Calmann Lévy (p. 9-11).
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IV


Avec Catherine, la garde-malade au serre-tête, il y avait Pauline, sorte d’amie boiteuse, qui cumulait les fonctions de demoiselle de compagnie et de femme de chambre, bref, servait de bonne à tout faire. Les familiers de la maison, je ne dirai pas « le reste de la domesticité », se composaient alors du secrétaire, un Saxon de bonne famille qui s’était compromis dans les événements politiques de 1849, et d’un vieil Israélite à demi paralysé, qui s’intitulait le docteur Loewe, vivait des bienfaits du poète et avait mission de diriger la petite police secrète que celui-ci se croyait obligé d’entretenir. Les visiteurs non salariés étaient presque tous, comme ceux-ci, des débris du passé, des naufragés de la politique et de l’amour, des membres de cette société un peu interlope que Heine nommait spirituellement « le demi-monde princier ». La princesse Belgiojoso, retour de Brousse, venait quelquefois chez Heine, pour lui narrer les souffrances d’un estomac avarié qui ne pouvait plus se nourrir qu’à minuit, et avec des aliments à la glace ; la princesse W…, une autre ruine, celle-là, débarquée de Weimar, sentant la pipe, arrivait les mains pleines de petites brochures en l’honneur du dieu qu’elle encensait, et qui se laissait faire. Je me rappelle encore avoir rencontré chez Heine deux femmes du même temps et du même monde, une Anglaise qu’il me désigna comme le modèle de lady Mathilde, des Reisebilder, enfin la fameuse marraine de « l’enfant du siècle », la confidente attitrée des amoureux de son cercle, la toute petite madame Jaubert, un diminutif de femme, propret, bien ganté, armé d’un petit parapluie qui prenait, entre ses menottes, les proportions d’un insigne, et la faisait ressembler à la figure de la Comédie bourgeoise sous Louis-Philippe.