Les Femmes (Carmontelle)/Chapitre 15

Delongchamps (tome Ip. 121-128).


CHAPITRE XV.

La Fausse.

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Le lendemain Saint-Alvire vint retrouver Dinval. « Eh bien ! lui dit Dinval, votre souper, comment a-t-il réussi ?

— À merveille.

— Comment ! à merveille ?

— Oui, nous avions madame de Nercin et madame de Merville qui ne peuvent pas se souffrir, et puis madame d’Orlas qui s’est moquée de toutes les deux.

— Fort bien ?

— Elle a été délicieuse ! elle a plaisanté la dignité de madame de Merville avec beaucoup d’esprit et l’air prévenant, affable, presque de désir de madame de Nercin, malgré la dentelle noire de ses chapeaux. Elle a ajouté que toutes les manières, les airs, les finesses étaient autant de soins perdus vis-à-vis des hommes, parce que s’il y en a qui d’abord ne devinent pas, ils finissent toujours par trouver des amis, quelquefois même des femmes, qui les instruisent de tout ce que l’on est, de tout ce que l’on fait.

— Et que disaient les deux autres dames ?

— Elles faisaient de grands éclats de rire pour cacher leur dépit, et elles s’écriaient : Madame d’Orlas est toujours charmante ! mais dans le fond elles étaient furieuses contre elle, parce que nous nous amusions infiniment de leur embarras.

— Cette madame d’Orlas doit être très-piquante.

— On la dit infiniment aimable.

— Vous paraît-elle franche ?

— Elle se pique, dit-on, de l’être.

— Si elle s’en pique, il ne faut pas s’y fier.

— Pourquoi donc ?

— Parce qu’elle ne le fait peut-être que pour tendre des pièges, ou pour empêcher de donner prise sur elle.

— Vous le croyez ?

— D’ailleurs il faudrait un peu causer avec elle pour savoir ce qu’elle vaut.

— C’est ce que j’ai fait.

— Eh bien ?

— Elle m’a paru charmée d’avoir un peu mortifié ces deux dames, parce qu’elle leur devait cela depuis longtemps. Elles ne peuvent pas se souffrir, me dit-elle, parce qu’elles ont eu des raisons de s’en vouloir. Au sujet de quelques hommes, lui ai-je dit : Monsieur, vous êtes curieux, a-t-elle repris.

— Et quels torts ont elles voulu faire à madame d’Orlas ?

— Celui, à ce qu’elle m’a dit, de vouloir lui donner des hommes qu’elle connaissait à peine, et à qui elle n’avait jamais pensé.

— Je crois, d’après tout ceci, qu’elle ne serait pas fâchée de vous détacher de ces deux dames-là.

— J’aurais assez envie de le croire.

— Que risquez-vous de faire quelques démarches auprès d’elle ?

— Moi ! rien du tout, et je trouve qu’elle me conviendrait assez si elle est réellement franche.

— Qu’elle soit franche ou non, peu vous importe.

— Vous voulez que je m’expose encore à être trompé ?

— Quel malheur y aurait-il ! ne l’avez-vous pas déjà été ?

— Que trop !

— Effectivement, je vous trouve bien à plaindre. Au reste, vous ferez comme vous avez déjà fait bien des fois.

— Comment donc ?

— Vous vous consolerez.

— Vous vous accoutumez un peu à rire de mes malheurs.

— Quand vous cessez de les sentir, et que vous les oubliez, dois-je continuer à m’en affliger ?

— Croyez que je sens trop tout ce que je vous dois pour penser jamais à vous rien reprocher. »

Au bout de quinze jours Saint-Alvire vint retrouver Dinval. « Eh bien, lui dit Dinval, madame d’Orlas est-elle aussi franche réellement qu’elle veut le paraître ?

— Sa franchise consiste à dire tout ce qui lui passe par la tête ; mais sa conduite est très-mystérieuse, elle affiche le caprice quelquefois, et même l’étourderie, suivant les occasions, pour faire tout ce qui lui plaît, et avoir toute la liberté dont elle veut jouir.

— On peut tirer parti de ce caractère là.

— Aujourd’hui, vous vous croyez le mieux du monde avec elle, vous attendez le lendemain avec la plus vive impatience, elle vous a même promis de ne laisser entrer que vous chez elle, vous vous croyez tout prêt du bonheur, vous y volez, on vous dit qu’elle est sortie il y a plus d’une heure.

— C’est qu’un autre vous a sûrement prévenu.

— Voilà ce qui m’est arrivé.

— Réellement.

— Le lendemain de notre souper ne la trouvant pas, je m’en allai à l’Opéra. Vers la fin du spectacle, je rencontrai le chevalier de Rougrois, qui me fit l’éloge de madame d’Orlas, en me disant qu’il avait passé chez elle tout l’après-dîner.

— Et lui en avez-vous fait des reproches à elle ?

— Bon ! elle m’a grondé en me disant qu’elle m’avait attendu, et qu’il fallait que ce fût la faute de son suisse si je ne l’avais pas vue, qu’elle n’était pas sortie de la journée ; et le soir même, on l’a vue à la comédie italienne.

— Dans tout cela, je ne vois rien d’affligeant.

— Quand on ne s’en soucie pas.

— Même en s’en souciant.

— Il est agréable de s’occuper d’une femme sur laquelle on ne saurait compter ?

— Et pourquoi y compter ?

— Vous ne voulez pas…

— Non monsieur, il faut vous conduire avec une femme, d’après son caractère ; c’est-à-dire d’après celui qu’elle vous montre et non pas d’après le vôtre.

— Vous ne voulez donc que des attachemens légers ?

— Je veux des amusemens, des goûts, des goûts passagers lorsqu’on ne peut pas trouver autre chose dans une femme. Si au contraire, vous lui montrez des tourmens, des douleurs, du désespoir, elle en sera bien enchantée, mais ce sera pour se vanter de vous avoir tourné la tête, et elle finira peut-être par en plaisanter, et par rendre aux yeux de tout le monde votre conduite pitoyable et ridicule ; je ne dis pas que cela arrive ; mais rien n’est plus à redouter que le ridicule.

— Je ne le crains pas avec elle.

— Pourquoi donc ?

— Parce que je renonce au désir que j’ai pu avoir de lui plaire, et que dès ce moment je vais m’occuper d’une autre femme. »