Les Confidences (Lamartine)/Livre 2

Chez l’auteur (Œuvres complètes tome 29p. 35-47).


LIVRE DEUXIÈME



I


A peine avaient-ils goûté leur bonheur si longtemps attendu, qu’il fallut l’interrompre et se séparer, peut-être, hélas ! pour ne plus se revoir. C’était le moment de l’émigration. À cette époque, l’émigration n’était pas, comme elle le devint plus tard, un refuge contre la persécution ou la mort. C’était une vogue universelle d’expatriation qui avait saisi la noblesse française. L’exemple donné par les princes devint contagieux. Des régiments perdirent en une nuit leurs officiers. Ce fut une honte pendant un certain temps de rester là où étaient le roi et la France. Il fallait un grand courage d’esprit et une grande fermeté de caractère pour résister si cette folie épidémique qui prenait le nom de l’honneur. Mon père eut ce courage, il se refusa à émigrer. Seulement, quand on demanda aux officiers de l’armée un serment qui répugnait à sa conscience de serviteur du roi, il donna sa démission. Mais le 10 août approchait ; on le sentait venir. On savait d’avance que le château des Tuileries serait attaqué, que les jours du roi seraient menacés, que la constitution de 91, pacte momentané de conciliation entre la royauté représentative et le peuple souverain, serait renversée ou triomphante dans des flots de sang. Les amis dévoués de ce qui restait de monarchie et les hommes personnellement et religieusement attachés au roi se comptèrent et s’unirent pour aller fortifier la garde constitutionnelle de Louis XVI et se ranger, le jour du péril, autour de lui. Mon père fut du nombre de ces hommes de cœur.

Ma mère me portait alors dans son sein. Elle n’essaya pas de le retenir. Même au milieu de ses larmes, elle n’a jamais compris la vie sans l’honneur, ni balancé une minute entre une douleur et un devoir.

Mon père partit sans espoir, mais sans hésitation. Il combattit avec la garde constitutionnelle’et avec les Suisses pour défendre le château. Quand Louis XVI eut abandonné sa demeure, le combat devint un massacre. Mon père fut blessé d’un coup de feu dans le jardin des Tuileries. Il s’échappa, fut arrêté en traversant la rivière en face des Invalides, conduit à Vaugirard et emprisonné quelques heures dans une cave. Il fut réclamé et sauvé par le jardinier d’un de ses parents qui était officier municipal de la commune, et qui le reconnut par un hasard miraculeux. Échappé ainsi à la mort, il revint auprès de ma mère et vécut dans une obscurité profonde, retiré à la campagne, jusqu’aux jours où la persécution révolutionnaire ne laissa plus d’autre asile à ceux qui tenaient à l’ordre ancien que la prison ou l’échafaud.


II


La famille de mon grand-père donnait peu de prétextes à la persécution. Aucun de ses membres n’avait émigré. Mon grand-père lui-même était un vieillard de plus de quatre-vingts ans. Son fils aîné, ainsi que son second fils, l’abbé de Lamartine, élevés l’un et l’autre dans les doctrines du dix-huitième siècle, avaient suce, dès leur enfance, le lait de cette philosophie qui promettait au monde un ordre nouveau. Ils étaient de cette partie de la jeune noblesse qui recevait de plus haut et qui propageait avec le plus d’ardeur les idées de transformation politique. On se trompe grossièrement sur les origines de la révolution française quand on s’imagine qu’elle est venue d’en bas. Les idées viennent toujours d’en haut. Ce n’est pas le peuple qui a fait la révolution, c’est la noblesse, le clergé et la partie pensante de la nation. Les superstitions prennent quelquefois naissance dans le peuple, les philosophies ne naissent que dans la tête des sociétés. Or, la révolution française est une philosophie.

Mon grand-père et mes oncles surtout avaient la séve de la révolution dans l’esprit. Ils étaient partisans passionnés d’un gouvernement constitutionnel, d’une représentation nationale, de la fusion désordres de l’État en une seule nation soumise aux mêmes lois et aux mêmes impôts. Mirabeau, les Lameth, La Fayette, Mounier, Virieu, La Rochefoucauld, étaient les principaux apôtres de leur religion politique. Madame de Monnier (la Sophie de Mirabeau) avait vécu quelque temps chez mon grand-père. La Fayette avait été élevé avec l’abbé de Lamartine. Ils s’étaient retrouvés a Paris, ils entretenaient une correspondance suivie. Ils étaient liés d’une véritable amitié, amitié qui a survécu à quarante années d’absence, et dont l’illustre général me parlait encore l’avant-dernière année de sa vie.

Telle était la nuance des opinions de famille. Il n’y avait rien la d’antipathique à la révolution de 89 ; mon père et mes oncles ne se séparèrent du mouvement rénovateur qu’au moment où la révolution, s’échappant de ces mains démocratiques, se fit démagogie, se retourna contre ceux-là mêmes qui l’avaient réchauffée, et devint violence, spoliation et supplices. À ce moment aussi la persécution entra chez eux et ne les quitta plus qu’à la mort de Robespierre.


III


Le peuple vint arracher une nuit, de sa demeure, mon grand-père, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, ma grand-mère, presque aussi âgée et infirme, mes deux oncles, mes trois tantes, religieuses, et déjà chassées de leurs couvents. On jeta pèle-mêle toute cette famille dans un char escorté de gendarmes, et on la conduisit, au milieu des huées et des cris de mort du peuple, jusqu’à Autun. Là, une immense prison avait été destinée à recevoir tous les suspects de la province. Mon père, par une exception dont il ignora la cause, fut séparé du reste de la famille et enfermé dans la prison de Mâcon. Ma mère, qui me nourrissait alors, fut laissée seule dans l’hôtel de mon grand-père, sous la surveillance de quelques soldats de l’armée révolutionnaire. Et l’on s’étonne que les hommes dont la vie date de ces jours sinistres aient apporté, en naissant, un goût de tristesse et une empreinte de mélancolie dans le génie français ? Vírgile, Cicéron, Tibulle, Horace lui-même, qui imprimèrent ce caractère au génie romain, n’étaient-ils pas nés, comme nous, pendant les grandes guerres civiles de Rome et au bruit des proscriptions de Marius, de Sylla, de César ? Que l’on songe aux impressions de terreur ou de pitié qui agitèrent les flancs des femmes romaines pendant qu’elles portaient ces hommes dans leur sein ! Que l’on songe au lait aigri de larmes que je reçus moi-même de ma mère pendant que la famille entière était dans une captivité qui ne s’ouvrait que pour la mort ! pendant que l’époux qu’elle adorait était sur les degrés de l’échafaud, et que, captive elle-même dans sa maison déserte, des soldats féroces épiaient ses larmes pour lui faire un crime de sa tendresse et pour insulter à sa douleur !


IV


Sur les derrières de l’hôtel de mon grand-père, qui s’étendait d’une rue à l’autre, il y avait une petite maison basse et sombre qui communiquait avec la grande maison par un couloir obscur et par de petites cours étroites et humides comme des puits. Cette maison servait à loger d’anciens domestiques retirés du service de mon grand-père, mais qui tenaient encore à la famille par de petites pensions qu’ils continuaient de recevoir, et par quelques services d’obligeance qu’ils rendaient de temps en temps à leurs anciens maîtres ; des espèces d’affranchis romains, comme chaque famille a le bonheur d’en conserver. Quand le grand hôtel fut mis sous le séquestre, ma mère se retira seule, avec une femme ou deux, dans cette maison. Un autre attrait l’y attirait encore.

Frécisément en face de ses fenêtres, de l’autre côté de cette ruelle obscure, silencieuse et étroite comme une rue de Gênes, s’élevaient et s’élèvent encore aujourd’hui les murailles hautes et percées de rares fenêtres d’un ancien couvent d’Ursulines. Édifice austère d’aspect, recueilli comme sa destination, avec le beau portail d’une église adjacente sur un des côtés, et, sur le derrière, des cours profondes et un jardin cerné de murs noirs et dont la hauteur ôtait tout espoir de les franchir. Comme les prisons ordinaires de la ville regorgeaient de détenus, le tribunal révolutionnaire de Mâcon fit disposer ce couvent en prison supplémentaire. Le hasard ou la Providence voulut que mon père y fût enfermé. Il n’avait ainsi, entre le bonheur et lui, qu’un mur et la largeur d’une rue. Un autre hasard voulut que le couvent des Ursulines lui fût aussi connu dans tous ses détails d’intérieur que sa propre maison. Une des sœurs de mon grand-père, qui s’appelait madame de Lusy, était abbesse des Ursulines de Mâcon. Les enfants de son frère, dans leur bas âge, venaient sans cesse jouer dans le couvent. Il n’y avait pas d’allées du jardin, de cellules, d’escaliers dérobés, de mansardes, de greniers ni de soupiraux de cave qui ne leur fussent familiers et dont leur mémoire d’enfant n’eût retenu jusqu’aux plus insignifiants détails.

Mon père, jeté tout à coup dans cette prison, s’y trouva donc en pays connu. Pour comble de bonheur, le geôlier, républicain très-corruptible, avait été, quinze ans auparavant, cuirassier dans la compagnie de mon père. Son grade nouveau ne lui changea pas le cœur. Accoutumé à respecter et à aimer son capitaine, il s’attendrit en le revoyant, et quand les portes des Ursulines se refermèrentraur le captif, ce fut le républicain qui pleura.

Mon père se trouva là en bonne et nombreuse compagnie. La prison renfermait environ deux cents détenus sans crime, les suspects du département. Ils étaient entassés dans des salles, dans des réfectoires, dans des corridors du vieux couvent. Mon père demanda pour toute faveur au geôlier de le loger seul dans un coin du grenier. Une lucarne haute, ouvrant sur la rue, lui laisserait du moins la consolation de voir quelquefois à travers les grilles le toit de sa propre demeure. Cette faveur lui fut accordée. Il s’installa sous les tuiles, à l’aide de quelques planches et d’un misérable grabat. Le jour, il descendait auprès de ses compagnons de captivité pour prendre ses repas, pour jouer, pour causer des affaires du temps, sur lesquelles les prisonniers étaient réduits aux conjectures, car on ne leur laissait aucune communication écrite avec le dehors. Mais cet isolement ne dura pas longtemps pour mon père.

Le même sentiment qui l’avait poussé à demander au geôlier une cellule qui eûtjour sur la rue, et qui le retenait des heures entières à regarder le toit de sa petite maison en face, avait aussi inspiré à ma mère la pensée de monter souvent au grenier de sa demeure, de s’asseoir près de la lucarne un peu en arrière, de manière à voir sans être vue. Elle contemplait de là, à travers ses pleurs, le toit de la prison où était enlevé à sa tendresse et dérobé à ses yeux celui qu’elle aimait. Deux regards, deux pensées qui se cherchent à travers l’univers finissent toujours par se retrouver. A travers deux murs et une rue étroite, leurs yeux pouvaient-ils manquer de se rencontrer ? Leurs âmes s’émurent, leurs pensées se comprirent, leurs signes suppléèrent leurs paroles, de peur que leur voix ne révélât aux sentinelles, dans la rue, leurs communications. Ils passaient ainsi régulièrement plusieurs heures de la journée assis l’un en face de l’autre. Toute leur âme avait passé dans leurs yeux. Ma mère imagina d’écrire en gros caractères des lignes concises contenant en peu de mots ce qu’elle voulait faire connaître au prisonnier. Celui-ci répondait par un signe. Dès lors les rapports furent établis. Ils ne tardèrent pas à se compléter. Mon père, en qualité de chevalier de l’arquebuse, avait chez lui un arc et des flèches avec lesquels j’ai bien souvent joué dans mon enfance. Ma mère imagina de s’en servir pour communiquer plus complètement avec le prisonnier. Elle s’exerça quelques jours dans sa chambre a tirer de l’arc, et quand elle eut acquis assez d’adresse pour être sûre de ne pas manquer son but à quelques pieds de distance, elle attacha un fil à une flèche, et lança la flèche et le fil dans la fenêtre de la prison. Mon père cacha la flèche, et, tirant le fil a lui, il amena une lettre. On lui fit passer, par ce moyen, à la faveur de la nuit, du papier, des plumes, de l’encre même. Il répondait à loisir. Ma mère, avant le jour, venait retirer de son côté les longues lettres dans lesquelles le captif épanchait sa tendresse et sa tristesse, interrogeait, conseillait, consolait sa femme et parlait de son enfant. Ma pauvre mère m’apportait tous les jours dans ses bras au grenier, me montrait à mon père, m’allaitait devant lui, me faisait tendre mes petites mains vers les grilles de la prison ; puis, me pressant le front contre sa poitrine, elle me dévorait de baisers, adressant ainsi au prisonnier toutes les caresses dont elle me couvrait à son intention.


V


Ainsi se passèrent des mois et des mois, troublés par la terreur, agités par l’espérance, éclairés et consolés quelquefois par ces lueurs que deux regards qui s’aiment se renvoient toujours jusque dans la nuit de la tristesse et de l’adversité. L’amour inspira à, mon père une audace plus heureuse encore et dont le succès rendit l’emprisonnement même délicieux, et lui fit oublier l’échafaud.

J’ai déjà dit que la rue qui séparait le couvent des Ursulines de la maison paternelle était très-étroite. Non content de voir ma mère, de lui écrire et de lui parler, mon père conçut l’idée de se réunir à elle en franchissant la distance qui les séparait. Elle frémit, il insista. Quelques heures de bonheur dérobées aux persécutions et à la mort peut-être valaient bien une minute de danger. Qui sait si cette occasion se retrouverait jamais ? si demain on n’ordonnerait pas de transférer le prisonnier à Lyon, à Paris, à l’échafaud ? Ma mère céda. A l’aide de la flèche et du fil elle fit passer une lime. Un des barreaux de fer de la petite fenêtre de la prison fut silencieusement limé et remis à sa place. Puis un soir, où il n’y avait plus de lune, une grosse corde attachée au fil glissa du toit de ma mère dans la main du détenu. Fortement attachée d’un côté dans le grenier de notre maison à une poutre, mon père la noua de l’autre à un des barreaux de sa fenêtre. Il s’y suspendit par les mains et par les pieds, et, se glissant de nœuds en nœuds au-dessus de la tête des sentinelles, il franchit la rue et se trouva dans les bras de sa femme et auprès du berceau de son enfant.

Ainsi échappé de la prison, il était maître de n’y pas rentrer mais condamné alors par contumace ou comme émigré, il aurait ruiné sa femme et perdu sa famille ; il n’y songea pas. Il réserva, comme dernier moyen de salut, la possibilité de cette évasion pour la veille du jour où l’on viendrait l’appeler au tribunal révolutionnaire ou à la mort. Il avait la certitude d’en être averti par le geôlier. C’est le seul service qu’il lui eût demandé.


VI


Quelles nuits que ces nuits furtives passées à retenir les heures dans le sein de tout ce qu’on aime ! à quelques pas, des sentinelles, des barreaux, des cachots et la mort ! Ils ne comptaient pas, comme Roméo et Juliette, les pas des astres dans la nuit par le chant du rossignol et par celui de l’alouette, mais par le bruit des rondes qui passaient sous les fenêtres et par le nombre de factionnaires relevés. Avant que le firmament blanchît, il fallut franchir de nouveau la rue et rentrer muet dans sa loge grillée. La corde fut dénouée, retirée lentement par ma mère, et cachée, pour d’autres nuits pareilles, sous des matelas, dans un coin du grenier. Les deux amants eurent de temps en temps des entrevues semblables, mais il fallait les ménager avec prudence et les préparer avec soin ; car, indépendamment du danger de tomber dans la rue ou d’être découvert par les surveillants, ma mère n’était pas sûre de la fidélité d’une des femmes qui la servaient, et dont un mot eût conduit mon père a la mort.

C’était le temps où les proconsuls de la Convention se partageaient les provinces de la France et y exerçaient, au nom du salut public, un pouvoir absolu et souvent sanguinaire. La fortune, la vie ou la mort des familles étaient dans un mot de la bouche de ces représentants, dans un attendrissement de leur âme, dans une signature de leur main. Ma mère, qui sentait la hache suspendue sur la tête du mari qu’elle adorait, avait eu plusieurs fois l’inspiration d’aller se jeter aux pieds de ces envoyés de la Convention, de leur demander la liberté de mon père. Sa jeunesse, sa beauté, son isolement, l’enfant qu’elle portait la mamelle, les conseils mêmes de mon père l’avaient jusqu’alors retenue. Mais les instances du restes de la famille, enfermée dans les cachots d’Autun, vinrent lui demander impérieusement des démarches de suppliante qui ne coûtaient pas moins à sa fierté qu’à ses opinions. Elle obtint des autorités révolutionnaires de Mâcon un passe-port pour Lyon et pour Dijon. Combien de fois ne m’a-t-elle pas raconté ses répugnances, ses découragements, ses terreurs, quand il fallait, après des démarches sans nombre et des sollicitations repoussées avec rudesse, paraître enfin toute tremblante en présence d’un représentant du peuple en mission ! Quelquefois c’était un homme grossier et brutal, qui refusait même d’écouter cette femme en larmes et qui la congédiait avec des menaces, comme coupable de vouloir attendrir la justice de la nation. Quelquefois c’était un homme sensible, que l’aspect d’une tendresse si profonde et d’un désespoir si touchant inclinait malgré lui à la pitié, mais que la présence de ses collègues endurcissait en apparence, et qui refusait des lèvres ce qu’il accordait du cœur. Le représentant Javogues fut celui de tous ces proconsuls qui laissa à ma mère la meilleure impression de son caractère. Introduite à Dijon, à son audience, il lui parla avec bonté et avec respect. Elle m’avait porté dans ses bras jusque dans le salon du représentant, afin que la pitié eût deux visages pour l’attendrir, celui d’une jeune mère et celui d’un enfant innocent. Javogues la fit asseoir, se plaignit de sa mission de rigueur, que ses fonctions et le salut de la république lui imposaient. Il me prit sur ses genoux, et comme ma mère faisait un geste d’effroi dans la crainte qu’il ne me laissât tomber : « Ne crains rien, citoyenne, lui dit-il, les républicains ont aussi des fils. » Et comme je jouais en souriant avec les bouts de son écharpe tricolore : « Ton enfant est bien beau, ajouta-t-il, pour un fils d’aristocrate. Élève-le pour la patrie et fais-en un citoyen. » Il lui donna quelques paroles d’intérêt pour mon père et quelques espérances de liberté prochaine. Peut-être est-ce à lui qu’il dut d’être oublié dans la prison ; car un ordre de jugement à cette époque était un arrêt de supplice.

Revenue à Mâcon et rentrée dans sa maison, ma mère vécut emprisonnée elle-même dans son étroite demeure, en face des Ursulines. De temps en temps, quand la nuit était bien sombre, la lune absente et les réverbères éteints par le vent d’hiver, la corde a nœuds glissait d’une fenêtre à l’autre, et mon père venait passer des heures inquiètes et délicieuses auprès de tout ce qu’il aimait.

Dix-huit longs mois se passèrent ainsi. Le 9 thermidor ouvrit les prisons ; mon père fut libre. Ma mère alla à Autun chercher ses vieux parents infirmes et les ramena dans leur maison longtemps fermée. Peu de temps après ce retour, mon grand-père et ma grand-mère moururent en paix et pleins de jours dans leur lit. Ils avaient traversé la grande tempête, secoués par elle, mais non renversés. Ils n’y avaient perdu aucun de leurs enfants, et ils pouvaient espérer, en fermant les yeux, que le ciel était épuisé pour longtemps d’orages, et que la vie serait plus douce pour ceux à qui ils la laissaient en quittant la terre.