Les Femmes (Carmontelle)/Avant-propos

Delongchamps (tome Ip. i-vi).

AVANT-PROPOS.


J’ai toujours professé une estime particulière pour le talent de Carmontelle ; plus d’une fois ses proverbes m’ont fourni l’idée d’une situation dramatique, d’une scène piquante, ou même d’une comédie tout entière.

Des circonstances particulières ayant fait passer dans mes mains une partie des manuscrits de Carmontelle, j’ai cru devoir les livrer au public, et je saisis cette occasion de payer un juste tribut d’éloges à sa mémoire.

Carmontelle était doué d’un esprit observateur, plein de finesse, de tact, de pénétration. Placé au centre d’une société brillante, il avait bien vu le monde, et dans ses esquisses légères il en a souvent retracé avec naturel les ridicules.

Au talent de mettre en scène les petits travers de la société, Carmontelle en joignait un autre non moins aimable. Il dessinait avec goût et facilité. Il excellait surtout dans l’art de faire le portrait et de saisir l’air, le maintien, l’ensemble de son modèle. Il s’était formé un album curieux sur lequel figuraient tous les personnages célèbres de son époque, les savans, les gens de lettres, les jeunes seigneurs, les femmes surtout, et celles de la ville comme celles de la cour.

Cette facilité à faire des portraits ressemblans dans l’ensemble, bien qu’inexacts dans les détails, lui suggéra l’idée de pousser plus loin ses essais. Il entreprit de composer une autre galerie de portraits, espèce d’album moral où le caractère fût peint avec assez d’exactitude pour qu’on le reconnût comme la figure.

Carmontelle, pour rendre son ouvrage intéressant, lui donna une forme dramatique, et en lia les diverses scènes par une légère intrigue. Les portraits qu’il a tracés sont tous frappans de naturel et de vérité. Son observation est vive et franche ; on peut la trouver parfois superficielle et légère, mais jamais elle n’est fausse. On reconnaît à chaque instant dans Carmontelle l’homme qui a étudié les femmes, et qui connaît leur esprit et leur cœur.

On pourra lui reprocher peut-être d’avoir introduit dans ce roman un ton de licence qui ne se trouve dans aucun autre de ses ouvrages. Certes il eût pu présenter les femmes sous d’autres couleurs, ou tout au moins ne les peindre qu’en buste. Mais il faut ici faire la part de l’époque et de la société au milieu de laquelle il vivait. Le règne de Louis XV et de madame Du Barry n’était pas celui des bonnes mœurs, et l’on ne peut faire un crime au peintre de la vérité de ses tableaux.

Mais plusieurs des portraits de Carmontelle n’ont point vieilli. La Coquette, la Dévote, l’Inconséquente seront de tous temps, et le lecteur en parcourant cette galerie, reconnaîtra plus d’une fois des personnages de sa connaissance.

Je m’abstiendrai de faire l’éloge du roman des Femmes : l’auteur a excellé dans un genre dont il fut l’inventeur, et qui exige un talent plein de variété. Son roman se distingue par les mêmes qualités et les mêmes défauts que ses Proverbes dramatiques. S’il obtient un égal succès, je n’aurai qu’à m’applaudir de sa publication.


PICARD.