Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 20p. 2-4).


PRÉFACE.



Parmi tous les romans dont la scène est sur mer, qui ont été publiés depuis vingt ans, nous n’en connaissons aucun dont les évolutions des flottes aient été un des traits principaux. Le monde a sous les yeux des scènes admirablement dessinées, dans lesquelles il trouve le tableau des manœuvres d’un vaisseau solitaire, et des touches exquises du caractère des marins ; mais tous les romanciers, semblent s’être soigneusement abstenus de peindre sur un grand cadre la profession de marin. Nous avons nous-même imité leur retenue, peut-être par un certain sentiment intime d’incompétence, mais surtout par suite du désir que nous avions, en décrivant des scènes navales, de rester sous le pavillon auquel nous avons été accoutumé, et auquel, à proprement parler, nous appartenons.

Nous blâmons ouvertement et à haute voix cet absurde patriotisme qui prend feu pour l’honneur des chats et des chiens ; qui s’imagine faire un acte de nationalité en élevant bien haut des objets d’un mérite inférieur, uniquement parce que le hasard veut qu’ils soient de notre pays ; qui affiche la doctrine extravagante, — et si nouvelle dans les annales de la littérature, qu’on n’y trouve une excuse que dans la pauvre explication d’un misérable provincialisme, que le vice, la folie, la vulgarité et l’ignorance, ne doivent pas être un objet de censure quand il s’agit d’un vice, d’une folie, d’une vulgarité et d’une ignorance qui ont pris naissance sur leur sol américain, tandis que ce serait la meilleure raison possible pour que toutes les plumes américaines en écrivissent la condamnation ; — doctrine diamétralement contraire à la libéralité de Domitien, qui toléra Juvénal lui-même tant qu’il se borna à diriger sa satire contre le public en général, mais qui le bannit de Rome quand elle attaqua les particuliers. L’idée que des ouvrages de fiction doivent être écrits en ayant toujours sous les yeux le pays où l’on a reçu le jour, est un autre préjugé de province qui ne pourrait avoir lieu dans une nation qui aurait un caractère bien établi, de grandes vues, et nous ne le respectons pas plus que les louanges banales dont nous venons de parler ; mais nous pouvons alléguer de bonne foi nos propres sentiments comme un motif pour faire ce qui, après tout, doit plus ou moins dépendre des inclinations personnelles d’un écrivain. Nous avons le désir d’essayer de tracer le tableau dont il s’agit, et cette disposition est un assez bon guide dans les ouvrages d’imagination.

Cependant l’Américain qui veut peindre des flottes doit se résoudre à déserter son pavillon : jamais l’Amérique n’a armé une flotte. La république possède les matériaux nécessaires pour produire ce phénomène, mais la volonté a toujours paru lui manquer. Il a toujours existé dans les conseils de l’état une étrange et dangereuse répugnance à créer même le rang militaire qui est indispensable pour exercer une autorité convenable sur une telle force et si le titre de cet ouvrage eût été le Seul Amiral, au lieu des Deux Amiraux, nous aurions encore été obligé de chercher en pays étranger un héros pour notre histoire. Les législateurs de notre pays s’imaginent apparemment que les hommes feront des miracles sans avoir les motifs qui ordinairement exercent sur eux de l’influence pour les porter à faire quelque chose. Combien de temps peut-on sans danger persister dans un tel système politique, c’est ce qui reste à être démontré.

Néanmoins, tout en faisant valoir notre indépendance, en réclamant le droit de choisir pour nos histoires les scènes qui conviennent le mieux à l’impulsion qui nous fait agir, nous sommes assez disposé à admettre que, dans le cas dont il s’agit, nous aurions été charmé de faire voile sous le pavillon national si cela eût été dans les limites de la probabilité, qui doit toujours se trouver même dans un ouvrage de fiction. Si nous ne sommes pas précisément né dans la marine américaine, nous y avons certainement été élevé ; et quoique ces emblèmes puissent paraître dénués de goût aux yeux des gens instruits, nous avouons que nous accordons une préférence décidée aux étoiles et aux bandes, sur le large champ blanc et la croix de Saint-George du noble pavillon anglais, sur la bannière sans tache de la France, telle qu’elle existait à l’époque de notre histoire, et sur la plus belle de toutes les enseignes qui aient jamais été déployées au haut d’un mât de pavillon, l’enseigne tricolore de notre temps. Quand les conseils de notre nation nous donneront des amiraux et des flottes que nous puissions prendre pour sujets de nos ouvrages, nous nous ferons un plaisir d’essayer humblement de rapporter leurs exploits.

Les colons américains ont pourtant le droit de réclamer leur part de la renommée maritime que l’Angleterre a obtenue antérieurement à 1775, et nous laissons à leurs descendants le soin de discuter avec les possesseurs actuels de la mère-patrie quelle portion du renom acquis par Oakes et Bluewater doit appartenir à chacun des deux pays. En s’adressant à nos éditeurs de Philadelphie, Lea et Blanchard, les Américains pourront se procurer toutes les preuves que nous possédons des faits contenus dans cet ouvrage, et pour la plus grande convenance des Anglais nous en avons remis des duplicata à M. Bentley, libraire, New-Burlington street, à Londres. Nous prions tous les individus employés dans ces deux grandes maisons de communiquer sans difficulté tous ces documents à quiconque voudra les consulter.

Nous espérons que le lecteur sera assez juste pour regarder les Deux Amiraux comme une histoire de mer, et non comme une histoire d’amour. Nos amiraux sont nos héros, et comme il y en a deux, les lecteurs particulièrement difficiles sur ce point ont notre permission d’en nommer un l’héroïne, si bon leur semble. Nous n’avons nullement envie de prononcer l’exclusion de l’un d’eux, et nous les laissons, entièrement libres du choix.

Après cette courte explication, nous lançons nos flottes à la mer, et nous les livrons aux flots et aux vents de l’opinion publique, qui sont souvent aussi impétueux et aussi contraires que ceux de l’Océan, et quelquefois aussi capricieux !