique, toutefois, couronna, en 1859, une Cantate intitulée le Juif errant, et encouragea, en 1861, comme pour Mme Doolaeghe, la publication de Chants populaires, on ne trouve vraiment, en cette ample moisson, aucune fleur poétique digne d’être recueillie et fixée dans l’herbier d’une anthologie.

Au milieu de ces pages trop imprégnées d’un fade et conventionnel romantisme, les Heures poétiques de Mme van Langendonck, née Antoinette Rutgeerts, qui s’était précédemment fait connaître par une Épître aux Belges, en faveur des blessés de la guerre d’Indépendance, puis, par un recueil, les Aubépines (1844), apparaissent plus intéressantes à cause de leur pureté d’expression et de leur élévation de pensée.

Dans la préface de son livre, Mme van Langendonck dit modestement : « Flamande, je n’ai certes pas la prétention d’atteindre, même de très loin, aux sublimes compositions des grands poètes français de notre siècle, et si l’un d’eux eût, à ma connaissance, publié un livre d’Heures, je n’eusse pas osé faire paraître le mien, qui n’a peut-être d’autre mérite que d’être le premier livre d’oraisons entièrement rimé. »

Il y avait bien l’Imitation, de Corneille ! Mais elle n’était pas de ce siècle…

Les « oraisons » de Mme van Langendonck ont, d’ailleurs, plutôt l’air de méditations… qui ne font pas oublier celles de Lamartine… Toutefois, il faut leur reconnaître un sentiment de conviction profonde, comme dans le fragment de Prière du Matin :

De la nuit, lentement, le voile se replie…
La nature sourit à l’aube qui renaît ;
Et, sortant, du sommeil, mon âme recueillie
Te rend grâce, ô mon Dieu, pour ce nouveau bienfait !
Pour bien remplir le jour que ta bonté me donne,
Que ton œil protecteur, toujours suive mes pas,
Car le faible mortel que ta grâce abandonne
Dans ta voie, ô Seigneur, ne se soutiendra pas.

Que ta protection sur tous les miens s’étende !
Fais qu’en eux tout concoure à tes vastes desseins !
Reçois à cette fin, en incessante offrande,
Les biens que nous tenons de tes divines mains…

Cet élan d’un culte exclusif, Mme van Langendonck ne l’apporta pas seulement dans l’amour divin ! Son cœur vibra d’une note plus humaine, ainsi que nous le révèle cette Inquiétude :

Sur ton front, mon ami, pourquoi donc ce nuage ?
Notre tant doux amour n’est-il plus le bonheur ?
Oh ! laisse-moi longtemps cette joie enivrante !
Laisse-moi, chaque soir, bénir à deux genoux
Cet instant où ton cœur me nomma ton amante,
Où me vint ce bonheur à rendre un dieu jaloux.
Laisse-moi ton amour, laisse-moi, pauvre femme,
Regarder en pitié tout ce qui n’est pas toi,
Laisse ce juste orgueil déborder de mon âme,
De vivre pour toi seul et sous ta seule loi.

Ces vers, après tout, valent bien ceux de certaines poétesses françaises du même temps, MMmes Ménessier-Nodier, Hermance Léguillon, ou Antoinette Quarré, à qui l’on fit si grosse réputation…

Avec Mme Clémentine Louant, nous pénétrons dans un autre domaine, celui de la nature.

Adonnée de bonne heure à l’étude des sciences naturelles et particulièrement de la botanique, Mme Matyn, née Clémentine Louant, qui signa ses œuvres de son nom de jeune fille, choisit, en effet, de préférence, pour thèmes de ses poèmes, réunis en deux recueils : Poésies (1864) et Fleurettes (1865), [74] la description des paysages familiers et les impressions très subtiles, très justes que son âme sensible éprouvait devant les mille et une manifestations de la vie végétale.

Mlle Hélène de Golesco, qui a beaucoup connu Clémentine Louant et a écrit sur elle une fine étude[75], la compare, sur ce point, à l’auteur du Caur innombrable, avec cette différence que chez la poétesse belge, Ja panthéisme est remplacé par une très solide foi catholique qui idéalise les émotions ressenties.

Les atavismes orientaux du poète des Éblouissements sont, d’ailleurs, si différents de ceux que portait en elle la modeste bourgeoise septentrionale !

« Les merveilles de la terre, proclame celle-ci, m’incitent à aimer celles du ciel ». Certains de ses poèmes ont une inspiration religieuse et, dans ses romans car elle fut aussi novelliste et romancière, les droits du spiritualisme, de la morale, de la famille sont toujours défendus, exaltés.

C’est sans doute son idéalisme, son goût des élans vers les cimes et le ciel qui ont mis au cœur de Clémentine Louant un si vif amour pour les oiseaux. Elle a dépeint leurs mœurs, décrit leurs chants, célébré leur grâce et leur faiblesse avec une délicatesse exquise et un rare bonheur. Elle a aussi plaidé la cause de la gent captive : son Marché aux oiseaux, assure Mlle de Golesco, peut servir de pendant à la Chasse, d’Alphonse Daudet.

La poétesse aux oiseaux devait aussi forcément aimer les Cloches, que leurs vibrations mélodieuses transforment en captifs oiseaux de bronze. Un poème qu’elle écrivit sur elles, publié dans la Revue des gens de Lettres belges, lui valut, en 1886, le prix de poésie à l’Union littéraire de Verviers.

En voici un fragment, dédié aux Cloches du soir :

Vénus scintille au fond des cieux
Et sur les champs silencieux
Rayonne
Dans sa radieuse clarté ;
L’Angelus, au ciel argenté,
Résonne.
Dans les airs passe un long frisson..
Au loin, s’élève la chanson
Des merles ;
L’arbre frémit au vent du soir,
Dans l’herbe la nuit fait pleuvoir
Des perles.
Cloches, vibrez au ciel profond,
Le vent berce les épis blonds ;
Sans trêve
Votre chant s’en va doux et lent
Comme une plainte s’exhalant
En rêve…
Ô chansons voguant dans le soir !
Parfums puissants de l’encensoir
Des roses,

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lumière qu’on appelle l’immortalité.

Et dans ce halo glorieux, un autre visage s’estompe, inséparable du premier, celui de la collaboratrice des premières heures, de l’aînée, prématurément enlevée à son pays.

Les anthologistes, les critiques, peu enclins, cependant, à mentionner dans leurs livres des noms féminins, unissent dans un même hommage ceux des « sœurs Loveling », des « deux rossignols de Nevele ».

M. Omer Wattez, dans son Étude sur la Poésie néerlandaise contemporaine en Belgique, leur a consacré de longues pages en faisant observer que les premiers ouvrages dus à leur plume eurent une influence heureuse sur les rapports assez tendus qui existaient, depuis 1830, entre la Hollande et la Flandre belge. Les critiques néerlandais, louant ces livres, y reconnurent des signes indiscutables de fraternité intellectuelle ; une collaboration plus étroite s’ensuivit entre les deux pays.

On peut donc affirmer que les sœurs Loveling tiennent une place importante — douce et harmonieuse comme un trait d’union dans la phalange des lettres flamandes dont Henri Conscience, Ledeganck, van Duyse, van Ryswick, Guido Gezelle, mevrouw Courtmans avaient provoqué le réveil et qu’illustrèrent si bien, par la suite, les poètes van Beers, Pol de Mont et leurs amis.

III
TROISIÈME PÉRIODE
DE 1880 À 1900


Causes et caractères du « Réveil » de 1880. Ses premières manifestations : La Jeune Belgique, son œuvre, ses représentants. — Mouvement parallèle dans la littérature flamande : le Groupe de la revue Van nu en straks.

Les écrivains féminins de cette époque : Littérature française : Mme Hélène Swarth ; Mlle Marguerite Van de Wiele ; Mlle Françoise Leroy ; Mme J. de Tallenay ; Mlle Marguerite Coppin. — Littérature flamande : Mlle Maria Belpaire ; Mlle Mathilde Ramboux (Hilda Ram).

Voici donc arrivée cette date de 1880 que la Belgique considère, avec raison, comme l’aube de sa véritable vie littéraire.

En effet, durant une période de dix années environ, de 1880 à 1890, elle vit éclore simultanément des essais, des œuvres, des manifestations dont l’ensemble constitue un des plus féconds mouvements intellectuels de l’Europe moderne.

Ainsi que nous l’avons constaté, le séjour en Belgique, entre 1830 et 1880, de maîtres de la pensée française tels que Victor Hugo, Baudelaire dont l’influence, toutefois, ne fut pas immédiate, d’Émile Deschanel, avait préparé cette évolution, cet éveil[76].

D’autre part, les Belges, en voyant s’affirmer chaque jour leur indépendance nationale et leur richesse économique, se sentaient allégés du souci qui, depuis tant de siècles, paralysait leur activité artistique. L’imagination fait trêve, forcément, quand la nécessité plie l’homme sous son joug. Et, ainsi qu’il arrive toujours après un long temps de privations, l’esprit, comme le corps, ressent une sorte de fringale qui le rend avide de dédommagement.

L’idée d’un groupement d’écrivains belges germa très vite dans la pensée de plusieurs jeunes auteurs. Elle suscita d’abord la création de la Jeune Revue, dans laquelle des étudiants publiaient leurs œuvres.

En 1881, sous l’impulsion de Max Waller (de son vrai nom Maurice Warlomont), âgé seulement de 21 ans, mais enthousiaste, ardent, séduisant, audacieux et qui semblait être le chevalier persuasif de « l’esprit nouveau », ce groupement s’étendit : la Jeune Revue fit place à la Jeune Belgique.

Cette même année, Octave Pirmez publiait son dernier ouvrage, Remo; il devait mourir deux ans plus tard, et Charles De Coster l'avait déjà précédé dans la tombe (1879).

Les œuvres de deux écrivains, pareilles, dit M. Oscar Grosjean, « à deux arches monumentales sous lesquelles passeront les deux courants de la littérature belge »[77], avaient fortement impressionné leurs contemporains.

La Jeune Belgique réunit, durant une quinzaine d'années, les noms de ceux qui allaient devenir les gloires littéraires contemporaines de la Belgique: Ivan Gilkin, Albert Giraud, Maurice Maeterlinck, Th. Hamon, Fernand Séverin, Georges Eekhoud, et bien d'autres.

Malheureusement; Max Waller ne put voir longtemps le succès de son entreprise. Il mourut en 1889, à peine âgé de 30 ans. La Jeune Belgique passa en de nombreuses mains, car sa direction était changée chaque année. Elle s'éteignit en 1897, mais son influence fut durable.

L'élan était donné; la phalange d'écrivains qui s'était assigné pour mission de faire la guerre aux vieilles traditions, ennemies de toute tentative originale, vit grossir son contingent et devint un véritable bataillon animé d'ardeurs belliqueuses. Dans la Belgique, politiquement calmée, fermenta une nouvelle révolution et l'effervescence juvénile des combattants ne laissa pas de surprendre quelque peu les « maîtres » d'alors et le gouvernement lui-même, dispensateur des récompenses officielles.

D’autres groupements se formèrent, ayant pour organe des revues : parmi celles-ci, la Revue de Belgique, la Revue générale conquirent et gardèrent une place de premier rang avec l’Art moderne, fondée par Edmond Picard, une des personnalités les plus en vue, non seulement de la littérature, mais aussi de la vie morale et sociale de la Belgique, car son talent puissant, aux multiples manifestations, lui a valu dans la politique, dans le droit, dans l’art ; une incontestable autorité ; en outre, Edmond Picard fut un ardent propagandiste de l’idée nationale, un fervent apôtre du patriotisme : son nom doit rallier toutes les sympathies, tous les respects.

En 1884, Albert Mockel créa l’Élan littéraire, excellente revue, devenue par la suite la Wallonie.

Il y eut encore : le Coq rouge, la Revue de Wallonie, la Belgique, la Belgique française, l’Art jeune, Durendal, la Lutte, le Masque, le Thyrse, la Nervie, le Florilège artistique et littéraire, la Revue littéraire, l’Idée libre, la Belgique artistique et littéraire, la Renaissance d’Occident, la revue France-Belgique, et, en ces tous derniers mois, la Revue belge, etc., etc., dont l’activité, plus ou moins couronnée de succès, prolongea, durant ces quarante dernières années, l’action rénovatrice des jeunes frondeurs de 1880.

Certaines différences existaient, naturellement, entre les doctrines de ces diverses revues. Si les unes, selon le vœu d’Edmond Picard, voulaient Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/134 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/135 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/136 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/137 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/138 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/139 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/140 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/141 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/142 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/143

Dès 1878, une autre femme, vraiment Belge, celle-ci, et même un peu Française par sa mère qui descendait de deux familles originaires du Limousin et du Périgord, Mlle Marguerite van de Wiele, s’était révélée charmant écrivain, grâce à un poème en prose, l’Ange envolé, paru dans un journal local, l’Office de publicité, et qui, très goûté, fut reproduit, traduit en divers pays.

L’auteur n’avait pas 20 ans, puisqu’elle est née, à Ixelles, en 1859, la même année que Mme Hélène Swarth.

En 1879, Marguerite van de Wiele publia un roman, Lady Fauvette, œuvre délicieuse de fraîcheur, de sensibilité, d’émotion, dont le succès fut tel, malgré les inexpériences de métier qu’on y rencontrait, que quatre éditions en furent tirées en quelques mois.

Les ouvrages suivants : Les Frasques de Majesté, Filleul du Roi, Insurgées, Fleur de civilisation, Légendes, beau recueil d’inspiration nationale, les Héroïnes romantiques, etc., pour ne parler que des principaux, consacrèrent le nom de l’auteur, devenue bientôt la femme de lettres la plus en vue de la Belgique.

Mlle van de Wiele n’écrit pas de vers. On pourrait donc s’étonner de lui voir occuper, dans ce livre, une place d’une certaine importance. Cette place, on la lui doit ; il est impossible d’étudier la littérature féminine belge et la vie sociale belge sans être ramené à chaque instant vers Mlle van de Wiele.

Non seulement, comme romancière, elle continua la tradition des Caroline Popp et des Caroline Gravière[78], en renouvelant, en rajeunissant leur « manière », mais, encore, elle garda le constant souci de donner à son pays une œuvre nette, morale, probe, dans une forme littéraire à la fois virile et délicate que beaucoup de ses contemporains pourraient lui envier.

Elle est une laborieuse, et bien que devant à sa plume, seule, le pain quotidien, elle n’a jamais consenti à une seule compromission. Romancière, novelliste, critique, conférencière brillante et infatigable, gardant son franc parler et ne suivant que les indications de sa conscience, elle a pu se faire des ennemis, mais il n’est personne qui ne l’estime, car elle est toujours prête à servir une cause qui lui paraît juste, et le fait avec une bonne grâce et un dévouement dont l’action est encore augmentée par son grand charme de persuasion.

Elle a particulièrement réussi dans les chroniques d’art ; dès ses débuts, elle a jugé l’état d’esprit de son époque et n’a point pris de détours pour donner son avis.

Ne résumait-elle pas, vers 1880, son opinion sur la littérature nationale en ces lignes incisives : « Quelques jeunes qui se mangent entre eux, quelques vieux qui regardent les jeunes. Tous plus célèbres, à la vérité, par ce qu’ils auraient pu faire ou ce que l’on croit qu’ils feront, que par ce qu’ils ont fait effectivement. Voilà la littérature de Belgique ! »

C’était un peu dur. Mais son pays ne doit point lui en vouloir d’avoir prêté la main au coup de fouet salutaire qui devait stimuler les énergies et faire éclore de beaux talents.

M. Edmond Picard a porté, sur Mlle van de Wiele, un jugement qui mérite d’être reproduit :

« Mlle van de Wiele, écrivant depuis des ans et des ans, a été inlassable et jamais médiocre. Elle m’apparaît un esprit clair, opiniâtre, souvent presque viril… Son style, sans avoir l’élégance d’écriture, qu’à tort ou à raison on attend de la femme, a le charme de la simplicité, de la netteté, celle-ci parfois un peu sèche. Son cerveau est de ceux dont il ne sort jamais une sottise. La passion ne chauffe pas ses écrits, mais ils sont imprégnés d’un bon sens un peu rude en accord avec notre psychologie, Elle observe avec attention et justesse. Comme plusieurs de nos écrivains, elle s’attaque, sans fléchir au contact de leur gravité, aux sujets qui tiennent à l’organisation sociale ou aux théories d’art. Bref, c’est une valeureuse, une attentive, une loyale ouvrière littéraire. »

Je me permets d’ajouter : Elle est aussi une apôtre, car dans la littérature comme dans la vie, elle s’est toujours attachée à dénoncer ou à détruire les tendances mauvaises, susceptibles de nuire au développement moral d’un peuple. ou de fausser ses instinctives conceptions du Beau.

La vie sociale féminine a accaparé une large part des pensées et de l’existence de Mlle van de Wiele qui a créé ou encouragé de nombreuses associations et ligues, en faveur de l’éducation et du travail féminins, tant manuels qu’intellectuels ; elle est présidente ou vice-présidente de toutes les œuvres sociales existant en Belgique, où le gouvernement l’a souvent chargée de missions, de rapports officiels sur ce sujet.

Enfin, et ceci lui assurera plus encore notre sympathie reconnaissante, Mlle van de Wiele, se souvenant qu’elle a du sang français dans les vei- nes, s’est toujours préoccupée de sauvegarder ou d’étendre, en Belgique, l’influence de notre pays ; avant, pendant et depuis la guerre, notamment, la Présidente du Conseil national des femmes belges n’a cessé par ses articles, par ses conférences, de participer aux efforts du Comité de l’Entente. franco-belge.

Collaboratrice de tous les journaux belges, Mlle van de Wiele s’est vue récompenser de ses longs efforts, de ses nombreux succès, par la décoration de la croix de Chevalier de l’ordre de Léopold, en 1908, puis de la roșette d’Officier du même ordre, en 1920.

On pouvait espérer, pour elle, une autre distinction : l’Académie royale des Ecrivains de langue française, fondée récemment en Belgique, a prouvé, en nommant si courtoisement parmi ses membres correspondants, une étrangère, qu’elle n’est point anti-féministe.

Pourquoi n’a-t-elle point, alors, admis en son sein, à titre effectif, une femme de lettres belge ? Il semble que Mlle Marguerite van de Wiele eût très bien tenu cette place !

Exception faite de Mme Hélène Swarth, trois femmes, seulement, ont ébauché ou réalisé une œuvre poétique belge, d’expression française, dans les vingt dernières années du xixe siècle : Mlle Françoise Leroy, Mme Jacques de Tallenay, Mlle Marguerite Coppin.

Mlle FRANÇOISE LEROY est l’auteur de deux recueils : Sentiment et Devoir, et Chants et Souvenirs[79].

Ce n’est point, certes, de la grande poésie ; les œuvres de Mlle Leroy sont simples comme elle ; elles représentent le petit coin bleu du rêve dans sa vie utilement remplie d’éducatrice. Attachée, en effet, pendant plus de vingt-cinq années (de 1851 à 1878), à l’Ecole Normale pri- maire supérieure de jeunes filles de Bruxelles, Mlle Leroy en devint, par la suite, directrice, et ne quitta l’enseignement qu’en 1898. Elle s’y est acquis le respect, l’affection de tous ceux qui l’y ont connue : simple, généreuse, dévouée, elle a pu faire dire d’elle que « sa vie fut consacrée au travail et au bien », ce qui constitue encore le plus bel éloge qu’on puisse accorder à une femme.

C’est donc en marge de son labeur quotidien que Mlle Leroy pouvait rencontrer la Muse et s’entretenir avec elle, dans le clos du rêve qu’elle a célébré avec amour, mais en un style romantique plutôt démodé.

Ce qui caractérise son inspiration, c’est l’infinie pitié qui l’imprègne pour tout ce qui souffre. On pourrait modifier en son honneur le vers célèbre :

Et sa pitié s’étend à toute la nature…

aux « fous » qu’on enferme sans se soucier des douloureuses lueurs de raison qui exaspèrent leur mal, aux oiseaux qu’on emprisonne dans des cages ou dont on brûle les yeux pour les faire mieux chanter, aux « deux méconnus », la grenouille et le crapaud, aux choses elles-mêmes, aux « tombes abandonnées », au lierre encore vivace que meurtrit la hache lorsqu’elle abat le saule mort auquel ses rameaux donnaient un semblant de vie…

La souffrance d’autrui la poursuit comme une obsession. Aussi, le spectacle de la vie lui paraît-il affligeant :

Est-ce un bien, est-ce un mal d’atteindre la vieillesse ?…

La réponse à cette question se trouve dans un autre de ses poèmes :

Le souvenir du bien vaut toute récompense : Il prolonge la vie et fleurit l’existence.

Le destin de Mlle Leroy a donné raison à cette pensée. Si sa muse n’est point de celles qu’il faut rechercher pour l’éclat de leur parure ou par esprit de dilettantisme, elle appartient, du moins, à la catégorie des êtres « qui ne rendent pas un son creux lorsqu’on frappe à la porte de leur cœur ».

Le poème ci-dessous résume bien l’art de cette excellente femme :

Muse des temps heureux, Muse de ma jeunesse,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Suis-moi, suis-moi, toujours, pour que toute ma vie
Garde un rayon du ciel, un parfum d’ici-bas.
Suis-moi dans l’infini…, ce champ de poésie
D’où descend l’idéal que rencontrent mes pas.
Fais entendre ta voix où se meurt l’espérance ;
Préserve un front brûlant du vertige insensé ;
A ceux qu’ont submergés le doute et la souffrance
Apporte ton sourire et l’oubli du passé.

Je t’aime pour le bien que tu fais sur la terre.
Où passe ta lumière a germé la bonté ;
Mais ceux que n’ont touchés ta grâce et ton mystère
Ne connaîtront jamais ta sublime beauté !

Lorsqu’il se détournait un instant des misères — humaines, ce regard, toujours tendu vers l’au delà, y a-t-il entrevu, par instant, les secrets de l’avenir ? On serait tenté de le croire en lisant certaines strophes du poème : O douce et ravissante étoile, composé en 1904, dix ans avant l’invasion de 1914 :

LE POÈTE

    Vois-tu tout le sang qui ruisselle
    Où des luttes vont assombrir
    L’existence prospère et belle

Des peuples dignes d’en jouir ?
Que sont ces conquêtes de villes
Pour ceux qu’un lugubre dessein
Arrache à leurs foyers tranquilles,
A leur travail fécond et sain ?…

L’ÉTOILE

Oui, oui, j’entends ces bruits de guerre
Ces massacres et ces forfaits !
Je vois la faim et la misère
Après la mort et les regrets.
Je vois l’épouse qui supplie ;
Je vois des enfants à genoux
A qui l’on veut ravir la vie
Sans qu’ils méritent ce courroux !
Mais après avoir vu l’épée,
La fusillade et la terreur,
Je trouve une terre occupée
Par le calme et par le bonheur.
C’est là que les plus nobles choses
Marquent ce ravissant séjour.
L’âme y fleurit comme les roses
Sous un ciel de paix et d’amour !

Si plats qu’en leur expression prosodique nous apparaissent ces vers, ils ont le pouvoir d’évoquer à nos yeux les tragédies récentes de Dinant, de Visé, de Louvain…

Oui, les poètes ont parfois le don de seconde vue. Le jeune Normalien français, Marcel Blanchard — mort au champ d’honneur, — ne nous l’a-t-il pas aussi prouvé en publiant, en 1913, les émouvantes pages du livre, la Grande Guerre, où passent des soldats « couleur de ciel », tandis

que la Victoire s’écrie :

    … et mon cœur bat et sonne
        Et tout ce que je sais
    C’est que je poserai l’immortelle couronne
        Sur le front des Français !…

Si, malgré le peu d’éclat qu’elles présentent, j’ai tenu à signaler ici la personne et l’œuvre de Mile Françoise Leroy, c’est que, bien qu’ayant ignoré l’instinct artistique qui rompra et détruira, par la suite, chez ses descendantes, le moule poncif d’un sous-romantisme périmé, cette doyenne des poétesses modernes incarne bien le type presque général de la poétesse belge.

Presque toutes celles, en effet, dont nous aurons à étudier les œuvres dans le suivant chapitre, sont, en grande majorité, non des professionnelles, vivant exclusivement du travail de leur plume, comme Mlle van de Wiele, non des amateurs, remplissant avec la poésie ou le roman le désœuvrement d’une vie fortunée, mais des professeurs, des institutrices de l’enseignement primaire, secondaire ou libre.

La littérature n’est, pour ces femmes, ni le gagne-pain obligatoire qui oblige, parfois, à tant de compromissions et entraîne, en cas d’insuccès, le découragement et l’envie, ni la forme d’un snobisme au nom de quoi, en d’autres pays, nombre de « gourmands » ont envahi et détérioré le rosier nuancé de la pensée.

La poésie, chez elles, l’emporte sur la prose parce qu’il est plus facile, en un moment de loisir, au cours d’une promenade…, ou d’une nuit d’insomnie, de rimer quelques quatrains que d’élaborer des chroniques bibliographiques ou d’échafauder l’important travail d’un roman. La poésie est la marge illustrée de leur page de vie saine et utilement remplie, le jardin étroit mais bien enveloppé de ciel, attenant à la maison familiale ou à la salle de classe. Aux heures de récréation, leur esprit vient se détendre dans ce clos fleuri dont tant de leurs poèmes expriment le charme intime et bienfaisant.

Pourtant, cette règle, comme toutes les autres, comporte des exceptions.

La poésie belge a eu des représentantes dans le milieu aristocratique et mondain, en ce siècle comme au temps de Marie de Brabant ou de Marguerite d’Autriche.

Mme HENRY-JACQUES DE TALLENAY, dont le nom vient d’être cité, doit avoir sa place en cette galerie des Muses.

Fille du marquis de Tallenay, elle signa ses œuvres du nom patronymique, bien qu’ayant été mariée très jeune à M. van Bruyssel, chargé d’affaires en République Argentine.

À son retour en Belgique, Mme J. de Tallenay van Bruyssel tint un salon littéraire à Bruxelles. Elle collabora à Durandal, à la Jeune Belgique, à l’Art moderne, et fut, pendant trois ans, correspondante du Figaro.

En 1894, elle publia un recueil de vers, l’Intermède lyrique, de Heine[80], traduit de l’Intermezzo, et suivi de Premières rimes, sa moisson toute personnelle. Les poèmes traduits de l’Intermezzo ont la grâce et l’émotion qui font le charme de ces pages en leur langue originale ; la transcription, toutefois, ne rend pas certaines images avec la force qu’elles revêtent en la langue de Heine ; on le sent, par exemple, dans le diptyque en deux quatrains devenu célèbre :

Ein Fichtenbaum steht einsam…

ce sapin du Nord qui, solitaire, en son steppe glacé, rêve au palmier dont l’éventail ensoleillé s’épanouit, là-bas, si loin, en l’infini des sables d’or…

Meilleures sont les stances d’amour où le poète pleure la bien-aimée qu’un rival heureux lui a prise.

Le romantisme qui imprègne les poèmes de Heine a déteint sur l’œuvre personnelle de Mme J. de Tallenay. On y retrouve même, par endroits, la forme chère à l’auteur de l’Intermezzo, comme dans ce Deuil :

Dans l’océan profond naquit la perle. Sous le gazon épais la douce fleur. Sur un chêne élevé chantait le merle, Et moi, j’avais ton cœur. Dans un brillant écrin mourut la perle. Sous le gazon épais la douce fleur. Sur le chêne élevé pleura le merle, Moi… je perdis ton cœur !

Ailleurs, ce romantisme affecte une expression plus française. On pense à des strophes de Lamartine… ou de ses disciples, en lisant cette description :

Le soleil se couchait dans sa gloire infinie,
La mer, à son baiser, se calmait, aplanie,
Sous des torrents de feu ;
Et dans l’embrasement de toute la nature,
Dans ce ciel, dans cette eau, dans ce vivant murmure,
Se sentait l’œil de Dieu !
Quand, d’un effort puissant, ta profonde pensée
Cherchait dans ces lointains, pour ton âme blessée,
Un endroit de repos ;
Lorsque, le cœur ému par la Beauté suprême,
Je répétais tout bas un splendide poème
Dans ton esprit éclos,
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N’as-tu pas ressenti dans la nuit embaumée,
Descendant lentement sur la terre enflammée,
Un singulier frisson ?
Ne te semblait-il pas que les ailes d’un ange
Produisaient dans les airs une musique étrange,
Un doux et triste son ?…

Oui, ce sont bien là les ondulations régulières. d’une calme respiration, qu’elle s’exhale d’une poitrine humaine ou d’une houle étale ; ce rythme reposant, un peu monotone à la longue, que le chantre des Méditations porta jusqu’à la perfection harmonieuse, des inspirés moins doués le transformèrent, trop souvent, hélas ! en mélodies pour orgues de Barbarie !

Mme de Tallenay a su, dans plusieurs poèmes, garder au vers lamartinien sa pureté, sa musique, sa profondeur, ainsi qu’en témoignent les pièces animées d’un souffle lyrique : Jupiter, Vision, la Prière, les Larmes du Cœur, où se glissent des sanglots contenus :

Elles s’amassent lentement,
Battant les paupières fiévreuses,
Et, sans retomber, lourdement,
Torturantes et douloureuses,
Elles retiennent la douleur
Ces terribles larmes du cœur !

Mme J. de Tallenay sait varier ses rythmes et en obtenir des effets heureux qui donnent à quel- ques-unes de ses pièces une allurè déjà plus moderne… On peut en juger par le petit morceau : La bonne Vieille, qui constitue une agréable « pièce à dire » :

Dans un coin sombre de l’église,
La bonne vieille en robe grise
Et mantelet
Egrène, en disant sa prière,
Les perles formant la filière
D’un chapelet.
Sa voix est triste et monotone,
Son dos voûté, son œil atone,
Et cependant…
Elle a dans cette solitude
De la grandeur dans l’attitude
En s’affaissaht.
Elle eut un passé de misère,
Et connut la souffrance amère
De bien des jours.
Elle eut la vision riante
D’un bonheur que son âme ardente
Attend toujours.

Perles de joies, perles d’ivoire
Portent la croix expiatoire
De mainte erreur…
L’espérance est toujours la vie :
Heureux celui qui rêve et prie
Selon son cœur..
Dans un coin sombre de l’église,
La bonne vieille en robe grise
Et mantelet
Egrène, en disant sa prière,
Les perles formant la filière
D’un chapelet.

La grande source inspiratrice de Mme J. de Tallenay est la nature ; campagnes belges et forêts du Nouveau-Monde mêlent, en son livre, leurs paysages aux évocations marines des lon- gues traversées ; l’admiration passionnée de la Nature est aussi un des signes caractéristiques du romantisme ; elle s’y nuance toujours d’une philosophie mélancolique qu’éclaire l’idéaliste rayon de la Foi.

Dans le fond, comme dans la forme, cette œuvre qui n’a été suivie, que je sache, d’aucun autre recueil de vers, appartient donc bien à l’école romantique ; j’ajouterai même que Mme J. de Tallenay est la dernière pure romantique de la poésie féminine belge.

L’influence qu’elle a subie se retrouve dans ses ouvrages en prose : Souvenirs de Venezuala, le Réveil de l’Ame, Vivia perpetua et les Treize douleurs, recueil de nouvelles où, avec une psycho- logie subtile, elle étudie les aspects multiples de la souffrance du cœur humain.

Écrivain d’une vive sensibilité, femme d’esprit distingué et cultivé, Mme Jacques de Tallenay peut être considérée comme le vivant trait d’union qui réunit l’école ancienne à l’école moderne, puisque son œuvre présente les caractères des deux périodes.

Avec Mlle Marguerite Coppin, nous retrouvons l’éducatrice ou, tout au moins, le professeur-femme de lettres, et nous découvrons, parmi quelques vestiges du traditionalisme qui a si fort imprégné ses devancières, les ébauches d’une indépendance toute moderne, les premiers souffles de l’esprit du xxe siècle.

Mlle Marguerite Coppin, née à Bruxelles, en 1867, est, par sa mère, d’origine française. L’une des premières, elle fit, en Belgique, des conférences, et elle fut longtemps la seule femme qui y portât notre ruban violet d’Officier d’académie.

Son œuvre poétique est importante. Son premier livre de vers, Poèmes de femme, parut en 1896[81]. Deux ans plus tard, elle donna une suite de poèmes, Maman[82], accompagnés de Chansons pour tous, puis, l’année suivante, le Triomphal Amour, et, enfin, en 1911, les Nouveaux Poèmes[83], qui obtinrent un bon succès de presse et affirment, en une forme plus châtiée, les dons de l’auteur.

Par ces diverses œuvres, on peut aisément constater que Mlle Coppin sait, en dépit de l’entrave des règles prosadiques, sauvegarder l’élan, l’indépendance de la pensée et affirmer, par endroits, une force, une vigueur d’accent qui manque complètement à Mlle Leroy. Ainsi que Mme Hélène Swarth, en Hollande, Marguerite Coppin osa, la première, énoncer dans ses vers que la vie de la femme est enclose dans la route d’amour :

La tâche de la femme est d’aimer, simplement.

Plus que ceux qui souffrent par la faute de la passion, elle plaint ceux dont la vie en est privée, les Pauvres, ainsi qu’elle les appelle :

Je me sens parfois d’étranges tendresses
Pour les pauvres gens qui n’ont pas d’amour !
Je voudrais pouvoir, en flots de caresses,
Tout leur révéler au soir d’un beau jour.

Elle veut que l’amour soit ardent, excessif :

Tout luit, tout vibre, tout s’enfièvre ;
C’est sur le coloris ardent :
Rouge et chaud — ou corolle ou lèvre
Un air passionnel, mordant…
Je suis là. Ma chair est brûlée ;
Mes yeux sont éblouis, l’encens
Qui vient de la terre affolée
Monte pour mieux troubler mes sens…

- Elle aussi est exclusive et excessive ; elle s’engage toute :

Je vis cloîtrée en ta pensée ;
Plus ne m’est rien, rien ne m’est plus.
La via âpre et folle et pressée
Autour de moi bat vainement son noir reflux.
Ah ! cachons notre amour ! que son arôme ailé
Ne s’exhale pour nous qu’en secret, plus intense.
Comme pieusement, en un flacon scellé,
Nous gardons le trésor merveilleux d’une essence.

Parce que son amour est vrai et désintéressé, il sait se faire humble :

Si vous ne pouvez pas être toute son âme
Soyez un coin du cœur, un rappel de l’esprit,
Car nous sommes ainsi : pour l’amour d’une femme
Rien n’est trop grand, rien trop petit…

Cette force, cette générosité de son amour lui permettront d’accepter sans révolte, de défier la douleur possible de l’abandon. N’est-ce pas, selon elle, être déjà une élue que de respirer la divine fleur ; lorsque celle-ci laisse nos âmes veuves de sa caresse, nous ne perdons rien de la douceur, de la gloire de l’avoir tenue entre nos doigts.

N’est-ce donc pas assez d’avoir connu l’amour !
N’avez-vous pas goûté l’orgueilleuse douceur
De pleurer sur la joie et la douleur mortelles ?
Et si l’amour, demain, devait fuir — oh ! pardon,
J’ai peur de t’offenser, dieu cher que je blasphème !.
Le parfum de la fleur embaumerait mes jours
Et du souvenir doux et cher de mes amours
Je ferais du bonheur, encor, sans anathème !…

Aimer, selon elle, vaut mieux que d’être aimée. L’ivresse vraie, c’est donner, non recevoir :

Mais aimer, c’est verser à pleines mains ravies…
Quand on aime, on se donne, ô pauvres fous humains !
On donne sans compter, sans peser, sans attendre
Qu’on vous offre en retour ; et, d’amour, emporté
On s’oublie…

S’oublier, en effet, une grande parole l’affirme, c’est le secret du bonheur…., d’un bonheur qui n’est point, il est vrai, accessible aux âmes de qualité inférieure.

Les théories mises en pratique par Mlle Coppin nous renseignent sur la valeur de son âme. Ses cris de passion absolue et touchante rappellent ceux de notre Marceline Desbordes-Valmore, héroïne de l’abnégation amoureuse.

Ses vers sont imprégnés de cette force ardente et sereine qui soutient les cours dans la lutte et leur donne la victoire. Au cours des pages, on se rend compte qu’une foi vive, éclairée, n’est pas étrangère à ce stoïcisme. L’honneur et la foi sont les deux ailes qui soutiennent l’être humain au-dessus des tentations et des fanges, qui l’élèvent vers l’idéal sauveur :

Que ton Honneur, sans blâme ou tache,
Te soutienne devant l’humain !
Qu’il soit ton témoin, sans relâche,
Le bâton d’appui dans ta main.

Et que ta Foi soit cette force
Qui jamais ne peut s’épuiser,
Sève de l’arbre sous l’écorce,
Ame de feu dans le brașier.

Comme la plupart des femmes artistes qui ont souffert, Marguerite Coppin se console souvent par la contemplation du Beau qui, en dépit des déceptions et des douleurs éprouvées, la rattache à la vie :

Et la vie est un don puisqu’elle accorde à l’être
Ces immenses pouvoirs : amour, création.
La vie est un trésor pour qui la peut connaître,
La vie est pure et grande en sa rédemption.

Mais Marguerite Coppin possède un autre refuge, plus proche, plus effectif contre le mal : son amour filial si délicatement, si fervemment chanté dans le recueil intitulé Maman :

Maman, je suis si lasse, et du monde — et de moi,
Viens, dis ! Tu chanteras, tu parleras, je pense.
Viens, je me réfugie en ta chère présence :
On respire la paix dans l’air autour de toi…
Maman, je suis bien lasse et je ne sais pourquoi !
La vie est dure ; hier, elle était aussi dure…
Je perds pied quelquefois ; la voie est vague, obscure,
Je doute de la voie et je doute de moi.
Mon courage est réel, mais qu’il faut de courage !
Travail-travail et peine
travail et peine et je n’ai que mon âge…
Il semble si longtemps à vivre encor ? Tais-toi,
-
Maman, si je me plains, c’est que je suis si lasse !
Ne dis plus rien, veux-tu ? Mais donne moi ma place
Sur tes genoux comme un enfant qui pleure-et berce-moi !

Laquelle d’entre nous ne se ferait pas l’écho de ces cris de tendresse et de dévotieuse reconnaissance ?

Ma mère, en toi je vois et je comprends la mère Et je t’adore mieux d’être ma mère à moi.

Les mots d’amour sont doux ; et j’ei souvent eu foi
Dans plus d’un cœur… Plus tard, on trouve sa méprise :
Le seul Amour vivant quand l’Amour agonise,
C’est Toi !

Laquelle d’entre nous, encore, ne sentira ses yeux se mouiller en lisant ces quatrains de Ta M ain ?

Ce matin j’ai pris dans ma main
Ta pauvre main, ta main si chère.
Elle me fut si douce, mère,
Si douce, le long du chemin…

J’ai pleuré de l’âpre misère
Qui creusa sous son scalpel fin
Ces rides — si nobles, ma mère !
Si tristes, dans ta pauvre main.

J’ai pleuré les doigts de satin
Qui jouaient dans mes doigts.
La vie a passé, pauvre mère,
La vie a passé sur ta main…

Je ne connais guère, sur ce thème, que le livre — portant le même titre, d’ailleurs — publié par Mme Lucie Delarue-Mardrus qui puisse être comparé à celui de Mlle Coppin, quant à la sincérité. de l’émotion.

Marguerite Coppin a, en effet, le don d’émouvoir, don devenu fort rare depuis que, dans la poésie, l’artifice et le snobisme ont remplacé le jet primesautier du cœur, depuis qu’on sacrifie les trésors de la pensée à « l’amas d’épithètes » blâmé par La Bruyère, et aux jongleries de la forme…

La note d’intimité douce, que j’ai indiquée comme l’une des caractéristiques de la poésie belge, se révèle en ce cycle. et se retrouve en d’autres parties de l’œuvre, notamment dans les Chansons pour tous et dans les Esquisses d’intimité des Poèmes de femme.

Et c’est bien là où je m’imaginais la voir vivre, à travers ses stances, que j’ai trouvée, un jour, Marguerite Coppin, près de la chère Maman aux cheveux blancs et aux jeunes yeux bleus…

C’est le rayon qui fait l’étoile,

dans une calme et déserte rue du vieux Bruges, à l’ombre du Beffroi dont :

Le flot des notes d’argent clair De toits en toits saute et crépite,

égrenant dans les airs :

Un refrain vieillot, pimpant, Tout embaumé de marjolaine Que chantaient les bergers d’antan Dans la plaine.

Elle est demeurée longtemps dans cette retraite, vouée à sa tâche de professeur, demandant à la poésie les éclaircies de sa vie monotone et laborieuse.

Puis, la tourmente est venue. Elle a préféré, pour la maladive Maman vieillie, l’exil à l’invasion ennemie. La fraternelle hospitalité d’amies anglaises a décidé les deux femmes à passer la Manche. Et c’est sur la terre étrangère, mais point dans la solitude, que « le meilleur amour » de Marguerite Coppin lui a été ravi…

Et la Brugeoise au cœur endeuillé n’a point voulu, malgré la paix revenue, retourner seule en sa patrie. Elle s’est fixée en Angleterre, rompant, presque tous liens avec sa vie ancienne, rimant encore pour sa satisfaction personnelle, et se plongeant volontiers dans les mystères de la philosophie et de la théosophie.

L’inspiration de Marguerite Coppin ne devrait pas, si tôt, se tarir. Elle est spontanée, sincère, émouvante, elle a d’heureuses trouvailles d’idées et de mots. Sans doute, l’auteur n’a pas toujours su travailler assez ses vers — c’est le défaut des poètes qui écrivent avec facilité — ; on pourrait lui reprocher aussi une certaine banalité dans les rimes, quelques délits prosodiques, voire grammaticaux, et, ça et là, des mots impropres qui ont provoqué l’emploi du terme « style belge » dont nos voisins sont vexés, à juste titre. C’est tout simplement du français incorrect, et, hélas ! on en trouve des exemples aussi bien en France qu’en Belgique ; mais il y a, en somme, beaucoup plus à louer qu’à blâmer dans cette œuvre sympathique et féconde.

La philosophie, d’ailleurs, en est élevée, sereine, altruiste ; elle pourrait se résumer en ces deux strophes, glanées en deux pages voisines :

Ô sortons un instant de nos étroits chagrins !
Je voudrais que mon cœur, trop grand pour ma poitrine,
S’élargissant encore à tous les mots humains,
Pût gagner le port sûr de la pitié divine !

. . . . . . . . . . . . . .

Bannissez le mot glacé : Moi ! »
Ouvrez votre âme à tout émoi.
Que tous les fiers élans soient vôtres !
Bannissez le mot cruel : « Moi ! »
Prenez pour devise : « Les autres ! »

Comme cet enseignement devient de plus en plus utile aujourd’hui !

Outre un livret d’opéra, Ambiorix, Mlle Coppin a également composé des ouvrages en prose, plusieurs romans, dont l’un obtint le premier prix de l’Union littéraire, des Contes historiques qui lui valurent une médaille d’argent à l’Exposition de Liège, et d’importantes, traductions de l’anglais.

Dans sa prose, comme dans ses vers, on est tenté d’oublier les négligences et les imperfections de la forme devant le beau souffle humain et féminin qui anime la pensée.

Marguerite Coppin ne peut être oubliée dans l’histoire de la littérature féminine en Belgique ; elle y gardera une excellente place à cause de son tempérament poétique ; elle est, avant tout, une instinctive ; elle laisse, dans ses œuvres, l’empreinte personnelle d’une âme et, je ne crains pas de le répéter, d’une âme aux qualités supérieures.

Dans la période de 1880 à 1890, deux femmes seulement jouèrent, dans les régions flamandes, un rôle littéraire et social d’une certaine importance.

Ce sont : Mlles MARIA BELPAIRE et Mathilda. Ramboux, plus connue sous son pseudonyme, HILDA RAM.

Après Mme Courtmans, et en même temps que Mlle Virginie Loveling, il pouvait paraître peu aisé à une femme de revendiquer une place importante dans la littérature flamande.

Mlle Belpaire et Mlle Ramboux, chacune à sa manière, y parvinrent ; elles étaient liées par une amitié solide que nul esprit de rivalité ne troubla et elles conquirent la notoriété sans l’avoir cherchée. Leur idéal était placé plus haut que l’ambition et la vanité humaines.

Mlle MARIA BELPAIRE naquit en 1853, à Anvers, d’une famille de la bourgeoisie, très estimée dans la vieille cité.

Une de ses tantes, la sœur de sa mère, Mlle Constance Teichmann, eut une grande influence sur sa formation morale et intellectuelle. Mlle Teichmann, vénérée à l’égal d’une sainte, a laissé, en Flandre, et surtout à Anvers, d’inoubliables souvenirs comme femme d’œuvres, comme chrétienne, comme artiste[84].

Mlle Maria Belpaire a hérité de sa tante aussi bien l’inspiration artistique que le goût de l’apostolat social et chrétien. Toutes les deux sont un Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/168 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/169 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/170 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/171 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/172 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/173 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/174 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/175 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/176 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/177 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/178 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/179 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/180

Ce Déménagement campagnard laisse une place à l’idylle ! Trienne, la fille du fermier, se brouille avec son fiancé, Themis, mais, à la faveur des fêtes de la crémaillère, un rapprochement s’opère et tout s’arrange dans un rayon de soleil.

Une telle œuvre est déformée par la transcription qui la prive de la cadence prosodique ; comment donner une idée juste de son charme et de sa couleur ? De même, une légende bas-bretonne ou un récit provençal perdent la majeure partie de leur saveur à travers notre français correct et loin du décor local qui les a vus éclore. Que reste-t-il d’un lampyre ou d’une luciole, petites étoiles terrestres de la nuit campagnarde, après un instant d’emprisonnement dans notre main ?

Par Mlle Belpaire et par Hilda Ram qui eût pu donner de nouvelles œuvres si elle n’était morte prématurément, en 1901, nous voyons donc se continuer la tradition flamande : produire une œuvre utile et moralisatrice dans une forme simple, mais artistique par sa vérité même, ainsi mise à la portée du peuple aussi bien que de l’élite.

L’auteur des Feuilles de trèfle du champ de la vie n’a-t-elle pas résumé sa « conception de l’être et du devenir » en ces quelques lignes :

« Heureux celui qui a une tâche à accomplir, — un fardeau à porter !… celui qui sait où il va…, qui, toujours, aux autres songe — en s’oubliant soi-même !… celui-là, du moins, ne s’affaisse pas, douloureusement, même s’il soupire souvent, — car, si sombre que soit sa vie, — une lumière y brille pour lui… Son renoncement lui affermit le cœur et le maintient fort et droit, — bien qu’en son humilité il se juge un serviteur inutile. »

Ce n’est sans doute pas là l’une des théories modernes du droit à la vie et au bonheur où chacun vise à son propre « épanouissement » et à ses joies personnelles, fût-ce au détriment du voisin !

Les poétesses belges, qu’elles soient représentées par une Françoise Leroy et une Marguerite Coppin, ou par une Mlle Belpaire et une Mathilda Ramboux, témoignent donc d’un penchant très louable pour l’altruisme. On ne peut que les en apprécier davantage.


IV
QUATRIÈME PÉRIODE


DE 1900 À NOS JOURS

Les tendances nouvelles en poésie. L’influence des écoles étrangères. — L’influence de la guerre.

Principaux poètes féminins de langue française : Mlle MARIE CLOSSET (JEAN DOMINIQUE) ; Mme MARIE VAN ELEGEM ; Mme MARIE PHILIPPE ; Mme HÉLÈNE GOFFIN-CANIVET ; Mlle GABRIELLE REMY ; Mlle MARIA BIERMÉ ; Mme EMMA LAMBOTTE ; Mlle GERMAINE DE SMET ; Mme MARIE GEVERS ; Mme YVONNE HERMAN- GILSON ; Mme CLAUDE HALBRAND ; Mme TONY HER- MANT ; Mme CLAUDE BERNIÈRES ; Mile JEANNE GOSSELIN.

La plupart des poètes masculins cités dans le précédent chapitre restent les maîtres incontestés de la période qui s’étend de 1900 à nos jours : Verhaeren, Maeterlinck, Ch. van Lerberghe, Valère Gille, Grégoire Le Roy, Albert Mockel, Fernand Séverin donnèrent, après 1900, quelques- unes de leurs meilleures œuvres.

Ils sauvegardèrent les droits de la poésie belge qu’ils avaient contribué à rendre florissante. De temps à autre, aussi, ils se laissèrent effleurer, Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/184 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/185 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/186 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/187 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/188 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/189 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/190 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/191 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/192 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/193 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/194 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/195 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/196 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/197 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/198 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/199 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/200 Page:Berger - 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Et puisque, a-t-on dit, le génie n’est qu’une longue patience, pourquoi ne pas stimuler même l’effort et la bonne volonté des poètes brévipennes, tant qu’ils sont, du moins, à l’âge de croissance ! En plus d’un, peut-être, sommeille l’as des ciels du Parnasse.

V
QUATRIÈME PÉRIODE

(Suite)

Quelques autres poètes : MMmes Tina Louant, Alice Colin, Louise Rodenbach, Élise Tichon. — Le groupe régionaliste du Centre-Hainaut : MMmes Marthe Godeaux, Jeanne Mayeur-Vannes, Blanmailland-Virix, Elvire Bricout, Marcelle Max-Hautier, Azelle Lecomte-Henry, Geneviève Thévenier (Mme Prassler-Robert), Felixa Wart-Blondiau. — MMlles Emma Thiernesse, Flore Many.

Poètes patoisantes : Mme Wart-Blondiau ; MMlles Limagne et Florence Jeanpierre ; Constance Schurgers.

Poètes de langue flamande : Sœur Maria-Josepha, MMlles Alice Nahon, Cécilia Ameye ; Mme Mendiaux Coremans (Ellen Corr).

L’Histoire de la poésie, comme celle de l’art… ou de la science, comporte, non, seulement des réalisations, mais aussi des essais, des ébauches qui ont, tout au moins, leur valeur indicative.

Tous les écrivains n’ont pas les mêmes facilités — surtout depuis une dizaine d’années — pour publier et répandre leurs œuvres.

Il serait donc injuste de s’en tenir aux noms et aux œuvres qui viennent d’être cités et d’oublier les femmes poètes qui, soit au sein des cités, soit dans la paix des campagnes, ont apporté leur modeste contribution au mouvement littéraire dont nous nous occupons.

Des anthologies nous révèlent les noms de MMmes Tina Louant qui, de 1905 à 1910, publia trois recueils de vers (Impromptus, Heures fugitives, les Opalines), Alice Colin, auteur du Premier vol dans l’azur (1900), Louise Rodenbach, née Française, mais appartenant, par son mariage, à une famille au nom célèbre dans les Lettres, et Mlle Élise Tichon, de Marienbourg, à qui son inspiration, essentiellement catholique, a valu d’être lauréate d’un concours de Rome et décorée, pour son livre, Heures sereines, d’une médaille papale.

D’autres, enfin, telles les avettes de modestes ruches, composent des groupes régionalistes ayant pour organe une revue où s’imprime, à travers leurs œuvres, le caractère distinctif d’une race, d’une province.

La plus importante de ces ruches existe en Hainaut, où le culte de la poésie règne avec un succès particulier, peut-être en souvenir de la célèbre maison souveraine dont plusieurs princesses — Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, Yolande, sœur de Beaudouin V, Isabelle, femme de Philippe-Auguste, roi de France, les comtesses Jeanne et Marguerite, châtelaines du Quesnoy, et Philippine, épouse d’Edouard III Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/278 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/279 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/280 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/281 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/282 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/283 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/284 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/285 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/286 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/287 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/288 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/289 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/290 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/291 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/292 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/293 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/294 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/295 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/296 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/297 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/298 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/299 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/300 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/301 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/302 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/303 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/304 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/305 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/306 les dévouements, les femmes poètes belges se distinguent encore par le caractère digne, pur et humanitaire de leurs œuvres.

Elles ont donc bien des droits à notre attention et à notre sympathie ; leur effort mérite d’être suivi et encouragé, car son mouvement ascensionnel fait bien présumer de l’avenir. La phalange de ces porteuses de lyres, qui tiennent, jusqu’à présent, une place trop restreinte dans les anthologies générales, est donc digne d’y paraître au même plan que le groupe des poètes masculins dont le talent fait honneur au pays belge.


CHAPITRE VI


Regard sur l’ensemble de la littérature féminine en Belgique : Proses poétiques, romans, nouvelles, essais, philosophie, critique, théâtre. — Le Féminisme et les œuvres sociales. — Insuffisante expansion des lettres belges à l’étranger. Le rôle de la France en cette question. Conclusion.

Est-ce à dire que, pour rendre compte de la littérature poétique d’un pays, il faille s’en tenir à l’étude stricte des œuvres en vers ?

Je ne le crois pas. Quel portrait n’emprunte au fond sur lequel il se détache un peu de son caractère, de sa lumière ? Quel arbre ne doit une partie de sa fécondité, de sa beauté au terrain dans lequel il pousse, au cadre qui l’environne ? Les lignes, les teintes ont d’autant plus de charme à nos yeux qu’elles contribuent, soit par leur union, soit par leur opposition avec celles d’alentour, à assurer l’harmonie totale de l’ensemble.

C’est pourquoi, dans ce livre où la poésie reste l’objet principal de notre attention — la figure de premier plan, — l’histoire générale de l’intellectualité belge n’a pas été négligée.

C’est pourquoi, jusqu’au dernier chapitre de Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/309 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/310 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/311 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/312 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/313 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/314 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/315 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/316 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/317 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/318 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/319 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/320 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/321 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/322 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/323 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/324 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/325 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/326 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/327 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/328 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/329 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/330 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/331 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/332 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/333 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/334 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/335 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/336 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/337 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/338 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/339 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/340 réaliser leur idéal qui est, pour me servir de leur expression même, « l’émancipation du Beau et du Noble ».

FIN

I

OUVRAGES CONSULTES


BARLANDE (Adrian), Rhétoricien de Louvain : Chroniques des Ducs de Brabant (éditées à Anvers, chez J.-B. Vriendt, MDCIII).

BARRAL (Georges) : Collection des Écrivains de langue française à l’étranger (Fischbacher, édit.).

Bibliographie nationale et Dictionnaire des Écrivains belges, de 1830 à 1880 (Weissenbruck, Bruxelles).

Bulletin bibliographique de la Belgique.

CANTILLON (M. de) : Délices du Brabant et de ses cam- pagnes (chez Jean Mauline, Amsterdam, MDCCLVII).

CARTON DE WIART (Henri) : Les Caractères de l’ancienne littérature belge (1919).

CHOT (J.) et DETHIER : Histoire de la Littérature belge (Charleroi).

COOPMAN et V. DE LA MONTAGNE : Onze Dichters (Nos poètes), (1830-1880).

DEBATTY (Léon) : Lettres de Belgique, 1919-1920 (Ed. de la Revue latine (de Bruxelles) et édit. des Belles-Lettres, Paris.

DINAUX (Arthur) : Trouvères, Jongleurs et Ménestrels du Nord de la France et du Midi de la Belgique (Paris, 1839). Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/344 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/345

VOOYS (D C. G. N. de) : Historische Schets van de Nederlandsche Letterkunde (ch. 8 et 10) (J.-B. Wolters, Groningen, 1910).

WATTEZ (Omer) : La poésie néerlandaise contemporaine en Belgique (Vasseur-Delmay, Tournai, 1898).

WILMOTTE (Maurice) : La Culture française en Belgique (Champion, édit.).

La Belgique morale et Politique, 1830-1900.

La Revue de Belgique, la Revue Générale, le Mercure de France, le Magasin littéraire, la Renaissance d’Occident, la Nervie, le Florilège, la Belgique artistique et littéraire, l’Art moderne, etc.

N.-B. On trouvera aussi d’utiles renseignements sur la poésie belge dans diverses anthologies et chrestomathies telles que : l’Annuaire poétique belge (1854), les Morceaux choisis des poètes belges (1830 à 1874), par M. VAN HOLLEBEKE, la Chrestomathie poétique de HEREMANS (1858-1864), l’Anthologie de J. VAN DE VELDE (1816), celle de VAN LANGENDONCK (1862-63, Anvers), celle de VAN BEERS, pour les Flamánds, ainsi que les publications du Willemsfonds et du Davidfonds sur le même sujet, le Miroir de la Littérature, d’ALBERDING-THYM (Louvain, 1877), la Couronne de poètes, de CALLEBERT et LA GRAVIÈRE (Bruxelles, 1886), sans oublier l’Anthologie des Poètes wallons (Gothier, Liège, 1890).

M. Georges DOUTREPONT a réuni en un volume les vieux Noëls wallons. Il existe également, en ce patois, des recueils de « chansons de danses », ou cramignons. Un compte rendu pittoresque et instructif de l’ensemble de la littérature wallonne a été donné par M. Eug. DUCHESNE, dans la Revue de Belgique du 15 novembre 1890.

La Société liégeoise de littérature wallonne, fondée en 1856, possède toute la collection d’études et d’ouvrages se rapportant à la question.


II

LISTE ALPHABÉTIQUE
des noms contenus dans cet ouvrage[85]

Ackere* (mevrouw van), voir
Van Ackere et Doolaeghe.
Adam ou Adenès le Roi, 16.
Adélaïde de Louvain, 13.
Adèle de Hainaut, 13, 251.
Alanic Mathilde), 309.
Albe (duc d’), 39.
Albert (l’archidục), 47.
Albert Ier de Belgique, VII, 292.
Albert (prince) (duc de Brabant)
21, 43.
Audoux (Marguerite), 309.
Aulande (Béatrice d’), 290.
Aurevilly (Barbey d’), 56.
Bablo (comte), 74.
Baers (Mlle Marguerite), 304.
Baers (Mlle Maria), 804.
Barbari Jacob de), 31.
Barlande (Adrian), 21, 317.
Barral (Georges), 111, 158.
Bashkirtseff (Marie), 47.
Alix-Adélaïde de Bourgogne, 15. Baude* (Mlle de), 1, 32, 37.
Alix de Brabant, 13.
Ameye (Cecilia), 250, 278.
Anne de Beaujeu, 27, 30.
Anne de Bretagne, 14, 27.
Ansel (Franz), 161.
Arc (Jeanne d’), VIII.
Ardoin (Mme Suzanne), 309.
Arenberg (duchesse d’), 293.
Aubanel, 237.
Baudelaire, 89, 105, 111.
Baudri de Bourgueil, 13.
Bauer (Gérard), 46.
Baulu (Mlle Marguerite), 291.
Bazenerie (Louis), 158.
Beaudoin de Condé, 14.
Beaudoin VI de Flandre, 13.
Beaujeu (Anne de), 27, 30.
Beethoven, 142, 148, 193.

Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/348 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/349 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/350 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/351 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/352 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/353 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/354 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/355 Van Hasselt (Andre), 19, 84, Vincotte (Thomas), 289.

50, 54, 319. Van Hollebecke, 320. Virenque (Mme Claire), 309. Virgile, 109. Van Langendonck* (Mm), 49, Voos-Verbrugghe (Mme de), 289. 66. Vooys (Dr C.-G.-N. de), 320. Van Lerberghe (L.), 109, 157, Vriedt (de), 7. 219. Vrient (J.-B.), 21. Van Malderghem de Tallenay Vrindts (Joseph), 270. (Clémence), 290. Van Orley (Bernard), 31. Van Overbergh (Cyril), VIII. Van Peene David*. (Mathilda), voir Van Ryswyck (R.), 52, 103. Varano (Constanza), 24. Vendôme (S. A. R. Mme Waller (Max), 105, 106, 113. Walter* (W.-G.-E.), v. Love- ling*. Warlomont (Maurice), v. Wal- ler. Waroquiers (Mr), 270. la Wart-Blondiau* (Felixa), 250, 264, 271. duchesse de), 293. Veneglia (Cécil-Axel), 85. Verhaegen (Théodore), 295. Verhaeren (Emile), 22, 108, 111, 157, 160, 162, 186, 198, 319. Verlaine (Paul), 166. Vermegen (Jean), 31. Vermeylen, 52, 112, 114, 319. Verre* (Mlle de), 32. Verriest (Hugo), 113. Verwey (Albert), 112. Vieslet (Yvonne), IX. Villegas (de), v. Van den Steen. Villermont (comtesse Marie de), 287. Wattez (Omer), 97, 103, 151,320. Wenceslas de Brabant, 22. Werbrouck (Marcelle), 290. Wespin (les frères de), 289. Willems, III, 51, 113. Wilmotte (Maurice), 110, 320. Wyseur (Marcel), 161, 162. Yver (Mme Colette), 301. Zanta (Mile Léontine), 303. Zilcken (Philippe), 199.

Zola, 114.

TABLE DES MATIÈRES

Les plus anciens monuments littéraires belges. Le bilinguisme, ses causes, ses conséquences. Les femmes protectrices des lettres au moyen âge. Les premières femmes poètes : la nonne Hadewych ; Marie de Brabant ; Maric Dregnan ; la demoiselle Deprez ; la belle Doète ; la sœur Dimenche ou Nonain de Berchinge.

Le siècle des ducs de Bourgogne. Marguerite d’Autriche et son œuvre. MMlles de Baude et Huclam. La Réforme et la Renaissance. La poésie spirituelle : Anna Bijns ; la sœur Josine des Planques. XVIIe et XVIIIe siècles.

Caractères et tendances de la littérature de cette période dans les lettres françaises et dans les lettres flamandes. Mme Félix de la Motte et Mme Maria van Ackere-Doolaeghe ; Louise Stappaerts-Ruelens ; Mme Defontaine-Coppée ; Mme Amélie Strumann-Picard ; Mme Isabelle Lippens ; Agnès-Lucie Masson ; Louise Bovie ; Mme Edgar Tinel ; Mme Braquaval (Pauline l’Olivier) ; Mme van Langendonck ; Clémentine Louant ; Mme de Lalaing ; Marie Nizet (Mme Mercier-Nizet).

Mevrouw Courtmans ; Mathilda van Peene (mevrouw David) ; Rosalie et Virginie Loveling.

Causes et caractères du « Réveil » de 1880. — Ses premières manifestations : La jeune Belgique, son œuvre et ses représentants. Mouvement parallèle dans la littérature flamande : le groupe de la revue Van nu en Straks.

Les femmes écrivains de cette période : Mme Hélène Swarth ; Mlle Marguerite van de Wiele ; Françoise Leroy ; Mme Jane J. de Tallenay ; Mlle Marguerite Coppin.

Mlle Maria Belpaire ; Mlle Mathilda Ramboux (Hilda Ram).

Les tendances nouvelles en poésie. — L’influence des écoles étrangères. L’influence de la guerre. Principaux poètes féminins de langue française : Mile Marie Clossel (Jean Dominique) ; Mme Marie van Elegem ; Mme Marie Philippe ; Mme IIélène Goffin-Canivet ; Mlle Gabrielle Rémy ; Mlle Maria Biermé ; Mme Emma Lambotte ; M¹le Germaine de Smet ; Mme Marie Gevers ; Mme Yvonne Herman- Gilson ; Mme Claude Halbrand ; Mme Tony Hermant ; Mme Claude Bernières ; Mile Jeanne Gosselin.

Quelques autres poètes : MMmes Tina Louant, Alice Colin, Louise Rodenbach ; Mlle Élise Tichon.

Le groupe régionaliste du « Centre-Hainaut » : Mlle Marthe Godeaux ; Mme Jeanne Mayeur-Vannès ; Mme Blanmailland-Virix ; Mme Elvire Bricout ; Mme Marcelle Max-Hautier ; Mme Azelle Lecomte-Henry ; Mme Geneviève Thévenier (Mme Prassler-Robert) ; Mme Felixa Wart-Blondiau.

Mlle Emma Thiernesse ; Mlle Flore Many.

Poésie patoise wallonne : Mme Felixa Wart-Blondiau ; MMlles Limagne, Florence Jeanpierre, Constance Schurgers.

Poésie flamande moderne : Sœur Maria-Josepha ; Mlle Alice Nahon ; Mlle Cécilia Ameye ; Mme H. Mendiaux-Coremans (Ellen Corr).


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  3. Librairie académique Perrin.
  4. Les Maîtres d’autrefois (Plon, édit.).
  5. L’admirable épisode de la vie, de la captivité et de la mort de l’héroïne se trouve narré dans un opuscule de propagande : Gabrielle Petit, par Cyr. van Overbergh (Édit. de la Revue des Auteurs et des Livres), 70, Chaussée de Haecht, Bruxelles, 185e mille. Un important ouvrage a été aussi écrit en 1922 par M. Arthur Delage (Vve Larcien, édit. Bruxelles). M. Henri Puttemans, l’avocat et homme de lettres, le patriote bruxellois qui dirigea, avec M. Kebers, le journal clandestin L’Âme belge, émule de l’intrépide Libre Belgique, pendant l’occupation allemande, a, dans cette feuille, salué la noble figure de Gabrielle Petit. La vaillante jeune fille eut des sœurs en héroïsme : Elisa Grandprez, de Liège, fusillée en 1917, Louise Derache, qui, deux ans plus tôt, dans la même ville, avait subi le même sort, MMmes Maria de Smet, Pauline Rameloo, Émilie Schattemann, exécutées à Gand, en 1917, Elisa Poets et Rosalie Decoster-Cortvrint, électrocutées en favorisant le passage de soldats belges et français à la frontière, Mathilde Raes, martyrisée dans sa prison en 1918, et enfin la petite Yvonne Vieslet, âgée de dix ans, fusillée à bout portant à Monceau-sur-Sambre pour avoir donné le pain de son goûter à un prisonnier français. Ces martyres de la grande cause doivent avoir leur nom inscrit dans ce livre.
  6. Les Confins de la Littérature et de la Science.
  7. M. André M. de Poncheville, l’animateur des Amitiés de France et de Flandre, a raison d’affirmer : « Dans le domaine de l’esprit, la Belgique fait partie de la plus grande France, ayant contribué à la créer, et de quelle importante contribution. »
  8. Revue de Belgique, 15 septembre 1890.
  9. Histoire de la littérature française hors de France, libr. Fischbacher, 1895.
  10. Histoire de Belgique, tome Ier, Lamertin, édit. Bruxelles, 1900.
  11. La Chanson flamande au moyen âge, art. de M. J. Stecher, Revue de Belgique, 15 juin 1886.
  12. Chansons populaires flamandes du XIIIe au XXe siècle. Cette brochure servit de thème à une conférence que M. van Eeghem fit à Fécamp, où il se trouvait en 1916, comme délégué au Collège de jeunes gens. Des soldats belges chantèrent les chœurs de ces chansons.
  13. Le roi Guillaume Ier de Hollande avait fait un jour la même réponse au sujet d’un écrivain belge de langue française, qui sollicitait une décoration de son pays natal sous la domination hollandaise.
  14. Cette assertion, toutefois, ne semble pas devoir être confirmée par les débats récents que suscita une reprise de la question. L’adoption du flamand comme langue administrative d’une partie de la Belgique consacre le règne du bilinguisme et semble menacer l’influence française.
  15. Des critiques belges m’ont fait un peu grief d’avoir classé Hadewyck parmi les poétesses hollandaises ; ils la revendiquent comme Flamande. Je dois dire à ma décharge que la langue ancienne dont se servait Hadewyck était commune aux deux pays. De plus, les écrivains et les anthologistes de Hollande la considèrent comme Néerlandaise. Des Belges, eux-mêmes, m’ont confirmé cette assertion. Je ne l’ai d’ailleurs pas trouvée mentionnée dans les livres belges d’expression flamande que j’ai eus entre les mains. On ignore l’origine de sa famille ; d’autre part, un document consulté par moi à la bibliothèque de Besançon (Les Comtes de Hollande, par J. Meyssens, 1662) tendrait à laisser croire qu’elle est peut-être la fille d’un comte de Hollande ; le doute est donc permis. Je m’incline néanmoins, devant la conviction des Flamands et je laisse aux deux pays le soin de se partager la renommée de cette aïeule de la poésie flamande.
  16. On appelait ainsi des vers dont les rimes sur le même mot prêtaient à plusieurs sens.
  17. Les Lundis, tome IX.
  18. J. Stecher (Revue de Belgique).
  19. 2 vol. prose et vers (Dierickx, Beke fils, Malines, 1865).
  20. Essai sur l’Histoire de la Poésie française en Belgique (Mémoire couronné le 5 mai 1837).
  21. Ouvr. cité.
  22. À Anvers, chez J. B. Vrient, l’an MDCIII (Ouvrage consulté par l’auteur à la bibliothèque de Besançon).
  23. Qu’il ne faut pas confondre avec Philippe III le Hardi, roi de France, dont il a été question plus haut.
  24. La Cour de Bourgogne au-XVe siècle (conférence donnée à la salle Chateaubriand et publiée dans La Revue française du 19 mars 1914).
  25. Sur les femmes bibliophiles, M. Albert Cim a écrit une étude fort intéressante et documentée : Les Femmes et les Livres (Fontemoing, édit., 1910).
  26. Consulter sur le sujet l’ouvrage de M. Emmanuel Rodocanachi : La femme italienne pendant la Renaissance (Hachette).
  27. Honoré Champion, édit., in-8°, 1909.
  28. Alice A. Heutsch : De la littérature didactique du moyen-âge s’adressant spécialement aux femmes. Cahors, 1903.
  29. Étude citée.
  30. Rahlenbeck : Les Trois régentes des Pays-Bas (art. de la Revue de Belgique, 15 août 1892). À propos de cet article de Rahlenbeck, il convient d’ajouter que parmi des aperçus souvent justes, on y rencontre, par endroits, une évidente partialité et une certaine âpreté, notamment dans le jugement porté par l’auteur sur le clergé, sur la noblesse et même sur les femmes dont il dit par exemple : « Il y a des choses qu’un homme d’honneur ne fait pas, de ces besognes écœurantes auxquelles une femme sait se résoudre sans répugnance visible et le front serein. »
    J’ai trouvé plus graves encore ses opinions concernant la France à l’égard de l’Allemagne. Le passage suivant peut les résumer : « Rompre les liens séculaires qui rattachent nos provinces à l’Allemagne est une œuvre latine, antigermanique au premier chef… L’empereur étant alors notre souverain, avec bon espoir d’avoir, en Allemagne, son fils ou son gendre comme successeur, il ne pouvait que s’affaiblir en consentant à un retrait d’obligations féodales, tandis que le roi de France est l’ennemi héréditaire contre lequel on ne saurait prendre trop de précautions ni assez de garanties. »
    Plus tard, j’ai découvert la raison de ces théories francophobes en lisant, dans un autre tome de la Revue de la Belgique (15 novembre 1903), l’article nécrologique consacré par M. Paul Fréder à Rablenbeck qui venait de mourir :
    « Ardent huguenot, issu d’une famille belge qui avait dû se réfugier en Prusse jusqu’en 1792, Rahlenbeck professa une admiration sympathique pour la race germanique.
    « En 1870, il prit hautement parti pour l’Allemagne et, après la guerre, il alla s’établir à Metz pour y fonder un organe germanophile sous le titre La Gazette de Lorraine (1871-1877). Disons à sa décharge que M. P. Fréder le dépeint travailleur et généreux… Il vante aussi son impartialité… qui apparaît moins évidente.
  31. Né à Belges, aujourd’hui Bavay, en Hainaut.
    Sur Jean Lemaire on aura profit à consulter la thèse de M. François Thibault : Jean Lemaire de Belges et Marguerite d’Autriche.
    M. Georges Doutrepont a également donné, en 1898, dans La Revue générale, un article sur Jean Lemaire et Marguerite d’Autriche.
    M. Tilmant a publié l’Album de Marguerite d’Autriche (Bulletin du Cercle archéologique, littéraire et artistique de Malines, XI, pp. 129-149 (1901).
  32. Publié par van Hasselt.
  33. Ce poème fait partie du petit recueil de Chansons populaires flamandes du XIIIe au XXe siècle, déjà cité. Je transcris ici, telle qu’elle est donnée dans le livre, cette chanson traduite du flamand en français moderne.
  34. Ces mausolées furent conçus par un artiste tourangeau, Michel Colomb, mais les ouvriers flamands en ont modifié certains détails en les exécutant.
  35. L’érection de cette statue donna lieu, en 1849, à une
  36. Nom flamand de Malines.
  37. Malines était autrefois placée sous la juridiction spirituelle de l’archevêché de Cambrai, alors ville flamande.
  38. On sait même que Marguerite de Parme, peut-être sur le conseil de l’archevêque de Malines, le Comtois Antoine de Granvelle dont elle subissait l’ascendant, condamna, défendit les représentations des Mystères et les fêtes de ce genre lorsque le texte des « jeux scéniques » n’aurait pas été soumis au juge ecclésiastique. C’était arrêter quelque peu l’essor de ces manifestations populaires d’où est né l’art théâtral. Mais, on le devine, les interdictions de la Gouvernante des Pays-Bas, avaient leur raison d’être devant la licence en laquelle dégénéraient parfois ces « jeux » de plein-air.
  39. Les Femmes poètes de la Hollande (Librairie académique Perrin).
    M. Eringa a récemment étudié son esprit et son œuvre dans une thèse présentée en Sorbonne : La Renaissance et les Rhétoriqueurs néerlandais (Amsterdam).
  40. Sur Jehan Bodel, consulter l’ouvrage très documenté de M. Emile Langlade (De Rudeval, édit., 1909).
  41. Les Lettres tournaisiennes (Magasin littéraire, 15 mai 1892).
  42. Isabelle d’Autriche, qui était petite-fille de Charles-Quint pet fille de Philippe II d’Espagne. C’est elle qui donna son nom à une couleur jaunâtre, en gardant sur elle, durant trois années, — dit la tradition — la chemise qu’elle avait fait vœu de ne quitter qu’à la fin du siège d’Ostende, défendue par ses troupes.
  43. Revue de Belgique (15 avril 1902).
  44. Quelques années plus tard fut créée aussi, à Liège, la Société libre d’émulation, qui végéta et s’occupa surtout d’encyclopédie.
  45. Sur Rahel Lewin, lire : Un salon allemand, dans l’ouvrage de M. A. Bossert : Essais de littérature française et allemande (Hachette, 1918).
  46. Écho de Paris du 9 mars 1922 (Coup d’œil sur Bel-Œil, par le prince de Ligne, annoté par M. le comte de Ganay).
  47. Il faut savoir gré à M. Lucien Perey d’avoir su, de façon très captivante, sauver de l’oubli la figure de cette jeune Hélène Massalska, princesse de Ligne. Son ouvrage, très documenté : Histoire d’une grande dame au XVIIIe siècle ; la princesse de Ligne (Calmann-Lévy, 1923), nous donne, avec de nombreux fragments du « Journal », le récit de la vie d’Hélène jusqu’au moment où, après l’abandon coupable et la demande de divorce que son veuvage imprévu rendit inutile, elle devint la troisième épouse du comte Vincent Potocki.
  48. Revue latine du 25 septembre 1907.
  49. Mevrouw, en flamand signifie « Madame ». On emploie ce terme, même en Belgique française, lorsqu’on parle des Flamandes.
  50. Conférence faite à Anvers, le 11 avril 1910 : La littérature belge d’expression française.
  51. Eug. Gilbert : Les lettres françaises dans la Belgique d’aujourd’hui (Sansot, édit., 1900).
  52. Son poème philosophique, Les quatre Incarnations du Christ (1867), est bien supérieur à ses pièces lyriques.
  53. Thyl Uylenspiegel, personnage mythique dont De Coster, a fait l’incarnation de l’âme flamande, fière et indépendante qui se rebelle contre le joug étranger (Lacomblez, édit., Bruxelles, 1867).
  54. Georges Rodenbach appartenait à une famille flamande, mais il écrivit en langue française.
  55. Né à Anvers en 1812, mort en 1883, fut conservateur du Musée de Bruxelles.
  56. L’une des plus importantes romancières flamandes (voir p. 92).
  57. De drie zustersteden.
  58. Les lettres néerlandaises en Belgique depuis 1880, conférence faite à l’Exposition universelle de Liège, en 1905 (C. A. J. Dishoek, édit., Bussum, 1906).
  59. Une gloire de la Flandre ; Guido Gezele, prêtre et poète, par Ch. Grolleau (Crès, 1907).
  60. Beuguies, édit., Bruxelles. Cette pièce a été jouée à Bruxelles, en 1834.
  61. Laurent, édit., Bruxelles, 244 pages.
  62. Grense, Bruxelles, 209, pages.
  63. Dixmude : Un chapitre de l’Histoire des fusiliers marins (Plon, édit., 1915).
  64. L’agonie de Diamude, par Léon Bocquet et Ernest Hosten, préface de Ch. Le Goffic, illustrations de Léon Cassel (Tallan- dier, 1916). M. Léon Bocquet a également écrit une des plus émouvantes pages de la guerre en Belgique dans le récit : Une figure de Béguine : la dernière grand’Demoiselle de Dixmude (Revue hebsomadaire, 27 octobre 1917).
  65. Il a paru également, en 1867, donc avant la publication des deux derniers ouvrages, une édition complète en deux volumes des Œuvres de Maria Doolaeghe-van Ackere avec étude biographique et portrait, par Debreyne-Dubois, avec traduction flamande de Destamberg (à Gand chez Snoeck-Decaju).
  66. Pétronella Moëns, poétesse hollandaise aveugle, avec qui l’auteur était en relation (voir Les Femmes poètes de la Hollande, page 143). Maria Doolaeghe l’a célébrée en une courte brochure éditée chez L. de la Montagne, Anvers, 1872.
  67. Je tiens à remercier ici Mme Edgard Reynaert et ses filles de leur obligeance à me communiquer toutes notes et poésies qui m’ont documentée pour cet article.
  68. Léon Bocquet et Ernest Hosten mentionnent cette œuvre d’art dans leur ouvrage déjà cité. J’ai eu depuis, le plaisir d’apprendre, par la famille de Mevrouw van Ackere, que le buste avait été retrouvé presque intact parmi les décombres de l’incendie.
  69. Mme Louise Stappaert-Ruelens, née en 1818, ne doit pas être confondue avec Mme Estelle-Marie-Louise Ruelens, qui, sous le nom de Caroline Gravière, eut, entre 1872 et 1888, un vif succès pour ses romans et ses contes dont la plupart parurent dans la Revue de Belgique et furent recueillis et publiés par le bibliophile Jacob. À la même époque, une autre romancière, Mme CAROLINE POPP, née Boussart, s’acquit une certaine renommée dans les familles avec ses récits wallons et flamands ; elle avait fondé, en 1837, le Journal de Bruges.
  70. Mme Defontaine, née Angélique Coppée, descendante du poète hutois Denys Coppée, naquit en 1806 et mourut en 1882. Ses recueils de poèmes furent publiés chez Parent (Brux.) et Doux fils (Namur), ses ouvrages en prose chez Dierickx (Malines) et Schnée (Brux., 1859).
  71. Née en 1882, a publié : Épanchements d’une jeune âme (1857), Gouttes de rosée (1859), Aurore et couchant (1895), ainsi que des nouvelles en prose et une Anthologie de poètes, en collaboration avec G. Kurth, 1874.
  72. Auteur de Mes Loisirs, chez Manceaux-Hoyois, Mons, 1859.
  73. La première fut éditée à Anvers, chez J. B. van Aarsen, 1860, la seconde fit paraître son livre sous le pseudonyme Noël Lys, à Bruxelles, chez Devroye, 1866.
  74. Cador, édit., Charleroi.
  75. La Femme contemporaine (décembre 1908).
  76. Les conférences d’Émile Deschanel développèrent, dans son auditoire féminin, le goût de la culture intellectuelle.
  77. Les lettres belges (Revue latine, 25 septembre 1908).
  78. Voir le chapitre précédent, page 64.
  79. Lebègue et Cie, édit., Paris et Bruxelles (1880 et 1890).
  80. Ollendorf, édit., Paris.
  81. Imprimerie Popp (Bruges), orné d’un portrait de l’auteur par G. Pickery, fils.
  82. Imprimerie M. Bouchery, Ostende.
  83. Id.
  84. Constance Teichmann, par Maria Belpaire (Bibl. choisie, Louvain, et Alf. Cartier, Tours, 1909). Mlle Belpaire est également l’auteur d’un ouvrage sur son père, Alphonse Belpaire, ingénieur des Ponts et Chaussées, auteur de mémoires scientifiques (J. C. Berchmann, Anvers, 1922).
  85. Les noms écrits en caractères ordinaires sont ceux des femmes belges écrivains ou remplissant un rôle dans la vie sociale. Ceux qui, en outre, sont accompagnés d’un astérisque désignent, plus particulièrement, les femmes poètes. Pour tous les noms commençant par van, se reporter à la lettre V.