Calmann-Lévy (p. 74-76).


X


Il y avait, cette année-là, une exposition universelle sur le Champ de Mars. C’était, sur les avenues, au soleil et dans la poussière, un long fourmillement d’hommes. Jean franchit le tourniquet du péage et entra dans le palais de fonte. Il suivait encore son amour, car il associait celle qu’il aimait à toutes les représentations de l’art et du luxe. Il prit le parc et alla droit à l’édicule égyptien. L’Égypte avait occupé ses rêves du temps qu’il ne songeait pas qu’à une femme. Dans l’allée de sphinx et devant le temple peint, il ressentit cette impression de poésie qui se dégage des femmes anciennes et singulières et que ressentent vivement les amoureux. Le sanctuaire lui sembla vénérable, malgré l’usage forain auquel il servait dans cette exhibition universelle. En voyant les bijoux de la reine Aahotep qui vécut et fut belle au temps des patriarches, il songea avec mélancolie à ce qui avait été et n’était plus. Il se représenta les cheveux noirs qui avaient parfumé ce diadème de sphinx, les bras fins et bruns que ces perles d’or et de lapis avaient touchés, les épaules sur lesquelles ces ailes de vautour s’étaient posées, les seins aigus que ces chaînes, que ces gorgerins avaient pressés, la poitrine contre laquelle ce scarabée d’or aux élytres bleues tiédissait autrefois, la petite main royale qui avait tenu ce poignard couvert de fleurs et de têtes de femmes. Il ne pouvait concevoir que ce qui était un songe pour lui eût été une réalité pour d’autres hommes. Il se perdait à suivre l’écoulement des choses. Il se disait qu’une autre forme vivante s’évanouirait à son heure et qu’il serait vain alors qu’elle eût été tant désirée. Cette idée l’attrista et le calma. Il pensait, devant ces bijoux funéraires, à tous ces hommes qui dans l’abîme des temps avaient tour à tour aimé, convoité, joui, souffert, que la mort avait pris affamés ou repus et qu’elle avait également comblés. Une tristesse tranquille l’envahit, et il resta immobile, la tête dans ses mains.