Les Dernières années du maréchal Davoust/02

Les Dernières années du maréchal Davoust
Revue des Deux Mondes3e période, tome 43 (p. 293-333).
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LES
DERNIERES ANNEES
DU
MARECHAL DAVOUT

II.[1]
LA RUSSIE, HAMBOURG ET 1815.

Le retour de la guerre en 1812, dans les conditions où elle s’ouvrait, n’était guère fait pour diminuer l’état d’âme passablement sombre que nous avons essayé de décrire. Dès le début de la campagne de Russie, Davout semble avoir eu peu d’illusion, ce qui n’est pas pour étonner de la part d’un esprit si clairvoyant. Nous lisons dans une lettre adressée de Thorn à la maréchale, le 13 janvier 1813, presque aussitôt après la fin du désastre : « Je ne veux pas aujourd’hui entrer dans des détails, d’autant plus qu’il y en a quelques-uns qui pourraient t’affliger ; ils te donneraient la preuve que mes pressentimens de tristesse auparavant notre départ se sont réalisés. » Ces lignes semblent assez claires ; gardons-nous cependant d’en exagérer le sens et la portée. Mme la marquise de Blocqueville s’en autorise pour avancer que son père avait été opposé à cette fatale campagne ; nous sommes obligés de lui dire qu’à notre humble avis, elle nous paraît se tromper sur l’interprétation qu’il faut donner de ces pressentimens. Ils signifiaient simplement, croyons-nous, que Davout augurait mal de la conduite de cette guerre, des chefs qui lui seraient donnés, des voies et moyens qui seraient employés ; quant à l’entreprise elle-même, nous sommes plutôt porté à penser qu’il en admettait la légitimité et la nécessité. Peut-être nous trompons-nous à notre tour, ce qui serait excusable, Davout ayant été le moins parleur des héros ; toutefois, nous soumettrons en toute déférence à l’auteur de ces Mémoires les très nombreuses raisons qui nous font penser ainsi. Et d’abord l’affection bien connue de Davout pour la Pologne. Nous avons dit dans une précédente étude l’opinion qu’il avait essayé de faire prédominer en 1807 et en 1808 dans les conseils de l’empereur et qu’il n’a pas tenu à lui que cet infortuné pays n’ait été reconstitué. L’estime qu’il avait réussi à gagner pendant son gouvernement de Pologne avait été si vive qu’il s’était formé un commencement de parti en sa faveur ; la politique de Napoléon avait coupé court aux espérances qu’il avait pu concevoir alors, mais ces espérances n’étaient peut-être pas si bien éteintes qu’il pût voir avec déplaisir une entreprise qui s’annonçait comme devant réaliser le projet qu’il avait lui-même recommandé. Tout le monde, en effet, pensait alors que la reconstitution de la Pologne était sinon l’unique, au moins le principal but de la guerre, et Napoléon lui-même autorisait à penser ainsi lorsqu’au début de la campagne, il la qualifiait de seconde guerre de Pologne. Il y avait de si fortes présomptions pour que Davout ne fût pas défavorable à la guerre que, dans l’entourage de l’empereur, nous apprend Ségur, on l’accusait ouvertement de l’avoir désirée et que les Polonais le considérèrent toujours comme un de leurs plus fermes appuis et lui restèrent constamment fidèles. C’est lui, en effet, qui, malgré l’opposition de Berthier, présenta à l’empereur les députés lithuaniens, et l’on sait l’amitié qui l’unissait à différens chefs de la Pologne, notamment au prince Poniatowski. Voici une seconde raison, moins forte que la précédente, mais quia cependant son prix. On connaît l’opinion que Ségur a exprimé dix fois au cours de son Histoire : si la guerre de Russie eût abouti, elle aurait eu pour résultat de mettre la civilisation européenne à l’abri de là catastrophe qui engloutit l’ancien monde. Eh bien ! cette opinion, nous voyons Davout l’exprimer par avance en termes presque identiques à ceux qu’emploiera Ségur. « Cette campagne n’aura pas été la moins extraordinaire de celles de l’empereur et la moins utile pour nos enfans, écrit-il de Wiazma à la maréchale ; cela les mettra à l’abri des invasions des hordes du Nord. » Enfin Davout considérait cette entreprise non-seulement comme légitime, mais comme possible, et c’est lui-même qui nous le dit dans une relation de la défense de Hambourg écrite sous sa dictée par le général César de Laville.

Cette relation curieuse à tous les titres débute par une apologie de la conduite du prince d’Eckmühl pendant la campagne de 1812 et des résolutions qu’il recommanda à diverses reprises durant le cours de l’expédition. On y lit ces paroles qui portent leur commentaire avec elles. « L’histoire impartiale dira que c’est peut-être aux méfiances qui furent manifestées dès le commencement de la campagne envers ce chef (Davout) et à l’inconcevable confiance que Napoléon eut en deux hommes dont la conduite a prouvé plus tard la légèreté, que peuvent être attribués, en grande partie, les malheurs d’une campagne dans laquelle les troupes françaises de toute arme montrèrent plus de calme qu’à aucune époque, mais dans laquelle la direction a manqué. Napoléon fit cette guerre plutôt en empereur qu’en général. Dans le moment décisif, après la bataille de la Moskowa, il était malade, et la grande direction de l’armée était entièrement livrée à Berthier, prince de Neufchâtel, et surtout au prince Murat, roi de Naples. Peut-être cette campagne, qui après l’événement a été qualifiée d’extravagance, aurait-elle eu d’autres résultats et eût-elle décidé irrévocablement la grande lutte entre le nord et le midi de l’Europe sans quelques fautes capitales dont la source se trouva dans la funeste influence dont j’ai parlé plus haut. » Ainsi l’opinion du maréchal est formelle et peut se résumer ainsi : la catastrophe ne dit pas que le succès fut impossible, elle dit qu’il fallait à cette campagne d’autres chefs, d’autres mesures, et chez l’empereur un meilleur état de santé.

Ce n’est pas tout encore ; il est une dernière raison la plus probante de toutes, quoiqu’elle soit purement psychologique. Sa correspondance nous le dit ; depuis 1810, son inaction lui pesait précisément à cause des relations de froideur ou il était avec Napoléon) ; il aimait trop ardemment ce personnage fascinateur pour ne pas souffrir démesurément de la défaveur voilée qui les tenait éloignés l’un de l’autre. Dès lors comment n’aurait-il pas salué avec une joie secrète une entreprise qui lui donnerait de nouvelles occasions de victoires et lui permettrait par leur moyen de se redresser devant l’empereur et de lui dire : Quel est donc celui de vos compagnons d’armes qui vous a mieux servi, surtout qui peut mieux vous servir que moi ? Ce qui prouve qu’il y eut beaucoup de ce sentiment chez Davout, c’est le zèle extraordinaire qu’il montra dans toute cette campagne, zèle qui n’échappa pas à l’attention de ses ennemis et dont ils se firent une arme contre lui auprès de l’empereur. D’un homme aussi circonspect tout se remarque, et il est visible que Davout se prodigue par l’action et par le conseil. On sent qu’il a mis tout son cœur non-seulement à travailler pour sa part au succès de l’entreprise, mais à saisir une occasion qui affirmera une fois encore sa supériorité et forcera l’empereur à la reconnaître. Regardez-y bien, et toute l’histoire de Davout en 1812 se résumera dans la poursuite opiniâtre de cette occasion.

Dix fois il crut l’avoir trouvée et dix fois elle lui échappa, non par le fait de la fatalité, mais, circonstance plus irritante et plus amère, par le fait de quelque rival de gloire. A Mohilow, il tenait cette victoire désirée : le refus d’obéissance du roi Jérôme, en permettant à Bagration de lui échapper, réduisit sa bataille à n’être qu’un glorieux combat. A la Moskowa, il crut avoir trouvé le moyen d’obtenir un succès décisif en employant la manœuvre qui lui avait réussi à Wagram, il échoua par le refus de Napoléon d’accéder à sa proposition. Après Malojaroslavetz, lorsqu’il fallut se décider pour une ligne de retraite, il proposa la route de Medyn et Smolensk comme étant la plus courte et celle qui fournirait le plus de ressources : ce fut la route proposée par Murat qui fut choisie, au grand dommage de l’armée. De quelque côté qu’il se tourne, il ne rencontre qu’entraves. Dès le début de la campagne, comme si on craignait que la fortune ne répondît trop vite à son appel, on ampute son corps d’armée de trois divisions et on brise ainsi dans sa main ses instrumens d’action. On le place sous le commandement de Murat, c’est-à-dire du chef militaire le plus opposé à sa nature qui se puisse concevoir, et le moins disposé à recevoir ses inspirations, et on le met ainsi dans l’alternative ou de refuser son concours ou de coopérer à des manœuvres qu’il juge des fautes. Les talens qui jusqu’alors lui avaient été tournés à louange lui sont tournés à reproche. Organisateur et administrateur militaire de premier ordre, il n’avait rien négligé pour que son corps d’armée pût tenir la campagne sans être à la merci de ces accidens qui relâchent la discipline et abattent le moral du soldat. « Tant de soins devaient plaire, dit Ségur, ils déplurent, ils furent mal interprétés. D’insidieuses observations furent entendues de l’empereur. Le maréchal, lui disait-on, veut avoir tout prévu, tout ordonné, tout exécuté. L’empereur n’est-il donc que le témoin de cette expédition ? la gloire en doit-elle être à Davout ? « En effet, dit Napoléon, il semble que ce soit lui qui commande l’armée. » Pendant la retraite, fidèle encore à cet esprit d’ordre qui avait toujours été un de ses principaux moyens de succès, il impose à ses troupes et il obtient d’elles, en dépit de leurs cruelles souffrances, une marche lente et méthodique afin d’éviter toute précipitation qui aurait l’apparence d’une déroute et par là enhardirait l’ennemi : « Mais, dit un témoin, l’empereur se plaignit de la lenteur avec laquelle marchait le premier corps et blâma le système de retraite par échelons qu’avait adopté son chef, disant qu’il avait fait perdre trois jours de marche et par là facilité à l’avant-garde de Miloradovitch les moyens de nous atteindre. » À cette malveillance, qu’il ne put jamais vaincre malgré tous ses efforts et toutes ses preuves d’affection, — la première personne que rencontra l’empereur au sortir du Kremlin fut Davout, encore souffrant de ses blessures de la Moskowa, qui se faisait transporter à travers les flammes pour mourir avec lui, — le hasard vint encore ajouter les malentendus et les confusions. Forcé d’évacuer Smolensk, il crut ne pas pouvoir attendre Ney, qu’il fit prévenir du danger qu’il courait, et qui, malgré cet avis, s’obstina à rester jusqu’à entier accomplissement des ordres qu’il avait, dit-il, reçus de l’empereur. On sait les conséquences fatales et glorieuses de ce retard ; comment Ney, coupé de Davout par l’armée ennemie, fut obligé de se frayer un chemin par des prodiges d’héroïsme et comment Davout fut accusé de l’avoir abandonné. Il n’en était rien, et au fond, Ney n’avait été victime que de sa propre obstination ; mais l’héroïsme dont il avait fait preuve le rendait alors l’objet de l’admiration de l’armée et le favori de l’empereur ; or, dans de tels momens et sous l’empire de tels sentimens, on est peu disposé à peser froidement les faits, et il n’y a pas droit de réponse pour la contradiction. Enfin, il vint un jour où l’implacable rigueur de la nature eut raison de son génie méthodique et de son stoïcisme même, où ses soldats, jusqu’alors soutenus par la discipline qu’il leur avait fait accepter et préservés par sa prévoyance contre l’extrême misère, connurent à leur tour les horreurs de la famine et du dénûment. Davout, nous dit Ségur, à plusieurs reprises montra des marques du plus extrême abattement, et on l’entendit s’écrier que des hommes de fer pouvaient seuls supporter de pareilles épreuves. Ce qui s’entassa de douleurs dans son âme pendant cette cruelle campagne, on pouvait aisément le soupçonner, mais les présens Mémoires nous le révèlent d’une manière certaine. Ses souffrances morales furent si amères qu’elles lui firent connaître le désespoir et l’amenèrent jusqu’à la pensée du suicide. C’est lui-même qui fait ce grave aveu dans une lettre à la maréchale écrite presque immédiatement après le retour.


Thorn, 15 janvier 1813.

Je t’avais promis, mon Aimée, à l’époque de ton rétablissement, de t’expliquer quelques phrases obscures sur notre campagne : il faudrait entrer dans trop de détails sur les peines d’âme qu’a éprouvées ton Louis ; elles ont été si vives que, malgré qu’il te soit très attaché ainsi qu’à ses enfans, il se serait détruit s’il avait eu une heure de suite des idées d’athéisme. Ce qui l’en a empêché, c’est l’espérance qu’il reste quelque chose de nous : alors notre souverain appréciera ses amis et ses ennemis : fasse le ciel qu’il les connaisse bientôt, car ils nous font bien du mal ! Peut-être qu’il les connaîtrait déjà, si je n’étais pas aussi délicat…

Je suis dans l’intention de déchirer cette lettre, et cependant je la laisse partir, étant persuadé qu’elle ne te causera aucune peine : elle te rappellera mes malheureux pressentimens de Stettin. Le mal prévu est devenu si grand que l’empereur ouvrira les yeux.


En 1816, lorsqu’il eut entrepris de raconter la mémorable expédition dont il avait été un des acteurs, le général Philippe de Ségur écrivit à Davout, pour lui demander quelques notes sur les opérations de son corps d’armée, une belle lettre que nous donnons plus loin, lettre qui, certainement, ne resta pas sans réponse. Ce sont ces notes de Davout qu’il serait utile de connaître pour nous renseigner sur ses actions militaires, car sa correspondance de Russie ne nous apprend à peu près rien à cet égard. Tantôt par modestie pour ce qui le concerne, tantôt par prudence et de crainte que ses lettres n’arrivent pas à leur adresse, tantôt par tendresse pour la maréchale qu’il craint d’alarmer, Davout couvre de son silence les difficultés sans cesse renaissantes, les événemens désastreux et les souffrances de cette campagne, dont il ne parle jamais que de la, manière la plus rassurante. Il faut ajouter aussi que, pendant toute la marche en avant et même jusqu’après Moscou, un peu d’illusion se mêle à cette réserve. S’il ne se montre pas plus pessimiste, c’est que, quelque clairvoyant qu’il soit, lui-même ne soupçonne pas l’étendue des dangers qui menacent l’armée ; mais il est très difficile de distinguer dans ses paroles la part qui revient à la discrétion et celle qui revient à l’illusion. Les Russes se dérobent et chaque jour frustrent l’empereur de la bataille qu’il attend : « Tant mieux ! écrit Davout à la maréchale, la campagne se fera presque tout entière avec les jambes ; ce ne sera qu’une longue promenade militaire. « Cependant la promenade devient lugubre, et les étapes sanglantes ne peuvent en rester longtemps cachées. Force est bien alors à Davout de changer quelque peu de langage, mais pas une de ses paroles ne trahit la moindre inquiétude sur l’issue de la guerre. Dans chacun des heurts sauvages des deux armées il voit une justification de l’entreprise napoléonienne. « Il était temps, écrit-il, de foire cette campagne ; les préparatifs des Russes étaient formidables et le seraient devenus bien davantage encore. » Au départ de Moscou, un temps superbe favorise les premiers mouvemens de retraite, et Davout s’en réjouit avec une confiance qu’il essaie de faire partager à la maréchale, a En général, on exagère beaucoup la rigidité de ce climat. lies grands froids n’ont lieu que Vers la fin de novembre et ils durent trois mois. » Quant aux Evénemens qui le concernent directement, Davout n’en informe la maréchale que lorsqu’il n’y a plus à les révéler aucun inconvénient pour la tranquillité de sa chère correspondante. Voici un bien noble exemple de cette discrétion par tendresse. Après la bataille de la Moskowa, il écrit à sa femme : « J’ai été aussi heureux qu’à Eylau ; j’ai eu un cheval tué et deux contusions insignifiantes. » Ces deux contusions étaient cependant deux blessures graves ; mais la maréchale les aurait probablement ignorées jusqu’à la fin de la campagne sans un incident qui se présenta peu après et où le point d’honneur militaire propre à Davout se montra dans toute sa sévérité. Un officier appartenant à sa famille ayant demandé à quitter son poste sous prétexte de santé, le maréchal écrivit à sa femme pour lui recommander de ne pas le recevoir, et se trouva amené à lui révéler la vérité pour qu’elle ne pût se méprendre sur les raisons de cette apparente dureté.


Un officier qui abandonne son poste en prétextant une indisposition ou une légère blessure n’a aucune idée de l’honneur ni de l’amour de ses devoirs. Je traite fort mal tous ceux de cette espèce ; juge de ce que je dois éprouver de sentimens et d’idées pénibles. Je ne l’eusse jamais cru capable d’oublier ce qu’il se devait jusqu’à ce point…

J’ai été mis hors de combat à la bataille du 7 septembre par deux blessures : une au bas-ventre, — une contusion de boulet, — et l’autre à la cuisse droite par un biscaïen : elles ont été assez fortes pour m’empêcher de trotter ; mais je me serais regardé comme un bien mauvais serviteur de l’empereur et un homme sans cœur si j’eusse quitté le champ de bataille, et j’y suis resté pour prêcher d’exemple, et inspirée la plus grande fermeté aux troupes. Je t’ai laissé ignorer ces détails, mon Aimée, pour t’éviter des inquiétudes ; c’est la circonstance qui m’a mis dans le cas de t’en parler, et aussi parce que je suis guéri. Je n’ai pas cessé de commander et j’ai toujours suivi le corps, d’armée en wurst. J’ai éprouvé beaucoup de douleurs jusqu’à notre entrée, à Moscou ; mais là, ayant pu prendre des bains et du repos, me soigner, l’inflammation s’est dissipée au bout de quarante-huit heures. Les escarres sont tombées, la suppuration s’est bien établie, et maintenant les deux plaies se cicatrisent : dans deux ou trois jours je pourrai monter à cheval comme auparavant. Je marche, je vais en voiture sans éprouver la plus légère douleur. Je jure, par mon aimée, par nos enfans, que je te dis toute la vérité : ainsi, ces détails ne peuvent que te donner une nouvelle confiance dans ma bonne fortune. C’est dès le commencement de la bataille que j’ai reçu la première blessure et, une heure après, l’autre. Elles ne m’ont pas empêché de rester jusqu’à la fin : j’ai donc le droit de trouver mauvais un manque de fermeté.

Cette page est absolument héroïque ; en voici une seconde qui ne l’est pas moins, qui l’est peut-être davantage. C’est une lettre datée du 12 décembre, c’est-à-dire des dernières semaines de la retraite. Songez que celui qui l’écrit tient la plume en plein air par un froid de 25 degrés, que son uniforme tombe en loques, qu’il ressent peut-être les souffrances de la faim et qu’autour de lui la campagne est semée de morts et de mourans. Cependant il ne lui échappe pas une plainte, pas même une simple mention de ses souffrances, qu’il essaie même de faire disparaître sous les préoccupations que lui inspirent les êtres qui lui sont chers.


Je profite, ma chère Aimée, de l’estafette pour te rassurer sur la santé de ton Louis ; elle est, malgré la rigueur de la saison, très bonne. Tu trouveras mon écriture tremblée, je te jure par toi que la seule raison en est au froid qu’il fait, et que je sens d’autant plus que je t’écris en plein air pour ne pas manquer cette estafette. Desessart part demain pour Paris, il va bien. Beaupré, malgré son grand âge, s’en tire assez bien. Beaumont et les deux Fayet ne sont que fatigués. J’envoie mille baisers à mon excellente Aimée, qui est peut-être, à l’heure où je lui écris, dans les douleurs : puisse mon Aimée me donner un second fils ! Cependant, si c’est une fille, elle sera bien accueillie. J’envoie mille caresses à l’enfant chéri qui est Louis et à nos deux petites. Assure ta bonne mère de ma tendresse.


II

Il n’était pas aussi calme, on le sait, que nous le voyons s’efforcer de le paraître. Exaspéré par tout ce qu’il avait souffert et tout ce qu’il n’avait pu empêcher, il rentra en Pologne l’âme pleine d’une redoutable colère dont la prophétique apostrophe à Murat, à Gumbinnen, fut le gros coup de foudre et dont nous surprenons les sourds grondemens dans les lettres à la maréchale postérieures au retour. Ses ennemis s’aperçurent de cette irritation et en profitèrent sournoisement pour répandre les bruits les plus fâcheux sur son état d’esprit. C’est lui-même qui nous l’apprend par l’organe du général César de Laville dans la relation qu’il fit rédiger de la défense de Hambourg. « Tandis que M. le maréchal employait le temps, comme on l’a vu, aussi utilement et avec autant d’activité pour le bien du service (il s’agit des premières opérations entreprises sous le commandement du prince Eugène après le départ de Murat), ses détracteurs murmuraient à Paris que sa tête était dérangée. Cependant le prince vice-roi le chargeait des opérations les plus compliquées. Il eût été curieux, en remontant à la source, de trouver que partie de ces bruits se répétaient presque sous les yeux de ceux qui lui donnaient ces marques de confiance. » Et ailleurs encore : « Des individus rentrés en France à la suite de Napoléon, par suite de cet esprit de dénigrement que l’envie commande et que la légèreté et l’irréflexion adoptent volontiers, faisaient courir à Paris des bruits inquiétans et mensongers sur l’impression que les malheurs, les chagrins et le froid avaient produits dans son organisation. » Une de ces calomnies, due sans doute à quelque facétieux qui devait goûter le vaudeville et le jeu de Brunet, était vraiment assez plaisante. Le maréchal, racontait-on, avait été pris de telle folie pendant la retraite qu’il pinçait le nez de ses aides de camp. Il n’y avait jamais eu de nez pincé cependant que celui du maréchal, et cela par ce même César de Laville dont nous venons de citer la relation. Un jour qu’ils causaient ensemble pendant la retraite, César de Laville, s’apercevant que le nez du maréchal gelait, lui avait sans avertissement préalable infligé une friction de neige, service que Davout, surpris et croyant à une brusque attaque, avait récompensé d’abord d’un vigoureux coup de poing. Mme la marquise de Blocqueville, qui nous donne cette rectification vraisemblable, s’étonne de l’effronterie des calomniateurs à l’égard du maréchal. L’imparfaite nature humaine étant donnée, rien n’est cependant plus explicable. Des scènes comme celles de Marienbourg et de Gumbinnen ne sont pas sans laisser des rancunes chez ceux qui les subissent, et ceux-là, quand ils s’appellent Murat et Berthier, ne manquent pas de complaisans, de flatteurs et d’instrumens pour servir leurs haines. Quant à la forme de la calomnie qui fut employée contre le maréchal, elle est celle que tout homme d’expérience avouera avoir vu invariablement employer lorsque la victime était d’humeur violente. Commettez l’imprudence d’éclater, fût-ce par le plus juste motif, et vous serez déclaré fou tandis que vous ne serez qu’indigné, et c’est là ce qui en toute évidence était arrivé à Davout.

Cette accusation de folie n’était à tout prendre que l’exagération mensongère d’un fait certain, c’est que les souffrances morales qu’il avait éprouvées pendant la campagne, jointes à de trop nombreuses causes de mécontentement, avaient eu la puissance de tirer pour la première fois le maréchal de son sang-froid, jusqu’alors imperturbable. C’est ici l’occasion de faire remarquer qu’il n’y a rien de plus délicat que de se prononcer sur de tels états d’âme et de trouver le mot juste qui peut leur convenir. Mme de Blocqueville n’admet pas qu’on dise de son père qu’il fut abattu par les événemens. Soit ; nous croyons en effet volontiers qu’il fut plutôt exaspéré qu’abattu, bien que ce dernier mot soit celui dont se sert Ségur ; cependant les documens qu’elle produit, la lettre de Thorn que nous avons citée par exemple, ne témoignent-ils pas de sentimens qui vont plus loin même que l’abattement ? Qu’importe après tout ? lorsque les circonstances sont extrêmes, il est bien naturel que les sentimens le soient aussi, et d’ailleurs n’est-il pas évident que l’abattement d’un tel homme n’est pas celui d’une femmelette, et peut-on s’y tromper ? Voici une anecdote qui en dit long à cet égard. Elle est connue de tous les lecteurs de Ségur, mais elle peint avec trop d’énergie la nature propre à Davout pour ne pas être rappelée dans une esquisse de son caractère.


Davout traversait, lui troisième, X… (une ville prussienne). Cette ville attendait les Russes ; sa population s’émut à la vue de ces derniers Français. Les murmures, les excitations mutuelles, et enfin les cris se succédèrent rapidement ; bientôt les plus furieux environnèrent la voiture du maréchal, et déjà ils en dételaient les chevaux quand Davout paraît, se précipite sur le plus insolent de ces insurgés, le traîne derrière sa voiture, et l’y fait attacher par ses domestiques. Le peuple, effrayé de cette action, s’arrêta, saisi d’une immobile consternation, puis il s’ouvrit docilement et en silence devant le maréchal, qui le traversa tout entier, en emmenant son captif.


Voilà un homme abattu qui fait encore une assez fière figure, on en conviendra, d’où il faut conclure que les mêmes mots prennent un sens fort différent selon les personnes auxquels ils s’appliquent.

À ces bruits malveillans sur l’état moral de Davout se rapporte indirectement un singulier incident ignoré jusqu’ici et qui révèle une fois de plus les étranges services que Napoléon exigeait de la. presse soumise à ses ordres. Ennuyé d’entendre ses ennemis crier victoire, il fit insérer dans le Moniteur deux prétendues lettres de Davout et de Ney tendant à établir qu’en toute rencontre les Russes avaient été battus, et qu’en définitive c’était le froid seul qui avait triomphé de la grande armée, lettres où les signataires n’avaient jamais mis la main. Avis aux historiens de l’avenir. Ils devront savoir désormais que ces document sont de fabrique impériale, et cependant ils devront malgré cela se garder de leur refuser toute créance, car au fond ces lettres reproduisaient assez exactement les opinions des deux maréchaux et ne faisaient que répéter ce qu’on leur avait entendu exprimer mainte fois. Nous ne pouvons rien dire ; pour ce qui est, de Ney, mais pour ce qui est de Davout, il est certain que, dans ses lettres à la maréchale, il met une insistance-extraordinaire à établir que l’armée n’a été détruite que par l’hiver et que les Russes ne peuvent se vanter d’une seule victoire. Puisque ce sont là leurs opinions, qu’elles concordent avec les miennes et qu’elles sont utiles à ma politique, pensa Napoléon, il n’y a aucun inconvénient à leur donner une publicité qu’ils ne me refuseraient pas, et sans plus de façon il les met en scène, comme s’il eût obtenu, leur aveu. Pour plus de vraisemblance, le rédacteur écrivit ces lettres dans le style qu’il pensait correspondre le mieux aux sentimens des deux maréchaux ; mais, inévitablement maladroit, il éveilla précisément par cette précaution les personnes intéressées. A Paris la maréchale lut ces documens avec stupéfaction, ne reconnut pas au style qu’on lui prêtait l’âme de son mari, et flairant le piège elle écrivit, pour savoir la vérité, la lettre curieuse à plusieurs titres que voici :


Je n’ai pas reçu de lettres de toi aujourd’hui, mon unique amis mais j’en ai lu une dans le Moniteur. Je t’avoue que je n’ai pas reconnu ta manière d’écrire accoutumée, qui est claire, énergique et noble, tandis que rien ne l’est moins que cette phrase qui est sûrement tronquée : « Une grande partie de mes hommes (te fait-on dire) s’est éparpillée pour chercher un refuge contre la rigueur du froid, et beaucoup ont été pris. »

Je suis convaincue que tu ne dis jamais mes hommes en parlant des soldats : personne n’honore plus que toi ce titre, et tu as bien raison, car, en parlant des hommes, on a rarement du bien à en dire, et, en parlant des soldats, on sait qu’on parle de gens d’honneur sans jalousies, sans petites passions, et toujours prêts à mourir sous leurs drapeaux. On a toujours un eut pour s’écarter de la vérité, et ce serait en vain, mon Louis, que tu aurais cherché à dissimuler tes pertes. Chacun sait ici que la majeure partie du premier corps a été constamment l’auxiliaire de tous les autres, et que les pertes ont été considérables pendant notre glorieuse marche sur Moscou. Les souffrances, la rigueur de la saison au retour n’ont pas dû le refaire, mais je ne pense pas qu’il te soit arrivé pire qu’aux autres : je crois, au contraire, que la débandade dont on nous a parlé dans le 29e bulletin n’a dû se manifester parmi les troupes de ton commandement que lorsqu’il y a eu impossibilité absolue de penser à les rallier. Lors de l’ouverture de la campagne, on ne cessait d’en vanter la tenue, la discipline et le bon esprit. On ne perd pas dans un moment une supériorité réelle ; mais pour étire pris à sa valeur (surtout dans la carrière des armes), il faut ne pas avoir tout contre soi. Quel que soit le mal, l’injustice est le plus grand mal ; néanmoins je suis convaincue qu’elle n’abattra jamais une âme comme la tienne, et que tu n’es pas plus navré qu’un autre ? quelque navré que tu sois, tu sais remonter le courage des autres au lieu de l’abattre. J’ai été trop à même d’en faire la triste expérience ; et d’ailleurs si des pertes plus qu’ordinaires te navrent, je suis convaincue que tu ne mets pas le public dans ta confidence. — La lettre du maréchal Ney est sur un autre ion que je n’aime pas mieux : la dm de 3a tienne est trop larmoyante, et la sienne un peu fanfaronne…


J’ai dit que la lettre de la maréchale était curieuse à plus d’un titre. Une légère pointe de préjugé s’y montre et donne le ton de l’époque. On y sent très bien la distance que vingt-cinq années de guerres merveilleuses avaient fini par établir entre le soldat et le simple citoyen. Naïvement, inconsciemment, par le seul fait de la durée et de l’évolution des événemens, l’el señor soldado de la guerre de trente ans tendait à reparaître dans une société devenue toute militaire.

La réponse de Davout à sa femme est aussi fort curieuse, d’abord parce qu’elle nous apprend l’opinion qu’il avait et qu’il voulait qu’on eût dans le public de la conduite du premier corps d’armée pendant la campagne, ensuite parce qu’elle nous montre une fois de plus combien sa fidélité envers l’empereur était à l’épreuve de toute blessure et de toute injustice. Il n’est pas l’auteur de la lettre insérée au Moniteur ; n’importe, il ne la désavoue pas, puisqu’il semble qu’elle peut être utile au souverain.


Magdebourg, 15 février 1813.

J’ai éprouvé, mon Aimée, une vive satisfaction en lisant toutes tes réflexions sur la lettre que tu as lue dans le Moniteur ; si ton Louis en eût été le rédacteur, tu n’aurais pas été dans la cas de faire ces réflexions. Elle a été fabriquée et insérée pour détruire tous les mensonges réellement impudens de nos ennemis, qui poussent l’effronterie jusqu’à attribuer à la supériorité de leurs armes ce qui n’est que l’effet des privations, des fatigues et des 24 degrés de froid que les troupes ont éprouvés depuis leur départ de Moscou. Si j’en eusse été le rédacteur, comme tu l’observes, je ne me serais pas servi de l’expression mes hommes en parlant des soldats de mon souverain ni n’aurais remplacé cette expression par celle de mes soldats ; je sais qu’ils sont les soldats de l’empereur ; ainsi je n’emploie jamais les expressions de mes soldats, mon corps d’armée. Enfin, je ne me serais pas non plus servi de cette expression que j’étais navré de douleur.

Je regrette les soldats que perd l’empereur, les malheurs militaires qui peuvent nous arriver, mais je ne rendrais pas mes regrets par cette expression exagérée et qui peint une âme abattue. Enfin, mon amie, si j’eusse été le rédacteur, je n’aurais pas avoué qu’un grand nombre de soldats du 1er corps s’étaient débandés pour se procurer des subsistances et un abri contre le froid, car j’eusse été injuste envers les soldats du 1er corps. La presque totalité a péri par le feu en combattant avec une constance et une intrépidité sans exemple. Jamais un bataillon n’a été repoussé ou enfoncé. Jamais l’ennemi n’a fait abandonner une position auparavant l’instant où elle a dû être quittée, et elle était évacuée sous le feu du canon avec un calme qui eût fait prendre tous ces mouvemens comme des manœuvres d’exercice. Dans toutes les batailles et combats, les corps avaient leurs aigles en présence de l’ennemi, et les corps les ont toutes rapportées, et elles ont toujours servi de ralliement, jusqu’à l’arrivée à Thorn, aux généraux, aux officiers et au petit nombre de soldats qui restaient des nombreux combats que les régimens ont soutenus dans le cours de la campagne ; enfin les divisions du 1er corps qui n’étaient composées que des aigles, des officiers des régimens et d’un petit nombre de soldats, marchaient réunies au milieu des débandés, et la remarque en a été faite plus d’une fois, et cette constance des débris d’un corps d’armée remarquable par son dévoûment à l’empereur, son bon esprit et la discipline en tout lieu, dans les marches, dans les casernes et sur les champs de bataille, a excité l’admiration, et j’ai entendu le vice-roi (le prince Eugène) et bien des généraux faire la remarque que tous ceux qui donnaient un pareil exemple mériteraient d’être membres de la Légion d’honneur.

J’aurais, mon Aimée, exprimé en vingt lignes ce tableau de la conduite du corps d’armée dont l’empereur m’avait confié le commandement, mais je ne rends les comptes que lorsqu’on me les demande, et dans cette occasion j’étais trop éloigné pour que ce compte rendu arrivât en temps utile. Le fait est que l’empereur a voulu faire ressortir les récits mensongers des Russes ; il a ordonné de nous faire tenir le langage que nous eussions tenu si nous avions été questionnés. Le rédacteur a rempli cet objet et cela est suffisant. A Dieu ne plaise que j’éprouve des regrets de la façon dont il s’en est acquitté ! les regrets ne seraient que ceux de l’amour-propre ou de la vanité : je me mets en garde contre les sentimens et les idées que les petites passions inspirent, et je trouve dans l’amour de mes devoirs, dans mon dévoûment sans bornes pour le sauveur de ma patrie le préservatif contre les petites passions et le calme d’âme que les envieux ne sauraient avoir.

Je me suis beaucoup étendu, ma chère amie, pour te donner une preuve de toute ma confiance et de mon estime, et par la conviction que tu garderas pour toi toutes ces réflexions et que tu ne feras connaître à qui que ce soit la vérité sur la lettre en question ; je te l’ai dite sous le sceau de la confession, car je manquerais à mes devoirs envers l’empereur si je me permettais la plus simple réflexion en forme de désaveu sur cette lettre.

Cette catastrophe de 1812, d’une si dramatique grandeur, sans égale depuis celles des antiques dominations d’Assyrie et de Perse ; depuis les légions de Sennacherib, anéanties en un instant par la peste, ou Cyrus disparaissant dans les neiges des Scythes, appelle naturellement le souvenir de son historien. Parler de la campagne de Russie, même quand on n’en parle qu’épisodiquement, sans parler de Ségur, serait presque comme parler de la retraite des Dix mille sans nommer Xénophon. Aussi, bien que l’espace dont notre sujet nous permet de disposer soit trop limité pour nous étendre sur son beau livre aussi largement qu’il le mérite, ne résisterons-nous pas au plaisir de nous y arrêter un instant. Il a été très bien dit que l’Histoire de la campagne de 1812 était un véritable récit épique ; elle est telle en effet, mais plus et mieux encore qu’on ne l’a dit, et c’est ce caractère seulement que nous voulons mettre en relief. Elle est épique par la culture classique dont elle fait preuve et qui s’est trouvée en rapport exact avec la nature du sujet, par le ton soutenu d’éloquence qui y règne d’un bout à l’autre et grâce auquel elle échappe à cette simplicité qui est une condition ordinaire de la bonne prose, mais qui en un tel sujet serait impuissante et presque déplacée. Elle est épique par cette qualité de témoin et d’acteur qui permet à l’auteur de suppléer à l’inspiration poétique par la vivacité du souvenir et qui fait circuler dans ses pages ces larmes mêmes des choses dont toute âme humaine est touchée. Ce n’est pas en effet aux historiens qu’il faut s’adresser pour trouver à quoi comparer ce récit, c’est aux poètes, et s’il fallait marquer son rang par la nature des émotions qu’il fait naître, nous ne voyons guère où le placer, si ce n’est à côté du second livre de l’Enéide, d’où son épigraphe est tirée. Épique par la forme, cette Histoire l’est bien plus encore par la substance, où surabondent ces deux élémens nécessaires de toute épopée, l’héroïsme et le merveilleux. Vous rappelez-vous ce colonel Jacqueminot, traversant à cheval la Bérésina chargée de glaces, s’élançant seul sur les soldats de Tchaplitz qui s’éloignent et en enlevant un qu’il rapporte au bout du poignet à Napoléon, et pensez-vous qu’il y ait dans le moine de Saint-Gall ou dans aucune chronique chevaleresque prouesse plus robuste ? Voilà pour l’héroïsme des actions. Vous rappelez-vous Murat et Davout se menaçant devant Napoléon, qui les écoute, la mine sombre, en jouant du bout de sa botte avec un boulet de canon ? Voilà pour la grandeur des scènes. Vous rappelez-vous l’arrivée devant Moscou, Napoléon attendant une députation qui n’arrive pas et l’armée entrant avec stupeur dans une capitale silencieuse, dont les habitans sont d’invisibles démons laissés derrière lui par le magicien Rostopchine pour semer l’incendie, et pensez-vous qu’il y ait dans les poèmes les plus fabuleux histoire de ville enchantée plus merveilleuse que celle-là ? Voilà pour l’étrangeté des événemens. Et le froid, ce froid inéluctable que certains contes du peuple russe ont transformé en un méchant génie comme les Grecs avaient personnifié la force des rayons solaires en une divinité redoutable, ne vous semble-t-il pas qu’à cette différence près qu’on n’entend pas sonner harmonieusement son carquois lorsqu’il traverse les rangs de l’armée, il tient d’une manière assez dramatique le rôle de Phébus Apollon dans l’Iliade ? Henri Heine, dans une de ces appréciations en apparence fantasques, mais qui saisissent les caractères des œuvres avec une adresse et une sûreté étonnantes, a comparé les héros de Ségur aux héros des épopées homériques. « Bien que la casaque du roi de Naples ait quelque chose d’un peu trop bariolé, son courage dans les combats et sa témérité sont aussi grands que chez le fils de Pelée ; le prince Eugène, noble champion, nous apparaît comme un Hector de douceur et de vaillance ; Ney combat comme Ajax ; Davout, Daru, Caulaincourt, font revivre Ménélas, Ulysse et Diomède. » Ce n’est pas seulement avec ceux des poèmes homériques qu’on peut comparer les personnages et les événemens de l’Histoire de Ségur, car les analogies sont plus étroites encore et plus nombreuses avec les poèmes du cycle carlovingien. Que de rapprochemens on peut établir, et sans le moindre effort ! Et d’abord le personnage central, celui à qui tout se rapporte, Napoléon, ne vous semble-t-il pas prendre dans Ségur quelque chose de la physionomie que les romans carlovingiens donnent à Charlemagne ? Le voilà, le grand empereur, à demi dépouillé de son prestige, déconfit et la mine soucieuse, réduit à assister en spectateur presque impassible aux disputes de ses maréchaux, comme autrefois Charlemagne aux querelles de ses paladins, et à écouter les dures remontrances de ses Caulaincourt, de ses Daru et de ses Duroc, comme Charlemagne celles de ses conseillers. Que de Gannelon aussi il peut soupçonner dans son armée cosmopolite avec ses généraux bavarois, saxons et prussiens, ses de Wrède, ses Thielman, ses York ! Ney, coupé de Davout et d’Eugène, se frayant un chemin à travers les précipices neigeux, les fleuves glacés et les Cosaques, appelant au secours sans être entendu, n’est pas, à la mort près, moins dramatique que Roland, enfermé dans le défilé de Roncevaux et soufflant en désespéré dans son cor. Les Cosaques de Platof et de Miloradovitch, escortant comme des sauterelles meurtrières les flancs de l’armée, tiennent sans désavantage la place des montagnards basques dans la défaite carlovingienne. Quelle figure d’émir sarrasin vaut pour la ruse et la patience implacables celle du vieux Kutusof ? Enfin, tout au loin, derrière un rempart de glaces inaccessibles, trône Alexandre invisible, silencieux et presque mystérieux comme une sorte d’empereur d’un Cathay septentrional.

Voilà bien des titres à l’épithète d’épique qui a été donnée à cette Histoire ; elle en a encore un dernier cependant, et plus singulier que tous les précédens. Si notre civilisation européenne venait jamais à périr par un cataclysme qui ne laisserait subsister d’elle aucune tradition et après lequel la nuit se ferait pendant des siècles, je ne doute pas que les savans qui, dans trois ou quatre mille ans, retrouveraient le récit de Ségur s’accorderaient à lui refuser le titre d’histoire, et prouveraient victorieusement qu’elle n’est qu’une transcription prosaïque d’une grande épopée perdue. Sans difficulté aucune, ils découvriraient dans maint passage des débris de cette épopée apocryphe, et attesteraient en témoignage de la vérité de leurs affirmations tel trait de mœurs ou telle forme de langage qui ne peuvent, diraient-ils, se rapporter qu’à des peuples épiques. Eh bien ! ces savans du lointain avenir ne se tromperaient qu’à demi. En lisant Ségur, l’imagination éprouve parfois comme un recul soudain de deux ou trois mille années. Elle se trouve repoussée jusqu’à l’époque des antiques rapsodes lorsqu’elle apprend que les chefs de l’armée française découvrirent avec un étonnement assez légitime que les proclamations de Rostopchine étaient en prose rythmée ; elle se trouve repoussée plus loin encore devant l’étrange adresse des députés lithuaniens où les formes de langage des plus antiques civilisations asiatiques se trouvent conservées : « Que Napoléon le Grand prononce ces seules paroles : Que le royaume de Pologne existe, et il existera, et tous les Polonais se dévoueront aux ordres du chef de la quatrième dynastie française, devant qui les siècles ne sont qu’un moment et l’espace qu’un point. » C’est exactement ainsi, qu’on parlait, il y a trente-deux siècles, aux tsars d’Assyrie et aux souverains de Babylone.

Il y a dans le livre de Ségur quelque chose de plus grand peut-être, de plus noble assurément que ce caractère épique ; c’est qu’il fut l’expression des sentimens que rapportèrent de Russie les victimes du désastre et qu’il les conserve encore dans ses pages vibrant comme aux premiers jours. Ces sentimens, nous venons de les apercevoir en partie dans la lettre de Davout à la maréchale, précédemment citée ; Ségur va nous aider à les accentuer davantage encore. Il nous fait comprendre comment les survivans de cette catastrophe en furent fiers à l’égal des plus glorieuses victoires. Ils se sentirent par leurs malheurs grandis de cent coudées. Ils avaient porté les armes de la France plus loin qu’elles n’avaient été portées sans trouver jamais un ennemi à leur taille, et ils ne s’étaient arrêtés que lorsque la nature leur avait déclaré la guerre. Ils avaient souffert ce que nulle armée ne souffrit jamais, ils avaient résisté jusqu’au point extrême où l’énergie humaine cesse d’être d’aucun secours. À ceux qui leur parlaient de leurs revers pour blâmer ce qu’on appelait leur folie, ils pouvaient, s’ils ne préféraient le silence, répondre dédaigneusement : Vous n’y étiez pas ! Ils avaient reçu de cette déroute un sacre particulier qui les faisait plus grands, plus nobles que les autres hommes et les rendait inaccessibles à leurs critiques et incompréhensibles à leur petitesse. Nous avons parlé d’une lettre de Ségur à Davout écrite en 1816 ; la voici. Le sentiment que nous venons d’indiquer s’y révèle avec une tristesse altière qui en fait comme une préface jusqu’aujourd’hui inédite de son Histoire de la campagne de 1812.


Monsieur le maréchal,

Puis-je espérer que vous ne me trouverez pas indiscret si j’ose vous prier de me faire donner quelques notes sur les opérations de votre armée pendant la guerre de Russie de 1812 ? J’ai été assez heureux pour réunir les matériaux nécessaires pour écrire l’histoire morale et militaire de cette campagne. Plusieurs anecdotes importantes et secrètes jusqu’ici, et dont quelques-unes vous regardent, sont parvenues à ma connaissance, soit alors, soit depuis, ce qui vous étonnera peu, ayant été et étant lié d’amitié avec tous ceux qui composaient l’intérieur du cabinet. J’ose espérer, monseigneur, que vous croirez bien que je ne veux faire de ces matériaux qu’un noble et digne usage. C’est pourquoi je me suis déterminé à vous prier d’être assez bon pour dicter quelques notes sur cette époque et d’avoir la bonté de me les envoyer. J’aurais été moi-même vous faire cette prière si j’avais cru ne pas vous déranger. J’aurais été soumettre à votre jugement quelques chapitres d’un livre qui sera très peu volumineux et qui, tout en reconnaissant nos fautes, nous placera à la hauteur qui nous convient et d’où nous devons mépriser les attaques de gens dont tous les sens, tous les sentimens, sont trop faibles, les habitudes trop circonscrites et les idées trop petites pour qu’ils puissent nous juger. Pardonnez-moi, monsieur le maréchal, l’indiscrétion de ma prière. S’il m’était possible de vous lire le commencement de cet ouvrage, peut-être trouveriez-vous qu’il mérite que vous veuillez bien vous y intéresser.

Aurez-vous la bonté de me rappeler au souvenir de Mme la princesse d’Eckmühl et d’agréer l’expression du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être votre obéissant serviteur ?

Le général comte de SEGUR.


On voit par cette lettre, écrite par parenthèse avec l’incorrection propre à Ségur, incorrection qui a été impuissante à détruire le mérite de son livre, tant ce mérite est réel, en quelle estime l’historien tenait le jugement de Davout et quel désir il avait de son approbation. Elle suffit, ce nous semble, pour répondre à quelques reproches d’injustice à l’égard de son père que lui adresse Mme la marquise de Blocqueville. Ce qui nous frappe, au contraire, dans l’Histoire de la campagne de 1812, c’est combien ce livre est favorable à Davout. On sent que, dans son opinion, ce maréchal est après Napoléon le personnage principal de l’expédition et qu’il pense que l’insuccès en doit être attribué en grande partie à cette rancune voilée qui lui refusa la première place dans la direction de la guerre.

III

Le même guignon qui avait persécuté Davout pendant toute la campagne de 1812 le suivit encore après son retour en Allemagne, où il se présenta à lui sous la forme de l’événement le plus fâcheux qui pût le surprendre. A la nouvelle de nos désastres et de la défection des troupes allemandes alliées, Hambourg, incorporée à l’empire avec Lubeck depuis 1810, se souleva, appela dans ses murs le partisan Tettenborn, chassa la garnison et l’administration françaises en massacrant le plus qu’elle put de fonctionnaires et de soldats. À ces nouvelles, la colère de l’empereur fut extrême. Davout fut chargé de reprendre la ville et d’y rétablir l’ordre. Outre qu’il était voisin du théâtre des événemens, étant cantonné sur l’Elbe, il y avait une raison décisive pour qu’il fût chargé.de cette affaire, c’est que, depuis 1810 jusqu’en mars 1812, où il l’avait quittée pour la Russie, Davout avait occupé cette ville et comme chef militaire et comme président de la commission de gouvernement chargée de l’organiser administrativement. Le choix de sa personne était donc très explicable, et il ne nous est pas apparent qu’il y eût dans ce choix, comme on l’a insinué, malveillance positive de la part de l’empereur ; mais il n’en est pas moins vrai que par cette mission Napoléon chargeait Davout d’une œuvre de vengeance, rôle pénible au premier chef et qui exige une fermeté d’une si particulière nature que nul ne l’accepte qu’à son cœur défendant. A Paris, lorsqu’arrivèrent les nouvelles de cette mission, personne ne s’y trompa. L’opinion publique la vit avec déplaisir et la regretta pour Davout ; ses ennemis s’en réjouirent, sentant bien qu’elle allait lui faire une position où il pouvait facilement se rendre odieux. La princesse d’Eckmühl, qui était à l’affût de tous les bruits qui pouvaient intéresser son mari, lui écrivit, sous le coup des alarmes du premier moment, cette très remarquable lettre qui en dit long et sur l’état de l’opinion à cette époque et sur les inimitiés que Davout s’était créées dans l’entourage de l’empereur.


8 mai 1813.

C’est Charpentier qui te remettra cette lettre, excellent ami ; sûre de son sort, je puis te dire quantité de choses que je craindrais d’aventurer. Je commence par t’avouer que je n’aime pas ton commandement de la vingt-troisième division militaire : tes pouvoirs sont illimités, mais pour faire le mal ; tu en feras le moins possible, c’est consolant pour les gens égarés. M. Auguste de Beaumont, qui t’est on ne peut plus acquis et qui a cherché à recueillir tout ce qu’on dit à ton sujet, a prêté l’oreille dernièrement dans un café où on lisait l’article du Moniteur, qui fait connaître ta mission : on ne l’aime pas, toute de confiance qu’elle puisse être. Bien certainement tu n’aurais pas autant de jaloux si tu n’avais eu que de telles occasions de servir ton prince et ton pays. Ne pouvant te posséder dans les circonstances présentes et ne pouvant pas davantage être sans tourmens à ton sujet, je te souhaiterais, mon Louis, à la tête de nos nouvelles légions dont tu tirerais le meilleur parti possible : on les dit animées d’un bon esprit, et elles ne pourraient manquer de confiance guidées par toi. L’empereur en a décidé autrement : s’il ne te tient pas compte de cette tâche pénible et que tu rempliras sans doute à sa plus grande satisfaction, ta conscience du moins te paiera le prix d’un dévoûment sans bornes et qui t’a fait bien des ennemis. On peut convenir que ton moindre soin a été d’éviter de t’en faire. Tu as presque toujours été aussi sévère et aussi exigeant pour ceux que tu devais faire servir que pour toi-même, et bien peu accueillant dans tes relations avec tous les autres qui, ne pouvant s’oublier entièrement, diffèrent en cela de toi, qui ne connais aucune composition avec le devoir que tu exerces jusqu’à en être accablé. Ne trouvant pas ou trouvant peu d’imitateurs, on commente ta manière d’être : modère, je t’en conjure, ton ressentiment de ce que la majorité des hommes ne pense pas comme toi, et contente-toi, mon bien cher ami, d’en tirer le meilleur parti en ménageant leur faiblesse. Tu en as froissé plus d’un par l’excès de ton zèle pour le service de ton prince et le bien de ton pays. On ne te pardonne pas d’être informé de beaucoup de choses qu’on considère comme n’étant pas dans les attributions de ton emploi. J’ai su par le général de Beaumont qui l’a connu à Francfort, que M. de Saint-Marsan a trouvé que tu voulais et croyais savoir mieux que lui les dispositions du gouvernement auprès duquel il était accrédité, et que tu as eu souvent des motifs d’alarme lorsqu’il était sûr des dispositions pacifiques de la Prusse. J’ai également connu par la même voie beaucoup de conversations du duc d’Otrante que je ne pourrais rapporter fidèlement, mais qui m’ont prouvé que tu as en lui un ennemi, et un ennemi bien puissant. Il disait dernièrement que tu devrais te borner à faire ton métier, au lieu de te livrer à la manie de tout savoir et de faire des rapports sur les dires les moins croyables et d’en fatiguer l’empereur. Notre ministre actuel de la police n’est pas plus ton ami : tu sais à quoi t’en tenir sur de plus grands personnages, tant il y a que tu obtiens peu de suffrages ; on s’aime en général beaucoup trop pour t’imiter, et l’on te blâme de ta manière d’être si différente de celle des autres qui se bornent à remplir sans beaucoup de peine les devoirs de leurs places…


La maréchale aurait encore bien moins aimé cette mission si elle avait connu la nature des ordres transmis à son mari. Ils sont vraiment terribles, ces ordres, et en nous les donnant, Mme de Blocqueville a été, à notre avis, fort bien inspirée par sa piété filiale. La meilleure manière de dissiper les dernières fausses opinions qui peuvent être restées dans le public sur les événemens de Hambourg est assurément de mettre le lecteur à même de constater la différence entre les mesures ordonnées à Davout et celles qu’il se borna à exécuter. Le 13 mai 1813, deux dépêches de Berthier, l’une chiffrée, l’autre qui ne l’était pas, arrivèrent en même temps à Davout. Toutes deux contenaient les mêmes ordres, mais il y avait entre elles cette différence que celle qui était sans chiffres était rédigée en termes relativement modérés et que les instructions de celle qui était chiffrée étaient de la plus impitoyable dureté. Cette dépêche est un document des plus singuliers par le mélange de terrorisme et de jésuitisme (nous prenons ce mot dans l’acception vulgairement admise) qui en fait le fond. Napoléon imposait à Davout d’agir non-seulement avec violence, mais avec duplicité. Le jour où il dicta cette dépêche est certainement un de ceux où il s’est le plus souvenu qu’il était par ses origines du pays de Machiavel. La voici, diminuée de tout ce qui est relatif aux choses purement militaires. Les passages qu’on y lira soulignés le furent par le maréchal même lorsqu’il eut à préparer son Mémoire justificatif pour le roi Louis XVIII.


Vous ferez arrêter sur-le-champ tous les sujets de Hambourg qui ont pris du service sous le titre de sénateurs de Hambourg. Vous les ferez traduire à une commission militaire, et vous ferez fusiller les cinq plus coupables. Vous enverrez les autres sous bonne escorte en France, pour être retenus dans une prison d’état. Vous ferez mettre le séquestre sur leurs biens, et vous les déclarerez confisqués. Le domaine prendra possession des maisons, fonds de terre, etc.

Vous ferez désarmer la ville, YOUS ferez fusiller tous les officiers de la légion anséatique, et vous enverrez tous ceux qui auront pris de l’emploi dans cette légion en France pour y être mis aux galères.

Dès que nos troupes seront arrivées à Schwerin, vous tâcherez, sans rien dire, de vous saisir du prince et de sa famille, et vous l’enverrez en France dans une prison d’état, ce prince ayant trahi la confédération. Vous en agirez de même à l’égard de leurs ministres.

Vous ferez une liste des rebelles, des quinze cents individus de la 34e division militaire les plus riches et qui se sont le plus mal conduits ; vous les ferez arrêter, vous ferez mettre le séquestre sur leurs biens dont le domaine prendra possession. Cette mesure est surtout nécessaire dans l’Oldenbourg.

Vous ferez mettre une contribution de 50 millions sur les villes de Hambourg et de Lubeck. Vous prendrez des mesures pour la répartition de cette somme, et pour qu’elle soit promptement payée. Vous ferez partout désarmer le pays, et arrêter les gendarmes, canonniers, gardes-côtes, et officiers et soldats ou employés qui, étant au service, auraient trahi. Leurs propriétés seront confisquées. N’oubliez pas surtout toutes les maisons de Hambourg qui se sont mal comportées et dont les intentions sont mauvaises. Il faut déplacer les propriétés, sans quoi on ne serait jamais sûr dans ce pays.

Toutes ces mesures, prince, sont de rigueur ; l’empereur ne vous laisse la liberté d’en modifier aucune. Vous devez déclarer que c’est par ordre exprès de Sa Majesté, et agir en temps et lieu avec la prudence nécessaire.

Tous les hommes connus pour être chefs de révolte doivent être fusillés ou envoyés aux galères.

Quant au Mecklembourg, l’instruction générale est que ses princes sont hors de la protection de l’empire ; mais il n’en faut rien laisser apercevoir, et probablement Sa Majesté aura le temps de donner des ordres. Comme les princes de Mecklembourg peuvent ignorer nos dispositions, vous pouvez promettre d’abord tout ce qu’on voudra, en y mettant pour restriction, sauf l’approbation de l’empereur. L’approbation étant parvenue, tout se trouverait en règle.

Vous enverrez le général Vandamme en avant avec votre quartier-général. Il faut avoir soin, prince, de ménager ce général, les hommes de guerre devenant rares.


Bien qu’un des dons principaux de Berthier fût une étonnante sûreté de mémoire, qui lui permettait de reproduire avec une fidélité sténographique les moindres nuances de la pensée de Napoléon, on peut dire cependant qu’il y a dans cette dépêche une part de sa propre personnalité. N’y sentez-vous pas en effet la joie qu’il éprouve à transmettre de tels ordres à son rival détesté et la recommandation finale sur les égards que Davout doit avoir pour Vandamme n’était-elle pas une flèche de Parthe aussi adroitement que cruellement décochée ?

L’excuse de cette dépêche, c’est qu’il est probable qu’en la dictant, Napoléon songeait beaucoup moins à faire œuvre de vengeance qu’œuvre de politique. Ce qu’il se proposait de frapper dans Hambourg, ce n était pas seulement une révolte partielle c’était la révolte générale de l’Allemagne. Il voulait, pendant qu’il en était temps encore, intimider la défection, et demandait à son lieutenant un exemple capable d’effrayer les populations, sachant, en politique qu’il était, que la terreur est dans les masses contagieuse à l’égal de a colère et de l’audace. En recevant ces ordres, Davout se sentit mal disposé à les exécuter. Nous connaissons sa maxime favorite : faire à l’ennemi tout le mal nécessaire, mais ne lui faire que celui-là ; et cette maxime, il ne l’appliquait souvent qu’à regret. Tout récemment, pendant qu’il était sous le commandement du prince Eugène, lorsqu’il lui avait fallu faire sauter le célèbre pont de Dresde, le cœur lui avait saigné en pensant à la peine qu’il allait faire à un vieux souverain qu’il aimait particulièrement, et en 1815, lorsqu’il devint ministre de la guerre, nous le voyons écrire à Vandamme pour qu’il eût soin de ne faire dans le parc de Chimay que les dégâts indispensables. Or, non-seulement on lui enjoignait de faire un mal qu’il jugeait inutile, mais on lui enjoignait d’être inhumain et perfide. Nous n’avons pas les lettres qu’il adressa à cette occasion à l’empereur, mais il faut qu’elles aient trahi bien des inquiétudes ou qu’elles aient manifesté des scrupules de plus d’une nature, ou qu’elles aient opposé à plus d’une des mesures exigées des refus motivés, car, un mois après cette dépêche, nous voyons Napoléon s’adresser directement à Davout pour préciser le sens de ses instructions. Quoique la sévérité de ses ordres soit d’abord maintenue, on comprend qu’il a consenti à laisser à son lieutenant carte blanche sur plus d’un point, et en somme, au lieu de dire : Frappez, comme dans la dépêche précédente, il finit par dire : Faites-les surtout payer. Évidemment quelques-unes des remontrances de Davout ont été entendues.


Brunslau, 7 juin 1813.

Mon cousin, je n’ai pas besoin de vous dire que vous devez désarmer les habitans, vous emparer de tous les fusils, sabres, canons et de toute la poudre, faire des visites domiciliaires, si cela est nécessaire, et utiliser le tout pour la défense de la ville. Je n’ai pas besoin de vous dire non plus que vous devez presser tous les matelots, au nombre de trois à quatre mille et les envoyer en France ; que vous devez presser également tous les mauvais sujets et les envoyer aussi en France pour être incorporés dans les 127e, 128e, 129e régimens. Débarrassez ainsi la ville de cinq à six mille hommes, et faites peser le bras de la justice sur la canaille, qui paraît s’être on ne peut plus mal comportée. Pour les autres dispositions, je m’en rapporte à la lettre chiffrée du major-général, en date du 7 mai.


Dresde, 17 juin.

Mon cousin, je suis surpris que vous n’ayez encore ramassé que quatre mille fusils. Faites faire des exécutions militaires, et pour l’exemple, que le premier qui sera convaincu d’avoir soustrait son fusil soit puni de mort. Sur les quatre mille fusils que vous avez, faites-en partir deux mille pour Dresde. Nous en avons grand besoin… Je suppose que vous avez fait la liste des cinq cents individus qu’il faut déposséder, que vous avez fait mettre le séquestre sur leurs biens et que le domaine en a pris possession.

Dresde, 24 juin.

Tout le monde que l’ancien maire s’est bien comporté. Vous pourriez lui faire intimer, à lui et à quelques autres, de rentrer, en leur donnant un délai et alors on ne les inscrirait pas sur la liste des absens. Pourtant si, lors de votre entrée, vous aviez trouvé les sénateurs en charge et que vous en eussiez fait passer cinq par les armes, cela eût été convenable ; actuellement il vaut mieux les mettre sur la liste des absens.


Dresde, 1er juillet.

Mon cousin, je vous laisse maître, si vous le jugez convenir à mes intérêts, de publier une amnistie pour ceux, bien entendu, qui seraient rentrés dans l’espace de quarante-cinq jours ; vous excepteriez de cette amnistie qui vous jugeriez convenable. La meilleure manière de punir les marchands, c’est, en effet, de les faire payer. Ce qui serait surtout bien nécessaire, c’est de vous défaire d’un tas de gens de la dernière canaille, qui ont été dans l’insurrection et qui sont plus dangereux que les gens comme il faut. Je vous laisse carte blanche sur tout cela.


Dresde, 9 juillet.

… Quant à l’amnistie, vous savez bien que je vous ai donné carte blanche. Je ne vous fais aucune difficulté à cet égard ; j’aime mieux les faire payer ; c’est la meilleure manière de les punir. Il faut chercher aussi à atteindre la canaille, et faire peser sur elle une portion de la contribution de guerre, en doublant et quadruplant la contribution personnelle, celle des portes et fenêtres, en augmentant l’octroi, en augmentant les droits sur le débit au cabaret, etc. Cela ne produira que deux « ou trois millions, mais il est convenable de frapper aussi la canaille et de lui faire voir qu’on ne la craint pas. Il faudrait l’atteindre en en prenant le plus qu’on pourra pour envoyer en France dans les troupes, et en saisissant tous les boute-feu, qu’on enverra aux galères et dans les maisons de force en France.


Mme de Blocqueville nous dit avoir tenu entre ses mains une réponse du maréchal à ces ordres de l’empereur, laquelle débutait par cette phrase : « Jamais votre majesté ne fera de moi un duc d’Albe, je briserai mon bâton de maréchal plutôt que d’obéir à des ordres dont l’empereur serait lui-même le premier à regretter l’exécution. La guerre est assez horrible sans y ajouter des cruautés inutiles. Je ne ferai fusiller personne. Je n’expédierai point les princes sous escorte. » Elle ajoute que M. Villemain, dont la merveilleuse mémoire était bien connue, ayant retenu cette lettre par cœur, après l’avoir lue deux fois, avait été ainsi à même d’en tirer une copie dont il lui avait promis un double. On ne peut que faire des vœux pour qu’une pièce d’une telle importance se retrouve, soit dans les papiers tombés en partage aux autres membres de la famille de Davout, soit dans les papiers laissés par M. Villemain, mais ce qui peut consoler de la perte de ce document, c’est qu’il nous est inutile pour juger en toute assurance que la conduite de Davout fut entièrement conforme à la réponse donnée plus haut. Il comprit dès le premier instant la situation qui lui était faite et il en éluda les périls avec un admirable bon sens. Il prit sur lui de ne pas exécuter la lettre des ordres prescrits, tout en en conservant l’esprit, et il en trouva le moyen en se renfermant sans en sortir d’une ligne dans les lois propres à la guerre et en les appliquant dans toute leur rigueur. Le voulait-on sévère, même dur, soit, les lois de la guerre, qui obligent tout soldat, sont sévères et dures ; mais on lui recommandait la cruauté, et c’est à cela qu’il avait le droit de se refuser, ces lois n’imposant pas la cruauté avec la même évidence qu’elles imposent la sévérité. Il traita donc les Hambourgeois comme un chef d’armée traite les habitans d’une ville conquise, et non comme un vainqueur dans les guerres civiles traite des rebelles au gouvernement de la patrie ; c’est dire qu’il leur épargna ces représailles qui rendent si douloureuses les répressions des discordes civiles et qu’autorisait cependant le titre de sujets de l’empire qu’ils portaient depuis 1810. Il ne fit fusiller ni rechercher personne pour cause d’opinions, mais il fit passer par les armes les espions avérés et les embaucheurs pris sur le fait. Il ne confisqua les biens de personne, mais lorsqu’il fut contraint par les besoins de l’armée, il s’empara manu militari de la banque de Hambourg et lui demanda les ressources que le commerce hambourgeois lui refusait. Il ne fit aucune proscription, mais lorsque les nécessités de la défense l’exigèrent, il usa du moyen dont se sert tout commandant d’une place assiégée et fit sortir de Hambourg vingt-cinq mille habitans. Pour toutes ces mesures, il était couvert non-seulement par les ordres précis de Napoléon, mais par les lois traditionnelles de la guerre, en sorte qu’il put dire quelques mois plus tard en toute vérité à ses accusateurs : « J’ai fait simplement mon métier, j’en ai appliqué les règles et je ne suis coupable que si elles le sont. » C’est le raisonnement même qui fait le fond de son Mémoire justificatif adressé au roi Louis XVIII et qui lui prête une force de logique à l’abri de toute réfutation.

Si l’occupation de Hambourg n’eut pas pour Davout les conséquences odieuses qu’il avait pu un moment redouter, elle en eut une funeste qu’il ne fut pas en son pouvoir d’éviter, c’est qu’elle le cloua sur place et le tint éloigné du théâtre principal de la guerre pendant ces deux décisives années de 1813 et de 1814. Des juges fort experts en matière militaire se sont étonnés de cette immobilisation de Davout et ont insinué qu’il en fallait chercher le secret dans la défaveur de Napoléon. Nous n’avons guère autorité pour contredire ces jugemens, mais il ne nous est pas évident qu’au début cette immobilisation fût dans la pensée de l’empereur. Napoléon attachait à Hambourg une importance exceptionnelle, si exceptionnelle qu’il voulait en faire une place forte de premier ordre. Désespérant d’y arriver dans les circonstances difficiles où il était, il voulut au moins que Davout la mit en état de défense sur tous les points où les travaux pouvaient être exécutés promptement de manière qu’une faible garnison suffit à la défendre et laissât disponibles les forces du maréchal. La possession de Hambourg permettait en outre de surveiller de près les mouvemens du prince de Suède, et Napoléon s’était probablement dit qu’il n’avait personne qu’il pût opposer à Bernadotte avec autant de confiance que Davout. Enfin, lorsque Hambourg serait repris et fortifié, Davout, y laissant, comme nous avons dit, une faible garnison, devait relier ses opérations à celles d’Oudinot sur Berlin dès que les ordres lui en parviendraient. On ne voit guère en tout cela une pensée d’immobilisation systématique. Mais les circonstances déconcertèrent ces premiers plans, les opérations d’Oudinot échouèrent, et les ordres attendus n’arrivèrent jamais. À partir du 18 août 1813, c’est-à-dire peu de jours après l’expiration de l’armistice, jusqu’à la chute de l’empire, Davout resta entièrement livré à lui-même, sans instructions quelconques, et sans pouvoir prendre à la guerre générale une autre part que celle trop modeste, par rapport à ses grands talens, que lui permettait cette situation fatale.

Dans la correspondance de Davout et de la princesse d’Eckmühl pendant les mois soucieux de cette occupation, on aperçoit les mouvemens de la terrible lutte engagée au cœur de l’Europe comme par le moyen d’une lanterne sourde. Éloignés l’un et l’autre du théâtre de la guerre, les deux correspondans sont comme enveloppés dans une sorte de nuit ; mais de temps à autre un filet de lumière jaillit brusquement et révèle l’imminence de la catastrophe. Là-bas, à Paris, on sent le danger qui s’avance à marches forcées et on se hâte pour le prévenir. Le besoin d’hommes est pressant, et il faut qu’il menace de le devenir bien davantage pour qu’on se décide à ces levées en masse de jeunes conscrits pris avant l’heure, levées dont s’afflige la maréchale, non sans bon sens et avec une prévoyance relevée de grâce : « J’aurais souhaité, pour le plus grand avantage de l’armée, qu’on n’eût pris que des hommes faits et parfaitement dans le cas de supporter la suite des fatigues, car le premier tourment des parens est la faiblesse de leurs enfans. les très jeunes gens peuvent être moissonnés avant d’avoir rendu le plus petit service. Je voudrais qu’ils se formassent au métier des armes dans de bons dépôts et que ceux qui doivent marcher de suite soient bien forts. Mais de quoi se mêle mon Aimée ? vas tu dire. Elle se mêle de désirer que la force soit réelle au lieu d’être apparente, pour que la paix soit promptement rendue à l’Europe, et par suite le bonheur à l’on Aimée, toute à toi jusqu’à son dernier soupir. » Il semble aussi, symptôme fâcheux sous un tel régime, que l’on commence à parler beaucoup, que l’on est à l’affût des nouvelles et qu’une des grandes préoccupations du moment est de s’informer. On disait hier dans le cercle de l’impératrice ; la comtesse Compans vient de m’assurer ; je tiens de la duchesse de Castiglione, — les lettres de la maréchale sont pleines de ces on-dit qui toujours se rapportent à quelque mauvaise nouvelle. Faux bruits, répond invariablement Davout, bruits qu’il faut regarder comme des manœuvres de l’ennemi, qui chante à chaque instant des Te Deum menteurs à nos oreilles et nous inonde de libelles anonymes. Te Deum et libelles peuvent être menteurs, ils n’en témoignent pas moins de l’acharnement toujours croissant de l’ennemi à provoquer la défection chez les quelques alliés qui nous restent, la rébellion chez les populations soumises et, s’il se peut, la désertion parmi nos propres troupes. Pendant le mois qui suit l’armistice, la maréchale parle encore librement, mais le mois d’octobre venu, sur une lettre où elle trahit un peu trop vivement ses inquiétudes, Davout l’engage à se renfermer dans les nouvelles qui concernent sa santé et ses enfans, parce que ses lettres, n’arrivant plus aussi directement que par le passé, peuvent tomber entre les mains de l’ennemi, ce qui veut dire : « Je suis cerné plus étroitement que précédemment, les partisans se montrent en plus grand nombre et avec plus d’audace. » Enfin, dans les derniers jours d’octobre, cette correspondance presque journalière cesse brusquement. C’est que le désastre de Leipsick a eu lieu et que Davout, séparé désormais irrémédiablement de l’armée et de la France, a été obligé de s’enfermer dans Hambourg et d’y attendre que les événemens viennent le relever de ce poste de combat.

C’est seulement alors que commença la véritable défense de Hambourg. Il en faut lire les détails dans la relation du général César de Laville, relation incorrecte sans doute, mais où parle cette éloquence des faits que ne remplace aucune adresse de langage. Davout y apparaît admirable. Cette tâche, ingrate jusque-là, il la vivifie de tout le feu de son génie militaire et la relève jusqu’à l’héroïsme. Rarement on vit dans l’histoire militaire d’aucun peuple exemple d’une aussi prévoyante activité et d’une telle constance. Le voilà seul désormais, coupé de ses communications avec la France, sans espoir de réparer ses pertes, presque à la merci d’une population hostile, que la moindre étincelle peut enflammer et la moindre faiblesse dans le commandement enhardir jusqu’à l’insurrection. Sans perdre une heure, Davout se met à l’œuvre et fait en quelques jours une ville imprenable d’une ville en mauvais état de défense. Ces fortifications provisoires, recommandées par l’empereur, il les complète sous le feu même de l’ennemi. On fait des travaux de défense avec les matières les plus étranges, avec des branches d’osier et de la terre, avec le fumier des casernes, avec de la neige arrosée d’eau, qu’une nuit de froid transforme en remparts de glace. Pour se mettre à l’abri des surprises, Davout ordonne un abatis impitoyable des immeubles situés sur les glacis et des maisons de campagne des environs, puis, le pays ainsi découvert de manière qu’aucun mouvement ne puisse s’y faire sans qu’il l’aperçoive, il prend ses précautions contre l’ennemi de l’intérieur. Dans l’isolement où il est, qu’une attaque extérieure réussisse un instant, et des vêpres hambourgeoises sont à craindre ; pour se rassurer contre cet accident possible, il fait sortir d’un coup vingt-cinq mille habitans et les jette sur Altona et autres localités. Il ordonne aux habitans restant de s’approvisionner de vivres pour six mois, prend des mesures analogues pour son armée et se précautionne ainsi contre la famine, qui a livré plus de places de guerre que le sort malheureux des armes. L’ennemi cependant multiplie ses attaques ; quoique toujours repoussé, il devient de plus en plus pressant, et bientôt il arrive à séparer Davout du corps allié des Danois, qui, de son côté, est obligé de s’enfermer dans Gluckstadt ; mais cet accident n’est point pour affaiblir la constance du chef, et il tient avec plus de ténacité que jamais. Le territoire défendu se rétrécit insensiblement ; Davout ne bronche pas. Les nouvelles de France n’arrivent plus jusqu’à lui, mais l’ennemi qui les sait mauvaises s’en enhardit pour menacer et provoquera la révolte ; Davout n’en trahit pas la moindre alarme. Enfin l’empire s’est écroulé, et Davout, qui tient Hambourg pour le compte de Napoléon, est encore debout plusieurs semaines après la chute de son maître, il serait debout six mois encore, si les événemens le demandaient. Le 11 mai 1814, il sort de cette place, qu’il n’a pas rendue, en y laissant, sous le commandement du général Gérard, une armée de quarante-deux mille hommes, qu’il a trouvé moyen de préserver contre l’hiver, la famine et la maladie. Hambourg est la troisième grande page de l’histoire militaire de Davout ; elle est digne des deux premières, elle leur est peut-être supérieure en ce sens que Davout y eut occasion de montrer ses qualités avec un ensemble que ne lui avaient permis ni Auerstaedt, ni Eckmühl, où il n’avait eu à les déployer que dans leurs parties les plus brillantes. Comme il revenait en France, une lettre de sa femme l’atteignit en route et lui porta de fâcheuses nouvelles. « Comme j’allais fermer cette lettre, hier on est venu me dire qu’un aide de camp du ministre de la guerre avait une lettre à me remettre… Quelle a été ma surprise en reconnaissant que cette lettre t’était destinée et qu’elle renfermait l’invitation de quitter Paris, où l’on te croyait, pendant que tu serais appelé à te justifier des griefs portés contre toi ? Le premier est d’avoir fait tirer sur le drapeau blanc, le second de t’être emparé de la banque, et enfin d’avoir commis des actes arbitraires qui tendaient à rendre le nom français odieux. Il est pénible de se devoir défendre pour avoir fait ce que tout homme possédé du génie militaire eût fait à ta place. Tu trouveras un grand mécompte entre ce que l’on eût dû accorder à ta conduite et la manière dont on l’envisage ; mais, mon Louis, mon unique bien, cette injustice te met à même de montrer l’homme vertueux dans tout son éclat ; jusqu’ici, l’on ne connaissait que tes vertus militaires, dont la nature est d’être accompagnées d’infiniment de rigueur. » On sait comment Davout, pour répondre à ces accusations, écrivit alors son Mémoire justificatif adressé au roi Louis XVIII. Il n’eut pas de peine à établir que, s’il avait fait tirer sur le drapeau blanc, ce n’était point par pensée d’outrage, mais parce que Beningsen, contrairement aux conventions arrêtées, avait fait avancer ce drapeau pour s’emparer de positions que ces mêmes conventions lui refusaient. Pour les autres mesures, il se couvrit, comme nous l’avons dit, des lois de la guerre et surtout des ordres de Napoléon ; mais avec une loyauté que l’on ne saurait trop admirer, il ne cita de ces ordres que les parties les plus avouables et qui pouvaient le moins soulever la réprobation contre l’homme que les passions du temps n’appelaient plus que l’ogre de Corse[2]. Ce mémoire, peu répandu à l’origine, supprimé en 1815 par Napoléon, est aujourd’hui connu de peu de personnes ; en le réimprimant dans la présente publication, la fille de Davout a rendu en plus d’un sens un véritable service à la mémoire de son père. A ne prendre cette pièce qu’au point de vue littéraire, elle mériterait encore d’être lue. Remarquable par la clarté du style, l’ordonnance des faits, la déduction aisément logique des raisonnemens, ce mémoire est le morceau capital de la plume de Davout, et le seul certainement qu’il ait écrit en toute sa carrière à tête reposée.

C’est ici l’occasion de dire un mot du style propre à Davout. Ce style est à la fois excellent et incorrect. Le maréchal n’était pas un peseur juré de diphtongues, cela va sans dire, et il écrivait beaucoup trop et dans des circonstances trop pressantes pour avoir le temps d’éviter les répétitions ou de rechercher les tours de phrase élégans. Sa pensée en sortant s’habille comme elle peut da premier mot qu’elle rencontre ; si le mot est heureux, c’est tant mieux ; s’il est faible, c’est tant pis. Ce qui est certain, c’est qu’en dépit de ces inégalités et à cause de ces inégalités même, son style est bien fait à l’image de son caractère. Il lui faut la phrase courte, sans incidentes ni parenthèses, telle que l’aiment les pensées simples et les esprits tout d’une pièce. Les longues périodes ne sont point son fait non plus que les pensées compliquées ; il s’y débrouille mal et manque de patience pour en suivre les mouvemens ou d’adresse pour en relier les parties. Jamais homme ne fut moins fait pour le style de rhéteur ou d’académie. Mais il y a en lui un véritable écrivain en puissance, qui n’a pas eu le temps de se développer ni même de se reconnaître : on le sent au vigoureux relief des expressions et à la forte couleur dont la phrase est empreinte lorsque les rencontres sont heureuses. One seule fois cet écrivain a eu l’occasion et le loisir de se révéler, c’est dans le Mémoire justificatif sur Hambourg, et ce document suffit pour nous laisser deviner ce qu’aurait été Davout comme écrivain s’il avait livré sa vie à la pensée aussi complètement qu’il l’avait livrée à l’action.


IV

Davout, ne devant rien à la première restauration qu’une demi-persécution, répondit sans hésiter au premier appel de Napoléon après le retour de l’île d’Elbe. Nommé ministre de la guerre, il servit son ancien maître pendant les cent jours avec cette activité qui lui était ordinaire et cette fidélité invulnérable que n’avaient pu entamer ressentimens ni dégoûts. Les présens mémoires nous offrent peu de documens nouveaux sur son ministère jusqu’à Waterloo ; nous avons eu occasion, dans le cours de cette étude, d’en citer les principaux, la correspondance avec Oudinot et la lettre à Rapp, à laquelle nous aurions pu ajouter une lettre du même l’on écrite à Soult pour le prier de ne pas contrecarrer par ses ordres ceux qu’il donnait lui-même. Des documens restant, le plus curieux est un rapport à l’empereur sur un certain baron saxon du nom de La Sahla. Ce personnage, convaincu d’avoir voulu assassiner Napoléon en Allemagne, s’était fait envoyer par Vandamme à Davout, prétextant qu’il était rallié à la cause de l’empereur et montrant comme preuves de sa véracité des passeports qu’il prétendait avoir obtenus du ministère prussien sur la promesse d’une nouvelle tentative de meurtre. Les documens postérieurs à Waterloo ont un intérêt pks véritable, et dans le nombre il en est un d’une importance considérable qui nous invite à nous arrêter sur le rôle du prince d’Eckmühl pendant les jours troublés qui séparèrent l’empire de la seconde restauration.

Nous savons par nos tristes expériences contemporaines ce qui se passe dans ces momens de crise où les nations sont comme sous un nuage. Comme dans ces momens la rapidité des événemens crée la nuit dans les intelligences, que ce qu’on avait cru vrai la veille se trouve faux le lendemain, que l’appui sur lequel on comptait il y a une heure se trouve à l’heure suivante ne plus exister, les passions, surexcitées par le danger qui les presse et affolées par l’incertitude, vont tâtonnant avec violence dans les ténèbres, cherchant à quoi se soutenir et qui accuser. De là ce feu croisé d’invectives, de délations, de récriminations, d’injures, de calomnies, de superstitions et de sottises, qui toutes ont trouvé sur le moment des crédules, des adhérens et des dupes, mais qui à distance font à celui qui pèse froidement les circonstances de cette crise, devenue de l’histoire, l’effet de cette fonte des paroles gelées qui émerveilla si grandement Pantagruel et ses compagnons. La conduite du prince d’Eckmühl, à cette époque, a été très diversement jugée, et toujours passionnément, soit par les royalistes, qui lui trouvaient trop peu d’empressement à marcher au-devant des Bourbons, soit par les bonapartistes, qui l’accusaient d’ingratitude envers Napoléon et reprochaient à sa fidélité de n’avoir pas survécu à l’abdication. La conduite du prince d’Eckmühl fut, à notre avis, cependant fort claire, et nous allons tâcher de l’expliquer en quelques mots telle qu’elle nous apparaît.

Il y a deux phases à cette conduite, la phase d’avant l’abdication et la phase d’après ; mais, dans l’une comme dans l’autre, Davout n’a voulu qu’une même chose sous deux formes diverses : sauvegarder l’indépendance nationale de manière que la France restât maîtresse de ses destinées et que la défaite de ses armes ne fût pas un prétexte pour lui imposer celles même qui pouvaient lui être le plus bienfaisantes et que le cours des événemens indiquait en toute évidence. Après Waterloo, et dès que Napoléon fut de retour, Davout s’empressa de se rendre auprès de lui ; il le trouva au bain, fort abattu, et roulant déjà des pensées d’abdication. Avec la décision qui était dans sa nature, Davout lui conseilla de prendre hardiment parti sur l’heure, de casser les chambres et de résumer en lui seul pour un temps le gouvernement de la France. Le conseil assurément n’était pas conforme à l’orthodoxie constitutionnelle, mais la question est de savoir si ce moyen peu parlementaire n’était pas le seul qui répondît aux nécessités de l’heure présente. Si la lutte était encore possible, en effet, elle ne pouvait l’être qu’à cette condition. Il fallait que la France parût une dans sa résistance ; et pour cela, il fallait que sa cause parût identifiée à Napoléon, inséparable de sa personne. Or le maintien des chambres devait rendre impossible cette illusion nécessaire. Avec elles, la France allait apparaître divisée contre elle-même ; on verrait qu’une partie refuserait d’associer l’existence nationale à la fortune du souverain, tandis que l’autre, par amour aveugle du souverain, serait, prête à compromettre cette existence même. D’ailleurs, même quand elles vont vite, les assemblées procèdent encore avec trop de lenteur, ; et les circonstances étaient de celles qui n’admettaient pas une lutte languissante. Ce conseil rejeté, l’abdication était inévitable, et une fois cet acte accompli, Davout vit clairement qu’il n’y avait qu’un seul dénoûment à la crise dans laquelle s’agitait la France, et que ce dénoûment était fatal.

Ce fut librement qu’il accepta cette solution, car qu’un tel homme ait pu être la dupe de Fouché, comme on l’a écrit et comme sa fille semble l’admettre, c’est ce qu’il nous est très difficile de croire. Quel besoin Davout avait-il de Fouché pour comprendre que, Napoléon ayant abdiqué et le gouvernement de son fils sous une régence n’ayant aucune chance d’être accepté par les alliés, il n’y avait pour la France que deux alternatives : ou se prêter au rétablissement des Bourbons, ou revenir à l’anarchie révolutionnaire, qu’il abhorrait de toute son âme ? Mais, après comme avant l’abdication, l’indépendance nationale restait son principal souci. Il lutta autant qu’il le put pour que le nouveau gouvernement fût ou parût un choix de la France et non une conséquence de la conquête, et pour empêcher que les alliés ne s’arrogeassent le droit d’imposer à la France ses conditions d’ordre intérieur. Après l’abdication, il essaya de négocier un armistice avec les généraux des armées alliées en cherchant à leur faire accepter la distinction qu’il établissait dans sa pensée entre la France et le souverain qui était la cause unique de la guerre. « Les motifs de la guerre que nous font les souverains alliés n’existent plus, puisque l’empereur Napoléon a abdiqué, » disait-il dans une lettre fort noble adressée à Wellington. C’est le raisonnement par lequel après Sedan le parti républicain essaya d’arrêter la guerre ; le moyen, il faut le dire, ne réussit pas mieux à Davout en 1845 qu’à la république en 1870. Wellington lui répondit en gentleman correctement poli qu’il ne, s’arrêterait que lorsqu’il aurait obtenu des conditions de paix stable ; Blücher lui répondit en fanatique qui se venge que l’abdication de Napoléon n’emportait pas toute raison de continuer la guerre, et que les alliés poursuivraient leur victoire, Dieu leur en ayant donné la volonté et les moyens. Puisque les généraux des armées alliées refusaient de faire la distinction que demandait Davout, il était bien permis de penser que c’était à l’indépendance même de la nation qu’ils en voulaient, et alors cette question se posait naturellement : ne vaut-il pas mieux courir les chances d’arracher par de nouveaux combats une paix honorable que d’attendre passivement celle qu’il plaira aux alliés de nous imposer ? C’était le sentiment d’une partie de l’armée, et quoique Davout fût trop sagace pour ne pas savoir que le sort de la France ne tenait pas désormais à une bataille gagnée de plus ou de moins, je crois fermement qu’il la partagea un moment. Comment donc se fait-il qu’il ait été précisément accusé de n’avoir pas voulu livrer bataille pour défendre Paris contre l’entrée des alliés ? C’est qu’il se trouvait dans une situation difficile dont les complexités embarrassaient sa nature peu flexible bien mieux que toutes les finesses de Fouché. Hier, ministre de Napoléon, aujourd’hui résigné par raison aux Bourbons, il se trouvait au confluent de deux partis dont il ne voulait servir ni les espérances ni les craintes. La partie ardente du camp bonapartiste désirait la continuation des hostilités beaucoup dans l’espérance qu’une bataille gagnée aurait chance de faire accepter par les alliés le fils de Napoléon et de rendre l’opinion moins favorable au rétablissement des Bourbons ; le parti royaliste la redoutait parce qu’il prévoyait que toute nouvelle défaite se traduirait dans l’opinion vulgaire par un accroissement d’impopularité pour la dynastie restaurée. Il était assez difficile défaire comprendre aux premiers que, s’il fallait continuer les hostilités, ce ne pouvait être que par point d’honneur patriotique et pour que la France restât maîtresse d’elle-même, aux seconds qu’une bataille gagnée aurait pour les Bourbons ces inappréciables avantages de ne pas associer leur restauration à une défaite, de ne pas aliéner l’armée, de permettre au roi de traiter directement de la paix avec les alliés et d’entrer dans Paris sans escorte étrangère. D’ailleurs Davout était attaché, d’une part, par des liens trop nombreux au parti vaincu pour rompre ouvertement en visière avec lui et pour blesser des regrets qu’il partageait plus que probablement ; d’autre part, il était trop suspect au parti royaliste pour espérer d’avoir assez d’action sur lui pour l’amener à partager cette politique patriotique que nous avons résumée dans les lignes précédentes. Dans cette position difficile et se sentant pour ainsi dire isolé dans ses opinions, il se renferma d’abord dans le silence qui lui était habituel, mais les circonstances ne lui permirent pas de s’y tenir longtemps, et quand il le rompit, ce fut pour se déclarer ouvertement favorable à la continuation de la lutte.

Il y a une vingtaine d’années, vivait encore M. Clément, député du Doubs en 1815. Il avait fait partie, en qualité de secrétaire de la chambre des représentai, de la réunion d’état convoquée par Fouché pour délibérer précisément sur la question de savoir si l’armée française devrait se porter en avant pour arrêter la marche des alliés sur Paris. Mme de Blocqueville ayant entendu dire que ce respectable vieillard professait pour le patriotisme du prince d’Eckmühl en 1815 une admiration qui datait précisément de cette fameuse séance, désira être mise en rapports avec lui. Le résultat de ces rapports fut la note suivante, qu’il rédigea sur l’invitation de la fille de Davout et qu’il lui remit à la condition qu’elle ne serait pas publiée de son vivant. Nous donnons cette note malgré son étendue, d’abord à cause de son importance, ensuite parce qu’elle est le document même dont M. Thiers s’est servi pour le récit de cette scène dans son dernier volume de l’Histoire de l’empire, Il est évident, en effet, ou bien que cette note lui a été communiquée, ou bien qu’une note à peu près identique a été rédigée pour lui par le même M. Clément, ainsi que pourront s’en convaincre tous ceux qui, après l’avoir lue, auront la curiosité de la comparer au récit de l’historien.


Après le désastre de Waterloo, les armées anglaises et prussiennes, sous le commandement de Wellington et de Blücher, se dirigeaient sur Paris.

L’armée française, campée à la Villette et commandée par le maréchal prince d’Eckmühl, ministre de la guerre, demandait à marcher à l’ennemi et à lui livrer bataille. Elle avait exprimé ce vœu dans les adresses envoyées aux deux chambres et au gouvernement provisoire.

Dans ces circonstances, le duc d’Otrante, président du gouvernement, crut devoir convoquer les bureaux des, deux chambres pour les consulter sur la question de savoir si notre armée se porterait à la rencontre de l’ennemi et lui livrerait bataille.

La réunion eut lieu au palais des Tuileries, où siégeait le gouvernement provisoire. Elle était composée des cinq membres du gouvernement, savoir :

Le duc d’Otrante, président ;

MM. Carnot, Caulaincourt, duc de Vicence, comte Grenier et Quinette ;

M. Berlier, secrétaire ;

Des bureaux des deux chambres ;

Du maréchal prince d’Eckmühl, ministre de la guerre et commandant en chef de l’armée de Paris ;

Du maréchal prince d’Essling, commandant les gardes nationales de la Seine.

Le ministre de la guerre s’était fait accompagner des généraux Decaux et Évain, chargés des services de l’artillerie et du génie, lesquels devaient rendre compte de l’état de la place de Paris, de ses moyens de défense en cas de siège, des approvisionnement de toute espèce, etc.

Le conseil réuni, le duc d’Otrante annonça le motif pour lequel il avait été convoqué et invita les membres à faire connaître leur opinion.

Personne n’étant préparé pour une discussion de cette nature et n’ayant demandé la parole, le président interpella brusquement celui qui écrit ces lignes, M. Clément, l’un des secrétaires de la chambre des représentans avec lequel le duc avait eu des fréquens rapports depuis la réunion des chambres, ce qui avait établi entre eux une espèce de familiarité : il l’invite à ouvrir la discussion.

M. Clément, un peu étonné de cette interpellation, répondit que, n’étant pas militaire, il ne pouvait avoir d’opinion dans une pareille affaire, qu’il s’en formerait peut-être une quand il aurait entendu MM. les maréchaux qui faisaient partie du conseil. Il exprima surtout, mais avec beaucoup de réserve et de déférence, le désir de connaître l’opinion de M. le prince d’Essling, qui s’était illustré par la défense de Gênes et qui lui paraissait parfaitement en état de juger si Paris pouvait être défendu, en cas d’attaque.

Le duc d’Otrante invita alors le prince d’Essling à faire connaître son opinion. Celui-ci ne put se dispenser de prendre la parole ; mais, soit parce qu’il n’était pas préparé à parler, soit parce que ses facultés s’étaient peut-être déjà un peu affaiblies, il ne dit rien qui pût éclairer le conseil et faciliter une discussion ; il se renferma dans des généralités et ne conclut point.

Après M. le prince d’Essling, deux secrétaires de la chambre des pairs parlèrent successivement et avec une grande violence. Ils exprimèrent l’un et l’autre l’avis qu’il fallait livrer bataille, ne fut-ce que pour l’honneur de nos armes. L’un de ces orateurs ayant dans son discours prononcé quelques mots qui semblaient être une attaque contre M. le prince d’Eckmühl, celui-ci s’en émut, et, se levant immédiatement, demanda la parole avec une grande vivacité.

Il dit qu’il n’ignorait point qu’on répandait dans Paris le bruit qu’il n’était point disposé à se battre ; que c’était une infâme calomnie contre laquelle il protestait de toutes les forces ; de son âme. Il ajouta qu’il ne demandait au contraire qu’à se battre et qu’il était prêt à livrer bataille dès le lendemain si le gouvernement l’y autorisait.

Ces paroles ayant été prononcées avec beaucoup de chaleur et l’accent de la plus grande loyauté, le duc d’Otrante craignit qu’elles ne produisissent sur les membres du conseil un effet contraire à celui qu’il paraissait désirer ; il essaya en conséquence d’embarrasser le prince d’Eckmühl, le sommant en quelque sorte de dire si, en demandant avec autant d’assurance a livrer bataille, il croyait pouvoir répondre de la victoire. Ce furent ses propres expressions.

Mais le prince d’Eckmühl, sans se laisser déconcerter par une pareille question, répondit : « Oui, monsieur le président, j’ai une armée de 73,000 hommes, pleins de courage et de patriotisme, et je réponds de la victoire et de repousser les deux armées anglaise et prussienne, si je ne suis pas tué dans les deux premières heures. »

Cette réponse fit une très vive impression sur le conseil, dont la majorité des membres aurait probablement exprimé une opinion conforme au vœu du prince d’Eckmühl, si M. Carnot, l’un des membres du gouvernement, n’eût pris la parole en ce moment.

M. Carnot, qui portait un habit de simple garde national, tout couvert de poussière, fit un discours dont, M. Clément, qui écrit cette note, se rappelle entièrement la substance et même les paroles.

Il dit qu’il descendait de cheval et venait d’inspecter, pour la seconde fois, les travaux entrepris pour la défense de Paris ; qu’il n’était pas suspect dans l’opinion qu’il allait exprimer, car il avait voté la mort de Louis XVI et n’avait à attendre que des persécutions et l’exil de la part des Bourbons, qui, par l’appui des armées coalisées, étaient à la veille de rentrer dans la capitale, mais qu’il était Français avant tout, et qu’à ce titre il se croirait coupable, s’il conseillait une résistance qui serait inutile et aboutirait, en définitive, au siège de Paris.

Il représenta avec beaucoup d’énergie la responsabilité qui pèserait sur ceux qui auraient exposé aux horreurs d’un siège une capitale renfermant une population aussi nombreuse, tant de richesses, de monumens, etc. Il fit entendre qu’il y avait trahison évidente, car Paris n’était défendu que sur les points où il ne pouvait pas être attaqué, et qu’il était absolument sans défense sur les points vulnérables. D’ailleurs, les subsistances n’étaient point assurées et les approvisionnemens de guerre manquaient tout à fait.

En cet état de choses, et tout en rendant justice au patriotisme du prince d’Eckmühl, M. Carnot déclara, que, en son âme et conscience, il regarderait comme un crime d’avoir contribué à exposer Paris à un siège, attendu qu’il était sans défense.

Ces paroles prononcées avec calme et une véritable conviction, et surtout de la bouche d’un homme dont on connaissait l’austérité de principes et le dévoûment à son pays, produisirent sur l’assemblée une vive et profonde émotion. La délibération cessa à l’instant, et chacun se retira dans un profond sentiment de tristesse. Mais celui qui écrit cette note et qui siégeait entre les deux maréchaux d’Eckmühl et d’Essling est resté convaincu de la loyauté et du patriotisme du prince d’Eckmühl et n’a pas douté un instant, après l’avoir entendu, de sa ferme résolution de livrer bataille s’il y eût été autorisé. Il est probable que tous les hommes graves et sans passions présens au conseil partageaient cette opinion.

M. Clément, guidé par l’amour de la vérité et par ses sympathies pour le sentiment filial de Mme la marquise de Blocqueville, née d’Eckmühl, a rédigé cette note pour elle, mais non pour recevoir la publicité.

Signé : M.-L. CLEMENT.

P. S. — Il n’est pas inutile d’ajouter comme complément de cette note que M. le prince d’Eckmühl, après avoir prononcé le discours mentionné ci-dessus, et comme ayant un pressentiment que sa conduite pendant les cent jours pourrait être incriminée, avait dit à M. Clément, en lui serrant les mains avec émotion : « Je vous prie, monsieur, de vous rappeler les paroles que je viens de faire entendre. Peut-être serai-je un jour dans le cas d’invoquer votre témoignage au sujet de ce qui se passe ici en ce moment. »

Signé : M.-L. CLEMENT.


Cette note obtenue, Mme de Blocqueville nous dit qu’elle n’en fut point entièrement satisfaite, et Edgar Quinet, à qui elle fut communiquée quelques années après, exprima une opinion analogue. Elle a paru cependant suffisamment claire à M. Thiers, qui a accepté le témoignage de M. Clément sans le torturer pour lui faire dire autre chose que ce qu’il dit. Nous demandons, comme lui, à cette note ce qu’elle affirme, non ce qu’elle tait, supprime ou laisse entendre. Nous n’avons pas à chercher qui Carnot accusait lorsqu’il faisait entendre qu’il y avait trahison. Interrogé sur ce point, M. Clément refusa de répondre catégoriquement, et parla de Fouché et encore d’un autre qu’il ne nomma pas. Or cet autre ne pouvait être évidemment le prince d’Eckmühl, car s’il en eût été ainsi, la note de M. Clément, que rien ne l’obligeait à écrire, loin d’être un hommage à la vérité, comme il le dit, serait une œuvre volontairement mensongère d’un bout à l’autre, et il faudrait en outre supposer qu’en rendant justice au patriotisme de Davout, Carnot ne faisait autre chose que s’acquitter d’un devoir de banale politesse, ce qui est impossible à concevoir d’un homme aussi rigide et dans un pareil moment.

Ce point obscur une fois écarté et en nous en tenant à ce qu’elle affirme, cette note est la justification complète du prince d’Eckmühl, quel que soit le point de vue auquel on se place. Si, en effet, comme une certaine opinion répandue l’en accusait, il se refusait à livrer bataille, l’avis émis par Carnot est plus que suffisant pour faire comprendre que cette hésitation était fort naturelle et ne peut inculper en rien son patriotisme. Mais cette hésitation n’a pas même existé, car nous le voyons, au contraire, demander à livrer bataille avec une véhémence extraordinaire, et que cette demande fut faite avec une entière sincérité, nous en avons pour garantie non-seulement l’impression de M. Clément, mais cette parole prononcée au sortir de la séance et recueillie par son aide de camp Trobriand : « Aucun ne veut prendre la responsabilité, eh bien ! je la prendrai, moi, s’ils me laissent faire. » Enfin cette demande est repoussée, et c’est l’avis de Carnot qui prévaut. Pas un des membres présens ne le réfute, et cependant cette réunion est composée de personnages fort considérables, plusieurs militaires, entre autres un certain Masséna, prince d’Essling, le seul rival de gloire véritable de Davout. S’ils partageaient l’avis du prince d’Eckmühl, que ne le disaient-ils ? Et si ce fut être coupable que de ne pas essayer de s’opposera l’entrée des armées alliées, qui donc le fut en réalité ? En tout cas, il faut convenir que voilà une accusation qu’il serait injuste de faire porter à Davout seul, et qu’il faut l’étendre à bien des personnes, à Carnot tout le premier, à Carnot, dont le patriotisme, je suppose, n’a jamais été mis en question.

Notre tâche finit avec ce cruel mécompte, où se montre encore l’implacable guignon qui poursuivait le maréchal depuis 1812. Ses derniers actes, en cette année 1815, sont bien connus. On sait comment, après la capitulation, il conduisit les débris de l’armée de l’autre côté de la Loire ; mais ce que l’on n’a pas assez dit, c’est la véhémence, la chaleur et la constance opiniâtre avec lesquelles il plaida la cause de cette armée, qu’il redoutait de voir sacrifiée aux rancunes du parti royaliste. Il voulait qu’une sorte d’amnistie tacite couvrît sa conduite pendant les cent jours, et que les proscriptions et les révocations fussent épargnées à ses membres. A toutes ses sollicitations on répondit qu’une soumission pure et simple serait seule agréée, et il reçut l’ordre de faire prendre à ses troupes la cocarde blanche. Cet ordre, il l’exécuta, il faut le dire, avec une bonne grâce médiocre, et, cela fait, il méditait de donner sa démission de général en chef et même de maréchal lorsqu’à son retour de l’armée de la Loire il fut interné dans sa terre de Savigny, qu’il trouva envahie par les Prussiens. Une circonstance dramatique le tira momentanément de cette retraite forcée à la fin de 1815, mais pour lui faire échanger cet exil en famille et aux portes de Paris contre un autre beaucoup plus dur : nous voulons parler du procès du maréchal Ney. On se rappelle la mésintelligence qui s’était élevée entre les deux maréchaux pendant la campagne de Russie ; mais, il faut le dire à la louange de leurs cœurs, ils n’avaient ni l’un ni l’autre persisté dans leurs rancunes. Du côté de Davout au moins, nous savons que cette rancune ne dépassa jamais une certaine froideur. Ainsi, lorsque Ney fut créé prince de la Moskowa, Davout applaudit, mais se dispensa de le féliciter à cause de leurs relations peu amicales ; lorsque les revers vinrent sérieusement pour l’un et pour l’autre, ils ne se souvinrent que de leur longue confraternité d’armes. En 1814, nous voyons Ney multiplier les démarches en faveur de Davout et plaider sa cause vivement auprès de Louis XVIII. En 1815, ce fut au tour de Davout à intervenir en faveur de Ney ; il insista d’abord pour que la famille du maréchal demandât qu’il fût jugé par un conseil de guerre, et fut désespéré que son avis fût rejeté. « Pas un seul, même Raguse, l’entendit-on s’écrier, n’aurait condamné un pareil homme. » Appelé en témoignage devant la cour des pairs, on sait qu’il déclara que la convention de Paris signée par lui couvrait tous les actes accomplis pendant les cent jours, que par conséquent Ney se trouvait placé sous la protection de ce traité. La récompense de cette déposition fut, nous venons de le dire, l’échange de l’internement à Savigny contre l’exil à Louviers. Cet exil dura un an, au bout duquel temps le maréchal, rentré en grâce, sinon en faveur, prêta serment à Louis XVIII et fut appelé à venir prendre son rang à la chambre des pairs. Il y commençait une nouvelle carrière, moins périlleuse à coup sûr que la première, mais qui peut-être, si elle eût pu se prolonger, n’eût pas montré moins efficacement l’étendue réelle de ses facultés, ainsi qu’en témoignent les quelques discours prononcés dans sa courte carrière parlementaire, lorsque, le 1er juin 1823, la mort vint prématurément mettre fin à une existence qui n’avait eu d’autre repos que celui que lui avaient fait les disgrâces et l’exil.

Un dernier fait qui fait trop d’honneur à Davout pour être omis, nous oblige de nous arrêter encore un instant. La chute de l’empire le laissa dans une situation de fortune des plus difficiles. Malgré ses nombreuses et immenses dotations, il n’avait jamais été paisiblement riche, et pendant les quinze années du régime impérial, nous le voyons obligé de faire face à d’énormes échéances sans cesse renaissantes. Cette gêne relative de Davout n’était un secret pour personne dans le haut monde impérial, car nous voyons Mme de Rémusat se servir précisément de cet exemple pour expliquer comment la fortune des grands dignitaires de l’empire était plus apparente que réelle. L’empereur récompensait magnifiquement les services qui lui étaient rendus, mais c’était à la condition que ces récompenses mêmes seraient utiles à son gouvernement en rehaussant l’éclat de sa cour. Elles imposaient donc à ceux qui en étaient honorés une existence qui ne permettait aucun calcul privé ni même aucune prudence de gestion. Ainsi la maréchale résista très longtemps à l’obligation d’avoir un hôtel à Paris, mais il fallut enfin céder, et cette acquisition fut pour les époux une des principales sources des difficultés financières dans lesquelles nous les voyons se débattre en 1815. Si libérales qu’elles fussent, les récompenses impériales n’étaient d’ailleurs rien moins que gratuites. Sur chaque dotation, il fallait payer des sommes considérables à la caisse de l’empereur et au domaine public Enfin, par sa nature même, cette opulence des grands dignitaires de l’empire était extrêmement précaire, étant fondée sur des dotations qui n’étoient pas destinées à survivre au régime napoléonien. Certainement Davout avait à plusieurs reprises reçu de magnifiques dotations ; cependant, tous comptes faits, on trouve qu’il n’a pas été opulent plus de trois ou quatre années. Sa très grande fortune, en effet date des années 1807 et 1809. Or, dès 1812, ses revenus fléchissent ; en 1813, la guerre étant transportée dans les pays allemands, ils sont presque nuls ; en 1814, tout disparaît à la fois, dotations de Pologne, dotations d’Allemagne, salines de Nauheim, etc. Restaient les dotations d’Italie : en 1815, elles disparaissent à leur tour. Il faut ajouter que, pendant tout le temps qu’avait duré cette opulence passagère, Davout, avec une générosité sans calcul, en avait profité non-seulement pour en faire bénéficier ceux qui l’entouraient ou lui tenaient de près, mais pour se créer des obligations de bienfaisance de diverse nature. La chute de l’empire, en tarissant la source de ses revenus le laissait dans un état de crise financière qui, sans avoir de gravité sérieuse, n’en était pas moins momentanément fort aiguë et l’obligeait à des privations de tout genre. Plus d’un de nos lecteurs peut-être aura pu connaître par expérience combien sont délicates et difficiles, au point de vue financier, les transitions d’un certain état d’existence à un autre état ; c’est dans une de ces transitions nécessaires que Davout se trouvait engagé lorsque l’exil de Louviers vint le surprendre. Parmi les soucis que lui créait cet exil, il faut compter, — qui le croirait ? — les nécessités de la double dépense de logement auquel l’obligeait sa séparation d’avec la maréchale. Obligée de liquider le passé, la princesse d’Eckmühl est forcée de louer son hôtel pour se créer des ressources, et l’on trouve dans sa correspondance de cette époque des détails comme celui-ci : « J’oubliais de te dire que je viens de vendre seize douzaines d’assiettes d’argent à 54 francs le marc. » Une lettre écrite de Louviers en avril 1816, — on voit que ses embarras de finances durèrent de longs mois, — va nous montrer à quelles préoccupations d’économie cette situation le réduisait.


Je désire vivement que les espérances que Julie te donne se réalisent. Si ma situation actuelle se prolongeait, elle ajouterait beaucoup à nos embarras de fortune, car, avec quelque économie que nous subsistions ici, ce sont des dépenses en plus : le loyer de la maison et notre nourriture, voilà ce que nous économiserions à Savigny. Je reconnais chaque jour que, pour laisser un peu de pain à nos enfans, il faut que nous nous abonnions aux plus grandes privations ; avec le peu que nous avons, nous leur transmettrons l’honneur et le désintéressement. Je viens de recevoir une lettre d’un Danois, qui malheureusement me coûte trente-six sous de port (il faut, pour que je fasse cette réflexion, que je sois bien dénué de fonds), qui m’offre de faire l’acquisition d’une belle terre dans le Holstein. Le roi de Danemarck, dit-il, toujours mon ami (il ose en répondre), — ce sont ses expressions, — me verrait établi avec beaucoup de plaisir dans ses états. Cet officieux suppose que, parce que pendant dix ou douze ans j’ai eu de grands commandemens, j’ai dû acquérir une grande fortune. Oui, j’ai eu de grandes dotations ; mais les événemens m’en ayant privé, il ne nous reste de bien que les économies que tu as faites sur les revenus de nos dotations ; aussi si je ne suis pas sans pain, c’est à toi, mon Aimée, que j’en ai l’obligation.

Je répondrai à cette personne que, pour deux raisons, je ne puis accepter sa proposition : la première, c’est que, pour acquérir chez lui, il me faudrait vendre le peu que je possède en France, et la seconde, c’est que, à moins de force majeure, je veux être enterré dans ma patrie…

Je désire bien apprendre, mon amie, que tu as terminé la location de l’hôtel et que tu as obtenu un trimestre d’avance, afin de pouvoir le distribuer à nos fournisseurs ; nous sommes sensibles à leurs procédés, bien rares, de les voir se contenter des acomptes que nous pouvons leur donner.


« Là où sont les grandes portes sont aussi les grands vents, » dit un proverbe des paysans de nos régions du centre. Ce dicton expressif, qui mériterait d’être retenu par toute personne à propensions envieuses, pour être récité comme charme contre les mauvais mouvemens de son cœur, trouve une ample justification dans le cas de Davout.

Nous avons tout dit maintenant, n’ayant pas à nous occuper de ce qui est de l’histoire depuis longtemps connue ; mais cependant, en terminant, nous sentons un vif regret que nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer : c’est de n’avoir pas parlé autant que nous l’aurions voulu de l’éditeur de ces documens et des parties qui lui appartiennent en propre dans sa publication. Heureusement l’ardente piété filiale dont témoignent ces pages vibrantes nous est un sûr garant que Mme la marquise de Blocqueville nous pardonnera si son père a pris, à son détriment, toute la place dont nous pouvions disposer. Elles méritent d’être lues, et elles seront lues avec des sentimens fort divers peut-être, mais qui, dans leur diversité, n’auront rien qui les rapproche de l’indifférence et de la froideur, ces pages tantôt enthousiastes, tantôt vengeresses, toujours contagieuses dans l’exaltation comme dans la colère, ainsi que le sont et doivent l’être les expressions de tous les sentimens forts. Les partisans aujourd’hui si nombreux des doctrines de l’atavisme pourraient lire ces pages avec intérêt, ne fût-ce que pour vérifier leurs théories sur l’évolution physiologique des penchans et des aptitudes par la transmission héréditaire, car à la véhémence de ces réfutations, à la soudaineté de ces bonds éloquens par lesquels son indignation s’abat sur les détracteurs de son père, à la joie impitoyable avec laquelle elle les lacère de son ironie, on reconnaît aisément la fille d’un lion. Les effets de cette musique du sang dont parle Calderon sont là sensibles en toute évidence. Par cette publication, Mme la marquise de Blocqueville a donné une preuve nouvelle et très frappante de cette vieille vérité que les époques sceptiques aiment trop volontiers à nier : c’est que les inspirations du cœur sont les meilleures et de beaucoup. Peut-être, avant de commencer cette entreprise, a-t-elle rencontré plus d’une résistance, peut-être a-t-elle eu à lutter contre les défiances de ses amis, contre les craintes légitimes de ses proches, mais, fermant l’oreille à tous les conseils, elle n’a voulu prendre avis que des mouvemens de sa piété filiale, et finalement il s’est trouvé qu’elle avait eu raison. Cette tâche, qu’on lui faisait entrevoir si lourde, elle l’a soulevée à son plus grand honneur, et sa piété filiale agissant en elle, comme, selon le dogme chrétien, la grâce agit dans les âmes qui gardent confiance, ses forces, au lieu de diminuer, se sont accrues à mesure qu’elle avançait, ainsi qu’en témoignent ces deux derniers volumes, qui sont de beaucoup supérieurs aux premiers. Cette publication est pour elle une véritable victoire, car elle y a réalise ce qu’elle avait voulu faire, une apologie toute nouvelle de la nature morale de son père. Il y a quelque vingt années, Edgar Quinet, ayant eu occasion d’échanger à propos de la publication de son Histoire de 1815 une correspondance avec Mme la marquise de Blocqueville, l’engageait vivement à entreprendre une biographie du maréchal Davout. « Personne plus que vous, madame, lui disait-il, n’a qualité pour une telle œuvre. Vous assouplirez le bronze… » Eh bien ! cette espérance de l’auteur d’Ahasvérus a, on peut le dire, trouvé satisfaction. Le bronze a été réellement assoupli par les soins de la fille du maréchal, car, par cette publication, le sévère et opiniâtre homme d’action que l’on connaissait depuis longtemps se trouve désormais inséparablement associé à un homme moral bon, généreux, humain, aimant, qu’il ne sera plus permis d’ignorer maintenant. Davout n’appartient plus seulement à la catégorie des hommes qui sont la gloire de notre nature, il appartient à la catégorie bien plus rare de ceux qui en sont l’honneur, et cette couronne morale, c’est bien la main de sa fille qui l’a tressée et déposée sur son front, d’où elle ne sera plus enlevée.


ÉMILE MONTÉGUT.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1880.
  2. « Avouez, Davout, lui dit Napoléon la première fois qu’il le revit en 1815, que ma lettre a bien servi à votre justification. — Il est vrai, sire, répondit Davout, mais si j’avais aujourd’hui à écrire ce mémoire, je donnerais la lettre entière. »