Dridri (première édition 1853)
Traduction par J.-E. Voïnesco.
Les DoïnasJoël CherbuliezLittérature roumaine (p. 94-96).




XXXI

DRIDRI


Celui qui n’a pas vu et n’a pas connu Dridri, l’oiseau vif et joyeux, celui-là, par mon Dieu et par mon âme ! n’a rien vu dans ce monde.

Elle était jeune et gracieuse, vraie Parisienne aux mille enchantements ; sa petite bouche, fraîche comme un œillet, renfermait un trésor de doux baisers.

La franche gaieté qui ranime le cœur brillait dans ses yeux comme un soleil ; elle inspirait la joie et l’amour, car son âme était une âme d’artiste.

Mouvements gracieux, gaies chansons, allure vive, tout la faisait ressembler à une fleur ailée qui volerait dans l’air comme un colibri.

Qui ne l’a vue, qui ne l’a suivie à la promenade des Champs-Élysées ! Qui ne l’a suivie et l’a aperçue de nouveau sans désirer être aimé d’elle !

Certes, Paris est grand et il possède dans son écrin bien des beautés, bien des bijoux ; mais jamais Paris n’a possédé et ne possédera jamais une pareille beauté, un bijou pareil.

Bien des Parisiennes savent gaiement chanter et ravir leurs amants au sein des banquets nocturnes ; mais en fût-il jamais qui sût, aussi bien que Dridri, vider la coupe du plaisir en l’honneur de l’amour ?

Elle vint au monde pendant un carnaval, comme une bonne nouvelle, et, depuis, se riant de la mort et des mauvaises destinées, elle chantait ainsi sur les flots du monde :

« La vie passe rapidement ; l’amour est un soleil qui éclaire le cours de la vie. Ô vous, qui traversez le pays de la belle jeunesse, marchez, comme moi, le front dans la lumière !

« Le ciel bienheureux nous a envoyés ici-bas pour voyager ensemble, et nous a donné le sentiment, le désir du bonheur, et une âme ardente pour nous aimer.

« Mon cœur est plein d’amour et de lumière : il veut aimer jusqu’à la mort. Mon âme est toute radieuse… le paradis s’ouvre devant elle… Accourez tous à la voix de la joyeuse Dridri. »

Ainsi chantait, de sa voix harmonieuse, la chère enfant insouciante. Hélas ! elle croyait à l’amour et à ses illusions, comme à des biens célestes et infinis.

Elle ignorait qu’ici-bas la mort atteint de préférence le nom le plus doux, la plus tendre fleur, le vœu le plus suave, et les fait soudain disparaître comme un éclair passager.

Sous une croix funéraire la jeune artiste repose maintenant toute seule : seule et silencieuse, elle est perdue dans un coin du monde, sous la terre noire.

Beauté, jeunesse, gaieté, pouvait-on croire que vous péririez si tôt !… Hélas ! quoiqu’elle ait disparu à nos yeux, personne ne veut croire à la mort de ma chère Dridri.