Les Cinq/I/14. Savata séduite


XIV

SAVTA SÉDUITE


L’entrevue de Charlotte et de Pernola avait duré longtemps. Quand Charlotte rentra dans son appartement, elle y trouva Joseph Chaix qui était de retour de son ambassade.

Joseph rapportait la lettre de Charlotte qui n’avait pas été ouverte.

— Est-ce qu’il serait plus souffrant ? demanda Mlle d’Aleix inquiète.

— Non, maîtresse, répondit Joseph. Le médecin l’a trouvé mieux.

— Alors, son père était avec lui ?

— Non, maîtresse. Capitaine Blunt était sorti dès le matin.

Charlotte attendit. Joseph avait l’air de fuir une explication. Quand elle lui demanda enfin pourquoi il ne s’était pas acquitté de sa commission, il répondit en rougissant :

— Il y avait une femme au chevet de M. Édouard.

Charlotte rougit aussi, mais ce fut pour pâlir tout de suite après.

— Une femme… jeune ? demanda-t-elle.

— Moins jeune que lui, mais…

— Mais quoi ?

— Très-belle.

Charlotte essaya de sourire. Joseph avait les sourcils froncés.

— Est-ce que vous entendiez, hier au soir chez nous, pendant que M. Édouard me parlait de l’autre côté de la porte, princesse ? reprit-il après un instant.

— Oui, répliqua Mlle d’Aleix, je crois avoir entendu tout ce qu’il a dit avant de perdre connaissance.

— Alors, vous savez qu’il m’avait donné une commission pour Ville-d’Avray…

— Pour Mme Marion, oui.

— C’est bien le nom qu’il avait dit.

— Il devait dîner avec elle aujourd’hui, dit Charlotte dont la joue redevint rose.

— C’est cela. Eh bien ! quand il m’a vu, il a souri en regardant la femme qui était à son chevet et il m’a dit : « Joseph, mon garçon, ne va pas à Ville-d’Avray, la commission est faite. »

Mlle d’Aleix n’interrogea plus. Elle resta pensive.

Au bout de quelques secondes, elle ouvrit l’enveloppe de sa propre lettre que Joseph lui rapportait, et la relut. La lettre était ainsi conçue :


« Guérissez-vous bien vite, j’aurai besoin de vous. »


Charlotte fit le geste de déchirer le papier, mais elle se ravisa et s’assit devant le secrétaire.

Sa plume, trempée dans l’encre vivement, resta un instant suspendue, puis elle écrivit avec rapidité sur la même feuille et au-dessous de sa signature :


« P.-S. — Je voudrais savoir l’heure où je puis me présenter chez vous sans y rencontrer personne. »


Elle réfléchit encore après avoir écrit cela.

— Il le faut ! murmura-t-elle.

La lettre fut repliée et rendue à Joseph avec cet ordre :

— De manière ou d’autre, M. Édouard doit l’avoir aujourd’hui.

Comme Joseph se retirait, Charlotte ajouta :

— Priez ma bonne Savta de monter sur-le-champ.

Savta entra presque aussitôt après en toilette de grand-messe. Charlotte se jeta à son cou.

— Ma bonne, dit-elle, j’ai quelque chose à te demander : jure-moi que tu me l’accorderas.

Savta refusa d’abord. Elle voulait savoir avant de s’engager.

Elle était pourtant bien loin de deviner l’épreuve à laquelle on allait la soumettre.

Quand elle eut bien résisté elle céda, disant :

— Je sais que princesse ne fera rien qui soit contraire aux convenances…

Pauvre Savta ! mais aussi, comme elle fut embrassée !