Les Cinq/II/46. Le guet-apens


XLVI

LE GUET-APENS


De cette partie du parc de Sampierre qui entourait le pavillon et qu’on avait défendue par un grillage régnant, les bruits de la fête étaient à peine entendus. Le pavillon, lui-même, sombre et silencieux, semblait dormir. Une lueur faible glissait pourtant à travers les persiennes fermées de la chambre aux portraits où nous avons laissé le marquis Giammaria.

Cette chambre, le lecteur s’en souvient, avait deux paires de fenêtres dont l’une donnait sur la maîtresse avenue qui conduisait des parterres à la rue de Babylone, et dont l’autre s’ouvrait sur les fourrés.

La grande avenue était brillamment éclairée de bout en bout et incessamment traversée par les équipages.

Les fourrés, protégés par le bois et par le pavillon même, restaient dans une obscurité profonde.

À une trentaine de pas des deux fenêtres, par où le comte Pernola avait entendu ce bruit suspect pendant sa décisive entrevue avec M. de Sampierre, quatre hommes bivouaquaient au plus épais des massifs, mais sans feu ni chandelle.

Ils ne fumaient ni ne buvaient.

Ils ne causaient même pas et nous n’avons d’autre moyen de les désigner au lecteur que le plus simple de tous ; écrire leur nom en toutes lettres.

C’était le contingent levé par le père Preux dans ses fiefs du Gros-Caillou, derrière les Invalides : Frotin, Renaud, Lamèche et Le Hotteux.

Aussitôt après avoir franchi l’échelle, ils étaient venus du grand mur de la cité Donon jusqu’ici sans traverser aucun des espaces éclairés occupés par la fête. Laure, Mœris et Moffray les avaient conduits, toujours sous bois, en faisant un tour énorme par derrière l’hôtel.

À un certain endroit, voisin de la poterne, située en face de la maison de l’aveugle, ils avaient rencontré le Poussah, qu’ils connaissaient de reste, soutenu par un jeune homme en toilette de bal qui leur était inconnu.

Leurs conducteurs se trouvèrent être alors plus nombreux qu’eux-mêmes : Ils étaient cinq, y compris la belle dame que Le Hotteux avait embrassée et qui avait mis fin à ces gaietés en appuyant au nœud de sa gorge un joujou dont la pointe ne plaisantait pas.

Le père Preux fut remis aux mains de Mœris et de Moffray qui soutinrent à droite et à gauche sa marche de pachyderme impotent.

La route fut longue et presque silencieuse.

Le contingent du Gros-Caillou qui écoutait de toutes ses oreilles put à peine saisir quelques mots, parmi lesquels il n’y avait jamais de noms propres.

Les deux vivantes béquilles qui étayaient le Poussah étaient désignées ainsi : no 2 et no 3.

La dame était le no 5.

Le jeune homme en costume de bal portait le no 1.

Tout cela répandait une bonne odeur de coquinerie organisée qui donnait véritablement confiance. Le Hotteux et ses compagnons n’avaient plus envie de s’émanciper.

Le no 1, ce jeune et beau gaillard qui était évidemment au-dessus du père Preux lui-même, leur inspirait crainte et respect.

Ce fut le no 1 qui les plaça en embuscade, qui les arma et qui leur donna la consigne.

Elle était claire, la consigne, — et raide, selon la propre expression du Hotteux, qui n’était pas sans fréquenter nos théâtres à la mode.

On devait amener là un homme. Il fallait expédier cet homme à bas bruit.

Jusque-là, attendre et se taire.