Traduction par Edmondo Fazio alias Edmond Fazy.
E. Sansot (p. 67-70).

41. — NE RÉVEILLONS PAS TROP LE CHAT QUI DORT ![1]

Un sacristain, nommé Allewelt (Tout le Monde), exerçait son métier dans un couvent de filles. Malheureusement, les nonnes affectaient de se suffire à elles-mêmes.

Émoustillé par le printemps, Allewelt a une idée : profitant du ramonage, il guette l’instant où l’abbesse, le nez dans un poële, examine l’ouvrage fait, introduit sa tête dans l’orifice opposé du tuyau, et clame, d’une voix d’ange annonciateur :

— « Nonnes, écoutez le commandement du Seigneur ! Et toi, l’abbesse, reviens, cette nuit, à la même place ! »

L’abbesse tombe à genoux. Les nonnes aussi.

Voici la nuit. L’abbesse se remet en position, le nez dans le poële. Toutes les nonnes, en chemise, attendent, blotties, par couples, au fond de la salle immense. L’obscurité est complète. L’abbesse dit :

— « Parle, ange du Seigneur ! Tes servantes écoutent. »

Le sacristain répond, la tête dans le tuyau :

— « Le Seigneur veut que tout le monde couche avec vous ! Il faut obéir, dès demain. Allez en paix ! »

L’abbesse, la prieure et les plus anciennes d’entre les nonnes passent le reste de la nuit à délibérer. Il s’agit sans doute de donner naissance à un évêque, ou à un Pape. Mais le Seigneur est trop bon pour imposer à ses pieuses servantes le coït de tous les mâles d’ici-bas. Il doit y avoir, dans les paroles de l’ange, un sens caché.

Une voix mutine s’écrie :

— « J’ai trouvé ! »

C’est la plus jeune des nonnes qui prennent part au conseil. Elle s’explique :

— « Notre digne sacristain se nomme Allewelt (Tout le Monde). Quelque chose me dit »…

L’abbesse, la prieure et toutes les nonnes battent des mains :

— « Ça y est ! Dieu a choisi Allewelt pour procréer en l’une de nous le Pape idéal ! Commençons à nous dévouer ! »

Là-dessus, l’abbesse mande le sacristain, révèle à ce rusé paillard, qui ouvre de grands yeux, la glose de la jeune sœur, puis le mène dans la chambre des prélats visiteurs, et l’invite à se déshabiller.

L’abbesse passe la première, comme il sied à son rang. Elle reste une heure en compagnie d’Allewelt. Elle dit, à son retour :

— « L’élu du Très Haut m’a réjoui le cœur par ses exhortations réitérées. »

La prieure a le numéro deux. Elle reste une demi-heure en compagnie d’Allewelt. Elle ressort, en chantant :

— « Dieu vivant, nous louons ta puissance ! »

Le numéro trois et le numéro quatre reçoivent la manne céleste, à leur pleine satisfaction.

Mais le sacristain déchante. Il n’en peut plus. Il ouvre la porte, montre sa lassitude, et supplie :

— « Assez pour aujourd’hui ! La suite à demain »…

Vaine prière. Le couvent est en chaleur. Une troupe de nonnes toutes nues s’engouffre dans la chambre miraculeuse.

Allewelt en mourut.

  1. Livre III, 27. De ædituo fabula.