Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des Curieux (p. 93-104).
Chapitre VII

Les Cousines de la colonelle, Bandeau de début de chapitre
Les Cousines de la colonelle, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE VII


Il n’y avait guère plus de six semaines que Julia avait pris possession de l’hôtel de la rue de Courcelles, et déjà de grands changements s’étaient opérés dans son genre de vie.

Pour éviter les inconvénients d’une situation fausse, rendant impossible toute relation acceptable, Gaston avait fait prendre à sa jeune amie le pseudonyme de la vicomtesse Saniska, n’habitait pas ostensiblement son hôtel et lui présentait les uns après les autres ses amis du cercle, en leur racontant ce qu’il appelait le roman de la belle vicomtesse, laquelle, suivant son récit, après avoir inspiré une passion extrême à son époux, l’avait suivi dans sa patrie où l’infortuné vicomte, après dix mois de bonheur, se laissa passer de vie à trépas ; sa jeune veuve ne se sentant pas le courage de se confiner à perpétuité dans les steppes et les forêts de la Pologne, dont les chemins lui paraissaient moins agréables que ceux des allées du Bois de Boulogne, elle revenait demander à la France, sa patrie, à Paris, les plaisirs pour lesquels sa jeunesse semblait si bien faite.

Puis il la présenta, en disant confidentiellement la vérité, à une vieille amie à lui, la baronne de Sambreval, qui promit au vicomte d’introduire convenablement la jeune femme dans ce monde qui devait être désormais le sien, monde gai, aimable, où règne l’intelligence, l’esprit, et dont les frontières sont, au nord, le noble faubourg et l’austère bourgeoisie, au sud, la cocotterie.

Julia avait bien fait quelques difficultés, elle craignait de sentir peser sur elle une sorte de réprobation. Gaston fut pris d’un accès de gaieté, en entendant cette confidence.

— Ne crains rien, ma bonne chérie, la société parisienne est une excellente personne, qui ne pardonne pas aux gens de l’obliger à savoir, mais qui n’est pas investigatrice : nul ne te demandera à quel arrondissement tu t’es mariée ; l’on s’en tiendra aux apparences.

« Mme de Sambreval est la plus indulgente des vieilles femmes de Paris. En cela, elle n’a pas tort ; il faut toujours, avant de jeter la pierre à quelqu’un, faire son examen de conscience. »

— Est-ce qu’elle a eu ?…

— On dit même qu’elle a… mais cela ne nous regarde pas.

— Gaston, j’aimerais mieux ne voir personne. Si le monde allait nous éloigner l’un de l’autre ?

— Mais non, au contraire, nous nous retrouverons avec plus de bonheur dans notre nid quand nous aurons été un peu fatigués par les banalités mondaines.

— Je ferai ce que tu voudras, mon cher bien-aimé, tu es mon bon génie et je t’aime pour ton amour, pour tes prévoyantes délicatesses, pour tout ce que tu fais, afin d’assurer mon bonheur, qui n’est cependant vulnérable que par un point.

— Lequel ?

— Celui de ton affection.

— En ce cas, enfant, va, va en paix et ne pèche jamais.

— Jamais ? demanda en riant la jeune femme.

— Avec un autre que votre seigneur, pas maître.

— Oh ! si, le maître, le maître adoré de mon cœur, de ma vie, de tout mon être.

— Nous allons bien voir cela.

Le déjeuner, pendant lequel avait lieu cette conversation, touchait à sa fin. Pierre avait servi le café et s’était, depuis un moment, discrètement retiré, pour ne plus revenir sans être appelé ; le vicomte se leva de table en riant, saisit Julia par la taille, la força à se lever, puis la poussant devant lui, la conduisit, malgré ses protestations, vers un divan du petit salon, sur lequel il la fit tomber à genoux, la tête enfoncée dans les coussins.

— Reste-là, si je suis le maître, lui dit-il. Alors, d’une main experte, il retroussa les jupes de la jeune femme, avec le geste employé à l’égard des petites filles qu’on dispose pour recevoir une fessée et qui fit retomber en cloche sur la tête de Julia les plis moelleux de son peignoir.

— Ne bouge pas, je suis le maître !

La chemise rejoignit les jupes, et deux rondeurs charmantes émergèrent des flots de batiste et de dentelle.

Gaston arracha du divan une longue flèche de soie qui se trouvait là et se mit en effet à administrer à son amie le châtiment redouté de l’enfance ; seulement les sillons roses qui, en général, sont la suite de ce vilain quart d’heure de Rabelais ne se produisirent pas ; les coups étaient donnés si doucement, si bien là où ils devaient atteindre qu’ils ne produisaient qu’un voluptueux chatouillement, que des baisers passionnés interrompaient fréquemment. Julia voulait bien se redresser, mais un bras ferme la maintenait en position et une grosse voix lui disait :

— Mademoiselle, suis-je le maître, oui ou non ? Ai-je le droit de vous châtier à ma guise ?

Et le châtiment continuait à s’exercer.

Il fut longtemps donné, dura jusqu’au moment où Gaston, n’y tenant plus de passion, fit à son tour glisser sur ses cuisses nerveuses, le vêtement protecteur de ses parties charnues à lui, et, escaladant le divan, vint s’étendre sur Julia et lui faire comprendre en la transperçant de toute son ardeur, trop longtemps contenue, que si l’amour n’a qu’une note à son service, il emploie plusieurs moyens pour la faire vibrer.

Celui-ci était nouveau et ne lui parut pas un des moins heureusement trouvés ; aussi le silence s’était fait chez Gaston.

Julia ne bougeait pas.

— Es-tu morte, chérie ? demanda-t-il enfin.

— Mais non, mais non, au contraire.

— Diavolo ! il paraît que le procédé te réussit ; attends, en ce cas… et rends-moi la correction que tu viens de recevoir ; de fait, je la mérite.

En un bond, la jeune femme se leva, le veston de Gaston roula sur le tapis ; lui, penché sur le divan et la chemise retroussée par le bras gauche de Julia ; ce furent les mains mignonnes de cette petite mère d’un nouveau genre qui le fustigèrent aussi, puis l’embrassèrent. Par la cassure des deux fesses apparaissaient les petites pommes d’amour. La jeune femme, tout en fouettant, les effleurait parfois et celles-ci se gonflaient à nouveau de leur enivrante liqueur ; se baissant, elle les saisit entre ses lèvres roses et les roula dans sa bouche, les enduisit de sa chaude salive et semblait ne devoir point abréger ce charmant exercice, quand, d’un brusque mouvement, Gaston se retourna, la saisit à son tour, la jeta sur le dos, prit à poignée ses deux jambes, se les passa autour du corps comme une ceinture, et, à genoux, devant elle, juste à la hauteur de sa grotte d’amour, s’y enfonça voluptueusement, en lui montrant du geste une grande glace placée devant eux.

— Vois ! fit-il.

Alors elle vit le mouvement doux et régulier imprimant à l’instrument d’amour un va-et-vient exquis.

Émue délicieusement, Julia, d’un geste charmant, arracha les agrafes de son peignoir et sa gorge de déesse apparut, frémissante de passion et de volupté ; Gaston promena sur le petit bouton rose, qui dressait sa tête polissonne, un doigt caressant et agile.

— Oh ! mon Gaston, je me sens mourir, mourir de bonheur.

— En ce cas, moi aussi, répondit le jeune homme.

Un double cri de jouissance suprême s’échappa des lèvres du couple enlacé, et le divan reçut le baptême amoureux qui jusqu’alors lui avait fait défaut. Quelques heures plus tard, Baptiste demandait à Dorothée certaine essence à détacher, dont la vieille camériste avait une provision, et les deux serviteurs échangèrent un sourire, rempli de sous-entendus, en réparant les dégâts survenus au divan. Pendant ce temps-là, Gaston et Julia s’étaient rendus chez la baronne, en avaient reçu une invitation pour ses mardis, et partaient pour flâner au Bois jusqu’à l’heure du dîner, qui les ramènerait à l’hôtel ; un peu alanguis par les ébats de la matinée, mais heureux, aimant et trouvant absolument ineptes ceux qui se permettent de prétendre que la terre n’est pas un lieu d’absolues délices.

Au même moment, la baronne disait à son vieil ami, le général don José de Corriero :

— Je vous assure qu’elle est tout simplement délicieuse et qu’il faut lui semer des roses sur ses pas.

— Ta, ta, ta, répondit celui-ci, vous vous enthousiasmez.

— Vous verrez, vous verrez.

— Oui, je verrai, et si je peux je toucherai.

— Je vous le défends.

— Encore jalouse, Louisa ?

— Toujours.

— Taisez-vous, grand Dieu ! Si l’on nous entendait !

— On serait assez sot pour se moquer de nous, c’est évident. Cependant le cœur vieillit-il donc, lui, quand les cheveux blanchissent ?

— Cette thèse, chère amie, nous mènerait bien loin ; vous savez que je vous aime, comme je sais que vous m’aimez, mais seuls nous devons nous en souvenir, sous peine d’être ridicules.

— Amen, répondit la baronne.

Les amis de Gaston avaient reçu leur droit d’entrée les jeudis chez la vicomtesse Saniska, et le mardi suivant elle devait se montrer chez la baronne de Sambreval.

La vieille dame s’était arrangé un nid somptueux, au premier étage d’une belle maison du boulevard Saint-Michel ; nid capitonné, couleur d’automne, mais d’un automne qui se souvient de l’été.

Assise dans son petit salon, tendu en soie feuilles mortes, au milieu de mille bibelots qui lui rappelaient une brillante jeunesse, elle attendait ses invités, qui bientôt se succédèrent.

Vers onze heures, Julia, le vicomte et un de ses amis, Hector Vaudreil, brillant colonel, qui ne pouvait se faire à l’idée que ses vingt ans, depuis bien longtemps, avaient fui à tire-d’aile, firent leur apparition.

Pour la circonstance, Dorothée s’était distinguée, et la toilette de Julia, ravissante de bon goût, attestait son talent : sur un fourreau de satin nuance pétale de rose, elle avait massé des flots de tulle, dans les gracieux fouillis desquels se nichaient des touffes de roses de Bengale, dont les cœurs, disposés avec art, ornaient la chevelure.

Sans un bijou, les bras, les épaules de la jeune femme étalaient aux lueurs des lustres et des girandoles leur éclatante beauté.

Ce fut un murmure d’admiration qui s’éleva dans le salon lorsqu’elle s’avança vers la maîtresse de la maison pour la saluer.

La baronne la présenta à plusieurs de ses invitées, suivant le thème convenu. Don José lui amena la fleur des pois de la réunion, et, adulée, entourée, la jeune femme trouva de plus en plus que si c’est une illusion de vivre, c’en est une enchantée, dont il est bon de ne pas se défaire.

Quand elle quitta la baronne, elle avait accordé l’autorisation à plusieurs de ces messieurs de venir la voir, avait accepté d’aller chez quelques-unes de ces dames ; bref, était du monde où briller est à désirer, car pour le faire là, il ne suffit pas d’être favorisé par la fortune, il faut être quelqu’un par son esprit ou sa beauté, du monde d’où l’on ne prend peut-être pas le chemin du ciel, mais où l’on s’amuse, et qui, ma foi, vu de près, vaut bien celui où l’on s’ennuie !


Les Cousines de la colonelle, Vignette de fin de chapitre
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