Les Désirs et les jours/3/08

Texte établi par L’Arbre (1p. 245-249).
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VIII

Auguste, voyant que ses ouvertures à Louise n’avaient pas été comprises, prit sur lui d’aller saluer Massénac à son bureau. À peine s’était-il fait annoncer que Pierre accourut dans l’antichambre et lui serra affectueusement la main. Ils parlèrent du passé encore proche.

Auguste, pour rendre sa visite plausible, si l’accueil de son ami n’était pas enthousiaste, avait pris la précaution de se munir d’un contrat de publicité.

— Tu n’as pas à prendre ces moyens avec moi, lui dit Pierre.

Et faisant allusion à son pari d’enfant, il ajouta en riant :

— Je suis toujours ton serviteur.

— Je te rends ta liberté, si je ne l’ai pas déjà fait, dit Auguste. Mais à une condition, c’est que nous retournions ensemble pêcher la truite dans notre ruisseau.

— J’accepte. Nomme le jour.

— Demain, à six heures. Je viendrai te cher­cher.

Il regarda longuement son ami, puis rassuré sans doute par la franchise de son regard, il ajouta :

— Puis-je inviter Louise ?

— Je n’osais te le demander. Je serai très heureux de la revoir.

Massénac, qui avait l’habitude de se lever à cinq heures depuis qu’il dirigeait le journal, attendit ses amis jusqu’à sept heures.

— Vous êtes en retard, leur dit-il en les aper­cevant.

— La coupable, c’est Louise, répondit Au­guste en désignant sa jeune sœur.

Louise, en talons bas, portait une jupe de laine grise et un maillot de laine jaune qui mou­lait sa poitrine. Elle n’avait pas mis de bas et chaussait de gros souliers de marche. La gros­sièreté de cet accoutrement, calculé pour faire ressortir la finesse du visage et la perfection du corps, produisit son effet sur Pierre. Elle vit son avantage et en profita.

— Je sais que vous n’aimez pas vous encom­brer de jeunes filles quand vous allez pêcher, dit-elle, mais je vous promets de ne pas vous déranger.

L’empressement de Pierre à protester fit rire la jeune fille. Auguste était heureux.

— Je me sens rajeuni de dix ans, dit-il en mettant le pied dans l’eau pour atteindre une grosse pierre qui divisait le courant. Pierre et Louise suivaient le bord du ruisseau. Ils s’engagèrent dans un sentier sous les arbres.

— Il a fallu que je fasse les premiers pas pour vous revoir, dit-elle.

— Pardonnez-moi, Louise, je voulais me rendre digne avant de parler à vos parents.

— Idiot, dit-elle. J’aurais tout quitté pour te suivre.

— C’est ce que je ne voulais pas. C’est mieux ainsi. Auguste a besoin de moi et j’ai besoin de lui. Personne ne s’opposera maintenant à notre mariage.

— Vous ne m’avez jamais dit que vous m’aimiez.

Il l’entraîna dans un épais fourré. Auguste, heureux comme un enfant, assuré de sa prochaine élection, se donnait tout entier à la pêche.

— J’en ai quatre, cria-t-il.

Mais ils ne l’entendirent pas.



Quelques jours avant le mariage, Lucienne se présenta chez Louise.

Elle portait une robe rouge et balançait au bout de son bras une bourse violette en agitant une série de fins bracelets de platine.

— Vous allez épouser Pierre, dit-elle.

Louise inclina la tête en signe d’assentiment.

— Ce que j’ai à vous dire est bien compliqué, continua Lucienne. Vous comprenez que je ne puis plus rester à Deuville. Non. Tout ici, me rappelle des mauvais souvenirs. Maintenant que je suis riche, je veux aller vivre à Montréal.

La jeune fille ne devinait pas l’objet de ces confidences. Elle n’était pas ennuyée, mais mal à l’aise.

— Je suis encore jeune, je me marierai peut-être.

— C’est tout à fait légitime, dit-elle.

— N’est-ce pas ? Seulement il y a mon fils que j’adore et dont je ne voudrais me séparer pour rien au monde.

— Je vous comprends, madame.

— Oui, mais que deviendra-t-il avec moi à Montréal ? Je compte sortir, m’amuser un peu. Ma vie n’a jamais été gaie. Et puis comme je vous le dis, je suis riche…

Louise avait enfin compris. Elle ne nuança pas sa pensée.

— Pour ma part, je suis prête à l’adopter, si Pierre…

— Parlez-lui-en. Ce n’est pas comme si l’enfant n’avait pas de père, n’est-ce pas ?

Le soir, quand Pierre apprit cette démarche, il éclata en sanglots. Il revit son enfance de fils abandonné.

— La vie recommence, pensa-t-il.