Les Derniers Jours de Henri Heine/XXII


Calmann Lévy (p. 98-100).
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XXII


Le mois de février s’annonçait mal. Le temps était sombre, froid, pluvieux, et le rhume qui m’obligeait à garder le logis interrompit momentanément mes visites à Heine.

Il goûtait particulièrement les jolis contes de fée que M. Laboulaye donnait alors en étrennes aux lecteurs du Journal des Débats, et m’avait priée de lui procurer le numéro contenant la suite de ces contes. Faute d’indication précise, je dus aller moi-même à la recherche du numéro demandé, et ce ne fut guère qu’au bout d’une semaine que je retournai chez mon ami. Hélas ! sans me douter que je le verrais pour la dernière fois au nombre des vivants ! En entrant, la pâleur livide de ses traits me frappa. Je le trouvai sombre, morne, affaissé dans le crépuscule d’une des plus tristes journées de l’hiver.

— Enfin, te voilà ! me dit-il.

Bien souvent il m’avait accueillie par la même parole ; toutefois, aujourd’hui, il la prononçait d’un ton moins affectueux, presque sévère. Donc, lui aussi me méconnaissait ! L’injustice du reproche m’alla droit au cœur, et je fondis en larmes. L’impossibilité d’entrer en explications avec un homme aussi malade, et de lui faire comprendre qu’en quittant mon lit pour venir le trouver j’avais fait un grand effort, me mettait à la torture. Tout à coup, comme si, malgré l’ombre qui lui cachait mon visage, il eût deviné ma douleur, il m’appela près de lui, et me fit asseoir sur le bord de sa couche. Les larmes qui ruisselaient le long de mes joues pâles parurent l’émouvoir profondément.

« Retire ton chapeau, que je te voie mieux, » me dit-il.

Et, d’un geste caressant, il effleura le ruban du nœud qui retenait le chapeau. D’un mouvement violent, je rejetai le chapeau et me laissai glisser à genoux au bord du lit. Était-ce l’amer souvenir des souffrances passées, ou le pressentiment encore plus amer des douleurs futures ? Les sanglots que j’essayais vainement de retenir m’étouffaient et je me sentis comme terrassée par la violence de mes sentiments. Nous ne disions rien ; mais sa main silencieusement posée sur ma tête semblait me bénir.

Ainsi se passa notre dernière entrevue.