Les Fables du très-ancien Ésope (trad. Corrozet)/De l’aigle et de la corneille

Pour les autres éditions de ce texte, voir De l’Aigle et de la Corneille.

Traduction par Gilles Corrozet.
Les Fables du tres-ancien EsopeLibrairie des bibliophiles (p. 25-26).


Ne croire faulx conseil.

Qui pour son prouffit seulement
Conseille aultruy, il n’est à croire,
Et qui le croit finallement
Se trompe et dechet de sa gloire.


DE L’AIGLE ET DE LA CORNEILLE.

Fable X.


Ung Aigle avoit prinse une huistre à l’escaille,
Et ne pouoit la rompre ne casser
Par son effort, mais la Corneille malle,
Qui à tromper ne faisoit que penser,
Dict : « Sy tu veulx ton escaille froisser,
Volle bien hault, laisse la cheoir en terre,
Il ne fauldra jamais recommencer,
Car en tumbant rompra sur ceste pierre. »


Fut dict, fut faict. L’Aigle prend sa vollée
Tout au plus hault, puis laisse en terre basse
L’huystre tumber ; sy viste est dévalée
Contre le roch qu’en deulx elle se casse.
Mais la Corneille incontinent amasse
L’huystre qui est dehors de sa coquille.
Par quoy de dueil quasi l’Aigle trespasse,
En menassant la Corneille subtille.

Il ne fault pas croire sy de legier,
N’adjouster foy à tout conseil qu’on donne ;
Sy par conseil tu veulx ton faict renger,
Avant que faire, advise la personne
Qui te conseille, et de ton cas ordonne :
Car maintenant chascun conseille aultruy
Sy fainctement que qui s’y habandone
Void son dommaige en fin tumber sur luy.