Librairie Plon (1p. 222-224).


XI


Quelque temps après, elle appela une de ses pucelles, nommée Saraide, qui était belle, sage et courtoise, et l’envoya, après lui avoir dit ce qu’elle y aurait à faire, en la cité de Gannes.

Le roi Claudas y tenait sa cour le jour de la Madeleine, comme il avait accoutumé chaque année. Il était assis à son haut manger avec toute sa baronnie et son fils Dorin, un beau et fier valet qu’il venait d’armer chevalier, lorsque Saraide entra dans la salle, tenant deux lévriers par leurs chaînes qui étaient d’argent ; et elle dit si haut qu’elle fut bien entendue de tous :

— Roi Claudas, Dieu te sauve ! Je te salue de par la meilleure dame qui soit. Et jusqu’à ce jour elle t’a prisé plus qu’homme au monde ; mais elle a entendu dire de toi certaines choses qui lui font craindre que tu n’aies pas seulement la moitié du bon sens et de la courtoisie que l’on croyait.

— Demoiselle, soyez la bienvenue, répondit le roi en souriant, et que votre dame ait bonne aventure ! Mais peut-être lui avait-on dit plus de bien de moi qu’il n’y en a. Apprenez-moi pourtant ce que je fais mal, selon vous.

— Je vous le dirai, reprit la demoiselle. N’est-il pas vrai que vous tenez en prison les deux fils du roi Bohor de Gannes ? Ils ne sont pourtant coupables de nulle félonie, et rien n’a si grand besoin qu’un enfant de douceur et de pitié : ha ! il n’a guère de bonté celui qui se montre envieux ou mauvais envers des enfants ! Et sachez qu’il n’est pas un homme sous le ciel qui, apprenant que vous traitez ainsi les fils du roi Bohor, ne soit persuadé que vous comptez quelque jour les faire mourir, et qui pour cela ne vous haïsse de cœur. Si vous étiez courtois, ils seraient ici auprès de vous, atournés en fils de roi, et vous en auriez grand honneur, car chacun dirait que vous êtes un gentil prince, qui traite les orphelins honorablement et leur garde leur terre.

— Par Dieu, vous dites vrai, demoiselle ! répondit Claudas.

Et il donna l’ordre à son sénéchal d’aller quérir sur-le-champ les enfants et leurs maîtres, et de mener avec lui, par honneur, un cortège de chevaliers, de sergents et d’écuyers, tel qu’en doit avoir qui va chercher des fils de roi.