Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 104-156).

III
TROISIÈME PÉRIODE
DE 1880 À 1900


Causes et caractères du « Réveil » de 1880. Ses premières manifestations : La Jeune Belgique, son œuvre, ses représentants. — Mouvement parallèle dans la littérature flamande : le Groupe de la revue Van nu en straks.

Les écrivains féminins de cette époque : Littérature française : Mme Hélène Swarth ; Mlle Marguerite Van de Wiele ; Mlle Françoise Leroy ; Mme J. de Tallenay ; Mlle Marguerite Coppin. — Littérature flamande : Mlle Maria Belpaire ; Mlle Mathilde Ramboux (Hilda Ram).

Voici donc arrivée cette date de 1880 que la Belgique considère, avec raison, comme l’aube de sa véritable vie littéraire.

En effet, durant une période de dix années environ, de 1880 à 1890, elle vit éclore simultanément des essais, des œuvres, des manifestations dont l’ensemble constitue un des plus féconds mouvements intellectuels de l’Europe moderne.

Ainsi que nous l’avons constaté, le séjour en Belgique, entre 1830 et 1880, de maîtres de la pensée française tels que Victor Hugo, Baudelaire dont l’influence, toutefois, ne fut pas immédiate, d’Émile Deschanel, avait préparé cette évolution, cet éveil[1].

D’autre part, les Belges, en voyant s’affirmer chaque jour leur indépendance nationale et leur richesse économique, se sentaient allégés du souci qui, depuis tant de siècles, paralysait leur activité artistique. L’imagination fait trêve, forcément, quand la nécessité plie l’homme sous son joug. Et, ainsi qu’il arrive toujours après un long temps de privations, l’esprit, comme le corps, ressent une sorte de fringale qui le rend avide de dédommagement.

L’idée d’un groupement d’écrivains belges germa très vite dans la pensée de plusieurs jeunes auteurs. Elle suscita d’abord la création de la Jeune Revue, dans laquelle des étudiants publiaient leurs œuvres.

En 1881, sous l’impulsion de Max Waller (de son vrai nom Maurice Warlomont), âgé seulement de 21 ans, mais enthousiaste, ardent, séduisant, audacieux et qui semblait être le chevalier persuasif de « l’esprit nouveau », ce groupement s’étendit : la Jeune Revue fit place à la Jeune Belgique.

Cette même année, Octave Pirmez publiait son dernier ouvrage, Remo; il devait mourir deux ans plus tard, et Charles De Coster l'avait déjà précédé dans la tombe (1879).

Les œuvres de deux écrivains, pareilles, dit M. Oscar Grosjean, « à deux arches monumentales sous lesquelles passeront les deux courants de la littérature belge »[2], avaient fortement impressionné leurs contemporains.

La Jeune Belgique réunit, durant une quinzaine d'années, les noms de ceux qui allaient devenir les gloires littéraires contemporaines de la Belgique: Ivan Gilkin, Albert Giraud, Maurice Maeterlinck, Th. Hamon, Fernand Séverin, Georges Eekhoud, et bien d'autres.

Malheureusement; Max Waller ne put voir longtemps le succès de son entreprise. Il mourut en 1889, à peine âgé de 30 ans. La Jeune Belgique passa en de nombreuses mains, car sa direction était changée chaque année. Elle s'éteignit en 1897, mais son influence fut durable.

L'élan était donné; la phalange d'écrivains qui s'était assigné pour mission de faire la guerre aux vieilles traditions, ennemies de toute tentative originale, vit grossir son contingent et devint un véritable bataillon animé d'ardeurs belliqueuses. Dans la Belgique, politiquement calmée, fermenta une nouvelle révolution et l'effervescence juvénile des combattants ne laissa pas de surprendre quelque peu les « maîtres » d'alors et le gouvernement lui-même, dispensateur des récompenses officielles.

D’autres groupements se formèrent, ayant pour organe des revues : parmi celles-ci, la Revue de Belgique, la Revue générale conquirent et gardèrent une place de premier rang avec l’Art moderne, fondée par Edmond Picard, une des personnalités les plus en vue, non seulement de la littérature, mais aussi de la vie morale et sociale de la Belgique, car son talent puissant, aux multiples manifestations, lui a valu dans la politique, dans le droit, dans l’art ; une incontestable autorité ; en outre, Edmond Picard fut un ardent propagandiste de l’idée nationale, un fervent apôtre du patriotisme : son nom doit rallier toutes les sympathies, tous les respects.

En 1884, Albert Mockel créa l’Élan littéraire, excellente revue, devenue par la suite la Wallonie.

Il y eut encore : le Coq rouge, la Revue de Wallonie, la Belgique, la Belgique française, l’Art jeune, Durendal, la Lutte, le Masque, le Thyrse, la Nervie, le Florilège artistique et littéraire, la Revue littéraire, l’Idée libre, la Belgique artistique et littéraire, la Renaissance d’Occident, la revue France-Belgique, et, en ces tous derniers mois, la Revue belge, etc., etc., dont l’activité, plus ou moins couronnée de succès, prolongea, durant ces quarante dernières années, l’action rénovatrice des jeunes frondeurs de 1880.

Certaines différences existaient, naturellement, entre les doctrines de ces diverses revues. Si les unes, selon le vœu d’Edmond Picard, voulaient Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/134 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/135 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/136 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/137 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/138 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/139 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/140 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/141 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/142 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/143

Dès 1878, une autre femme, vraiment Belge, celle-ci, et même un peu Française par sa mère qui descendait de deux familles originaires du Limousin et du Périgord, Mlle Marguerite van de Wiele, s’était révélée charmant écrivain, grâce à un poème en prose, l’Ange envolé, paru dans un journal local, l’Office de publicité, et qui, très goûté, fut reproduit, traduit en divers pays.

L’auteur n’avait pas 20 ans, puisqu’elle est née, à Ixelles, en 1859, la même année que Mme Hélène Swarth.

En 1879, Marguerite van de Wiele publia un roman, Lady Fauvette, œuvre délicieuse de fraîcheur, de sensibilité, d’émotion, dont le succès fut tel, malgré les inexpériences de métier qu’on y rencontrait, que quatre éditions en furent tirées en quelques mois.

Les ouvrages suivants : Les Frasques de Majesté, Filleul du Roi, Insurgées, Fleur de civilisation, Légendes, beau recueil d’inspiration nationale, les Héroïnes romantiques, etc., pour ne parler que des principaux, consacrèrent le nom de l’auteur, devenue bientôt la femme de lettres la plus en vue de la Belgique.

Mlle van de Wiele n’écrit pas de vers. On pourrait donc s’étonner de lui voir occuper, dans ce livre, une place d’une certaine importance. Cette place, on la lui doit ; il est impossible d’étudier la littérature féminine belge et la vie sociale belge sans être ramené à chaque instant vers Mlle van de Wiele.

Non seulement, comme romancière, elle continua la tradition des Caroline Popp et des Caroline Gravière[3], en renouvelant, en rajeunissant leur « manière », mais, encore, elle garda le constant souci de donner à son pays une œuvre nette, morale, probe, dans une forme littéraire à la fois virile et délicate que beaucoup de ses contemporains pourraient lui envier.

Elle est une laborieuse, et bien que devant à sa plume, seule, le pain quotidien, elle n’a jamais consenti à une seule compromission. Romancière, novelliste, critique, conférencière brillante et infatigable, gardant son franc parler et ne suivant que les indications de sa conscience, elle a pu se faire des ennemis, mais il n’est personne qui ne l’estime, car elle est toujours prête à servir une cause qui lui paraît juste, et le fait avec une bonne grâce et un dévouement dont l’action est encore augmentée par son grand charme de persuasion.

Elle a particulièrement réussi dans les chroniques d’art ; dès ses débuts, elle a jugé l’état d’esprit de son époque et n’a point pris de détours pour donner son avis.

Ne résumait-elle pas, vers 1880, son opinion sur la littérature nationale en ces lignes incisives : « Quelques jeunes qui se mangent entre eux, quelques vieux qui regardent les jeunes. Tous plus célèbres, à la vérité, par ce qu’ils auraient pu faire ou ce que l’on croit qu’ils feront, que par ce qu’ils ont fait effectivement. Voilà la littérature de Belgique ! »

C’était un peu dur. Mais son pays ne doit point lui en vouloir d’avoir prêté la main au coup de fouet salutaire qui devait stimuler les énergies et faire éclore de beaux talents.

M. Edmond Picard a porté, sur Mlle van de Wiele, un jugement qui mérite d’être reproduit :

« Mlle van de Wiele, écrivant depuis des ans et des ans, a été inlassable et jamais médiocre. Elle m’apparaît un esprit clair, opiniâtre, souvent presque viril… Son style, sans avoir l’élégance d’écriture, qu’à tort ou à raison on attend de la femme, a le charme de la simplicité, de la netteté, celle-ci parfois un peu sèche. Son cerveau est de ceux dont il ne sort jamais une sottise. La passion ne chauffe pas ses écrits, mais ils sont imprégnés d’un bon sens un peu rude en accord avec notre psychologie, Elle observe avec attention et justesse. Comme plusieurs de nos écrivains, elle s’attaque, sans fléchir au contact de leur gravité, aux sujets qui tiennent à l’organisation sociale ou aux théories d’art. Bref, c’est une valeureuse, une attentive, une loyale ouvrière littéraire. »

Je me permets d’ajouter : Elle est aussi une apôtre, car dans la littérature comme dans la vie, elle s’est toujours attachée à dénoncer ou à détruire les tendances mauvaises, susceptibles de nuire au développement moral d’un peuple. ou de fausser ses instinctives conceptions du Beau.

La vie sociale féminine a accaparé une large part des pensées et de l’existence de Mlle van de Wiele qui a créé ou encouragé de nombreuses associations et ligues, en faveur de l’éducation et du travail féminins, tant manuels qu’intellectuels ; elle est présidente ou vice-présidente de toutes les œuvres sociales existant en Belgique, où le gouvernement l’a souvent chargée de missions, de rapports officiels sur ce sujet.

Enfin, et ceci lui assurera plus encore notre sympathie reconnaissante, Mlle van de Wiele, se souvenant qu’elle a du sang français dans les vei- nes, s’est toujours préoccupée de sauvegarder ou d’étendre, en Belgique, l’influence de notre pays ; avant, pendant et depuis la guerre, notamment, la Présidente du Conseil national des femmes belges n’a cessé par ses articles, par ses conférences, de participer aux efforts du Comité de l’Entente. franco-belge.

Collaboratrice de tous les journaux belges, Mlle van de Wiele s’est vue récompenser de ses longs efforts, de ses nombreux succès, par la décoration de la croix de Chevalier de l’ordre de Léopold, en 1908, puis de la roșette d’Officier du même ordre, en 1920.

On pouvait espérer, pour elle, une autre distinction : l’Académie royale des Ecrivains de langue française, fondée récemment en Belgique, a prouvé, en nommant si courtoisement parmi ses membres correspondants, une étrangère, qu’elle n’est point anti-féministe.

Pourquoi n’a-t-elle point, alors, admis en son sein, à titre effectif, une femme de lettres belge ? Il semble que Mlle Marguerite van de Wiele eût très bien tenu cette place !

Exception faite de Mme Hélène Swarth, trois femmes, seulement, ont ébauché ou réalisé une œuvre poétique belge, d’expression française, dans les vingt dernières années du xixe siècle : Mlle Françoise Leroy, Mme Jacques de Tallenay, Mlle Marguerite Coppin.

Mlle FRANÇOISE LEROY est l’auteur de deux recueils : Sentiment et Devoir, et Chants et Souvenirs[4].

Ce n’est point, certes, de la grande poésie ; les œuvres de Mlle Leroy sont simples comme elle ; elles représentent le petit coin bleu du rêve dans sa vie utilement remplie d’éducatrice. Attachée, en effet, pendant plus de vingt-cinq années (de 1851 à 1878), à l’Ecole Normale pri- maire supérieure de jeunes filles de Bruxelles, Mlle Leroy en devint, par la suite, directrice, et ne quitta l’enseignement qu’en 1898. Elle s’y est acquis le respect, l’affection de tous ceux qui l’y ont connue : simple, généreuse, dévouée, elle a pu faire dire d’elle que « sa vie fut consacrée au travail et au bien », ce qui constitue encore le plus bel éloge qu’on puisse accorder à une femme.

C’est donc en marge de son labeur quotidien que Mlle Leroy pouvait rencontrer la Muse et s’entretenir avec elle, dans le clos du rêve qu’elle a célébré avec amour, mais en un style romantique plutôt démodé.

Ce qui caractérise son inspiration, c’est l’infinie pitié qui l’imprègne pour tout ce qui souffre. On pourrait modifier en son honneur le vers célèbre :

Et sa pitié s’étend à toute la nature…

aux « fous » qu’on enferme sans se soucier des douloureuses lueurs de raison qui exaspèrent leur mal, aux oiseaux qu’on emprisonne dans des cages ou dont on brûle les yeux pour les faire mieux chanter, aux « deux méconnus », la grenouille et le crapaud, aux choses elles-mêmes, aux « tombes abandonnées », au lierre encore vivace que meurtrit la hache lorsqu’elle abat le saule mort auquel ses rameaux donnaient un semblant de vie…

La souffrance d’autrui la poursuit comme une obsession. Aussi, le spectacle de la vie lui paraît-il affligeant :

Est-ce un bien, est-ce un mal d’atteindre la vieillesse ?…

La réponse à cette question se trouve dans un autre de ses poèmes :

Le souvenir du bien vaut toute récompense : Il prolonge la vie et fleurit l’existence.

Le destin de Mlle Leroy a donné raison à cette pensée. Si sa muse n’est point de celles qu’il faut rechercher pour l’éclat de leur parure ou par esprit de dilettantisme, elle appartient, du moins, à la catégorie des êtres « qui ne rendent pas un son creux lorsqu’on frappe à la porte de leur cœur ».

Le poème ci-dessous résume bien l’art de cette excellente femme :

Muse des temps heureux, Muse de ma jeunesse,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Suis-moi, suis-moi, toujours, pour que toute ma vie
Garde un rayon du ciel, un parfum d’ici-bas.
Suis-moi dans l’infini…, ce champ de poésie
D’où descend l’idéal que rencontrent mes pas.
Fais entendre ta voix où se meurt l’espérance ;
Préserve un front brûlant du vertige insensé ;
A ceux qu’ont submergés le doute et la souffrance
Apporte ton sourire et l’oubli du passé.

Je t’aime pour le bien que tu fais sur la terre.
Où passe ta lumière a germé la bonté ;
Mais ceux que n’ont touchés ta grâce et ton mystère
Ne connaîtront jamais ta sublime beauté !

Lorsqu’il se détournait un instant des misères — humaines, ce regard, toujours tendu vers l’au delà, y a-t-il entrevu, par instant, les secrets de l’avenir ? On serait tenté de le croire en lisant certaines strophes du poème : O douce et ravissante étoile, composé en 1904, dix ans avant l’invasion de 1914 :

LE POÈTE

    Vois-tu tout le sang qui ruisselle
    Où des luttes vont assombrir
    L’existence prospère et belle

Des peuples dignes d’en jouir ?
Que sont ces conquêtes de villes
Pour ceux qu’un lugubre dessein
Arrache à leurs foyers tranquilles,
A leur travail fécond et sain ?…

L’ÉTOILE

Oui, oui, j’entends ces bruits de guerre
Ces massacres et ces forfaits !
Je vois la faim et la misère
Après la mort et les regrets.
Je vois l’épouse qui supplie ;
Je vois des enfants à genoux
A qui l’on veut ravir la vie
Sans qu’ils méritent ce courroux !
Mais après avoir vu l’épée,
La fusillade et la terreur,
Je trouve une terre occupée
Par le calme et par le bonheur.
C’est là que les plus nobles choses
Marquent ce ravissant séjour.
L’âme y fleurit comme les roses
Sous un ciel de paix et d’amour !

Si plats qu’en leur expression prosodique nous apparaissent ces vers, ils ont le pouvoir d’évoquer à nos yeux les tragédies récentes de Dinant, de Visé, de Louvain…

Oui, les poètes ont parfois le don de seconde vue. Le jeune Normalien français, Marcel Blanchard — mort au champ d’honneur, — ne nous l’a-t-il pas aussi prouvé en publiant, en 1913, les émouvantes pages du livre, la Grande Guerre, où passent des soldats « couleur de ciel », tandis

que la Victoire s’écrie :

    … et mon cœur bat et sonne
        Et tout ce que je sais
    C’est que je poserai l’immortelle couronne
        Sur le front des Français !…

Si, malgré le peu d’éclat qu’elles présentent, j’ai tenu à signaler ici la personne et l’œuvre de Mile Françoise Leroy, c’est que, bien qu’ayant ignoré l’instinct artistique qui rompra et détruira, par la suite, chez ses descendantes, le moule poncif d’un sous-romantisme périmé, cette doyenne des poétesses modernes incarne bien le type presque général de la poétesse belge.

Presque toutes celles, en effet, dont nous aurons à étudier les œuvres dans le suivant chapitre, sont, en grande majorité, non des professionnelles, vivant exclusivement du travail de leur plume, comme Mlle van de Wiele, non des amateurs, remplissant avec la poésie ou le roman le désœuvrement d’une vie fortunée, mais des professeurs, des institutrices de l’enseignement primaire, secondaire ou libre.

La littérature n’est, pour ces femmes, ni le gagne-pain obligatoire qui oblige, parfois, à tant de compromissions et entraîne, en cas d’insuccès, le découragement et l’envie, ni la forme d’un snobisme au nom de quoi, en d’autres pays, nombre de « gourmands » ont envahi et détérioré le rosier nuancé de la pensée.

La poésie, chez elles, l’emporte sur la prose parce qu’il est plus facile, en un moment de loisir, au cours d’une promenade…, ou d’une nuit d’insomnie, de rimer quelques quatrains que d’élaborer des chroniques bibliographiques ou d’échafauder l’important travail d’un roman. La poésie est la marge illustrée de leur page de vie saine et utilement remplie, le jardin étroit mais bien enveloppé de ciel, attenant à la maison familiale ou à la salle de classe. Aux heures de récréation, leur esprit vient se détendre dans ce clos fleuri dont tant de leurs poèmes expriment le charme intime et bienfaisant.

Pourtant, cette règle, comme toutes les autres, comporte des exceptions.

La poésie belge a eu des représentantes dans le milieu aristocratique et mondain, en ce siècle comme au temps de Marie de Brabant ou de Marguerite d’Autriche.

Mme HENRY-JACQUES DE TALLENAY, dont le nom vient d’être cité, doit avoir sa place en cette galerie des Muses.

Fille du marquis de Tallenay, elle signa ses œuvres du nom patronymique, bien qu’ayant été mariée très jeune à M. van Bruyssel, chargé d’affaires en République Argentine.

À son retour en Belgique, Mme J. de Tallenay van Bruyssel tint un salon littéraire à Bruxelles. Elle collabora à Durandal, à la Jeune Belgique, à l’Art moderne, et fut, pendant trois ans, correspondante du Figaro.

En 1894, elle publia un recueil de vers, l’Intermède lyrique, de Heine[5], traduit de l’Intermezzo, et suivi de Premières rimes, sa moisson toute personnelle. Les poèmes traduits de l’Intermezzo ont la grâce et l’émotion qui font le charme de ces pages en leur langue originale ; la transcription, toutefois, ne rend pas certaines images avec la force qu’elles revêtent en la langue de Heine ; on le sent, par exemple, dans le diptyque en deux quatrains devenu célèbre :

Ein Fichtenbaum steht einsam…

ce sapin du Nord qui, solitaire, en son steppe glacé, rêve au palmier dont l’éventail ensoleillé s’épanouit, là-bas, si loin, en l’infini des sables d’or…

Meilleures sont les stances d’amour où le poète pleure la bien-aimée qu’un rival heureux lui a prise.

Le romantisme qui imprègne les poèmes de Heine a déteint sur l’œuvre personnelle de Mme J. de Tallenay. On y retrouve même, par endroits, la forme chère à l’auteur de l’Intermezzo, comme dans ce Deuil :

Dans l’océan profond naquit la perle. Sous le gazon épais la douce fleur. Sur un chêne élevé chantait le merle, Et moi, j’avais ton cœur. Dans un brillant écrin mourut la perle. Sous le gazon épais la douce fleur. Sur le chêne élevé pleura le merle, Moi… je perdis ton cœur !

Ailleurs, ce romantisme affecte une expression plus française. On pense à des strophes de Lamartine… ou de ses disciples, en lisant cette description :

Le soleil se couchait dans sa gloire infinie,
La mer, à son baiser, se calmait, aplanie,
Sous des torrents de feu ;
Et dans l’embrasement de toute la nature,
Dans ce ciel, dans cette eau, dans ce vivant murmure,
Se sentait l’œil de Dieu !
Quand, d’un effort puissant, ta profonde pensée
Cherchait dans ces lointains, pour ton âme blessée,
Un endroit de repos ;
Lorsque, le cœur ému par la Beauté suprême,
Je répétais tout bas un splendide poème
Dans ton esprit éclos,
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N’as-tu pas ressenti dans la nuit embaumée,
Descendant lentement sur la terre enflammée,
Un singulier frisson ?
Ne te semblait-il pas que les ailes d’un ange
Produisaient dans les airs une musique étrange,
Un doux et triste son ?…

Oui, ce sont bien là les ondulations régulières. d’une calme respiration, qu’elle s’exhale d’une poitrine humaine ou d’une houle étale ; ce rythme reposant, un peu monotone à la longue, que le chantre des Méditations porta jusqu’à la perfection harmonieuse, des inspirés moins doués le transformèrent, trop souvent, hélas ! en mélodies pour orgues de Barbarie !

Mme de Tallenay a su, dans plusieurs poèmes, garder au vers lamartinien sa pureté, sa musique, sa profondeur, ainsi qu’en témoignent les pièces animées d’un souffle lyrique : Jupiter, Vision, la Prière, les Larmes du Cœur, où se glissent des sanglots contenus :

Elles s’amassent lentement,
Battant les paupières fiévreuses,
Et, sans retomber, lourdement,
Torturantes et douloureuses,
Elles retiennent la douleur
Ces terribles larmes du cœur !

Mme J. de Tallenay sait varier ses rythmes et en obtenir des effets heureux qui donnent à quel- ques-unes de ses pièces une allurè déjà plus moderne… On peut en juger par le petit morceau : La bonne Vieille, qui constitue une agréable « pièce à dire » :

Dans un coin sombre de l’église,
La bonne vieille en robe grise
Et mantelet
Egrène, en disant sa prière,
Les perles formant la filière
D’un chapelet.
Sa voix est triste et monotone,
Son dos voûté, son œil atone,
Et cependant…
Elle a dans cette solitude
De la grandeur dans l’attitude
En s’affaissaht.
Elle eut un passé de misère,
Et connut la souffrance amère
De bien des jours.
Elle eut la vision riante
D’un bonheur que son âme ardente
Attend toujours.

Perles de joies, perles d’ivoire
Portent la croix expiatoire
De mainte erreur…
L’espérance est toujours la vie :
Heureux celui qui rêve et prie
Selon son cœur..
Dans un coin sombre de l’église,
La bonne vieille en robe grise
Et mantelet
Egrène, en disant sa prière,
Les perles formant la filière
D’un chapelet.

La grande source inspiratrice de Mme J. de Tallenay est la nature ; campagnes belges et forêts du Nouveau-Monde mêlent, en son livre, leurs paysages aux évocations marines des lon- gues traversées ; l’admiration passionnée de la Nature est aussi un des signes caractéristiques du romantisme ; elle s’y nuance toujours d’une philosophie mélancolique qu’éclaire l’idéaliste rayon de la Foi.

Dans le fond, comme dans la forme, cette œuvre qui n’a été suivie, que je sache, d’aucun autre recueil de vers, appartient donc bien à l’école romantique ; j’ajouterai même que Mme J. de Tallenay est la dernière pure romantique de la poésie féminine belge.

L’influence qu’elle a subie se retrouve dans ses ouvrages en prose : Souvenirs de Venezuala, le Réveil de l’Ame, Vivia perpetua et les Treize douleurs, recueil de nouvelles où, avec une psycho- logie subtile, elle étudie les aspects multiples de la souffrance du cœur humain.

Écrivain d’une vive sensibilité, femme d’esprit distingué et cultivé, Mme Jacques de Tallenay peut être considérée comme le vivant trait d’union qui réunit l’école ancienne à l’école moderne, puisque son œuvre présente les caractères des deux périodes.

Avec Mlle Marguerite Coppin, nous retrouvons l’éducatrice ou, tout au moins, le professeur-femme de lettres, et nous découvrons, parmi quelques vestiges du traditionalisme qui a si fort imprégné ses devancières, les ébauches d’une indépendance toute moderne, les premiers souffles de l’esprit du xxe siècle.

Mlle Marguerite Coppin, née à Bruxelles, en 1867, est, par sa mère, d’origine française. L’une des premières, elle fit, en Belgique, des conférences, et elle fut longtemps la seule femme qui y portât notre ruban violet d’Officier d’académie.

Son œuvre poétique est importante. Son premier livre de vers, Poèmes de femme, parut en 1896[6]. Deux ans plus tard, elle donna une suite de poèmes, Maman[7], accompagnés de Chansons pour tous, puis, l’année suivante, le Triomphal Amour, et, enfin, en 1911, les Nouveaux Poèmes[8], qui obtinrent un bon succès de presse et affirment, en une forme plus châtiée, les dons de l’auteur.

Par ces diverses œuvres, on peut aisément constater que Mlle Coppin sait, en dépit de l’entrave des règles prosadiques, sauvegarder l’élan, l’indépendance de la pensée et affirmer, par endroits, une force, une vigueur d’accent qui manque complètement à Mlle Leroy. Ainsi que Mme Hélène Swarth, en Hollande, Marguerite Coppin osa, la première, énoncer dans ses vers que la vie de la femme est enclose dans la route d’amour :

La tâche de la femme est d’aimer, simplement.

Plus que ceux qui souffrent par la faute de la passion, elle plaint ceux dont la vie en est privée, les Pauvres, ainsi qu’elle les appelle :

Je me sens parfois d’étranges tendresses
Pour les pauvres gens qui n’ont pas d’amour !
Je voudrais pouvoir, en flots de caresses,
Tout leur révéler au soir d’un beau jour.

Elle veut que l’amour soit ardent, excessif :

Tout luit, tout vibre, tout s’enfièvre ;
C’est sur le coloris ardent :
Rouge et chaud — ou corolle ou lèvre
Un air passionnel, mordant…
Je suis là. Ma chair est brûlée ;
Mes yeux sont éblouis, l’encens
Qui vient de la terre affolée
Monte pour mieux troubler mes sens…

- Elle aussi est exclusive et excessive ; elle s’engage toute :

Je vis cloîtrée en ta pensée ;
Plus ne m’est rien, rien ne m’est plus.
La via âpre et folle et pressée
Autour de moi bat vainement son noir reflux.
Ah ! cachons notre amour ! que son arôme ailé
Ne s’exhale pour nous qu’en secret, plus intense.
Comme pieusement, en un flacon scellé,
Nous gardons le trésor merveilleux d’une essence.

Parce que son amour est vrai et désintéressé, il sait se faire humble :

Si vous ne pouvez pas être toute son âme
Soyez un coin du cœur, un rappel de l’esprit,
Car nous sommes ainsi : pour l’amour d’une femme
Rien n’est trop grand, rien trop petit…

Cette force, cette générosité de son amour lui permettront d’accepter sans révolte, de défier la douleur possible de l’abandon. N’est-ce pas, selon elle, être déjà une élue que de respirer la divine fleur ; lorsque celle-ci laisse nos âmes veuves de sa caresse, nous ne perdons rien de la douceur, de la gloire de l’avoir tenue entre nos doigts.

N’est-ce donc pas assez d’avoir connu l’amour !
N’avez-vous pas goûté l’orgueilleuse douceur
De pleurer sur la joie et la douleur mortelles ?
Et si l’amour, demain, devait fuir — oh ! pardon,
J’ai peur de t’offenser, dieu cher que je blasphème !.
Le parfum de la fleur embaumerait mes jours
Et du souvenir doux et cher de mes amours
Je ferais du bonheur, encor, sans anathème !…

Aimer, selon elle, vaut mieux que d’être aimée. L’ivresse vraie, c’est donner, non recevoir :

Mais aimer, c’est verser à pleines mains ravies…
Quand on aime, on se donne, ô pauvres fous humains !
On donne sans compter, sans peser, sans attendre
Qu’on vous offre en retour ; et, d’amour, emporté
On s’oublie…

S’oublier, en effet, une grande parole l’affirme, c’est le secret du bonheur…., d’un bonheur qui n’est point, il est vrai, accessible aux âmes de qualité inférieure.

Les théories mises en pratique par Mlle Coppin nous renseignent sur la valeur de son âme. Ses cris de passion absolue et touchante rappellent ceux de notre Marceline Desbordes-Valmore, héroïne de l’abnégation amoureuse.

Ses vers sont imprégnés de cette force ardente et sereine qui soutient les cours dans la lutte et leur donne la victoire. Au cours des pages, on se rend compte qu’une foi vive, éclairée, n’est pas étrangère à ce stoïcisme. L’honneur et la foi sont les deux ailes qui soutiennent l’être humain au-dessus des tentations et des fanges, qui l’élèvent vers l’idéal sauveur :

Que ton Honneur, sans blâme ou tache,
Te soutienne devant l’humain !
Qu’il soit ton témoin, sans relâche,
Le bâton d’appui dans ta main.

Et que ta Foi soit cette force
Qui jamais ne peut s’épuiser,
Sève de l’arbre sous l’écorce,
Ame de feu dans le brașier.

Comme la plupart des femmes artistes qui ont souffert, Marguerite Coppin se console souvent par la contemplation du Beau qui, en dépit des déceptions et des douleurs éprouvées, la rattache à la vie :

Et la vie est un don puisqu’elle accorde à l’être
Ces immenses pouvoirs : amour, création.
La vie est un trésor pour qui la peut connaître,
La vie est pure et grande en sa rédemption.

Mais Marguerite Coppin possède un autre refuge, plus proche, plus effectif contre le mal : son amour filial si délicatement, si fervemment chanté dans le recueil intitulé Maman :

Maman, je suis si lasse, et du monde — et de moi,
Viens, dis ! Tu chanteras, tu parleras, je pense.
Viens, je me réfugie en ta chère présence :
On respire la paix dans l’air autour de toi…
Maman, je suis bien lasse et je ne sais pourquoi !
La vie est dure ; hier, elle était aussi dure…
Je perds pied quelquefois ; la voie est vague, obscure,
Je doute de la voie et je doute de moi.
Mon courage est réel, mais qu’il faut de courage !
Travail-travail et peine
travail et peine et je n’ai que mon âge…
Il semble si longtemps à vivre encor ? Tais-toi,
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Maman, si je me plains, c’est que je suis si lasse !
Ne dis plus rien, veux-tu ? Mais donne moi ma place
Sur tes genoux comme un enfant qui pleure-et berce-moi !

Laquelle d’entre nous ne se ferait pas l’écho de ces cris de tendresse et de dévotieuse reconnaissance ?

Ma mère, en toi je vois et je comprends la mère Et je t’adore mieux d’être ma mère à moi.

Les mots d’amour sont doux ; et j’ei souvent eu foi
Dans plus d’un cœur… Plus tard, on trouve sa méprise :
Le seul Amour vivant quand l’Amour agonise,
C’est Toi !

Laquelle d’entre nous, encore, ne sentira ses yeux se mouiller en lisant ces quatrains de Ta M ain ?

Ce matin j’ai pris dans ma main
Ta pauvre main, ta main si chère.
Elle me fut si douce, mère,
Si douce, le long du chemin…

J’ai pleuré de l’âpre misère
Qui creusa sous son scalpel fin
Ces rides — si nobles, ma mère !
Si tristes, dans ta pauvre main.

J’ai pleuré les doigts de satin
Qui jouaient dans mes doigts.
La vie a passé, pauvre mère,
La vie a passé sur ta main…

Je ne connais guère, sur ce thème, que le livre — portant le même titre, d’ailleurs — publié par Mme Lucie Delarue-Mardrus qui puisse être comparé à celui de Mlle Coppin, quant à la sincérité. de l’émotion.

Marguerite Coppin a, en effet, le don d’émouvoir, don devenu fort rare depuis que, dans la poésie, l’artifice et le snobisme ont remplacé le jet primesautier du cœur, depuis qu’on sacrifie les trésors de la pensée à « l’amas d’épithètes » blâmé par La Bruyère, et aux jongleries de la forme…

La note d’intimité douce, que j’ai indiquée comme l’une des caractéristiques de la poésie belge, se révèle en ce cycle. et se retrouve en d’autres parties de l’œuvre, notamment dans les Chansons pour tous et dans les Esquisses d’intimité des Poèmes de femme.

Et c’est bien là où je m’imaginais la voir vivre, à travers ses stances, que j’ai trouvée, un jour, Marguerite Coppin, près de la chère Maman aux cheveux blancs et aux jeunes yeux bleus…

C’est le rayon qui fait l’étoile,

dans une calme et déserte rue du vieux Bruges, à l’ombre du Beffroi dont :

Le flot des notes d’argent clair De toits en toits saute et crépite,

égrenant dans les airs :

Un refrain vieillot, pimpant, Tout embaumé de marjolaine Que chantaient les bergers d’antan Dans la plaine.

Elle est demeurée longtemps dans cette retraite, vouée à sa tâche de professeur, demandant à la poésie les éclaircies de sa vie monotone et laborieuse.

Puis, la tourmente est venue. Elle a préféré, pour la maladive Maman vieillie, l’exil à l’invasion ennemie. La fraternelle hospitalité d’amies anglaises a décidé les deux femmes à passer la Manche. Et c’est sur la terre étrangère, mais point dans la solitude, que « le meilleur amour » de Marguerite Coppin lui a été ravi…

Et la Brugeoise au cœur endeuillé n’a point voulu, malgré la paix revenue, retourner seule en sa patrie. Elle s’est fixée en Angleterre, rompant, presque tous liens avec sa vie ancienne, rimant encore pour sa satisfaction personnelle, et se plongeant volontiers dans les mystères de la philosophie et de la théosophie.

L’inspiration de Marguerite Coppin ne devrait pas, si tôt, se tarir. Elle est spontanée, sincère, émouvante, elle a d’heureuses trouvailles d’idées et de mots. Sans doute, l’auteur n’a pas toujours su travailler assez ses vers — c’est le défaut des poètes qui écrivent avec facilité — ; on pourrait lui reprocher aussi une certaine banalité dans les rimes, quelques délits prosodiques, voire grammaticaux, et, ça et là, des mots impropres qui ont provoqué l’emploi du terme « style belge » dont nos voisins sont vexés, à juste titre. C’est tout simplement du français incorrect, et, hélas ! on en trouve des exemples aussi bien en France qu’en Belgique ; mais il y a, en somme, beaucoup plus à louer qu’à blâmer dans cette œuvre sympathique et féconde.

La philosophie, d’ailleurs, en est élevée, sereine, altruiste ; elle pourrait se résumer en ces deux strophes, glanées en deux pages voisines :

Ô sortons un instant de nos étroits chagrins !
Je voudrais que mon cœur, trop grand pour ma poitrine,
S’élargissant encore à tous les mots humains,
Pût gagner le port sûr de la pitié divine !

. . . . . . . . . . . . . .

Bannissez le mot glacé : Moi ! »
Ouvrez votre âme à tout émoi.
Que tous les fiers élans soient vôtres !
Bannissez le mot cruel : « Moi ! »
Prenez pour devise : « Les autres ! »

Comme cet enseignement devient de plus en plus utile aujourd’hui !

Outre un livret d’opéra, Ambiorix, Mlle Coppin a également composé des ouvrages en prose, plusieurs romans, dont l’un obtint le premier prix de l’Union littéraire, des Contes historiques qui lui valurent une médaille d’argent à l’Exposition de Liège, et d’importantes, traductions de l’anglais.

Dans sa prose, comme dans ses vers, on est tenté d’oublier les négligences et les imperfections de la forme devant le beau souffle humain et féminin qui anime la pensée.

Marguerite Coppin ne peut être oubliée dans l’histoire de la littérature féminine en Belgique ; elle y gardera une excellente place à cause de son tempérament poétique ; elle est, avant tout, une instinctive ; elle laisse, dans ses œuvres, l’empreinte personnelle d’une âme et, je ne crains pas de le répéter, d’une âme aux qualités supérieures.

Dans la période de 1880 à 1890, deux femmes seulement jouèrent, dans les régions flamandes, un rôle littéraire et social d’une certaine importance. Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/167 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/168 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/169 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/170 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/171 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/172 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/173 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/174 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/175 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/176 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/177 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/178 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/179 Page:Berger - Les Femmes poetes de la Belgique.djvu/180

Ce Déménagement campagnard laisse une place à l’idylle ! Trienne, la fille du fermier, se brouille avec son fiancé, Themis, mais, à la faveur des fêtes de la crémaillère, un rapprochement s’opère et tout s’arrange dans un rayon de soleil.

Une telle œuvre est déformée par la transcription qui la prive de la cadence prosodique ; comment donner une idée juste de son charme et de sa couleur ? De même, une légende bas-bretonne ou un récit provençal perdent la majeure partie de leur saveur à travers notre français correct et loin du décor local qui les a vus éclore. Que reste-t-il d’un lampyre ou d’une luciole, petites étoiles terrestres de la nuit campagnarde, après un instant d’emprisonnement dans notre main ?

Par Mlle Belpaire et par Hilda Ram qui eût pu donner de nouvelles œuvres si elle n’était morte prématurément, en 1901, nous voyons donc se continuer la tradition flamande : produire une œuvre utile et moralisatrice dans une forme simple, mais artistique par sa vérité même, ainsi mise à la portée du peuple aussi bien que de l’élite.

L’auteur des Feuilles de trèfle du champ de la vie n’a-t-elle pas résumé sa « conception de l’être et du devenir » en ces quelques lignes :

« Heureux celui qui a une tâche à accomplir, — un fardeau à porter !… celui qui sait où il va…, qui, toujours, aux autres songe — en s’oubliant soi-même !… celui-là, du moins, ne s’affaisse pas, douloureusement, même s’il soupire souvent, — car, si sombre que soit sa vie, — une lumière y brille pour lui… Son renoncement lui affermit le cœur et le maintient fort et droit, — bien qu’en son humilité il se juge un serviteur inutile. »

Ce n’est sans doute pas là l’une des théories modernes du droit à la vie et au bonheur où chacun vise à son propre « épanouissement » et à ses joies personnelles, fût-ce au détriment du voisin !

Les poétesses belges, qu’elles soient représentées par une Françoise Leroy et une Marguerite Coppin, ou par une Mlle Belpaire et une Mathilda Ramboux, témoignent donc d’un penchant très louable pour l’altruisme. On ne peut que les en apprécier davantage.


  1. Les conférences d’Émile Deschanel développèrent, dans son auditoire féminin, le goût de la culture intellectuelle.
  2. Les lettres belges (Revue latine, 25 septembre 1908).
  3. Voir le chapitre précédent, page 64.
  4. Lebègue et Cie, édit., Paris et Bruxelles (1880 et 1890).
  5. Ollendorf, édit., Paris.
  6. Imprimerie Popp (Bruges), orné d’un portrait de l’auteur par G. Pickery, fils.
  7. Imprimerie M. Bouchery, Ostende.
  8. Id.