Les Fables du très-ancien Ésope (trad. Corrozet)/Du regnard et du corbeau


Traduction par Gilles Corrozet.
Les Fables du tres-ancien EsopeLibrairie des bibliophiles (p. 27-28).


Ne croire la louange des flateurs.

Flateurs sont tousjours bien venus
Vers ceulx qui ayment leur louange :
Mais, quand la fortune se change,
Ilz sont pour ennemys tenus.


DU REGNARD ET DU CORBEAU.

Fable XI.


Ung noir Corbeau dessus ung arbre estoit
Et en son bec ung fromaige portoit
Qu’il avoit pris ; ung Regnard, d’adventure,
Passoit par là qui cherchoit sa pasture,
Et, en voyant le Corbeau et sa proye,
La convoita, puis s’arreste en la voye,
Et, en louant fainctement le Corbeau,
Dict : « Mon amy, que ton plumaige est beau !


J'apperçoy bien à ceste heure que non
Est vray le bruict et le commun renom :
Car chascun dict que noir est ton plumaige,
Mais il est blanc, voire blanc d’avantaige
Que neige n’est, ne le laict, ne les cignes.
J’en recognois bien maintenant les signes.
Sy donc avec tes plumes tu avois
Le chant plaisant et delectable voix,
Certes, amy, je te jure ma foy
Que tu serois sur tous oyseaulx le roy. »

Lors le Corbeau, esmeu de gloire vaine,
Ouvre le bec, et de chanter prend peine,
Et le fromaige alors chet promptement.
Regnard le prend, et fuyt soubdainement.
Le Corbeau crie en se voyant deceu :
« Je suis trompé, je l’ay bien apperceu,
Et cognois bien qu’on ne doit jamais croire
À ung flateur qui donne vaine gloire. »