Voilà de ses deux voix le dialogue étrange :
PREMIÈRE VOIX
Jeune enfant, lys plein de candeur,
Que ton sort est digne d’envie !
Ah ! pour garder toute la vie
La paix qui règne dans ton cœur,
Sois comme la fleur isolée
Cachant au fond de la vallée
La fraîcheur de son sein de miel :
Trésor de grâce et de mystère,
Qui reste ignoré de la terre
Et ne s’ouvre que pour le ciel !…
DEUXIÈME VOIX
Enfant, dont la Muse divine
A baisé le front inspiré,
Ne sens-tu pas dans ta poitrine
Résonner le souffle sacré ?
Enfant, ne sens-tu pas ton être,
Brûlant de l’ardeur de connaître,
Tressaillir d’élans ingénus ?…
À toi l’espace !… et que ton âme
S’élance d’un essor de flamme
Vers les horizons inconnus !…
PREMIÈRE VOIX
Entends-tu ces accents doux comme la prière
Que murmure une vierge au seuil du sanctuaire ?
C’est l’Angelus lointain… Puisse ton cœur pieux
Ne répondre jamais qu’à cette voix des cieux !…
DEUXIÈME VOIX
Entends-tu cette immense et profonde harmonie ?
C’est l’écho prolongé des lyres du génie…
Heureux l’homme qui peut, marqué du sceau divin,
Sans effroi les touchant d’une puissante main,
En tirer des accords que l’univers admire !
PREMIÈRE VOIX
Sur la pelouse en fleurs qui frissonne et soupire,
Vois cette source claire aux flots purs et tremblants
Ou viennent les ramiers mirer leurs cous si blancs
Dans le creux du vallon, son onde au cours fidèle
Va se perdre ignorée… Heureux qui peut comme elle
Auprès de son berceau voir son destin finir,
Et, sous le bois natal, vivre obscur et mourir !…
DEUXIÈME VOIX
Vois ce torrent fougueux redouté des campagnes,
Comme un géant des airs, descendant des montagnes
Sublime dans sa libre et fière majesté,
Il roule impétueux, fort, rapide, indompté ;
Chacun de ses élans semble ébranler la terre ;
Les éclats de sa voix grondent comme un tonnerre,
L’humble écho de ses bords, frappé de sa grandeur,
L’écoute en frémissant. Et lui passe, vainqueur,
Jetant au vent du ciel l’écume de la lutte…
PREMIÈRE VOIX
Mais un gouffre l’attend…
DEUXIÈME VOIX
Mais un gouffre l’attend…Magnifique est sa chûte !
PREMIÈRE VOIX
Heureux, trois fois heureux l’homme au cœur ingénu
Qui vit simple, modeste, et n’a jamais connu
Que le foyer paisible et le Dieu de sa mère !
Ses jours couleront purs comme un flot solitaire…
DEUXIÈME VOIX
Bienheureux mille fois le barde audacieux
Que l’aile du génie emporte dans les cieux :
La gloire lui réserve un brillant diadème,
Et la gloire pour l’homme est le bonheur suprême
PREMIÈRE VOIX
Toute couronne est lourde, et le bandeau royal
A brisé sous son poids plus d’un front triomphal.
DEUXIÈME VOIX
Le mortel couronné s’égale à Dieu lui-même :
Comme Dieu ceint l’éclair, il ceint le diadème.
PREMIÈRE VOIX
Dans ton doux nid de mousse, où rit un jour vermeil,
Reste, heureuse colombe, au fond de la vallée…
DEUXIÈME VOIX
Jeune aiglon, prends ton vol à la voûte étoilée ;
Monte à travers la nue au palais du Soleil !…
PREMIÈRE VOIX
Mais la nue en ses flancs renferme la tempête…
DEUXIÈME VOIX
La foudre est le coursier de l’aigle et du poète !…
III
Ainsi chantaient ces voix, et moi naïf encor
Je me laissais bercer à cet étrange accord…
Mais bien souvent depuis, sur mon âme oppressée,
J’ai senti le fardeau d’une haute pensée,
Et la nuit et le jour des rêves merveilleux,
Fantômes séducteurs, ont ébloui mes yeux.
Gabriel Monavon.
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