Les Chroniques de la Canongate (Montémont)/La Veuve des Higlands

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 2p. 94-163).



LA VEUVE DES HIGHLANDS.




CHAPITRE PREMIER.

le voyage.


Il était aussi près que possible ; mais ce qu’était cet objet, elle ne pouvait le dire. Il semblait être arrêté près d’un chêne vieux et immense.
Coleridge.


Ainsi commence le manuscrit de mistress Baliol :

Il y a trente-cinq ans, ou peut-être quarante, que, pour relever mes esprits abattus et les distraire de la douleur causée par une grande perte que j’avais faite dans ma famille deux ou trois mois auparavant, j’entrepris ce qu’on appelle une tournée highlandaise. C’était une excursion devenue en quelque sorte à la mode. Mais, quoique les routes militaires fussent excellentes, les auberges étaient si mauvaises, que l’on pouvait presque considérer cette tournée comme un voyage aventureux. D’ailleurs, le nom seul des Highlands, bien que ce pays fût aussi paisible alors que toute autre partie des états du roi George, était un mot qui continuait à répandre la terreur à une époque où vivaient encore tant de témoins de l’insurrection de 1745. Une crainte vague s’emparait de la plupart de ceux qui, des tours de Stirling, apercevaient vers le nord la haute chaîne de montagnes qui s’élève comme un sombre rempart pour cacher, dans ses retraites impénétrables, un peuple entier, différent de celui des basses terres par son costume, ses mœurs et son langage. Quant à moi, je descends d’une race peu susceptible de se laisser dominer par les terreurs qu’enfante souvent l’imagination. J’avais plusieurs parents parmi les montagnards ; je connaissais plusieurs de leurs familles de distinction, et, sans aucune crainte, j’entrepris mon voyage, accompagnée seulement de ma femme de chambre, mistress Alice Lambskin.

Cependant j’avais un guide et un cicérone presque égal en mérite à Great-Hoar dans le voyage du Pèlerin. Ce n’était rien moins que Donald Mac Leish, le postillon que je louai à Stirling avec deux chevaux robustes, aussi sûrs que Donald lui-même, pour conduire ma voiture, ma duègne et moi partout où il me plairait d’aller.

Donald Mac Leish était de cette race de postillons dont je présume que les diligences et les bateaux à vapeur ont fait passer la mode. On les trouvait principalement à Perth, à Stirling et à Glasgow. C’est là que les voyageurs avaient coutume de les louer pour les excursions que les affaires ou le plaisir leur faisaient entreprendre dans le pays des montagnes. Un homme de cette classe ressemblait assez pour le caractère à ce que, sur le continent, on appelle le conducteur ; ou bien encore, il pourrait être comparé au pilote d’un bâtiment de guerre britannique, qui suit à sa manière la direction ordonnée par le capitaine. Vous n’aviez besoin que d’expliquer à votre postillon le but et la longueur de votre voyage ; il savait parfaitement choisir les lieux de repos, et il mettait la plus grande attention à ce que ce choix fût de nature à vous offrir toutes les commodités, et à satisfaire votre curiosité à l’égard des objets que vous pouviez désirer de connaître.

Le mérite d’un tel personnage était nécessairement bien supérieur à celui du « first ready, » qui parcourt trois fois par jour les mêmes dix milles au galop. Outre que Donald Mac Leish était extrêmement alerte à réparer tous les accidents ordinaires qui arrivent aux chevaux et aux voitures, et à inventer des expédients pour les nourrir de galettes et de gâteaux d’avoine dans les endroits où le fourrage était rare, c’était un homme très-pourvu de ressources intellectuelles. Il possédait une connaissance générale des traditions historiques du pays qu’il avait parcouru si souvent, et, pour peu qu’il fût encouragé (car Donald était un homme doué de tout le décorum de la réserve et de la discrétion), il était toujours prêt à vous montrer les lieux où s’étaient livrées les principales batailles entre les divers clans, et à vous raconter les faits les plus remarquables qui avaient rendu ces lieux célèbres. Il y avait beaucoup d’originalité dans la tournure de ses idées et dans sa manière de s’exprimer ; et son goût naïf pour les légendes contrastait étrangement avec la subtilité d’esprit ordinaire aux hommes de sa profession : et cela ne laissait pas de rendre sa conversation fort amusante.

Ajoutez que Donald connaissait parfaitement tous les usages du pays qu’il avait traversé si souvent. Il pouvait dire le jour où l’on tuerait l’agneau à Tyndrum ou à Glenuilt[1], de manière que le voyageur avait la chance d’être nourri ce jour là comme un chrétien. Il savait, à un mille près, quel était le dernier village où l’on pouvait se procurer du pain et du blé, chose importante à savoir pour ceux qui étaient peu familiers avec « la terre des galettes. » Il n’y avait pas un mille sur la route qu’il ne connût, et il pouvait dire, sans se tromper d’un pouce, quel côté d’un pont était praticable, et quel côté était décidément dangereux[2]. En un mot, Donald Mac Leish était pour nous non-seulement un serviteur sûr et fidèle, mais encore un humble et obligeant ami ; et quoique j’aie connu le cicéronne demi-classique d’Italie, le valet babillard de France, et même le muletier espagnol, qui se pique d’être mangeur de maïs, et dont on ne peut mettre l’honneur en question sans beaucoup de danger, je ne crois pas avoir jamais rencontré un guide aussi affectionné et aussi intelligent.

Tous nos mouvements étaient dirigés par Donald, et il arrivait fréquemment, quand le temps était serein, que nous préférions nous arrêter pour faire reposer ses chevaux, même où il n’y avait pas de relais établis, et prendre nos rafraîchissements sous un rocher escarpé d’où se précipitait une cascade, ou sur le bord d’une fontaine entourée d’herbe fraîche et de fleurs sauvages. Donald avait un talent particulier pour découvrir ces endroits ; et quoique jamais, j’ose le dire, il n’eût lu Gil Blas ni Don Quichotte, il n’en choisissait pas moins des lieux de halte que la plume de le Sage ou de Cervantès, aurait aimé à décrire.

Souvent, comme il avait observé le plaisir que je prenais à causer avec les habitants de la campagne, il s’arrêtait près d’une chaumière où vivait quelque vieux montagnard dont la claymore avait brillé à Falkirk ou à Preston, et qui survivait à ses exploits, périssable mais fidèle monument des temps passés.

D’autres fois, il imaginait de mettre en réquisition pour nous, jusqu’à concurrence d’une tasse de thé, la demeure hospitalière de quelque digne et vénérable ministre de paroisse, ou de quelque famille campagnarde. Ces hôtes savaient joindre à la simplicité rustique de leurs mœurs primitives une sorte de courtoisie naturelle à un peuple chez lequel les individus de la classe la plus pauvre se considèrent comme étant, selon la phrase espagnole, « aussi nobles que le roi, quoique un peu moins riches. »

Donald Mac Leish était connu de toutes ces personnes, et sa seule présence suffisait pour nous faire aussi bien recevoir, que si nous eussions porté avec nous des lettres de recommandation de quelque chef des montagnes.

Quelquefois l’hospitalité montagnarde qui se manifestait à nous par une abondance variée de mets du pays, de friandises composées d’œufs et de lait, et de gâteaux de diverses espèces et d’autres provisions plus substantielles, selon les moyens des habitants, cette hospitalité, dis-je, tombait avec un peu trop de profusion sur Donald Mac Leish, sous la forme de cette liqueur spiritueuse appelée en Écosse la rosée des montagnes[3]. Pauvre Donald ! il était dans ces occasions-là, comme la toison de Gédéon, tout humecté du noble élément qui ne tombait pas sur nous, comme de raison. C’était son seul défaut. D’ailleurs lorsqu’on le pressait de boire le doch-andorroch[4] à la santé de milady, son refus aurait été pris en mauvaise part, et il était incapable de commettre une telle incivilité. C’était son unique défaut, je le répète, et nous n’avions aucun droit de nous plaindre ; car s’il en résultait pour nous un surcroît de paroles et d’histoires, sa politesse respectueuse en augmentait aussi, et le seul changement qui s’opérait en lui, c’est qu’il marchait plus lentement, et qu’il parlait plus longuement et en termes pompeux. Dans ces moments-là seulement, Donald prenait un air d’importance en parlant de la famille de Mac Leish ; et, en vérité, nous n’avions aucune raison de blâmer rigoureusement une faiblesse dont les conséquences étaient renfermées dans des limites aussi innocentes.

Nous nous accoutumâmes tellement aux manières de Donald et au système de conduite qu’il adoptait à notre égard pendant le voyage, que nous finissions par observer, avec une sorte de plaisir, l’art qu’il employait pour nous causer une surprise agréable, en nous laissant ignorer le lieu où il se proposait d’arrêter, lorsque ce lieu offrait quelque chose d’intéressant ou d’extraordinaire. Nous étions si bien habituées à cette manière d’agir, que, lorsqu’il s’excusait, en parlant de la nécessité où il serait probablement de s’arrêter dans quelque endroit solitaire et étrange, pour faire manger l’avoine à ses chevaux, chose dont il avait toujours soin d’être muni, notre imagination, éveillée par cette précaution même, s’efforçait de deviner d’avance la retraite romantique et pittoresque qu’il nous avait destinée en secret pour lieu de repos.

Nous avions passé la plus grande partie de la matinée au délicieux village de Dalmally ; nous nous étions promenées sur le lac, conduites par l’excellent ministre qui desservait alors Glenorquhy, et nous avions entendu raconter cent histoires sur les chefs redoutables de Loch-Awe, Duncan à la toque de laine, et les autres seigneurs des tours de Klichurn, qui tombent aujourd’hui en poussière. Aussi, était-il plus tard que de coutume lorsque nous nous remîmes en marche, après avoir été averties une ou deux fois par Donald de la longueur du chemin jusqu’au premier relai. En effet, entre Dalmally et Oban, il n’y avait aucun endroit où l’on pût s’arrêter.

Après avoir dit adieu à notre bon et respectable cicérone, nous remontâmes en voiture. Nous tournâmes d’abord autour de l’effrayante montagne nommée Cruachan-Ben, dont les rochers majestueux et sauvages s’avancent sur le lac, ne laissant pour passer à leur pied qu’un étroit défilé : c’est là que, malgré l’avantage de la position, le clan belliqueux de Mac Dougal de Lorn fut détruit par l’habile Hubert Bruce. Ce roi, le meilleur général de son temps[5], accomplit par une marche forcée une manœuvre inattendue : il fit monter un corps de troupes sur le côté opposé de la montagne, et le plaça ainsi sur le flanc et l’arrière des gens de Lorn, tandis qu’il les attaqua de front. Le grand nombre de vieilles tombes que l’on voit encore vers le côté occidental, en descendant le défilé, prouve jusqu’où s’étendit la vengeance que Bruce épuisa sur ses ennemis personnels et invétérés. Sœur de soldats, comme vous savez, je n’ai pu m’empêcher, en écoutant le récit de Donald, d’être frappée de l’idée que cette manœuvre a dû ressembler à celles de Bonaparte. C’était un grand homme que Robert Bruce, un Baliol même doit l’avouer, bien que l’on commence à reconnaître aujourd’hui que ses droits à la couronne n’étaient guère meilleurs que ceux de l’infortunée famille à laquelle il les disputait. Mais brisons là. Le carnage fut d’autant plus terrible, que la rivière rapide et profonde de l’Awe, que vomit le lac, et qui entoure le pied de l’immense montagne, fermait le passage aux fuyards, et que la nature inaccessible du lieu, qui avait semblé d’abord leur promettre défense et protection, contribua à couper la retraite de tous côtés aux malheureux fugitifs.

Méditant, comme la dame irlandaise dans la ballade, « sur les choses passées depuis long-temps[6], » je supportai sans impatience la lenteur extrême avec laquelle Donald nous fit presque grimper pas à pas le long de la route militaire qui porte le nom du général Wade[7], route qui jamais, ou presque jamais, ne se détourne pour éviter la montée la plus rapide, mais qui s’avance en droite ligne, de bas en haut et de haut en bas, avec la même indifférence qu’avaient les ingénieurs romains pour les hauteurs ou les profondeurs, les terrains escarpés ou nivelés. L’excellence réelle de ces travaux importants (car c’est ainsi que l’on peut nommer les grandes routes militaires tracées dans les montagnes) a pourtant mérité l’éloge bizarre d’un certain poète qui, soit qu’il revînt de la contrée, sœur de la Grande-Bretagne[8], et qu’il en parlât le dialecte, soit qu’il pensât que ceux auxquels il s’adressait, avaient quelques prétentions nationales au don de seconde vue, composa ces vers bien connus :


Si vous aviez vu ces chemins
Avant qu’on en ouvrît la trace,
Au ciel vous lèveriez vos mains,
À Wade vous rendriez grâce.


Rien, en effet, ne peut être plus surprenant que de voir ces solitudes sauvages percées et ouvertes dans toutes les directions par des routes larges, bien construites, et si supérieures à tout ce que le pays aurait pu demander pendant des siècles, dans le but pacifique d’établir une communication commerciale. C’est ainsi que les traces de la guerre servent quelquefois heureusement aux besoins de la paix. Les victoires de Bonaparte ont été sans résultats ; mais sa route sur le Simplon servira long-temps de communication entre les nations paisibles qui emploieront aux intérêts du commerce et à la prospérité générale cet ouvrage gigantesque, entrepris dans des projets ambitieux d’invasion et de conquête.

Tout en marchant doucement, nous tournâmes peu à peu la côte de Ben-Cruachan, et, descendant le cours rapide et écumant de l’Awe, nous laissâmes derrière nous le vaste et majestueux lac qui donne naissance à cette rivière impétueuse. Les rochers et les précipices que nous apercevions perpendiculairement au-dessous de nous, sur la droite, nous offraient quelques restes des forêts dont ils avaient été revêtus autrefois, mais qui, dans les derniers temps, avaient été abattues pour entretenir les fonderies de fer de Bunawe, à ce que nous apprit Donald. Tandis que nous admirions ce tableau, nos regards se fixèrent avec intérêt sur un énorme chêne qui s’élevait toujours à notre droite, sur la rive gauche de la rivière et tout près du bord. Cet arbre, d’une grandeur extraordinaire et d’une beauté pittoresque, se trouvait précisément dans un endroit où il paraissait y avoir quelques perches d’un terrain découvert, situé au milieu d’énormes pierres qui s’étaient écroulées du sommet de la montagne. Pour ajouter au romantique de cette situation, un rocher, au front sourcilleux, s’élevait au milieu de ce terrain nu, et, de son sommet, qui avait la hauteur de soixante pieds, se précipitait un torrent, dont les eaux se transformaient en écume et en rosée dans leur chute. Au pied du rocher, ce torrent, semblable à un général en déroute, rassemblait ses forces dispersées, et, comme s’il eût été dompté par la violence de sa chute, il se frayait sans bruit un passage à travers la bruyère, pour aller joindre les flots de l’Awe.

La vue de cet arbre et de cette chute d’eau me frappèrent tellement, que je désirai m’en approcher, non pour en faire l’esquisse ni enrichir mon porte-feuille ; car, dans mon jeune temps, les demoiselles n’avaient pas coutume de se servir de crayons à la mine de plomb, à moins qu’elles n’eussent assez de talent pour en faire réellement un bon usage : je voulais seulement me procurer le plaisir de voir le lieu de plus près. Donald ouvrit sur-le-champ la portière, mais en me faisant observer que la descente de la montagne était rude, et que je verrais l’arbre bien mieux en continuant à suivre la route qui, un peu plus loin, se trouvait très-rapprochée de cet endroit, pour lequel toutefois il ne paraissait pas avoir une grande prédilection. Il connaissait, disait-il, près de Bunawe un arbre bien plus gros que celui-là, et la place où il se trouvait était au moins un terrain plat, où les voitures pouvaient s’arrêter, ce qui était bien difficile sur ces hauteurs ; mais il ferait à cet égard ce qui plairait à milady.

Milady aima mieux admirer le bel arbre qu’elle avait devant elle que de passer outre, dans l’espoir d’en trouver un plus beau. Nous marchâmes donc à côté de la voiture, jusqu’à ce que nous fussions arrivés à un point d’où Donald nous assura que nous pouvions sans danger nous approcher de l’arbre autant que nous voudrions, bien qu’il nous conseillât de ne pas quitter du tout la grande route.

Il y avait dans la contenance et l’expression de Donald, lorsqu’il nous donna cet avis, quelque chose de si grave et de si mystérieux, et cette manière de parler était si différente de sa franchise ordinaire, que ma curiosité féminine s’en éveilla. Nous continuâmes à marcher, et je reconnus bientôt que le chêne énorme, dont un terrain élevé m’avait fait perdre la vue depuis quelques instants, était réellement plus éloigné que je ne l’avais supposé d’abord. « Je jurerais maintenant, dis-je à Donald, que l’arbre et la chute d’eau que l’on voit là-bas sont précisément dans le même lieu où vous avez l’intention de nous faire faire halte aujourd’hui.

— Que le Seigneur m’en préserve ! » s’écria-t-il précipitamment.

« Et pourquoi, Donald ? Pourquoi voudriez-vous passer sans nous arrêter près d’un endroit aussi agréable ?

— Nous sommes encore trop près de Dalmally, milady, pour faire manger l’avoine aux chevaux, et ce serait mettre leur dîner trop près de leur déjeuner, les pauvres bêtes ! D’ailleurs, cet endroit n’est pas sûr… »

— Oh ! le mystère est découvert ! il y a sans doute ici un esprit, un sorcier, un magicien ou une fée, n’est-ce pas ?

— Non, milady, vous êtes hors de la route, comme on dit. Mais, si votre Seigneurie veut prendre patience et attendre que nous soyons sortis de la vallée, je lui expliquerai ce mystère. Il ne fait pas bon de parler de ces choses-là dans le lieu même où elles sont arrivées. »

Je fus obligée de suspendre ma curiosité, réfléchissant que, si je persistais à ramener le discours d’un côté tandis que Donald le détournerait de l’autre, je rendrais son objection encore plus forte. Le coude de la route nous conduisit enfin à cinquante pas de l’objet que je désirais examiner, et je vis alors, à ma grande surprise, qu’il y avait une habitation humaine au milieu des rochers. C’était une hutte de la dimension la plus petite et la plus misérable que j’eusse jamais vue dans les montagnes. Les murs, faits de mottes de terre ou d’une espèce de tourbe que les Écossais appellent divot[9] n’avaient pas quatre pieds de haut ; le toit était de gazon, réparé avec des joncs et des roseaux ; la cheminée était faite d’argile, assujettie avec des liens de paille ; et ces murs, ce toit, cette cheminée, tout était également couvert de joubarbe, de gramen et de mousse ; végétations assez communes sur les vieilles chaumières formées de semblables matériaux. Autour de cette chétive demeure, il n’y avait pas même le moindre vestige d’un plant de choux ; ce qui se trouve ordinairement auprès des huttes les plus misérables. Pour tout être vivant, nous n’aperçûmes qu’un chevreau qui broutait sur le toit, et une chèvre, sa mère, qui paissait à quelque distance, entre le chêne et la rivière d’Awe.

« Quel homme, m’écriai-je, peut avoir commis un crime assez noir pour mériter cette horrible demeure ?

— C’est en effet un être qui a commis assez de crimes pour cela, » répliqua Donald avec un gémissement presque étouffé ; « oui… et l’on y trouve assez de misère aussi, Dieu le sait ! mais ce n’est pas un homme qui habite là, c’est une femme.

— Une femme ! répétai-je, dans un lieu si solitaire ? et quelle sorte de femme peut-elle être ?

— Venez par ici, milady, et vous pourrez en juger par vos propres yeux, » reprit Donald. Nous avançâmes de quelques pas, et, tournant brusquement sur la gauche, nous aperçûmes le vaste et large chêne du côté opposé à celui que nous avions vu jusqu’alors.

« Si elle n’a pas perdu son ancienne habitude, elle doit être là à cette heure, » dit Donald. Et tout à coup, gardant le silence, il me montra du doigt l’endroit dont il voulait parler, comme s’il eût craint d’être entendu. Je regardai et j’aperçus, avec un sentiment de terreur indéfinissable, une forme de femme, assise au pied du chêne, la tête baissée, les mains jointes, et couverte jusque par-dessus la tête, d’un manteau de couleur brune, exactement comme l’on représente, sur les médailles sydirennes, Juda[10] assis sous son palmier. Je me sentis tout à coup pénétrée de cette sorte de crainte respectueuse dont mon guide me semblait lui-même frappé par la présence de cet être mystérieux et solitaire, et je ne songeai point à m’avancer pour la voir de plus près, avant d’avoir dirigé sur Donald un regard interrogateur, auquel il répondit par ces paroles, prononcées à voix basse.

« C’est une femme qui a été effroyablement méchante, milady !

— Extravagante[11], dites-vous ? » repris-je, ne l’ayant entendu qu’imparfaitement ; « alors elle peut être dangereuse ?

— Non, elle n’est pas extravagante, répondit Donald. Si cela était, elle serait beaucoup plus heureuse. Et pourtant, en songeant à ce qu’elle a fait et à ce qu’elle a fait faire plutôt que de céder gros comme un cheveu de sa perversité, il lui est difficile peut-être de ne pas perdre la raison. Mais, à présent, elle n’est ni folle ni méchante, et cependant, milady, je crois que vous feriez mieux de ne pas vous approcher davantage. » Alors il me raconta précipitamment l’histoire que je vais vous dire avec un peu plus de détails. J’écoutai ce récit avec un mélange d’horreur et de compassion qui, d’un côté, me portait à m’approcher de cette malheureuse femme pour lui adresser quelques paroles de consolation ou plutôt de pitié, et de l’autre me forçait en même temps à reculer d’effroi.

Tel était en effet le sentiment qu’elle inspirait parmi les montagnards des environs : ils regardaient Elspat Mac Tavish ou la femme de l’arbre, comme ils l’appelaient, du même œil que les Grecs considéraient les grands coupables poursuivis par les Furies, et dont l’esprit était en proie aux remords vengeurs. Ils regardaient ces êtres infortunés, tel qu’Oreste et Œdipe, bien moins comme les auteurs volontaires de leurs forfaits que comme les instruments passifs par lesquels les terribles décrets de la destinée avaient dû s’accomplir ; et la terreur inspirée par de tels coupables n’était pas sans un mélange de respect.

J’appris aussi de Donald Mac Leish, que l’on redoutait toujours quelque malheur pour ceux qui avaient la témérité de s’approcher de trop près d’un être voué à un tel degré de misère, et de troubler son imposante solitude. Suivant la croyance générale, quiconque oserait braver le danger était frappé jusqu’à un certain point de la contagion funeste de cette misérable créature, et dévoué comme elle au malheur.

Ce fut donc avec répugnance que Donald, me voyant résolue à m’approcher d’elle, se mit en devoir de me suivre, pour m’aider à descendre un sentier très-rude et très-difficile. Je crois que sa considération pour moi parvint, dans cette circonstance, à surmonter les funestes pressentiments qui lui faisaient entrevoir alors les événements les plus sinistres, tels que des chevaux devenus subitement boiteux, un essieu brisé, une voiture renversée, et d’autres accidents inséparables de la vie de postillon.

Je ne suis pas certaine que mon propre courage m’eût conduite aussi près d’Elspat, si Donald ne m’eût pas suivie. Il y avait dans la contenance de cette femme l’austère abstraction d’un chagrin sans espoir, d’un chagrin dont le poids accablant est mêlé de remords et d’un sentiment d’orgueil qui porte à vouloir le dissimuler. Elle devina peut-être que c’était la curiosité produite par le récit de son histoire extraordinaire qui m’avait poussée à venir troubler sa solitude, et elle ne pouvait se trouver flattée qu’un destin comme le sien devînt un sujet de distraction pour une voyageuse. Cependant, le regard qu’elle dirigea sur moi fut celui du dédain plutôt que de l’embarras. L’opinion du monde et des enfants du monde ne pouvait ni augmenter, ni diminuer le poids de sa misère ; et à l’exception d’un faible sourire qui semblait exprimer le mépris d’une âme élevée par la grandeur même de son infortune au-dessus de la sphère ordinaire de l’humanité, elle parut aussi indifférente à la manière dont je la contemplais que si elle eût été un corps inanimé ou une statue de marbre.

Elspat était d’une taille au-dessus de la moyenne. Ses cheveux, maintenant gris, étaient encore d’une épaisseur extrême, et ils avaient été d’un noir foncé. Ses yeux, qui avaient conservé cette dernière couleur, contrastaient singulièrement avec la sévérité de ses traits et de sa contenance ; car on y remarquait cet éclat sauvage et cette lumière incertaine qui indiquent un esprit en désordre. Ses cheveux étaient attachés avec une grande épingle d’argent, et relevés avec une sorte de soin et de propreté ; et son manteau de couleur sombre était drapé autour d’elle avec un certain goût, quoique l’étoffe fut de l’espèce la plus grossière.

Après avoir contemplé cette victime du crime et du malheur, jusqu’à ce que je fusse honteuse de mon silence, j’essayai, sans trop savoir comment m’y prendre, de lui témoigner ma surprise de ce qu’elle avait choisi une habitation aussi solitaire et aussi délabrée. Elle coupa court à ces marques de compassion par ces mots prononcés d’une voix sombre et sans changer de contenance : « Fille de l’étranger, on vous a raconté mon histoire. » Je fus à l’instant réduite au silence, et je sentis combien tout ce que la terre peut offrir d’aisance devait paraître misérable à l’esprit préoccupé de méditations aussi sévères. Sans oser renouer la conversation, je tirai une pièce d’or de ma bourse ; car Donald m’avait fait entendre qu’elle vivait d’aumônes, et je pensai qu’elle étendrait au moins la main pour la recevoir. Mais elle ne refusa ni n’accepta le don : elle ne parut pas même le remarquer, quoique probablement il valût vingt fois celui qu’on lui offrait ordinairement. Je fus obligée de le déposer sur ses genoux, et je prononçai involontairement ces paroles : « Puisse Dieu vous pardonner et vous soulager ! » Je n’oublierai jamais le regard qu’elle lança vers le ciel et le ton avec lequel elle prononça ces paroles de mon vieil ami John Home :


Mon beau, mon brave enfant !


C’était le langage de la nature ; il partait du cœur d’une mère privée de son enfant, comme il naquit de l’imagination du poète, tandis qu’il prêtait à la douleur idéale de lady Randolphe les expressions qui pouvaient la peindre le mieux.






CHAPITRE II.

le cateran.


Hélas ! je viens me réfugier dans les basses terres sans un sou dans ma poche pour payer un repas. Hélas ! hélas ! ohonochie ! J’étais la plus orgueilleuse de mon clan ; long-temps, bien long-temps je me repentirai ; Donald était le plus brave des hommes, et Donald était mon mari.
Vieille chanson.


Elspat avait vu des jours prospères, quoique, dans sa vieillesse, elle fût devenue la proie de chagrins et de malheurs contre lesquels il n’y avait plus ni consolations ni espérance à lui offrir. Elle avait été autrefois la belle et heureuse femme de Hamish[12] Mac Tavish, qui, par sa force extraordinaire, sa valeur et ses hauts faits, avait obtenu le titre de Mac Tavish Mhor[13]. La vie de cet homme avait toujours été turbulente et semée de troubles et de dangers, parce qu’ayant calqué ses mœurs sur celles des anciens montagnards, il regardait comme une honte de manquer de quoi que ce fût, lorsqu’il pouvait le prendre. Les gens des basses terres qui habitaient dans son voisinage, et qui désiraient jouir en paix de leur vie et de leurs biens, se résignaient à lui payer un petit tribut sous le nom de protection-money[14], et se consolaient par ce vieux proverbe : « Il vaut mieux flatter le diable que de le combattre. » Ceux qui regardaient une telle convention comme déshonorante se trouvaient bien souvent surpris par Mac Tavish Mhor et ses partisans, qui avaient coutume de les punir par une amende proportionnée à leur rang ou à leurs propriétés ; quelquefois même ils faisaient entrer ces deux considérations réunies dans le châtiment imposé aux vaincus. On se souvient encore de quelle manière il enleva, dans une incursion, cent cinquante vaches à Monteith, et comment il fit mettre le laird de Ballybught, tout nu, dans un bourbier, pour l’avoir menacé d’envoyer chercher une compagnie de highlands watch[15] pour défendre ses propriétés.

Quels que fussent de temps à autre les triomphes de cet audacieux cateran[16], ils étaient souvent achetés par des revers, et l’adresse avec laquelle il échappait au danger, la rapidité de sa fuite, et les stratagèmes ingénieux qu’il employait pour se tirer du péril le plus imminent, n’étaient pas moins que ses exploits l’objet du souvenir et de l’admiration. Dans la prospérité ou dans le malheur, à travers les fatigues, les embarras et les dangers de toute espèce, Elspat fut toujours sa compagne fidèle. Elle jouissait avec lui de ses moments de gloire et de bonheur ; et, quand l’adversité venait peser sur eux, sa force d’âme, sa présence d’esprit et son courage servirent plus d’une fois, dit-on, à stimuler les efforts de son époux.

Leur moralité était exactement celle des anciens montagnards : ils étaient amis fidèles et ennemis implacables. Ils regardaient comme leur bien propre les troupeaux et les moissons des habitants des basses terres, toutes les fois qu’ils avaient le moyen de les enlever, et ils n’avaient pas le moindre scrupule à l’égard du droit de propriété. Tamish Mhor raisonnait à ce sujet comme le vieux soldat crétois :

Mon épée et mon bouclier
De tout savent me rendre maître ;
Celui qui craint de manier
La lance ou la lame d’acier,
Devant la mienne doit plier,
Et les biens du lâche ou du traître
Sont à moi sur chaque sentier.

Mais ces jours de déprédations périlleuses, quoique souvent couronnées de succès, devinrent plus rares après la malheureuse expédition du prince Charles-Édouard. Mac Tavish Mhor n’était pas resté oisif dans cette circonstance, et il fut proscrit comme traître envers l’État, et comme voleur et cateran. Des garnisons furent établies dans un grand nombre de places où jamais on n’avait encore vu d’habits rouges, et le tambour saxon retentit jusque dans les retraites les plus impénétrables des montagnes. Le funeste sort qui menaçait Mac Tavish devint de plus en plus inévitable, et ce qui réduisit encore ses moyens de défense et de fuite, c’est qu’Elspat, au milieu de ces jours de malheur, avait augmenté sa famille d’un enfant qui était un obstacle considérable à la rapidité de leurs mouvements.

Enfin, le jour fatal arriva. Le célèbre Mac Tavish Mhor fut surpris dans un défilé par un détachement de Sidier Roy[17]. Sa femme le seconda héroïquement, chargeant son fusil à propos ; et comme ils occupaient un poste presque inexpugnable, peut-être serait-il parvenu à s’échapper, si les munitions ne lui avaient pas fait faute. Mais les balles finirent par lui manquer. Ce ne fut cependant qu’après qu’il leur eut envoyé tous les boutons d’argent de son habit que les soldats, cessant de redouter ce tireur infatigable qui avait tué trois des leurs et fait un grand nombre de blessés, s’approchèrent de sa forteresse, et, ne pouvant le prendre vif, le tuèrent après la résistance la plus désespérée.

Elspat, témoin de cette sanglante défaite, y survécut ; car l’enfant qui ne pouvait trouver d’appui qu’en elle lui donnait de la force et du courage. Il serait difficile de dire comment elle vécut. Ses seuls moyens apparents d’existence étaient trois ou quatre chèvres qu’elle faisait paître dans les montagnes, partout où il lui plaisait, sans que personne osât lui reprocher de s’introduire sur un terrain qui ne lui appartenait pas. Dans cette détresse générale du pays, ses anciens amis avaient peu de chose à donner ; mais ce qu’ils pouvaient ôter de leur propre nécessaire, ils le consacraient volontiers au soulagement des autres. Quelquefois elle allait chez les habitants des basses terres, bien moins pour solliciter une aumône que pour demander un tribut. Elle n’avait pas oublié qu’elle était la veuve de Mac Tavish Mhor ; et elle s’imaginait que l’enfant dont sa main soutenait les pas chancelants pourrait un jour égaler la réputation de son père, et obtenir le même ascendant qu’il avait jadis exercé sans partage. Elle se mêlait si peu avec les autres habitants des montagnes, elle sortait si rarement et avec tant de répugnance de sa retraite sauvage, où elle vivait avec ses chèvres, qu’elle n’avait aucune connaissance des grands changements qui avaient eu lieu dans le pays ; tels que la substitution de l’ordre civil à la violence militaire, et la force que la loi et les partisans de la loi avaient obtenue sur ceux qui, dans la chanson montagnarde, étaient appelés « les fils impétueux de l’épée. » Elle sentait, il est vrai, la diminution de son importance, et le malheur de sa situation ; mais la mort de Mac Tavish Mhor en était, selon elle, une raison suffisante ; et elle ne doutait pas qu’elle ne parvînt à reconquérir le rang et la considération dont elle avait joui autrefois, lorsque Hamish Beam, ou James le Blond, serait en état de porter les armes de son père. Lors donc qu’Elspat était repoussée durement par quelque fermier brutal à qui elle demandait quelque chose de nécessaire à ses besoins ou à ceux de son petit troupeau, ses menaces de vengeance, exprimées d’une manière obscure, mais terrible, arrachaient souvent à ces hommes, par la frayeur qu’inspiraient ses malédictions, le soulagement refusé à son indigence. La tremblante ménagère qui donnait des aliments ou de l’argent à la veuve de Mac Tavish Mhor, regrettait au fond du cœur que la redoutable sorcière n’eût pas été brûlée vive le jour où son mari avait reçu un châtiment mérité.

Ainsi s’écoulèrent plusieurs années, pendant lesquelles Hamish Beam devint non pas, à la vérité, l’égal de Mac Tavish Mhor par la taille et la force, mais actif, plein d’ardeur et de fierté. C’était un beau jeune homme, à la chevelure blonde, aux joues vermeilles, au regard d’aigle, et qui était doué de toute l’agilité, sinon de toute la force physique de son redoutable père, dont l’histoire et les exploits ne manquaient pas de lui être racontés souvent par sa mère, afin de disposer son âme à une carrière aussi aventureuse. Mais la jeunesse voit l’état présent de ce monde variable d’un œil plus pénétrant que la vieillesse. Quoique tendrement attaché à sa mère et disposé à faire tout ce qui serait en son pouvoir pour assurer son existence, Hamish reconnut cependant, quand il fut en état de connaître le monde, que la vie de cateran était désormais aussi dangereuse que déshonorante, et que, s’il devait suivre les exemples de valeur que lui avait donnés son père, ce devait être dans toute autre carrière plus conforme aux principes et aux idées du jour.

À mesure que les facultés de l’esprit et du corps se développèrent en lui, il sentit plus vivement la nature précaire de sa situation ; il reconnut l’erreur des opinions de sa mère, et son ignorance totale relativement aux changements et aux réformes opérés dans la société qu’elle ne fréquentait plus. En se mêlant parmi ses voisins, il compara leur situation à la sienne, et il s’aperçut, pour la première fois, de l’exiguïté des moyens d’existence auxquels sa mère était réduite, et il apprit qu’elle ne possédait rien, ou presque rien au-delà des choses les plus urgentes de la vie, choses dont souvent même elle était sur le point de manquer. Quelquefois ses succès à la pêche ou à la chasse venaient augmenter les faibles provisions du ménage ; mais il ne voyait d’autre ressource fixe et assurée que celle de s’abaisser à un travail servile, ressource qui, dans la supposition où il consentirait à s’y soumettre, ne manquerait pas de faire une blessure mortelle à l’orgueil de sa mère.

Elspat, de son côté, vit avec surprise que Hamish Beam, quoique d’une taille haute et belle, quoique propre sous tous les rapports à la carrière des armes, ne montrait aucune disposition pour le genre d’exploits par lesquels s’était distingué son père. Il y avait au fond du cœur de cette mère un sentiment qui l’empêchait de l’engager, d’une manière formelle et positive, à commencer la vie de cateran, et les périls inséparables d’une telle carrière l’épouvantaient pour son fils. Lorsqu’elle voulait lui parler à ce sujet, son imagination ardente lui présentait l’ombre de son époux s’élevant entre son fils et elle, revêtue de son tartan ensanglanté, et un doigt posé sur ses lèvres, comme pour lui ordonner le silence. Cependant elle s’étonnait d’une conduite qui semblait indiquer dans son fils un manque de courage ; elle soupirait en le voyant perdre les jours dans l’oisiveté, et porter l’habit à longs pans des habitants des basses terres, habit que les lois avaient ordonné aux montagnards à la place de leur costume pittoresque. Elle trouvait qu’il aurait bien mieux ressemblé à son époux, s’il avait été revêtu du plaid, du ceinturon, des hauts de chausses courts, et s’il avait porté à son côté des armes polies et éclatantes.

Outre ces sujets d’inquiétude, Elspat en avait d’autres qui naissaient de l’impétuosité extraordinaire de son caractère. Son amour pour Mac Tavish Mhor avait été mêlé de respect et même de crainte ; car les caterans, qui n’étaient pas des hommes susceptibles de se soumettre à l’influence des femmes, aimaient à leur inspirer ce dernier sentiment. Bien qu’elle aimât son mari, elle avait toujours été dans une sorte de dépendance timide à son égard. Mais cette autorité qu’elle n’avait pas exercée sur Mac Tavish, elle l’avait pratiquée impérieusement sur son fils pendant son enfance et sa première jeunesse, ce qui donnait maintenant à son amour maternel le caractère de la jalousie. Elle ne pouvait souffrir qu’Hamish, en avançant en âge, fît chaque jour un pas de plus vers l’indépendance, s’absentât de la cabane selon sa propre volonté, et pour autant de temps qu’il lui plaisait, et qu’il semblât croire, malgré tout le respect et la tendresse qu’il ne cessait de lui témoigner, que la direction et la responsabilité de sa conduite reposaient entièrement sur lui seul. Ces sentiments auraient été de peu de conséquence, si elle avait su les renfermer dans son sein ; mais l’ardeur et l’impatience de son caractère la poussèrent à manifester souvent à son fils qu’elle se croyait négligée, traitée avec froideur. Lorsqu’il s’absentait pour quelque temps, sans lui en faire connaître le motif, le ressentiment d’Elspat éclatait à son retour d’une manière si déraisonnable, que cette tyrannie suggéra enfin à ce jeune homme, amant de l’indépendance et désireux d’améliorer sa situation dans le monde, le projet de quitter la demeure maternelle. D’ailleurs, ce projet seul lui offrait la possibilité de pourvoir aux besoins de celle dont les prétentions exclusives sur sa tendresse filiale ne tendaient qu’à le confiner en un désert, dans lequel tous deux étaient mourants de faim, sans espérance et sans secours.

Un jour que Hamish s’était rendu coupable d’une nouvelle excursion, sa mère, offensée et irritée, lui avait montré à son retour plus de violence que de coutume ; ce qui avait éveillé en lui un sentiment de déplaisir si vif que ses joues et son front s’étaient couverts d’un nuage sombre. Comme elle persévérait dans sa colère déraisonnable, la patience du jeune homme s’épuisa. Il prit son fusil dans le coin de la cheminée, et, murmurant quelques paroles que son respect pour sa mère l’empêchait de prononcer à haute voix, il était sur le point de quitter la cabane où il venait à peine de rentrer.

« Hamish, lui dit sa mère, allez-vous encore me quitter ? »

Mais Hamish ne répondit qu’en regardant son fusil, dont il frottait la platine.

« Oui, frottez bien votre fusil, » dit Elspat avec amertume ; « je suis bien aise que vous ayez assez de courage pour le décharger, quand ce ne serait que sur un chevreuil. »

Hamish tressaillit à ce sarcasme non mérité, et n’y répondit que par un regard de colère. Elle vit alors qu’elle avait trouvé le moyen d’irriter son orgueil et de blesser son cœur.

« Oui, reprit-elle, regardez avec colère, autant qu’il vous plaira, une vieille femme, votre mère ; il se passera encore du temps avant que vous fronciez le sourcil devant le regard irrité d’un homme ayant barbe au menton.

— Paix, ma mère ! ou parlez de ce que vous connaissez, » dit Hamish plus offensé que jamais ; « parlez de la quenouille et du fuseau.

— Était-ce donc à la quenouille et au fuseau que je pensais quand je vous emportai sur mon dos à travers le feu de six soldats saxons, alors que vous n’étiez encore qu’un faible enfant ? Je vous le dis, Hamish, j’ai connu cent fois plus d’épées et de fusils que jamais vous n’en connaîtrez, et vous n’apprendrez jamais de vous-même autant de choses sur le noble art de la guerre, que vous en avez vu lorsque vous étiez enveloppé dans mon plaid.

— Vous êtes déterminée au moins à ne m’accorder aucune paix à la maison, ma mère ; mais tout ceci aura une fin, » dit Hamish, qui, reprenant son premier dessein de quitter la cabane, se leva et marcha vers la porte.

« Restez ici, je vous l’ordonne, s’écria Elspat : restez, vous dis-je, ou puisse l’arme que vous portez devenir l’instrument de votre perte ! puisse la route que vous allez parcourir devenir pour vous celle du trépas !

— Pourquoi faire usage de semblables mots, ma mère ? » dit le jeune homme en se retournant à demi ; « ils ne sont pas de bon augure, et rien d’heureux ne peut en résulter. Adieu pour ce moment, car nous sommes trop en colère pour causer ensemble. Adieu ! De bien long-temps peut-être vous ne me verrez. » Et il s’éloigna. Elspat, dans la violence de sa colère, fit pleuvoir sur lui un torrent de malédictions, puis, le moment d’après, elle demanda au ciel de les faire retomber sur sa tête, et de les détourner de celle de son fils. Elle passa tout ce jour et le suivant dans toute la démence d’une rage impuissante et hors de mesure, tantôt suppliant le ciel et toutes les puissances surnaturelles, que de sauvages traditions lui avaient rendues familières, de lui ramener son cher enfant, les délices de son cœur ; tantôt cherchant dans l’excès de son ressentiment les termes les plus amers pour lui reprocher sa désobéissance ; puis, tout à coup, étudiant le langage le plus tendre pour se le rattacher et le fixer dans cette cabane que la présence de son fils lui faisait trouver si chère, et que, dans ses transports d’amour maternel, elle n’aurait pas voulu échanger, lorsqu’il y était, pour les appartements somptueux de Taymouth Castle.

Durant ces deux jours, négligeant même de soutenir la nature par les faibles moyens que lui offrait sa situation, il ne fallut rien moins que la force extrême d’un corps habitué aux fatigues et aux privations de toute espèce, pour que son existence ne cessât pas ; et, bien que l’affreuse agonie de son âme l’empêchât de sentir la faiblesse de son corps, elle aurait péri de besoin. Son habitation, à cette malheureuse époque de sa vie, était la même que celle où je la trouvai depuis ; mais alors les soins d’Hamish l’avaient rendue plus commode : car c’était lui qui, en grande partie, l’avait bâtie ou réparée.

C’était le troisième jour après la disparition de son fils. Elle était assise à la porte de sa cabane, se balançant, selon l’usage des femmes de son pays, lorsqu’elles éprouvent quelque peine, quelque tourment. Tout à coup elle aperçoit un étranger traversant la route qui dominait la chaumière. Elle ne fit que jeter un regard rapide sur lui : il était à cheval. Ce ne pouvait être Hamish ; et Elspat était trop indifférente pour tous les autres êtres qui habitaient la terre, pour jeter un second regard de ce côté. L’étranger cependant fit halte à quelque distance de la cabane, et, mettant pied à terre, il s’avança par le sentier tortueux qui conduisait à la porte d’Elspat.

« Dieu vous bénisse, Elspat Mac Tavish ! » Elle regarda l’homme qui s’adressait à elle, dans sa langue, avec cet air mécontent d’une personne dont la rêverie est interrompue mal à propos ; mais le voyageur continua : « Je vous apporte des nouvelles de votre fils Hamish. » Au même instant, cet étranger, qui avait paru à Elspat l’être le moins intéressant, prit à ses yeux l’aspect imposant et redoutable d’un messager descendu du ciel exprès pour prononcer sa sentence de vie ou de mort. Elle s’élança de son siège, et, joignant ses mains par un mouvement convulsif, elle les éleva vers le ciel, tandis que, ses yeux s’attachant fixement sur l’étranger, et tout son corps se penchant vers lui, elle lui adressa, de ses regards avides, les questions que ses lèvres défaillantes ne pouvaient proférer.

« Votre fils vous envoie son respectueux souvenir, et ceci, » dit l’étranger, en mettant dans la main d’Elspat une petite bourse contenant quatre ou cinq dollars.

« Il est parti ! il est parti ! s’écria Elspat ; il s’est vendu au service des Saxons, et je ne le verrai plus ! Dites-moi, Milles Mac Phadraick, car maintenant je vous reconnais, est-ce le prix du sang de mon fils que vous venez de mettre dans la main de sa mère ?

— À Dieu ne plaise ! » répondit Mac Phadraick, tacksman ou fermier qui régissait une étendue considérable de terre sous un chef, riche propriétaire, vivant à environ vingt milles de distance ; « à Dieu ne plaise que je fasse jamais aucun mal, soit en parole, soit en action, à vous ou au fils de Mac Tavish Mhor ! Je vous jure, par la main de mon chef, que votre fils est en parfaite santé, et qu’il vous verra bientôt : quant au reste, il vous le dira lui-même. »

À ces mots, Mac Phadraick se hâta de reprendre le sentier escarpé, et, lorsqu’il eut regagné la route, il s’élança sur son cheval et partit au galop.



CHAPITRE III.

préparatifs.


Elspat Mac Tavish était restée immobile, les regards fixés sur la bourse, comme si l’empreinte de pièces d’argent avait pu lui révéler comment cette somme d’argent avait été acquise.

« Je n’aime pas ce Mac Phadraick, dit-elle en elle-même ; c’est de sa race que le barde parlait lorsqu’il disait : « Crains-les, non pas lorsque leurs paroles font autant de bruit que l’ouragan d’hiver, mais lorsqu’elles frappent ton oreille comme le chant mélodieux de la grive[18]. » Et cependant cette énigme ne peut être comprise que d’une manière : mon fils a pris l’épée pour gagner avec sa force d’homme ce que des rustres voudraient l’empêcher de prendre avec des paroles tout au plus bonnes à effrayer les enfants. » Lorsque cette idée se fut emparée de son esprit, elle lui parut d’autant plus raisonnable, que Mac Phadraick, bien que fort circonspect, comme elle le savait parfaitement, avait encouragé les déprédations de son époux, et souvent lui avait acheté des bestiaux, quoiqu’il sût, à n’en pouvoir douter, de quelle manière ils étaient acquis ; mais ces sortes de marchés n’avaient lieu pourtant que de manière à rapporter de grands bénéfices à Mac Phadraick, sans compromettre sa sûreté. Or, qui, mieux que lui, pouvait indiquer à un jeune cateran le chemin qu’il devait suivre pour commencer son périlleux métier avec le plus de chances de succès ? Qui, mieux que Mac Phadraick, pouvait l’aider à convertir son butin en argent ? Les sentiments qu’une autre mère aurait éprouvés en croyant son fils unique lancé dans la même carrière où son père avait trouvé la mort, étaient presque inconnus aux mères des montagnards de cette époque. Elspat considérait la mort de Mac Tavish comme celle d’un héros qui avait succombé dans le métier périlleux de la guerre, et qui n’avait pas succombé sans s’être vengé. Elle craignait bien moins pour son fils la mort que le déshonneur. Elle redoutait surtout son asservissement aux étrangers, et ce sommeil mortel de l’âme où plonge ce qu’elle considérait comme l’esclavage.

Ce principe moral, qui naît si naturellement et si justement dans l’esprit de l’homme élevé sous un gouvernement stable, dont les lois protègent la propriété du faible contre les déprédations du fort, était, pour la pauvre Elspat, un livre scellé, une source cachée. Elle avait appris à considérer ceux qu’elle appelait Saxons comme une race avec laquelle les enfants de Gael étaient constamment en guerre ; et toute propriété ennemie, qui se trouvait à la portée des incursions des montagnards, était, dans son esprit, un juste objet d’attaque et de pillage. Ses sentiments à cet égard s’étaient encore fortifiés, non-seulement par le désir de venger la mort de son époux, mais encore par cette indignation générale que la conduite violente et barbare des vainqueurs, après la bataille de Culloden, avait justement excitée dans le cœur de tous les montagnards. Il y avait même certains clans highlandais dont elle regardait aussi les propriétés comme de justes objets de conquête, lorsque l’occasion était favorable, à cause des anciennes inimitiés et des haines mortelles qui avaient jadis existé entre les divers clans.

Plus prudente, elle aurait examiné et pesé les moyens faibles et incertains que l’époque pouvait offrir pour résister aux efforts d’un gouvernement sagement combiné : elle aurait songé que son autorité était moins ferme et moins bien établie, à l’époque où il s’était trouvé incapable de réprimer les ravages et les déprédations de calerans tels que Mac Tavish Mhor ; mais la prudence était inconnue à une femme solitaire, dont les idées se reportaient encore aux jours de sa première jeunesse. Elle s’imaginait que son fils n’avait besoin que de se proclamer le successeur de Mac Tavish dans la carrière des entreprises audacieuses, et qu’aussitôt une foule d’hommes aussi braves que ceux qui avaient marché sous la bannière de son père, se réuniraient autour de lui, pour la défendre de nouveau, lorsqu’elle serait déployée. Hamish était l’aigle qui n’avait qu’à s’élever par un noble essor pour reprendre sa place naturelle dans les régions du ciel ; mais elle ne comprenait pas combien cet essor serait désormais surveillé, et combien de balles seraient dirigées de manière à l’abattre. En un mot, Elspat était une femme qui considérait l’état actuel de la société du même œil qu’elle avait considéré les temps qui n’étaient plus. Elle avait vécu dans l’indigence, l’oubli, l’oppression, depuis que son époux avait cessé d’inspirer la crainte ; et elle se figurait que le rang et l’ascendant dont elle avait joui renaîtraient pour elle, lorsque son fils aurait pris la résolution de jouer le rôle paternel. Si son imagination jetait quelquefois un regard sur l’avenir, ce n’était que pour songer au moment où elle serait déposée dans la tombe, après que sa tribu aurait fait entendre sur elle, selon l’usage, les cris de douleur et les chants funèbres, événement qui devait arriver avant que son bel Hamish le Blond pérît, la main sur la poignée de sa claymore ensanglantée. Les cheveux de Mac Tavish avaient blanchi depuis long-temps, et il avait bravé cent dangers avant de succomber les armes à la main. Qu’elle eut survécu à un tel spectacle, c’était une conséquence naturelle des mœurs de ce siècle ; et mieux valait, pensait-elle dans son orgueil, l’avoir vu mourir ainsi, que dans une chaumière enfumée, sur un lit de paille pourrie, comme un misérable limier usé par la fatigue, ou comme un taureau vaincu par la maladie. Mais l’heure de son jeune, de son brave Hamish, était encore éloignée. Il devait triompher, il devait conquérir comme son père ; et, lorsqu’il tomberait enfin, car elle ne se dissimulait pas qu’il ne dût périr un jour d’une manière sanglante, Elspat reposerait depuis long-temps dans le cercueil, et ne pourrait ni voir son agonie, ni pleurer sur l’herbe qui couvrirait sa tombe.

L’esprit d’Elspat, imbu d’idées aussi bizarres, s’exalta à son degré d’enthousiasme ordinaire : elle le dépassa même. Selon le langage emphatique de l’Écriture, dont le style ne diffère guère de celui des peuplades des Highlands, elle se leva, se lava, changea de vêtements, mangea du pain, et se trouva reposée.

Elle désirait ardemment le retour de son fils ; mais ce n’était plus avec ce mélange d’amertume que donnent le doute et la crainte. Elle se disait qu’il avait encore beaucoup de choses à faire avant qu’il pût, surtout dans le temps où il vivait, s’élever au rang éminent de chef redoutable. Cependant elle s’attendait presque à le voir revenir à la tête d’un parti audacieux, s’avançant au son des cornemuses, les bannières déployées et le noble tartan flottant au gré des vents, en dépit des lois qui avaient défendu, sous des peines sévères, l’usage du costume national et tout l’attirail de la chevalerie highlandaise. Et, pour tout cela, son ardente imagination lui accordait à peine quelques jours d’intervalle.

Dès que cette idée se fut emparée de son esprit, elle ne s’occupa plus que de se préparer à recevoir son fils à la tête de ses partisans, et d’orner sa cabane, ainsi qu’elle avait coutume de faire autrefois pour le retour de Mac Tavish Mhor.

Elle n’avait nul moyen de se procurer les provisions nécessaires ; mais cette considération était d’importance à ses yeux : les heureux caterans amèneraient sans doute avec eux des bestiaux de toute espèce. En attendant, la cabane fut préparée pour les recevoir ; l’usquebaugh fut brassé et distillé en si grande quantité, qu’on n’aurait pu supposer qu’une seule femme eût été capable d’y suffire. La hutte fut appropriée et rangée avec un tel ordre, qu’on aurait pu croire, jusqu’à un certain point, qu’il s’agissait d’un jour de fête. Elle la balaya et l’orna de brandies et de rameaux de diverses espèces, comme la maison d’une juive, le jour de la fête des Tabernacles. Le lait de son petit troupeau fut préparé sous toutes les formes que son habileté put inventer, afin de régaler son fils et les compagnons valeureux qu’elle s’attendait à recevoir avec lui.

Mais le principal décor, celui qu’elle recherchait avec le plus de soin, fut le cloud-berry[19], fruit écarlate, qui ne se trouve que sur le sommet de très-hautes montagnes, et seulement en petite quantité. Son époux, ou peut-être quelqu’un de ses ancêtres, avait choisi ce fruit pour emblème de sa famille, parce qu’il semblait tout à la fois indiquer, par sa rareté, le petit nombre d’individus dont se composait le clan ; et, par la hauteur où on le trouve, l’élévation ambitieuse de leurs prétentions.

Pendant tout le temps que durèrent ces préparatifs, Elspat fut dans un trouble qui tenait du bonheur et de l’inquiétude ; et cette inquiétude provenait de la seule crainte qu’elle avait de ne pouvoir préparer tout assez promptement pour accueillir, comme elle l’aurait voulu, Hamish et ses compagnons.

Mais lorsque tous ses efforts furent épuisés, elle se trouva encore une fois sans autre occupation que le soin insignifiant de ses chèvres. Il ne lui restait plus qu’à passer en revue ses préparatifs, à renouveler ceux que le temps pouvait altérer, à remplacer les branches desséchées et les rameaux flétris. Alors elle s’asseyait à la porte de sa cabane, les regards fixés sur la route, qui, d’un côté, partant des rives de l’Awe, se dessinait en montant jusqu’à elle ; et, de l’autre, faisait un circuit autour de la montagne, s’accommodant aux lieux élevés ou unis, autant que le plan de l’ingénieur militaire l’avait permis. Tandis qu’elle était ainsi occupée, son imagination, anticipant sur l’avenir à l’aide des souvenirs du passé, lui faisait entrevoir, dans les brouillards du matin ou les nuages du soir, les formes bizarres d’une troupe en marche, appelée dans sa langue Sidier d’hu[20] composée de sombres guerriers vêtus de tartans montagnards, et ainsi nommés pour les distinguer des bataillons écarlates de l’armée anglaise. C’est ainsi qu’elle employait une grande partie de la matinée et plusieurs heures de la soirée.


CHAPITRE IV.


l’entretien.


C’était en vain qu’Elspat parcourait des yeux le sentier, depuis le premier rayon de l’aurore jusqu’à la dernière lueur du crépuscule. Nulle poussière ne s’élevait pour annoncer des plumes flottantes au gré du vent et des armes étincelantes. On apercevait le voyageur s’avancer d’un pas lent et insouciant, portant le costume des basses terres et le tartan qu’il avait fait teindre en noir ou en pourpre, pour suivre ou éluder la loi qui défendait de le porter avec ses couleurs bigarrées. L’enfant des montagnes, humilié et découragé par ces règlements sévères, bien que nécessaires peut-être, qui proscrivaient les armes et le costume considérés par lui comme un droit de naissance, montrait, dans sa contenance pensive et triste, l’abattement de son âme. Ce n’était pas dans un tel homme qu’Elspat pouvait reconnaître la démarche légère et dégagée de son fils, à présent surtout qu’il s’était régénéré, selon ses idées, et qu’il s’était dégagé de tous les signes de l’esclavage saxon. Chaque soir, elle ne s’éloignait de sa porte, toujours ouverte, qu’à l’instant où l’obscurité de la nuit l’empêchait totalement de distinguer les objets. Alors elle se jetait sur son grabat, non pour y dormir, mais pour y veiller douloureusement. « L’homme brave, l’homme terrible, disait-elle, marche pendant la nuit ; ses pas résonnent dans les ténèbres, lorsque tout est silencieux dans la nature, hors l’ouragan et la cataracte. Le daim timide ne se montre qu’à l’heure où le soleil est parvenu au sommet de la montagne, mais le loup audacieux marche à la clarté rougeâtre de la lune des moissons. » Mais vainement elle raisonnait ainsi ; la voix désirée de son fils ne vint pas rappeler et la faire tressaillir sur l’humble couche où elle se reposait en rêvant à son approche. Hamish ne venait pas.

« L’espérance trompée, dit le roi sage, rend le cœur malade ; » et, quelque robuste que fût la constitution d’Elspat, elle commençait à se convaincre qu’elle n’était pas de force à supporter les chagrins auxquels l’assujettissait sa tendresse inquiète et immodérée. Un matin, de très-bonne heure, l’aspect d’un voyageur sur la route solitaire de la montagne vint tout à coup ranimer ses espérances qui commençaient à faire place au découragement. L’étranger ne portait sur lui aucune marque d’asservissement aux Saxons. À une certaine distance elle put voir flotter le plaid, serré autour de son corps par la ceinture, et dont les plis se dessinaient derrière lui avec grâce : elle reconnut aussi la plume qui, attachée sur le bonnet, était un signe de haut rang et de noble naissance. Il portait un fusil sur son épaule, et à son côté était suspendue sa claymore, avec les accessoires ordinaires, la dague, le pistolet, et le sporran mollach[21]. Avant que ses yeux eussent eu le temps d’examiner tous ces détails, le pas léger du voyageur devint plus précipité, sa main s’agita en signe de reconnaissance, et, un instant après, Elspat serra dans ses bras son fils bien-aimé, paré du costume de ses ancêtres, et paraissant aux yeux de sa mère « le plus beau au milieu de dix mille. »

Il serait impossible de peindre cette première explosion de bonheur et de joie. Des bénédictions se mêlèrent aux épithètes les plus tendres que put lui fournir son langage énergique, pour exprimer le ravissement sauvage de son âme. Sa table fut précipitamment chargée de tout ce qu’elle avait à offrir, et l’heureuse mère, tout en contemplant avec délices le jeune soldat qui partageait son frugal repas, observait tout bas combien de rapports et pourtant combien de différence il existait entre ses sentiments actuels et ceux qu’elle avait éprouvés jadis en voyant son enfant chéri prendre sur son sein son premier aliment.

Lorsque le tumulte excité dans son âme par l’excès du bonheur fut un peu apaisé, Elspat, impatiente de connaître les aventures de son fils depuis leur séparation, l’interrogea et ne put s’empêcher de le blâmer vivement de la témérité avec laquelle il venait de traverser les montagnes en plein jour, sous le costume montagnard, lorsque la punition était si redoutable, et dans un moment où il y avait tant d’habits rouges dans le pays.

Ne craignez rien pour moi, ma mère, répondit Hamish d’un ton propre à la rassurer, bien qu’avec une sorte d’embarras ; je puis porter le tartan à la porte du fort Auguste, si cela me fait plaisir.

— Oh ! pas trop de hardiesse, mon bien-aimé Hamish, quoique ce soit le défaut qui convient le mieux au fils de ton père, pas trop de hardiesse ! Hélas ! ils ne combattent plus, comme jadis, à armes égales, et à nombre égal ; mais ils prennent avantage du nombre et des armes : le faible et le fort sont de niveau devant le coup de fusil d’un enfant. Et parce que ta mère te parle ainsi, ne me crois pas indigne d’être appelée ta mère et la veuve de ton père : Dieu sait que, d’homme à homme, je te mettrais moi-même en face du plus brave du comté de Breadalbane et même de celui de Lorne.

— Je vous assure, ma chère mère, qu’il n’y a aucun danger à craindre pour moi. Mais avez-vous vu Mac Phadraick, ma mère ? que vous a-t-il dit à mon sujet ?

— Il m’a laissé de l’argent en abondance, Hamish ; mais la meilleure de ses consolations fut l’assurance qu’il me donna de te voir bientôt. Pourtant, méfie-toi de Mac Phadraick, mon fils ; car, lorsqu’il se disait l’ami de ton père, il faisait plus de cas du dernier bœuf de son troupeau que du sang nécessaire à la vie de Mac Tavish Mhor. Use donc de ses services, et récompense-les à prix d’argent, car c’est ainsi que l’on doit agir avec ceux qui ne méritent pas notre estime ; mais suis mon conseil, ne te fie pas à lui. »

Hamish ne put étouffer un soupir qui sembla dire à Elspat que son avis venait trop tard.

« Qu’as-tu donc fait avec lui ? » demanda-t-elle précipitamment et du ton de l’effroi.

— « J’ai reçu de l’argent de lui, et c’est une chose qu’il ne donne pas sans en avoir reçu la valeur ; il n’est pas de ceux qui échangent de l’orge pour de la paille.

— Oh ! si tu te repens de ton marché, et qu’il soit de nature à être rompu sans déshonneur, renvoie-lui son argent, et ne te fie plus à ses belles paroles.

— Cela ne se peut, ma mère ; je ne me repens point de mon engagement, je ne me plains que de ce qu’il m’oblige à vous quitter bientôt.

— Me quitter ! comment me quitter ! Insensé ! penses-tu que je ne connaisse pas les devoirs de la femme ou de la mère de l’homme intrépide et audacieux ? Tu n’es encore qu’un enfant ; et, bien que ton père ait été pendant vingt ans la terreur du pays, il ne méprisait ni ma société, ni mon secours, et souvent il disait que je lui étais aussi utile que deux camarades vigoureux.

— Il ne s’agit pas de cela, ma mère ; mais, puisqu’il faut que je quitte le pays…

— Que tu quittes le pays ! Penses-tu donc que je sois comme le buisson qui prend racine sur le sol où il croît, et qui meurt si on le transplante ailleurs ! J’ai respiré un autre air que celui du Ben Cruachan ; j’ai suivi ton père dans les solitudes de Ross et les déserts impénétrables de Y-Mac-Y-Mhor. Jeune homme, mes pieds, quelque vieux qu’ils soient, sauront me porter tant que les tiens pourront me tracer la route.

— Hélas ! ma mère, » dit Hamish d’une voix défaillante, « pour traverser l’Océan…

— Traverser l’Océan ! Et qui suis-je pour craindre la mer ? n’ai-je pas été sur une barque dans le cours de ma vie ? n’ai-je jamais vu le détroit de Mull, les îles de Treshornish et les rochers escarpés de Harris ?

— Hélas ? ma mère, je vais loin, bien loin de ces lieux ; je suis enrôlé dans un des nouveaux régiments, et nous marchons contre les Français en Amérique.

— Enrôlé, » prononça la mère étonnée, « enrôlé contre ma volonté, sans mon consentement ! vous n’avez pas voulu sans doute. Vous n’avez pu le faire ! » Se levant alors et prenant en quelque sorte l’attitude du commandement suprême : « Hamish ! s’écria-t-elle, vous ne l’avez pas OSÉ !

— Le désespoir, ma mère, fait tout oser, » répondit Hamish d’un air triste et résolu. « Que ferais-je ici, où je puis à peine gagner du pain pour vous et pour moi, dans un temps où tout devient pire de jour en jour ? Si vous vouliez vous asseoir et m’écouter, je pourrais vous convaincre que ce que j’ai fait est pour le mieux. »

Elspat, avec un sourire amer, s’assit ; et la même expression, sévère et sardonique, resta empreinte sur ses traits, tandis que, les lèvres étroitement serrées l’une contre l’autre, elle écoutait la justification de son fils.

Hamish poursuivit, sans être déconcerté par ce mécontentement auquel il s’attendait : « Lorsque je vous quittai, ma mère, ce fut pour aller chez Mac Phadraick : car, quoiqu’il soit avare et de mauvaise foi, selon l’usage des enfants du Sassenach, cependant il ne manque pas d’habileté, et je pensais qu’il ne me refuserait pas de m’apprendre le moyen d’améliorer notre situation dans le monde, d’autant plus qu’il ne devait lui en rien coûter pour cela.

— Notre situation dans le monde ! » s’écria Elspat, perdant patience à ces mots ; « quoi ! vous êtes allé trouver un misérable dont l’âme ne vaut pas mieux que celle d’un vacher ? Vous êtes allé lui demander des conseils pour vous conduire ? Votre père n’en demanda jamais qu’à son courage et à son épée.

— Ma chère mère, répondit Hamish, vous vivez sur cette terre de nos pères, comme si nos pères existaient encore. Vous marchez, comme dans un songe, entourée des fantômes de ceux qui depuis long-temps sont dans la tombe. Au temps où mon père vivait et combattait, les grands respectaient l’homme au bras fort, et les riches le craignaient. Il avait pour protecteurs Mac Allan Mhor et Caberfae, et, pour tributaires, des hommes d’un rang inférieur. Ce temps est passé, et le fils de Mac Tavish n’obtiendrait qu’une mort sans honneur et sans pitié pour prix de ces mêmes actions qui valurent à son père du crédit et du pouvoir parmi ceux qui portent le breacan. La terre de nos aïeux est conquise. Ceux qui en étaient les lumières ne sont plus. Glengarry, Lochiel, Perth, lord Lewis, tous les chefs puissants sont morts ou dans l’exil. Nous pouvons pleurer sur cet état de choses, mais non pas le changer. Toque, claymore et sporran, puissance, force et richesses, tout a péri au champ de Drummossie-Muir[22].

— C’est faux ! » s’écria Elspat avec une expression de fureur. « Vous et les esprits aussi lâches que le vôtre, vous vous êtes laissé subjuguer par la faiblesse de votre cœur, et non par la force de l’ennemi ; vous ressemblez à la timide poule d’eau qui prend pour un aigle le moindre nuage qu’elle aperçoit dans les cieux.

— Ma mère, » reprit Hamish avec fierté, « ne m’accusez ni de lâcheté ni de faiblesse ; je vais où l’on a besoin de bras forts et de cœurs audacieux. J’abandonne la solitude pour une terre où j’ai de la gloire à récolter.

— Et vous laissez votre mère périr, dans cette solitude, de misère et de vieillesse ! » dit Elspat, essayant successivement tous les moyens d’ébranler une résolution qu’elle commençait à croire plus profondément enracinée qu’elle ne l’avait pensé d’abord.

— « Non, ma mère, répondit-il, je vous laisse dans une aisance et une sécurité que vous n’avez jamais connues. Le fils de Barcaldine a été nommé commandant, et c’est sous lui que je me suis enrôlé. Mac Phadraick est chargé d’agir pour lui dans ses affaires : il lui fait des recrues, et il y trouve son intérêt.

— Voilà ce qu’il y a de plus vrai dans cette histoire, quand le reste serait aussi faux que l’enfer, » dit la vieille femme avec amertume.

— « Mais nous y trouverons aussi notre compte, continua Hamish ; car Barcaldine doit vous donner une chaumière dans son bois de Letter-Findreight, avec un droit de pâturage sur la commune pour vos chèvres et une vache, quand il vous plaira d’en avoir une. Et d’ailleurs, ma chère mère, ma propre paye, quoique je sois loin de vous, sera plus que suffisante pour votre nourriture et vos autres besoins. Ne craignez rien pour moi. Je pars simple soldat ; mais s’il ne faut que se battre avec courage et remplir rigoureusement son devoir, je reviendrai, j’espère, officier, avec un demi-dollar par jour.

— Pauvre enfant ! » répliqua Elspat d’un ton de pitié mêlé de mépris, « et tu te fies à Mac Phadraick ?

— Je le puis, ma mère, » répondit Hamish ; et la couleur pourpre, qui était celle de son clan, passa rapidement sur son front et sur ses joues. « Mac Phadraick connaît le sang qui coule dans mes veines, et il sait que, s’il venait à vous tromper, il pourrait compter les jours qui ramèneraient Hamish à Breadalbane, et songer que ceux de sa vie ne se prolongeraient pas de trois soleils au delà. Je le tuerais sur son propre foyer, s’il me manquait jamais de parole : oui, je le jure, par le grand Être qui nous créa l’un et l’autre. »

Le regard et l’attitude du jeune soldat imposèrent pour un moment à Elspat. Elle n’avait pas coutume de l’entendre s’exprimer avec cette amertume et cette énergie qui lui rappelaient si fortement son époux. Cependant elle reprit bientôt ses remontrances sur le même ton de menace et de hauteur.

« Pauvre garçon ! et tu crois qu’à la distance de la moitié du monde tes menaces seront entendues, et qu’on y fera quelque attention ! Mais, va, va courber ta tête sous le joug de Hanovre, sous ce joug, contre lequel tous les vrais enfants de Gaël ont combattu jusqu’à la mort. Va désavouer le royal Stuart, pour lequel ton père et ses pères, et les pères de ta mère ont teint de leur sang tant de champs de bataille. Va reconnaître pour chef l’un des descendants de cette race de Dermid, d’où sont sortis les assassins… oui, » ajouta-t-elle avec un accent farouche, « les assassins des ancêtres de ta mère, ceux qui ensanglantèrent le paisible foyer de Glencoe[23]. Je n’étais pas née encore, mais ma mère me l’a dit depuis et j’ai écouté la voix de ma mère, et j’ai cru ses paroles que je me rappelle : ils vinrent sous des formes de paix, et ils furent reçus avec amitié, et ils firent couler le sang et pousser des cris de douleur, et le meurtre et l’incendie furent leurs œuvres !

— Ma mère, » répondit Hamish tristement, mais d’un ton résolu, « je sais tout cela ; il n’y a pas une goutte de sang de Glencoe sur la noble main de Barcaldine. C’est sur la malheureuse maison de Glenlyon que la malédiction est tombée ; c’est sur elle que Dieu a appesanti sa vengeance !

— Vous parlez déjà comme le prêtre saxon ; ne feriez-vous pas mieux de rester ici, et de demander à Mac Allan Mhor une église, afin d’y prêcher le pardon envers la race de Dermid ?

— Hier était hier, et aujourd’hui est aujourd’hui. Lorsque les clans sont écrasés et confondus tous ensemble, il est bien, il est sage que leurs haines et leurs querelles ne survivent pas à leur indépendance et à leur pouvoir. Celui qui ne peut exercer la vengeance noblement, comme un homme doit le faire, ne nourrit pas au fond de son âme une haine inutile. Ma mère, le jeune Barcaldine est sincère et brave. Je sais que Mac Phadraick lui a conseillé de ne pas me laisser prendre congé de vous, de peur que vous ne me détourniez de mon dessein ; mais il répondit : « Hamish Mac Tavish est le fils d’un brave, il ne manquera pas à sa parole. » Ma mère, Barcaldine marche à la tête de cent des plus braves enfants des montagnes, revêtus de leur costume national, et couverts des armes de leurs pères, cœur contre cœur, épaule contre épaule. J’ai juré de marcher avec lui : il s’est fié à moi, je me fierai à lui. »

À cette réponse prononcée fermement et d’un ton déterminé, Elspat resta comme frappée de la foudre et parut accablée de désespoir. Les arguments que jusqu’alors elle avait crus si concluants et si irrésistibles, venaient d’être repoussés, comme une vague, bien loin du rocher. Après un long intervalle de silence, elle remplit la coupe de son fils, et, la lui présentant d’un air d’abattement, de déférence et de soumission :

« Bois donc, lui dit-elle, à la poutre du toit de ton père[24], avant de le quitter pour jamais, et dis-moi, puisque les chaînes d’un nouveau roi et d’un nouveau chef que tes pères ne connurent jamais, si ce n’est comme ennemis mortels, sont destinées au fils de ton père ; dis-moi combien elles comptent de chaînons. »

Hamish prit la coupe, et regarda sa mère comme ne comprenant pas ce qu’elle voulait dire. Elle reprit d’un ton plus élevé : « Dis-moi, car j’ai droit de le savoir, combien de jours la volonté de ceux que tu as rendus tes maîtres me permet de te voir ? En d’autres termes, combien de jours me reste-il à vivre encore ? car, lorsque tu me quitteras, la terre n’aura plus rien à m’offrir qui puisse me faire prolonger mon existence.

— Ma mère, reprit Hamish, je puis rester six jours avec vous, et si, le cinquième, vous voulez partir avec moi, je vous conduirai en sûreté à votre nouvelle demeure. Mais si vous restez ici, je partirai à la septième aurore. Alors, et sans aucun retard, je me rendrai à Dumbarton ; car, si je ne paraissais pas le huitième jour, j’encourrais un châtiment comme déserteur, et je serais déshonoré comme soldat et comme gentilhomme.

— Le pied de ton père était libre comme le vent de la bruyère ; il était aussi inutile de lui dire : Où vas-tu ? que de demander à l’Être invisible qui dirige les nuages : Pourquoi souffles-tu ainsi ? Dis-moi maintenant, puisque tu dois, puisque tu veux partir, sous quelle peine il faut que tu retournes à ton esclavage.

— Ne l’appelez pas esclavage, ma mère, c’est le service d’un honorable soldat, le seul service qui convienne désormais au fils de Mac Tavish Mhor.

— N’importe, dis-moi quelle est la peine que tu peux encourir, si tu ne tiens pas exactement ta parole.

— La punition militaire comme déserteur, » répondit Hamish, cherchant vainement à l’œil observateur de sa mère une émotion intérieure, qu’elle résolut de sonder plus avant.

« Et cette punition, » reprit-elle avec un calme affecté que son regard étincelant désavouait, « cette punition est celle d’un chien désobéissant, n’est-ce pas ?

— Ne m’en demandez pas davantage, ma mère : le châtiment n’est rien pour celui qui ne le méritera jamais.

— Il est quelque chose pour moi, puisque je sais que, là où est le pouvoir de punir, là est souvent la volonté de le faire sans cause. Je voudrais prier pour toi, Hamish, et je voudrais connaître les maux auxquels tu vas t’exposer, pour en préserver ton innocence et ta jeunesse, en implorant celui qui là-haut veille sur nous tous.

— Ma mère, peu importe quel châtiment est réservé au coupable, lorsqu’on est déterminé à ne jamais le devenir. Nos chefs montagnards avaient coutume aussi de punir leurs vassaux, et très-sévèrement, à ce que j’ai ouï dire. N’est-ce pas Lachlan Mac Jan qui eut jadis la tête tranchée par ordre de son chef, pour avoir tiré sur le cerf avant lui ?

— Oui, et il avait mérité de la perdre, puisqu’il avait déshonoré le père du peuple, à la face même du clan assemblé. Mais les chefs exerçaient noblement leur colère : ils punissaient avec une arme tranchante et non avec le bâton. Leur châtiment faisait couler le sang, mais n’avilissait pas le coupable. Peux-tu en dire autant des lois sous le joug desquelles tu as courbé cette tête que le ciel avait créée libre ?

— Je ne le puis, ma mère, je ne le puis, » dit Hamish avec tristesse. « Je les ai vus punir un enfant de Sassenach, pour avoir déserté son drapeau, comme ils disent. Il a été fustigé, je l’avoue, fustigé comme un misérable limier qui a offensé un maître impérieux. Ce spectacle me rendit malade, je l’avoue encore ; mais le châtiment des chiens n’est réservé qu’à ceux qui sont pires que des chiens et qui ne savent pas garder leur parole religieusement.

— C’est pourtant à cette infamie que tu t’es assujetti, Hamish, si tu donnes à tes chefs quelques motifs de mécontentement, ou qu’ils en trouvent eux-mêmes justement ou non. Mais je ne veux plus te rien dire à ce sujet. Si le sixième jour après celui-ci était mon jour de mort, et qu’il t’arrivât de rester pour me fermer les yeux, tu courrais risque d’être battu comme un chien attaché à un poteau : oui ! à moins que tu n’eusses le cœur assez courageux pour me laisser mourir seule, et pour souffrir que, sur mon foyer solitaire et désolé, la dernière étincelle du feu paternel et de la vie de ta mère abandonnée s’éteignissent ensemble pour jamais ! »

Hamish traversa la cabane d’un pas agité qui indiquait l’impatience et le mécontentement. « Ma mère, dit-il enfin, ne vous occupez pas de toutes ces tristes pensées. Je ne puis être assujetti à une telle infamie, car je ne la mériterai jamais ; et si je me mettais dans le cas d’en être menacé, je saurais mourir avant d’être déshonoré ?

« Je reconnais là le langage du fils de l’époux de mon cœur, » s’écria Elspat ; et, changeant d’entretien, elle sembla écouter Hamish avec cette résignation mélancolique qui ne laisse plus la force de faire des objections. Lorsqu’il lui fit remarquer combien était court le temps qu’ils avaient à passer ensemble, et qu’il la supplia de le laisser s’écouler sans lui rappeler des choses pénibles, et sans inutiles allusions aux circonstances qui les forceraient bientôt à se séparer, Elspat, au lieu de murmurer et de s’emporter, ne sut plus que soupirer tristement.

Elle vit alors avec satisfaction que son fils possédait, entre autres qualités de son père, cette volonté mâle et altière qui ne se laissait point détourner d’une résolution fermement prise. Dès ce moment, elle se montra donc soumise en apparence à une séparation inévitable ; et si de temps à autre il lui échappait encore quelques plaintes, quelques murmures, c’est parce qu’elle ne pouvait dompter entièrement l’impétuosité naturelle de son caractère, et parce qu’elle craignait qu’un acquiescement total et sans réserve ne parût affecté et suspect à son fils, et ne l’engageât à se tenir sur ses gardes, et à déjouer les plans qu’elle avait encore en vue pour l’empêcher de partir. Sa tendresse ardente, mais égoïste, ne pouvait être éclairée par aucune considération pour les véritables intérêts de l’objet aimé ; elle ressemblait à l’instinct qui attache l’animal à ses petits, n’approfondissant guère plus l’avenir. Elspat n’entrevoyait d’autre douleur que d’être séparée de son fils, et une telle perspective était la mort pour elle.

Pendant le court intervalle qui leur fut accordé, Elspat épuisa tous les moyens que sa tendresse put lui suggérer pour rendre agréable à son fils le temps qu’ils devaient passer ensemble. Sa mémoire active la reportait aux jours écoulés depuis long-temps : elle appelait à son secours non-seulement son répertoire de légendes historiques, trésor qui, de tout temps, a été le principal amusement des montagnards dans leurs moments de repos, mais encore tous les chants des anciens hardes, et les traditions des sennachies[25] et des conteurs d’histoires les plus véridiques, dont elle avait une connaissance peu commune. Ses soins officieux, ses attentions excessives pour son fils étaient si continuels, si persévérants, qu’il en éprouvait presque de la peine, et il s’efforçait doucement de l’empêcher de prendre tant de fatigue pour lui faire un lit de bruyère fraîche et fleurie, ou pour lui préparer ses repas. « Laissez-moi faire, Hamish, lui disait-elle alors, vous suivrez votre volonté quand vous aurez quitté votre mère ; jusque-là laissez-la suivre la sienne et faire ce qui lui plaît.

Elle semblait tellement réconciliée avec les arrangements qu’il avait pris relativement à elle, qu’elle l’écoutait volontiers parler de son changement de domicile, et lui dépeindre les terres de Green Colin : c’est ainsi que s’appelait le propriétaire qui lui donnait un asile sur son domaine. Et cependant rien n’était plus loin de sa pensée que de l’accepter. De tout ce qui avait été dit dans la violence de leur première discussion, Elspat avait conclu que si Hamish ne retournait pas au terme fixé de son congé, il courrait le risque d’un châtiment corporel, et, s’il se trouvait une fois exposé à un tel déshonneur, elle savait bien que, loin de s’y soumettre, il préférerait ne jamais retourner à son régiment. Entrevoyait-elle quelque autre conséquence de son funeste projet, c’est ce qu’on ne pourrait dire ; mais la compagne de Mac Tavish Mhor, celle qui avait partagé tous ses périls, toutes ses traverses, avait appris par cent exemples que la résistance ou la fuite peut offrir à un homme brave, au milieu d’un pays couvert de rochers, de lacs, de montagnes, de défilés dangereux et de sombres forêts, le moyen de déjouer la poursuite de nombreux ennemis. Elle ne craignait donc rien pour l’avenir, et le seul but de toutes ses pensées était d’empêcher son fils de tenir la parole qu’il avait donnée à son chef.

Dans ce secret dessein, elle éluda la proposition qu’Hamish lui fit à plusieurs reprises de partir avec lui pour venir prendre possession de sa nouvelle demeure ; et elle fonda son refus sur des raisons en apparence si naturelles à son caractère, que son fils n’en conçut ni inquiétude ni mécontentement. « Ne me force pas, lui dit-elle, à dire adieu dans le court espace d’une semaine à mon fils unique, à la vallée où j’ai vécu si long-temps. Laisse mes yeux affaiblis par les pleurs que ton départ leur fera verser, se promener encore sur le lac Awe et sur Ben Cruachan. »

Hamish, dans cette circonstance, céda d’autant plus volontiers au désir de sa mère, qu’un ou deux habitants de la vallée voisine, dont les fils faisaient partie de la recrue de Barcaldine, devaient également aller habiter sur le domaine du chef, et il paraissait décidé qu’Elspat partirait avec eux pour la nouvelle résidence. Ainsi Hamish crut avoir tout à la fois satisfait le caprice de sa mère et assuré son existence et sa tranquillité. Mais elle nourrissait dans son esprit des pensées et des projets bien différents !

Le terme du congé d’Hamish approchait à grands pas, et plus d’une fois déjà il avait projeté de partir, afin d’arriver à son aise et de bonne heure à Dumbarton, ville où était son quartier général. Mais les supplications d’Elspat, son penchant naturel à rester encore au milieu de scènes si long-temps chères à son cœur, et, plus que tout, sa ferme confiance dans son activité et la célérité de sa marche, l’engagèrent à différer son départ jusqu’au sixième jour, le dernier qu’il lui fût possible d’accorder à sa mère, s’il voulait remplir exactement les conditions de son congé.


CHAPITRE V.


le départ.


Mais, quant à votre fils, oh ! croyez-le bien, vous lui avez donné un conseil très dangereux, s’il n’est pas mortel.
Shakspeare. Coriolan.


Dans la soirée qui précéda le jour fixé pour son départ, Hamish descendit vers la rivière d’Awe avec sa ligne, afin de s’exercer pour la dernière fois à un amusement dans lequel il excellait, et se procurer en même temps les moyens de faire avec sa mère un repas un peu meilleur qu’à l’ordinaire. Il fut aussi heureux que de coutume, et bientôt il eut pris un beau saumon. À son retour chez lui, il lui arriva un accident qu’il regarda depuis comme de mauvais augure, bien que son imagination exaltée et le penchant qu’il avait pour le merveilleux, comme tous ses compatriotes, donnassent probablement une importance superstitieuse à quelques circonstances fort simples et fort ordinaires.

Comme il traversait le sentier qui conduisait à sa chaumière, il fut surpris d’apercevoir un homme qui, ainsi que lui, était vêtu et armé à la manière des anciens Écossais. La première idée qui lui vint naturellement fut que cet étranger faisait partie aussi du corps d’armée dont les soldats, levés par le gouvernement et portant les armes d’après l’autorité royale, n’étaient pas assujettis aux règlements qui prohibaient les armes et l’ancien costume montagnard. Tout en accélérant le pas pour atteindre son camarade supposé, dans l’intention de lui demander s’il voulait faire le voyage du lendemain de compagnie avec lui, il fut frappé de surprise en voyant que l’étranger portait une cocarde blanche, signe funeste et proscrit. Cet homme était d’une stature imposante, et il y avait dans son extérieur quelque chose de sombre qui semblait ajouter encore à la hauteur de sa taille. Il paraissait plutôt glisser que marcher ; ce qui fit naître dans l’esprit d’Hamish une sorte de crainte superstitieuse sur la nature de l’être qui passait mystérieusement devant lui, dans l’ombre du crépuscule. Il renonça donc à rejoindre l’étranger, mais il le suivit des yeux, croyant, d’après la superstition commune aux montagnards, que l’on ne doit ni s’approcher des êtres surnaturels, ni les éviter, mais qu’il faut les laisser libres de cacher ou de communiquer leurs intentions, selon que leur pouvoir le permet ou que le but de leur mission le requiert.

Sur un monticule situé à côté de la route, et à l’endroit même où le sentier tournait en descendant vers la cabane d’Elspat, l’étranger s’arrêta et parut attendre l’approche d’Hamish. Celui-ci, de son côté, voyant qu’il ne pouvait éviter de passer devant cet être singulier, objet de ses craintes et de ses soupçons, rassembla tout son courage, et s’avança vers l’endroit où s’était placé l’étranger. Celui-ci, à l’approche d’Hamish, lui montra du doigt la cabane d’Elspat, et fit, du bras et de la tête, un geste comme pour lui défendre d’en approcher ; puis, étendant la main du côté de la route qui conduisait vers le sud, il fit un autre geste qui sembla lui ordonner de partir à l’instant et de suivre cette direction. Le moment d’après, cette figure enveloppée d’un plaid écossais avait disparu. Hamish n’aurait pu assurer positivement qu’elle s’était évanouie, parce qu’il y avait en cet endroit des rochers et des buissons en assez grand nombre pour l’avoir cachée ; mais il demeura frappé de l’idée qu’il avait vu l’ombre de Tavish Mhor l’avertissant de commencer sur-le-champ son voyage pour Dunbarton, sans attendre jusqu’au lendemain matin, et même sans rentrer dans la cabane de sa mère.

En effet, il pouvait arriver tant d’accidents propres à le retarder sur sa route, surtout dans un pays où il y avait un si grand nombre de passages d’eau, qu’il prit la ferme résolution, non point de partir sans avoir dit adieu à sa mère, mais de ne rester que le temps nécessaire pour cela, et de faire en sorte que les premiers rayons du soleil suivant le trouvassent déjà à plusieurs milles sur la route de Dunbarton. Il descendit donc le sentier, et, entrant dans la cabane, il annonça précipitamment et d’une voix troublée qui trahissait l’émotion de son âme, sa résolution de partir à l’instant. À sa grande surprise, Elspat ne chercha point à combattre son dessein ; seulement elle le pressa vivement de prendre quelque nourriture avant de la quitter pour toujours. Il le fit à la hâte et en silence, pensant à leur séparation prochaine, et n’osant espérer qu’elle se fît sans avoir encore à lutter contre la tendresse maternelle ; mais, à sa surprise toujours croissante, Elspat remplit la coupe du départ.

« Pars, lui dit-elle, puisque telle est ta résolution irrévocable ; mais au moins reste encore un moment près du foyer de ta mère, de ce foyer dont la flamme sera éteinte depuis long-temps lorsque ton pied reviendra s’y reposer.

— À votre santé, ma mère, dit Hamish, et puissions-nous nous revoir heureux, malgré vos sinistres paroles !

— Il vaudrait mieux ne pas nous séparer, » répliqua Elspat, l’observant attentivement, tandis qu’il buvait la liqueur, dont une seule goutte laissée au fond de la coupe lui aurait paru d’un funeste présage.

« Maintenant, » prononça-t-elle à demi-voix, « pars… si tu peux !

— Ma mère, » dit Hamish en posant sur la table la coupe vide, « cette liqueur est agréable au goût, mais elle ôte la force qu’elle devrait donner.

— Tel est son premier effet, mon fils, répondit Elspat, mais étends-toi un instant sur ce lit de bruyère, ferme les yeux, et une heure de sommeil te rendra plus de forces que le repos ordinaire de trois nuits entières, fussent-elles réunies en une seule.

— Ma mère, » dit Hamish, sur le cerveau duquel la potion agissait rapidement, « donnez-moi ma toque ; il faut que je vous embrasse et que je parte : et pourtant il me semble que mes pieds sont cloués à la terre.

— Vraiment, reprit la mère, je t’assure que tu te trouveras mieux dans un instant ; repose-toi seulement une demi-heure, rien qu’une demi-heure. D’ici à l’aurore il y a encore huit heures ; et lorsqu’elle paraîtra, le fils de ton père aura encore assez de temps devant lui pour faire son voyage.

— Il faut que je vous obéisse, ma mère, je sens qu’il le faut, » dit Hamish dont les paroles étaient presque inarticulées ; « mais appelez-moi dès que la lune se lèvera. »

Il s’assit sur le lit, se pencha en arrière, et au même instant il tomba dans un profond sommeil. Pour Elspat, le cœur palpitant de joie, comme une personne qui vient de mettre à exécution une entreprise difficile, elle se mit affectueusement à ranger le plaid autour de l’imprudent dormeur, auquel son amour extravagant devait être si fatal ; et pendant cette occupation, elle exprimait, par des paroles de tendresse et de triomphe, les sentiments dont son âme était agitée :

« Oui, s’écria-t-elle, agneau de mon cœur, la lune se lèvera et se couchera pour toi, ainsi que le soleil ; mais non pour éclairer tes pas loin de la terre de tes pères, ni t’annoncer l’heure d’aller servir le prince étranger ou l’ennemi de ta race ! Jamais je ne serai livrée à un fils de Dermid pour être nourrie comme une esclave ; mais celui qui est ma joie et mon orgueil sera mon gardien et mon protecteur. On dit que le pays des montagnes est changé : mais je vois le Ben Cruachan élever sa tête audacieuse plus haut que jamais dans les cieux. Nul n’a fait paître encore ses troupeaux dans les profondeurs du lac Awe, et ce chêne que voici ne se courbe pas encore comme un saule. Les enfants des montagnes seront tels que leurs pères jusqu’à ce que les montagnes elles-mêmes soient mises de niveau avec les vallées. Dans ces forêts sauvages, qui nourrissaient jadis des milliers de braves, il reste encore quelque subsistance et quelque refuge pour une vieille femme et un vaillant jeune homme issu de la race ancienne et fidèle aux mœurs de ses pères. »

Tandis que cette mère insensée se félicitait ainsi du succès de son stratagème, nous devons indiquer au lecteur les moyens dont elle s’était servie. La vie errante et sauvage lui avait appris les vertus des simples et des drogues végétales. Avec des herbes qu’elle savait choisir et distiller, elle guérissait plus de maladies que les gens de l’art ne pourraient aisément le croire. Elle en employait quelques-unes à teindre le tartan, et à lui donner ses brillantes couleurs. Avec d’autres, elle composait des liqueurs de vertus diverses ; et malheureusement elle avait le secret d’en préparer une qui était un soporifique très-violent. C’était donc sur les effets cette dernière potion, comme on doit l’avoir deviné, qu’elle comptait avec certitude pour retenir Hamish au-delà du terme marqué ; et elle s’imaginait que l’horreur qu’il éprouvait pour le châtiment auquel il allait être exposé suffirait désormais pour l’empêcher de retourner à son régiment.

Le sommeil d’Hamish fut, pendant cette nuit terrible, plus profond qu’à l’ordinaire ; mais il n’en fut pas ainsi de celui de sa mère. À peine fermait-elle les yeux qu’elle se réveillait en sursaut et saisie de terreur, à la seule idée que son fils était parti ; et ce n’était qu’en s’approchant de la couche sur laquelle il dormait, et en écoutant sa respiration forte et régulière, qu’elle se rassurait sur la réalité du repos dans lequel il était plongé.

Elle craignait néanmoins que l’aurore ne vînt à l’éveiller, en dépit des vertus de la potion dont elle avait rempli sa coupe. Elle était sûre que s’il restait à son fils la moindre espérance, la moindre possibilité d’accomplir son voyage, il l’entreprendrait, dût-il mourir de fatigue sur le chemin. Agitée de cette nouvelle crainte, elle fit en sorte d’écarter de la cabane toute espèce de lumière, en bouchant toutes les fentes et les crevasses à travers lesquelles, à défaut de fenêtres, les rayons du matin pouvaient trouver accès dans cette misérable demeure. C’est ainsi qu’elle mit en usage tous les moyens qui lui furent possibles pour retenir au milieu de son indigence et de sa misère, celui auquel elle aurait donné l’univers entier, s’il eut été en sa possession.

Ces soins étaient superflus. Le soleil était déjà haut dans les cieux ; et pour qu’Hamish arrivât au temps fixé, il aurait dû courir plus vite que le cerf le plus agile de la forêt de Breadalbane, poursuivi par une même acharnée. Elspat avait atteint son but ; le retour de son fils au terme assigné était désormais impossible ; elle crut également impossible qu’il songeât à revoir son régiment, où il se trouverait exposé à une punition déshonorante. Elle était parvenue par degrés à obtenir de lui des renseignements exacts sur la position fâcheuse dans laquelle il se mettrait en ne paraissant pas au jour fixé, et sur le peu d’espérance qu’il avait d’être traité avec indulgence.

On sait que le sage et illustre comte de Chatan se glorifiait du plan qu’il avait dressé pour employer à la défense des colonies ces braves montagnards, qui avant lui, avaient été des objets de soupçon et de terreur pour le gouvernement. Mais les habitudes et le caractère particulier de ce peuple apportèrent plus d’un obstacle à l’exécution de ce projet patriotique. Par goût et par habitude, les montagnards étaient portés à l’usage des armes ; mais, totalement étrangers à l’esprit de discipline, ils ne se soumettaient qu’avec répugnance à celle qui est imposée aux troupes régulières. Ils formaient entre eux une espèce de milice qui ne pouvait se faire à l’idée de se renfermer dans un camp. S’ils perdaient une bataille, ils se dispersaient aussitôt pour se sauver et veiller au salut de leurs familles ; s’ils gagnaient une victoire, ils retournaient dans leurs vallées pour y porter leur butin, et s’occuper du soin de leurs bestiaux et de leurs terres. Le privilège d’aller et de venir selon leur caprice était d’un tel prix à leurs yeux, qu’ils ne pouvaient consentir à en être dépouillés, même par leurs chefs, dont l’autorité, sous d’autres rapports, était si despotique. Il en résulta nécessairement que les nouvelles recrues des montagnes comprirent très-difficilement la nature d’un engagement qui forçait un homme à servir dans l’armée plus long-temps qu’il n’était disposé à le faire. Peut-être même, dans plusieurs circonstances, le peu de respect qu’ils eurent pour ces sortes de transactions provint-il de ce que, en les enrôlant, on évita de leur donner une idée trop exacte de l’importance de l’engagement, de peur que cette connaissance ne les entraînât à changer de résolution. Les désertions devinrent donc nombreuses dans le nouveau régiment, et le vieux général qui commandait à Dunbarton ne vit rien de mieux pour les réprimer que de donner un exemple d’une sévérité extraordinaire sur un déserteur anglais. Le régiment de jeunes montagnards fut obligé d’assister à l’exécution du châtiment : ce qui frappa d’horreur et d’effroi des hommes excessivement jaloux de l’honneur personnel, et en dégoûta plusieurs du service militaire. Le vieux général, qui avait été élevé dans les camps, et qui avait fait toutes les guerres d’Allemagne, n’en persista pas moins dans son opinion, et ordonna que le premier montagnard qui déserterait ou manquerait de paraître à l’expiration de son congé serait conduit au faisceau de hallebardes[26], et passerait par les verges, de même que le coupable qui avait été châtié en présence du régiment. Personne ne doutait que le général ne tînt rigoureusement sa parole. Elspal savait donc que son fils, mis dans l’impossibilité d’obéir aux ordres de son chef, considérerait comme inévitable la punition dégradante décrétée contre sa désertion, dans le cas où il se replacerait sous le pouvoir de son général.

Lorsque le milieu du jour fut passé, de nouvelles craintes s’élevèrent dans son esprit. Son fils était encore sous l’influence de la potion narcotique. Que faire si cette dose, plus forte qu’aucune de celles qu’elle avait jamais vu administrer, allait altérer sa santé ou sa raison ? Pour la première fois aussi, malgré la haute idée qu’elle avait de l’autorité maternelle, elle redouta le ressentiment de son fils ; car son cœur lui disait qu’elle l’avait offensé. Depuis peu elle avait observé que son caractère était beaucoup moins docile, et que ses résolutions, surtout celle de son enrôlement, étaient formées avec indépendance et exécutées hardiment. Elle se rappelait l’opiniâtreté sévère de son père lorsqu’il se croyait blessé, et elle commençait à craindre qu’Hamish, en découvrant la cruelle déception qu’elle avait employée à son égard, ne poussât le ressentiment jusqu’à l’abandonner et à poursuivre seul sa carrière dans le monde. Telles étaient les craintes alarmantes et trop bien fondées qui assaillaient cette malheureuse femme, après le succès apparent de son funeste stratagème.

La soirée s’avançait lorsqu’Hamish s’éveilla pour la première fois, et alors il était encore loin d’avoir recouvré l’usage entier de ses facultés. Ses expressions vagues et incohérentes, et le désordre de son pouls jetèrent d’abord Elspat dans l’épouvante ; mais ayant employé les remèdes que lui indiquaient ses connaissances en médecine, elle le vit avec satisfaction retomber pendant la nuit dans un sommeil profond, qui probablement dissipa l’effet dangereux de la potion. En effet, vers le lever du soleil, elle l’entendit sortir de son lit, et lui demander sa toque qu’à dessein elle avait éloignée de lui, dans la crainte que, venant à s’éveiller pendant la nuit, il ne partît à son insu.

« Ma toque ! ma toque ! cria Hamish, il est temps que je vous dise adieu. Ma mère, votre liqueur était trop forte. Le soleil est levé : mais demain matin je n’en verrai pas moins le double sommet de l’antique Dun[27]. Ma toque ! ma toque ! ma mère ; il faut que je parte à l’instant. » Ces paroles prouvaient clairement que le pauvre Hamish ignorait totalement qu’il s’était écoulé deux nuits et un jour depuis qu’il avait vidé la fatale coupe. Elspat avait maintenant à entreprendre une tâche qu’elle reconnaissait aussi périlleuse que pénible, celle d’avouer son coupable stratagème.

« Pardonnez-moi mon fils, » dit-elle en approchant d’Hamish, et en lui prenant la main avec un air de déférence et de crainte, qu’elle n’avait peut-être jamais montré à son époux même dans ses accès de colère.

« Vous pardonner, ma mère ! et quoi donc ? » reprit Hamish en riant : « est-ce de m’avoir fait prendre une liqueur trop forte, dont ma tête se ressent encore ce matin, ou bien est-ce d’avoir caché ma toque, afin de me retenir quelques instants de plus ? c’est plutôt à vous à me pardonner. Mais donnez-moi ma toque, et souffrez que je remplisse mon devoir. Donnez-la-moi, ma mère, ou bien je saurai m’en passer. Certes, ce ne sera pas une pareille bagatelle qui m’arrêtera, moi qui, pendant des années entières, n’ai eu qu’une lanière de cuir de daim pour attacher mes cheveux. Allons, ne plaisantez pas, donnez-la-moi, ou je partirai tête nue, car rester est impossible.

— Mon fils, » dit Elspat en lui retenant la main avec force, « on ne peut revenir sur ce qui est fait ; quand vous emprunteriez les ailes de l’aigle qui plane là haut, vous arriveriez à Dun trop tard pour ce que vous souhaitez, et trop tôt pour ce qui vous y attend. Vous croyez voir le soleil se lever pour la première fois depuis que vous l’avez vu se coucher ; mais hier il a paru au-dessus de Ben Cruachan, bien que vos yeux fussent fermés à sa lumière. »

Hamish jeta sur sa mère un regard farouche qui exprimait toute la terreur de son âme ; puis, revenant à lui tout à coup : « Je ne suis pas un enfant, s’écria-t-il, pour que de telles ruses puissent me détourner de mon dessein. Adieu, ma mère ; chaque instant est aussi précieux pour moi qu’une vie entière.

— Arrête, dit-elle, mon cher enfant, mon pauvre fils si cruellement trompé ! Ne cours pas à ton déshonneur, à ta ruine ! J’aperçois là-bas le ministre qui traverse la grande route ; monté sur son cheval blanc ; va lui demander le jour du mois et de la semaine, et qu’il décide entre nous. »

Hamish, avec la rapidité de l’aigle, vola sur le haut de la colline et s’arrêta devant le ministre de Glenorquhy, lequel s’acheminait de grand matin vers Burnawe, afin de porter ses consolations à une famille malheureuse.

L’homme de bien tressaillit en voyant un montagnard tout armé, ce qui était fort rare alors, arrêter son cheval en le saisissant par la bride : il fut encore plus épouvanté quand cet homme, violemment agité, lui demanda d’une voix altérée, le jour du mois et de la semaine.

« Si vous aviez été où vous deviez être hier, jeune homme, répondit l’ecclésiastique, vous auriez su qu’hier était le jour du repos de Dieu, et que c’est aujourd’hui lundi, le second jour de la semaine et le vingt-et-unième du mois.

— Est-ce bien vrai ? » demanda Hamish.

« Aussi vrai, » répondit le ministre surpris, « qu’il est vrai que je prêchai hier la parole de Dieu dans cette église. Mais qu’avez-vous, jeune homme, êtes-vous malade ? êtes-vous dans votre bon sens ? »

Hamish ne fit aucune réponse ; il répéta seulement à demi-voix les premières paroles de l’ecclésiastique : « Si vous aviez été où vous deviez être hier. » Et en disant cela, il lâcha la bride, quitta la grand’route, et descendit le sentier qui conduisait à la cabane, de l’air et du pas d’un homme qui marche à la mort. Le ministre l’observa avec surprise. Quoiqu’il connût l’habitante de la chaumière, le caractère d’Elspat ne l’avait pas engagé à entretenir des relations avec elle ; car elle était généralement regardée comme une papiste, ou plutôt encore comme une femme indifférente à toute espèce de religion, et qui n’avait conservé que par habitude quelques pratiques superstitieuses de ses pères. Quant à Hamish, le vénérable M. Tyrie lui avait donné des leçons toutes les fois que l’occasion s’en était présentée ; et, si la semence était tombée au milieu des ronces et des épines qui couvraien tun terrain naturellement sauvage et inculte, elle n’avait pas été entièrement étouffée. Il y avait quelque chose de si sombre et de si effrayant dans l’expression des traits du jeune homme, que l’homme de Dieu fut tenté de descendre vers la chaumière, pour demander s’il n’était pas survenu à ses habitants quelque malheur, dans lequel sa présence pût être consolante et son ministère utile. Malheureusement, il ne persévéra pas dans cette résolution qui aurait empêché un événement fatal, probablement il serait devenu médiateur pour l’infortuné jeune homme. Mais le souvenir du caractère sauvage des montagnards qui avaient conservé les anciennes mœurs du pays réprima ce mouvement d’intérêt en faveur de la veuve et du fils de Mac Tavish Mhor, le brigand jadis si redouté. Ainsi M. Tyrie perdit l’occasion de faire un grand bien, occasion qu’il dut regretter amèrement par la suite.

Lorsque Hamish rentra dans la cabane, ce ne fut que pour se jeter sur le lit qu’il venait de quitter. « Tout est fini ! je suis perdu ! perdu ! » s’écria-t-il avec un accent de fureur et de désespoir, qui exprimait le ressentiment terrible du stratagème employé contre lui, et de la cruelle situation où il se voyait réduit.

Elspat était préparée à la première explosion de sa colère. « Ce n’est que le torrent de la montagne, gonflé par une pluie d’orage, se dit-elle, asseyons-nous et reposons-nous sur la rive, ce débordement cessera, et le moment viendra où nous pourrons passer à pied sec. » Elle souffrit en silence ses plaintes et ses reproches qui, même au milieu de l’agonie du désespoir, ne s’écartèrent point des bornes du respect qu’il devait à sa mère. Lorsque enfin il eut exhalé toutes les exclamations douloureuses qu’une langue riche en termes pathétiques peut offrir à celui qui souffre, il tomba dans un sombre silence qu’Elspat évita de troubler pendant quelques instants. Enfin elle s’approcha de la couche sur laquelle il était étendu dans un profond accablement.

« À présent, » dit-elle avec un accent où l’autorité maternelle était tempérée par la tendresse, « avez-vous épuisé vos inutiles regrets, et êtes-vous capable d’opposer ce que vous avez perdu à ce que vous avez gagné ? Le fils perfide de Dermid est-il votre frère ou le père de votre tribu, pour que vous pleuriez ainsi parce que vous ne pouvez plus vous attacher à son baudrier, et devenir l’un des esclaves de ses volontés ? Pourriez-vous trouver dans un pays lointain les lacs et les montagnes que vous laisseriez derrière vous ? Pourriez-vous chasser le daim de Breadalbane dans les forêts de l’Amérique, et l’Océan vous offrira-t-il le saumon de l’Awe, le saumon aux écailles argentées ? Considérez donc ce qu’est votre perte, et, en homme sage, mettez-la en balance avec ce que vous venez de gagner.

— J’ai tout perdu, ma mère, répondit Hamish, puisque j’ai violé ma parole et outragé mon honneur. Je puis raconter mon histoire, mais qui voudra, oh ! qui voudra me croire ? » Et l’infortuné jeune homme joignit les mains, et, les portant à son front, il se cacha le visage sur le lit.

Elspat, pour cette fois, prit sérieusement l’alarme, et peut-être déplora-t-elle alors la fatale réussite de son stratagème. Elle n’avait plus d’autre espoir que dans le don de persuader, qu’elle possédait à un haut degré, bien que son ignorance absolue du monde actuel le rendit souvent inutile et même fatal. Elle supplia son fils, par toutes les expressions les plus tendres que peuvent proférer les lèvres d’une mère, de prendre soin de sa propre sûreté.

« Laissez-moi, dit-elle, déjouer ceux qui vont vous poursuivre, Je sauverai votre vie, je sauverai votre honneur. Je leur dirai que mon Hamish, aux blonds cheveux, est tombé du sommet du Corrie Dhu[28] dans le gouffre dont l’œil de l’homme n’a jamais vu le fond. Je leur dirai cela, et je jetterai votre plaid dons les épines qui croissent sur le bord du précipice, afin qu’ils puissent croire mes paroles. Ils croiront, et ils retourneront vers le Dun au double pic ; car, bien que le tambour des Saxons puisse appeler le vivant à la mort, il ne saurait rappeler le mort sous l’étendard de leur esclavage. Alors nous nous dirigerons ensemble vers le nord, près des lacs salés de Kintail, et nous mettrons des vallées et des montagnes entre les enfants de Dermid et nous. Nous irons visiter les rivages du lac Noir, et ma famille (car ma mère ne descendait-elle pas des enfants de Renneth, et ne se souviendront-ils pas de nous avec amour ?) oui, ma famille nous recevra avec l’amitié du vieux temps, cette amitié qui habite les vallées lointaines où les montagnards, conservant leur noblesse intacte, vivent séparés des grossiers Saxons et de cette race d’hommes vils qui se sont faits leurs instruments et leurs esclaves. »

L’énergie du langage celtique, tant soit peu hyperbolique, même dans ses expressions les plus ordinaires, paraissait en ce moment trop faible à Elspat pour tracer aux yeux de son fils un tableau brillant du pays où elle se proposait d’aller chercher un refuge. Il lui fallut peu de couleurs cependant pour peindre le paradis de ses montagnes. « Elles étaient plus hautes et plus magnifiques que celles de Breadalbane, et Ben Cruachan n’était qu’un nain près de Skooroora. Les lacs étaient plus profonds et plus larges, outre qu’ils abondaient non-seulement en poissons, mais en animaux enchantés, monstres amphibies qui fournissent l’aliment des lampes[29] ; les daims étaient plus beaux et en plus grand nombre ; le sanglier aux blanches défenses, et que le brave aime à chasser de préférence, peuplait aussi ces solitudes occidentales. Les hommes y étaient plus nobles, plus sages, plus forts que la race dégénérée qui courbait sa tête sous le joug du Saxon. Les filles de ce pays étaient belles : elles avaient des yeux bleus, de blonds cheveux, un sein de neige, et c’était parmi elles qu’Elspat voulait choisir une femme à son fils, une épouse d’une race irréprochable, d’une réputation sans tache, et d’un cœur tendre et fidèle, une compagne qui serait dans leur retraite d’été comme un rayon de soleil, et, dans leur chaumière d’hiver, comme la douce chaleur du feu bienfaisant. »

Tels furent les moyens auxquels Elspat recourut pour calmer le désespoir de son fils, et le déterminer, s’il était possible, à quitter le lieu fatal où il paraissait résolu de languir. Son langage, sans doute, était poétique ; mais, sous d’autres rapports, il ressemblait à celui que, comme toutes les mères tendres, elle avait fait entendre à Hamish, dans son enfance ou son adolescence, lorsqu’elle voulait l’engager à faire ce qui ne lui plaisait pas ; et plus elle voyait que ses paroles ne produisaient pas l’effet qu’elle en attendait, plus elle parlait avec véhémence et volubilité.

Toute cette éloquence ne fit aucune impression sur l’âme du jeune homme. Il connaissait beaucoup mieux qu’Elspat la situation actuelle du pays, et il sentait que, s’il lui était possible de se cacher comme un fugitif au milieu de montagnes éloignées, et d’y trouver un asile inviolable, du moins il n’existait pas un seul coin de terre où la profession de son père pût être exercée, quand même il n’eût pas été pénétré des idées plus justes du temps où il vivait, et de l’opinion que le métier de cateran avait cessé depuis long-temps d’être le chemin de l’honneur et de la fortune. Les paroles d’Elspat allèrent donc frapper une oreille froide et indifférente, et elle s’épuisa vainement pour peindre avec des couleurs séduisantes les charmes du pays qu’habitaient les parents de sa mère. Elle parla pendant des heures entières, et elle parla inutilement. Elle ne put arracher d’autre réponse que des soupirs, des gémissements, et des exclamations qui exprimaient l’excès du désespoir.

À la fin, se levant et quittant le ton monotone sur lequel elle venait de chanter, pour ainsi dire, les louanges du pays où elle voulait aller chercher un refuge, elle prit le langage concis et énergique de la colère : « Je suis une insensée, s’écria-t-elle, de perdre mes paroles avec un enfant faible, indolent et sans intelligence, qui se couche comme un chien sous les coups. Eh bien, restez ici pour accueillir vos maîtres, et recevoir de leurs mains votre châtiment ; mais ne croyez pas que les yeux de votre mère en soient jamais témoins : je ne pourrais voir un tel spectacle. Mes yeux ont souvent regardé la mort, mais jamais le déshonneur. Adieu, Hamish, désormais nous ne nous reverrons plus. »

À ces mots, elle se précipita hors de la cabane avec la rapidité d’un vanneau, et peut-être dans ce moment formait-elle réellement le projet, qu’elle venait d’exprimer, de se séparer pour toujours de son fils. C’eut été un spectacle effrayant pour ceux qui, ce soir-là, l’auraient vue errer au milieu de la solitude comme une âme en souffrance, et se parler à elle-même un langage que nulle traduction ne pourrait rendre. Elle courut pendant des heures entières, cherchant les chemins les plus dangereux, au lieu de les éviter, traversant les marécages, marchant avec hâte sur le bord des précipices ou de la rivière écumante. Mais cette espèce de courage qui provient du désespoir fut ce qui sauva une vie que peut-être elle avait le désir de terminer, bien que, parmi les montagnards, il se commette rarement un suicide de propos délibéré. Ses pas sur le bord du gouffre horrible étaient aussi assurés que ceux de la chèvre sauvage. Ses yeux, dans cet état d’exaltation, étaient si perçants qu’ils pouvaient apercevoir, au milieu des ténèbres, les périls qu’un autre n’aurait pu reconnaître et éviter en plein jour.

Elle ne marcha pas toujours directement devant elle, autrement elle se serait trouvée bientôt à une grande distance de la cabane où elle avait laissé son fils. Elle décrivit dans sa marche une sorte de cercle, dont sa chaumière était le centre : centre où toutes les fibres de son cœur étaient attachées, et dont elle sentait qu’il lui était impossible de s’éloigner davantage. Elle y revint avec les premiers rayons du jour. Elle s’arrêta un moment près de la porte que fermait une claie, et elle resta immobile et comme honteuse qu’une tendre inquiétude la ramenât vers ce lieu qu’elle avait quitté dans le dessein de n’y jamais revenir. Mais ses craintes maternelles prirent le dessus. Peut-être son fils aux blonds cheveux avait-il souffert des effets ultérieurs de la potion somnifère ; peut-être ses ennemis l’avaient-ils surpris pendant la nuit. Elle ouvrit doucement la porte, et, posant le pied avec précaution, elle entra sans bruit. Accablé de sa douleur et absorbé peut-être encore par l’influence de l’opium, Hamish dormait de ce sommeil profond auquel on prétend que les Indiens succombent dans l’intervalle de leurs tourments. À peine sa mère osait-elle croire que c’était lui qu’elle voyait sur ce lit ; à peine était-elle certaine d’entendre le bruit de sa respiration. Elspat, le cœur palpitant, s’approcha du foyer placé au centre de la cabane, et où couvaient, sous des morceaux de tourbe, les restes du feu qui ne doit jamais s’éteindre au foyer écossais, jusqu’à ce que celui qui habite la maison vienne à la quitter pour toujours. « Faible étincelle ! » dit-elle en allumant, à l’aide d’une mèche, une branche de pin des marécages, qui devait lui servir de flambeau ; « faible étincelle, bientôt tu seras éteinte pour toujours ; et fasse le ciel que la vie d’Elspat Mac Tavish n’ait pas plus de durée que la tienne ! » En parlant ainsi, elle éleva la torche étincelante vers le lit sur lequel le corps de son fils était étendu dans une posture qui faisait douter s’il était endormi ou évanoui. La lumière qui éclaira tout à coup son visage frappa ses yeux ; il tressaillit, se leva brusquement et, saisissant sa dague, il s’élança comme à la rencontre d’un mortel ennemi. « N’approche pas ! sur ta vie, n’approche pas ! s’écria-t-il.

— C’est la voix et le geste de mon époux ! dit Elspat : oui, à ces paroles, à ce mouvement, je reconnais le fils de Mac Tavish Mhor.

— Ma mère ! » reprit Hamish, quittant le ton de la colère pour celui de la tristesse et de la douleur, « oh, ma mère ! pourquoi êtes-vous revenue en ce lieu ?

— Demandez pourquoi la biche retourne vers son faon ; pourquoi le chat des montagnes retourne à son gîte et à ses petits. Sachez, Hamish, que le cœur d’une mère ne vit que dans le sein de son enfant.

— Alors il cessera bientôt de palpiter, à moins qu’il n’ait le pouvoir de battre dans le sein qui repose au fond de la tombe. Ma mère, ne me blâmez pas ; si je pleure, ce n’est pas sur moi, mais sur vous. Mes souffrances auront bientôt cessé ; mais les vôtres ! oh ! qui y mettra un terme, si ce n’est le ciel ? »

Elspat recula en frissonnant ; mais, presque aussitôt, elle reprit son attitude droite et fière et son air intrépide.

« Je te croyais un homme, et tu n’es qu’un enfant, dit-elle. Écoute-moi, cependant, et ensuite nous quitterons ensemble cette demeure. Ai-je eu quelque tort envers toi ? T’ai-je fait quelque injure ? Si cela est, ne te venge pas si cruellement, je t’en supplie ! Vois Elspat Mac Tavish, qui jamais n’a fléchi le genou, même devant un prêtre, se prosterner devant son fils et implorer son pardon. » À ces mots elle tomba aux pieds du jeune homme, saisit sa main, la couvrit de baisers et répéta cent fois avec l’accent d’un cœur brisé de douleur : « Pardonne-moi ! pardonne-moi ! pour l’amour des cendres de ton père ! Pardonne-moi, par les douleurs que j’ai souffertes pour te donner la vie ! par les soins que j’ai pris en te nourrissant ! Ciel, entendez, et vous, terre, voyez ! La mère implore le pardon de son enfant, et le pardon lui est refusé ! »

C’était en vain qu’Hamish s’efforçait d’arrêter ce torrent d’expressions passionnées, en assurant à sa mère, dans les termes les plus solennels, qu’il lui pardonnait le funeste artifice qu’elle avait employé à son égard.

« Paroles vides de sens ! s’écria-t-elle ; vaines protestations sous lesquelles tu caches un ressentiment opiniâtre. Si tu veux que je te croie, quitte à l’instant cette demeure et éloigne-toi d’un pays qui, à chaque moment, devient plus dangereux pour toi. Fais ce que je te demande, et je croirai que tu m’as pardonné. Résiste-moi, et j’appellerai de nouveau la lune et les étoiles comme témoins du ressentiment impitoyable dont tu poursuis ta mère pour une faute qui, si c’en est une, provient de son amour.

— Ma mère, vous n’ébranlerez pas ma résolution à cet égard. Nul homme ne me verra jamais fuir devant lui. Quand Barcaldine enverrait à ma poursuite tous les montagnards qui sont sous sa bannière, je les attendrais ici ; et, lorsque vous m’ordonnez de fuir, c’est comme si vous commandiez à cette montagne de s’arracher de ses fondements. Si je savais la route par laquelle ils doivent arriver ici, je leur épargnerais la peine de venir me chercher ; mais je pourrais prendre le chemin de la montagne ; tandis que peut-être ils viendraient par celui du lac. C’est ici que j’attendrai mon sort ; et, dans toute l’Écosse, il n’y a pas une voix assez puissante pour m’ordonner de bouger d’ici et me faire obéir.

— Eh bien donc, je resterai aussi, dit Elspat en se relevant et en montrant tout à coup un calme affecté ; « mes yeux ont pu voir la mort de mon époux ; ils sauront supporter le spectacle de la chute de mon fils. Mais Mac Tavish Mhor mourut de la mort des braves, tenant de la main droite sa bonne épée, tandis que mon fils périra comme le bœuf conduit à la boucherie par le Saxon, qui l’achète à prix d’argent.

Ma mère, c’est vous qui m’avez ôté la vie, et vous en aviez le droit, puisque vous me l’aviez donnée ; mais ne touchez pas à mon honneur, je le tiens d’une suite de nobles et braves ancêtres, et il ne doit être souillé ni par le fait d’aucun homme ni par le discours d’aucune femme. Que ferai-je ? Peut-être moi-même l’ignoré-je encore ; mais ne me tentez pas davantage par vos reproches et vos paroles amères. Vous m’avez déjà fait plus de blessures que vous ne pourrez jamais en guérir.

— C’est bien, mon fils, ne crains plus de moi ni plaintes ni reproches ; désormais gardons le silence et attendons ce que le ciel nous réserve. »

Le lendemain le soleil trouva la cabane silencieuse comme le tombeau. La mère et le fils étaient levés et s’occupaient chacun de son côté. Hamish frottait et nettoyait ses armes avec le plus grand soin, mais avec l’air du plus profond abattement. Elspat, plus agitée, préparait la nourriture que les tourments et les troubles de la veille leur avaient fait oublier. Dès qu’elle fut prête, elle la plaça sur la table devant son fils, et répéta ces paroles du poète des montagnes : « Sans la nourriture journalière, la main du laboureur manque de force et le soc de la charrue reste dans le sillon. Sans la nourriture de chaque jour, l’épée du guerrier est trop pesante pour son bras. Notre corps est notre esclave, mais nous devons le nourrir, si nous voulons qu’il nous serve. Ainsi parlait le barde aveugle des anciens jours aux guerriers de Fion. »

Le jeune homme ne répondit rien ; mais il accepta la nourriture placée devant lui, comme s’il eût voulu recouvrer de nouvelles forces pour la scène à laquelle il s’attendait. Lorsque sa mère jugea qu’il avait mangé suffisamment, elle remplit de nouveau la coupe fatale, et la lui offrit pour terminer le repas. Mais tressaillant à cet aspect, il la repoussa d’un mouvement convulsif, qui exprimait à la fois la crainte et l’horreur.

« Non, mon fils, dit-elle, cette fois tu n’as aucun motif de crainte.

— Ne me pressez pas, ma mère, répondit Hamish, mettez plutôt dans un vase le crapaud venimeux, et je boirai ; mais quant à cette coupe maudite, elle n’approchera jamais de mes lèvres, non plus que la liqueur qui est la ruine de l’âme.

— Comme vous voudrez, mon fils, » répliqua Elspat avec hauteur ; et alors elle se remit avec un empressement apparent aux travaux domestiques interrompus pendant le jour précédent. Quelle que fût l’anxiété de son cœur, elle sut la dissimuler dans ses regards et dans ses manières. Seulement, à la vivacité extrême de ses mouvements, et à son activité extraordinaire, un observateur attentif aurait pu deviner que toutes ses actions étaient stimulées par une exaltation douloureuse. Il n’aurait pas manqué de remarquer combien de fois elle s’interrompait brusquement au milieu de chansons et d’airs qu’elle fredonnait probablement sans savoir ce qu’elle faisait, pour aller jeter un coup d’œil rapide à la porte de la cabane. Quel que fût l’état de l’âme d’Hamish, ses manières étaient totalement opposées à celles de sa mère. Après avoir fini de préparer et de nettoyer ses armes dans l’intérieur de la hutte, il s’assit devant la porte, et fixa ses regards sur la colline située vis-à-vis de la cabane, comme la sentinelle qui veille et attend l’approche de l’ennemi. Le milieu du jour arriva sans qu’il eût changé de posture. Une heure après, sa mère, debout près de lui, posa la main sur son épaule et lui dit, d’un ton aussi indifférent que si elle eût parlé de la visite de quelques amis : « Eh bien, quand les attendez-vous ?

— Ils ne peuvent être ici avant que les ombres du soir se soient allongées vers l’Orient, répondit Hamish ; et cela, en supposant que le détachement le plus proche, commandé par le sergent Allan Break Cameron, ait reçu un exprès de Dunbarton avec ordre de venir ici, ce qui est très-probable.

— En ce cas, entre encore une fois sous le toit de ta mère, et viens partager pour la dernière fois le repas qu’elle a préparé. Après cela, qu’ils arrivent, et tu verras si ta mère n’est qu’un témoin embarrassant et inutile au moment du danger. Ta main, quelque habituée qu’elle soit, ne saurait décharger ces armes aussi vite que je puis les charger. Non, je ne crains ni le feu ni le bruit du fusil, et les coups que j’ai tirés ont souvent été funestes.

— Au nom du ciel ! ma mère, ne vous mêlez point de ceci, s’écria Hamish ; Allan Break est un homme sage, dont le cœur est bienveillant, et qui descend d’une noble race. Peut-être obtiendra-t-il que nos officiers ne m’infligent pas une punition infamante ; et, s’ils veulent m’enfermer dans un cachot ou me fusiller, je n’ai rien à objecter à cela, j’y consens.

— Hélas ! te fieras-tu à leur parole, insensé que tu es ! Souviens-toi que la race de Hermid fut toujours flatteuse et perfide. Ils n’auront pas plus tôt chargé tes mains de chaînes, qu’ils dépouilleront tes épaules pour les flétrir à coups de verges.

— Épargnez-moi vos avis, ma mère, reprit Hamish d’un ton sévère ; je vous répète que mon opinion est arrêtée et mon parti pris.

Mais quoiqu’il parlât ainsi pour échapper aux persécutions d’Elspat, il lui aurait été impossible en ce moment de dire positivement quelle conduite il était déterminé à tenir. Il n’y avait qu’un seul point sur lequel il fut fixé : il voulait attendre son sort, quel qu’il pût être, sans ajouter à la faute, bien involontaire, d’avoir manqué à sa parole, celle de chercher à se soustraire à son châtiment. Il croyait devoir cet acte de dévouement à son honneur et à celui de ses compatriotes. Auquel de ses camarades pourrait-on se fier à l’avenir, si lui-même était considéré comme ayant manqué à ses serments et trahi la confiance de ses chefs ? Et quel autre que Hamish Beam Mac Tavish serait accusé par les montagnards d’avoir confirmé les soupçons et justifié la défiance que le général saxon avait conçus contre leur bonne foi ? Il était donc fermement résolu à attendre son sort. Mais avait-il l’intention de se remettre paisiblement entre les mains de ceux qui seraient chargés de l’arrêter, ou bien avait-il formé le projet de leur opposer de la résistance, afin de les provoquer à le tuer sur la place ? C’était une question à laquelle il n’aurait pu répondre lui-même. Son désir de voir Barcaldine, et de lui expliquer le motif qui l’avait empêché d’être de retour au temps fixé, le portait à suivre le premier plan de conduite. La crainte de subir un supplice déshonorant et d’avoir à entendre les reproches amers d’Elspat l’excitait fortement à adopter le dernier et le plus dangereux. Il abandonna au hasard le soin de sa conduite dans cette crise terrible, et il n’attendit pas long-temps ce moment redouté.

La nuit approchait ; l’ombre gigantesque des montagnes s’étendait vers l’orient, tandis que, vers l’occident, leurs sommets brillaient encore de l’éclat de la pourpre et de l’or. De la porte de la cabane on distinguait encore parfaitement la route qui forme un circuit autour du Ben Cruachan, lorsqu’un détachement de cinq soldats montagnards, dont les armes étincelaient aux derniers rayons du soleil, apparut tout à coup dans le lointain, à l’endroit où le grand chemin débouche de derrière la montagne. L’un des soldats était en avant des quatre autres, qui marchaient deux à deux, selon les règles de la discipline militaire. Il était incontestable, d’après les fusils qu’ils portaient, ainsi que d’après leurs toques et leurs plaids, que c’était un détachement du régiment d’Hamish, conduit par un sous-officier ; et l’on ne pouvait douter du motif qui les conduisait sur les bords du lac Awe.

« Ils avancent à grands pas, dit la veuve. Dieu sait s’ils s’en retourneront tous vite ou lentement. Mais ils sont cinq : le nombre est trop inégal. Entrez dans la cabane, mon fils, et tirez par le trou qui est à côté de la porte. Vous pouvez en faire tomber deux avant qu’ils aient quitté la grande route pour prendre le sentier. Il n’en restera plus que trois alors, et votre père, secondé par moi, a souvent résisté à un pareil nombre.

Hamish prit le fusil que lui offrait sa mère, mais il ne bougea pas de la porte de la cabane. Il ne tarda pas à être aperçu par le détachement qui traversait la grande route. Les soldats hâtèrent le pas sans toutefois quitter leurs rangs, et sans cesser de marcher deux à deux comme des lévriers accouplés. Ils s’avancèrent ainsi rapidement. En moins de temps qu’il n’en aurait fallu à des hommes moins accoutumés aux montagnes, ils quittèrent la grande route, traversèrent le sentier étroit, et furent bientôt à une portée de fusil de la porte de la cabane. Là se trouvait Hamish, immobile comme une statue de pierre, et tenant son fusil à la main, tandis que sa mère, placée derrière lui et poussée presque jusqu’à la frénésie, lui reprochait, dans les termes les plus forts, que le désespoir pût lui suggérer, son manque de résolution et de courage. Ses paroles amères et irritantes augmentèrent encore l’amertume qui gonflait le cœur du jeune homme, en observant avec quel empressement cruel ses anciens camarades s’avançaient vers lui, comme des chiens courant sur le cerf aux abois. Les passions violentes et indomptables qu’il tenait de son père et de sa mère s’éveillèrent en lui, et la contrainte que son jugement sain avait imposée à ces passions commença peu à peu à céder.

« Hamish Beam Mac Tavish, mettez bas les armes et rendez-vous, » lui cria le sergent.

« Arrêtez, Allan Break Cameron, et ordonnez à vos gens de s’arrêter, répondit Hamish, ou vous vous en repentirez !

— Halte, soldats ! dit le sergent, en continuant lui-même à s’avancer. « Hamish, songez à ce que vous faites, et rendez votre fusil. Vous pouvez répandre du sang ; mais vous ne pouvez échapper à votre châtiment.

— Les verges ! les verges ! mon fils ! songez aux verges ! » dit tout bas sa mère.

« Prenez garde, Allan Break, dit Hamish, je ne vous blesserais qu’à regret ; mais, je vous le déclare, je ne me laisserai arrêter que lorsque vous m’aurez assuré que je n’aurai point à craindre les verges des Saxons.

— Insensé ! répondit Cameron, vous savez que cela m’est impossible. Cependant, je vous promets de faire tout ce que je pourrai. Je dirai que je vous ai rencontré en chemin, revenant au régiment, et la punition sera légère, mais remettez-moi votre fusil. En avant, soldats ! »

Au même instant il s’avança précipitamment, étendant le bras comme pour écarter l’arme que le jeune homme dirigeait sur lui. « N’épargne pas le sang de ton père pour défendre son foyer ! » s’écria Elspat, exaspérée. À ces funestes mots, Hamish fit feu, et Cameron tomba mort. Tout cela se passa dans l’espace d’un moment. Les soldats se précipitèrent sur Hamish, et s’emparèrent de lui sans qu’il fît la moindre résistance, pétrifié, épouvanté qu’il était du crime qu’il venait de commettre. Il n’en fut pas ainsi de sa mère, qui, voyant les soldats se disposer à mettre les menottes à son fils, se précipita sur eux avec une telle fureur, qu’il fallut que deux d’entre eux la tinssent, tandis que les deux autres s’assuraient du prisonnier.

« N’êtes-vous pas une créature maudite, » dit un des soldats à Hamish, «vous avez tué votre meilleur ami, qui, pendant toute la marche, n’a cessé de s’occuper du moyen de vous épargner le châtiment mérité par votre désertion !

— Entendez-vous cela, ma mère ?» dit Hamish en se tournant vers elle autant que ses liens purent le lui permettre. Mais sa mère n’entendit et ne vit rien : elle était tombée par terre, privée de sentiment. Sans attendre qu’elle fût revenue à elle, le détachement, avec son prisonnier, se remit en marche pour Dunbarton. Les soldats jugèrent nécessaire cependant de s’arrêter quelques moments au village de Dalmally, d’où ils dépêchèrent un certain nombre d’habitants pour transporter le corps de leur malheureux chef, tandis qu’ils se rendaient chez le magistrat pour l’informer de ce qui était arrivé, et lui demander ses instructions relativement à la conduite qu’ils devaient tenir. Le crime étant du ressort des lois militaires, il leur enjoignit de conduire sans délai le prisonnier à Dunbarton.

L’évanouissement d’Elspat dura long-temps, plus long-temps peut-être qu’il n’aurait duré, si sa constitution, quelque vigoureuse qu’elle fût, n’eût été presque épuisée par l’agitation extraordinaire des trois jours précédents. Elle fut enfin tirée de sa stupeur par des voix de femmes qui chantaient le Coronach, en battant des mains, et en poussant des cris et des lamentations, tandis que la cornemuse faisait retentir de temps à autre les sons mélancoliques d’un air lugubre approprié au clan de Cameron.

Elspat tressaillit comme si elle s’éveillait d’entre les morts, et sans avoir aucun souvenir de la scène dont ses yeux avaient été témoins. Elle aperçut dans la cabane, des femmes occupées à ensevelir le corps de Cameron dans son plaid ensanglanté, avant de le transporter loin de ce lieu fatal.

« Femmes !» dit-elle, se levant tout à coup et interrompant à la fois leurs chants et leurs occupations ; « femmes, dites-moi pourquoi vous faites entendre le chant funèbre de Mac Dhonnil Dhu dans la maison de Mac Tavish Mhor ?

— Tais-toi, louve ! cesse tes hurlements sinistres, » répondit une des femmes, parente du défunt, et laisse-nous remplir nos devoirs envers notre malheureux ami. Jamais on n’entendit ni coronach ni chant funèbre pour toi ni pour ton louveteau sanguinaire. Les corbeaux le dévoreront sur le gibet, et le renard et le chat-tigre déchireront ton corps sur la montagne. Maudit soit celui qui ensevelira vos os, ou qui ajoutera une pierre à votre cairn !

— Fille d’une mère insensée, répondit la veuve de Mac Tavish Mhor, apprends que le gibet dont tu nous menaces ne fait point partie de notre héritage. Pendant trente ans, l’arbre noir de la loi, dont les fruits sont des cadavres, a été affamé de l’époux bien-aimé de mon cœur ; mais il est mort comme un brave, l’épée à la main, et il a frustré l’arbre funeste de ses espérances.

— Il n’en sera pas de même de ton fils, sorcière sanguinaire, » répliqua la femme affligée, dont les passions étaient non moins violentes que celles d’Elspat ; les corbeaux arracheront sa belle chevelure pour garnir leurs nids, avant que le soleil se soit abaissé au-dessous des îles de Treshornish. »

Ces paroles rappelèrent à l’esprit d’Elspat toute l’histoire terrible des trois derniers jours. D’abord elle resta immobile, comme si l’excès de son malheur l’eût transformée en pierre ; mais bientôt tout l’orgueil et la violence de son caractère reprenant le dessus (car elle se voyait bravée sur son propre seuil), elle retrouva le pouvoir de s’exprimer.

« Oui, insultante furie, mon Hamish aux blonds cheveux peut mourir ; mais ce ne sera pas sans que sa main blanche se soit rougie du sang d’un ennemi, d’un Cameron. Souviens-toi de cela ; et lorsque tu déposeras ton mort dans la tombe, la meilleure épitaphe que tu puisses y faire graver est qu’il fut tué par Hamish Beam, pour avoir osé porter la main sur le fils de Mac Tavish Mhor, et sur le seuil même de sa porte. Adieu ! Puisse la honte de la défaite, de la perte et du meurtre, retomber sur le clan qui l’a soufferte ! »

La parente de l’infortuné Cameron éleva la voix pour répondre ; mais Elspat, dédaignant de prolonger plus long-temps ses malédictions, ou sentant peut-être que la douleur allait triompher du pouvoir de ses forces, avait quitté la cabane et s’éloignait rapidement à la clarté de la lune.

Les femmes qui rendaient les derniers devoirs à l’homme assassiné interrompirent leur triste occupation pour suivre des yeux l’ombre d’Elspat qui, se glissant parmi les rochers, disparut bientôt. « Je suis contente qu’elle soit partie, dit l’une des plus jeunes ; j’aimerais autant ensevelir un mort en présence de l’esprit du mal (Dieu nous protège !) qu’en présence de l’Habitante du vieux chêne. Oh ! elle n’a eu que trop de relations, dans son temps, avec l’ennemi du genre humain !

— Insensée ! » répondit la femme qui avait soutenu le dialogue avec Elspat, « crois-tu qu’il y ait sous la terre ou dessus un ennemi pire que l’orgueil et la fureur d’une femme offensée, telle que cette mégère sanguinaire ? Sache que le sang est aussi doux à ses yeux que la rosée à la marguerite des montagnes. Elle a fait rendre le dernier soupir à maints et maints braves, auxquels elle ou les siens avaient une légère offense à reprocher. Mais à présent que son louveteau doit finir comme un meurtrier qu’il est, voilà le nerf de ses jarrets coupé. »

Tandis que ces femmes discouraient ainsi auprès du corps d’Allan Break Cameron, la malheureuse femme qui était la cause du meurtre poursuivait sa route solitaire à travers les montagnes. Tant qu’elle put être aperçue de ceux qui étaient dans la chaumière, elle eut la force de se contenir, de peur que le changement de son pas ou de son maintien ne fût un triomphe pour ses ennemis, et ne leur donnât le plaisir de calculer l’excès de son agitation morale et de son désespoir. Elle marcha donc fièrement d’un pas plutôt lent que rapide, et, tenant la tête haute, elle semblait à la fois souffrir avec fermeté le mal passé, et défier celui qui était sur le point de l’atteindre. Mais lorsqu’elle fut hors de vue, elle ne put résister plus long-temps à l’excès de sa douleur. Enveloppée de son manteau drapé bizarrement autour d’elle, elle s’arrêta au pied de la première colline ; et, montant rapidement jusqu’au sommet, elle étendit les bras vers la lune brillante, comme pour accuser le ciel et la terre de ses malheurs, et poussa, à plusieurs reprises, des cris perçants semblables à ceux de l’aigle qui a trouvé son aire veuve de ses petits. Pendant quelque temps elle exhala ses douleurs en gémissements inarticulés, puis elle poursuivit sa route d’un pas rapide et inégal, nourrissant dans son âme le vain espoir d’atteindre le détachement qui conduisait son fils prisonnier à Dunbarton. Mais ses forces, bien que surnaturelles pendant un moment, lui manquèrent tout à coup dans cette cruelle épreuve, et, malgré tous ses efforts, il lui devint impossible d’accomplir son dessein.

Elle se pressa cependant d’avancer avec toute la promptitude dont son corps épuisé fut capable. Lorsque le besoin de nourriture devenait impérieux, elle entrait dans la première chaumière : « Donnez-moi du pain, disait-elle, je suis la veuve de Mac Tavish Mhor ; donnez-moi à manger, je suis la mère d’Hamish Mac Tavish ; donnez, qu’une fois encore je puisse voir mon fils à la blonde chevelure ! » Et jamais sa demande n’était rejetée, bien qu’en plusieurs cas on la satisfît après une espèce de lutte entre la compassion et la crainte, sentiment qu’elle inspirait tour à tour à ceux auxquels elle s’adressait. On ne savait pas exactement la part qu’elle avait eue à la mort d’Allan Break Cameron, qui devait probablement entraîner celle de son fils ; mais, d’après la connaissance que l’on avait de ses passions violentes et des habitudes de sa vie passée, nul ne doutait que, d’une manière ou d’une autre, elle ne fut la cause de la catastrophe, et l’on considérait Hamish Beam, dans ce meurtre, bien plutôt comme l’instrument de sa mère que comme son complice.

Cette opinion générale parmi ses compatriotes ne fut nullement utile à l’infortuné jeune homme. Son capitaine Green Colin, connaissant parfaitement les mœurs et les coutumes de son pays, obtint facilement d’Hamish toutes les particularités relatives à sa désertion supposée et à la mort du sous-officier. Il éprouvait la plus vive compassion pour ce jeune homme, victime de la tendresse extravagante et fatale de sa mère. Mais il n’avait aucune excuse à alléguer pour sauver le malheureux Hamish de la condamnation que la discipline militaire et le jugement d’une cour martiale prononcèrent contre lui.

Il fallait peu de temps pour instruire ce procès, et il s’en écoula fort peu aussi entre la sentence et l’exécution. Le général avait résolu de faire un exemple sévère du premier déserteur qui tomberait en son pouvoir, et ici il s’agissait d’un coupable qui s’était défendu les armes à la main, et qui avait tué dans la lutte l’officier chargé de l’arrêter. Il n’était guère possible de trouver un sujet qui eût mérité plus complètement le châtiment : aussi Hamish fut-il condamné à être exécuté sans délai. Tout ce que l’influence de son capitaine put obtenir en sa faveur fut qu’il mourrait de la mort d’un soldat, et non sur le gibet, comme il en avait été question d’abord.

Le digne ministre de Glenorquhy se trouvait par hasard à Dunbarton, par suite de quelques affaires ecclésiastiques, à l’époque de cette catastrophe. Il vint rendre visite dans la prison à son infortuné paroissien. Il le trouva ignorant sans doute, mais non obstiné, et les réponses qu’il en obtint, en causant avec lui sur des matières religieuses, furent telles, qu’elles lui firent regretter doublement qu’un esprit naturellement si noble et si pur fût resté sauvage et inculte.

Lorsqu’il eut pris une connaissance certaine du caractère réel et des dispositions du jeune homme, le digne ecclésiastique fit des réflexions pénibles et sévères sur sa propre timidité et sa fausse honte qui, provenant du mauvais renom attaché à la race d’Hamish, l’avaient empêché de porter des secours charitables à une brebis égarée. Tandis que le bon ministre se reprochait ce qu’il appelait sa lâcheté, lâcheté qui l’avait détourné, par une considération personnelle, d’une démarche qui eût peut-être sauvé une âme immortelle, il prit la résolution de s’adresser aux officiers supérieurs, et de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour obtenir sinon le pardon, au moins un sursis pour un infortuné qui lui inspirait un intérêt extraordinaire, tant par la docilité de son caractère, que par la noblesse et l’élévation de son âme.

Le ministre alla donc trouver le capitaine Campbell à la caserne. Le front de Green Colin était couvert d’une sombre mélancolie, qui ne fit que se rembrunir lorsque le ministre lui eut appris son nom, la qualité et le motif de sa visite. « Vous ne pouvez rien me dire de ce jeune homme que je ne sois disposé à croire, répondit l’officier montagnard ; vous ne pouvez me demander de faire en sa faveur plus que je ne désire, plus que je ne me suis déjà efforcé de faire. Mais tout est inutile. Le général tient en partie des terres basses et en partie de l’Angleterre ; il n’a aucune idée de la fierté et du caractère enthousiaste qui, dans ces montagnes, mettent souvent aux prises de grandes vertus et de grands crimes, qui cependant sont moins des fautes du cœur que des erreurs de jugement. J’ai été jusqu’au point de lui dire qu’en faisant exécuter ce jeune homme, il allait mettre à mort le meilleur soldat de ma compagnie, dans laquelle tous ou presque tous sont remarquables par leur bravoure. Je lui ai expliqué par quel étrange artifice Hamish était devenu innocemment déserteur, et combien peu son cœur avait eu de part au meurtre que sa main avait malheureusement commis. Sa seule réponse a été : « Il y a des visions montagnardes, capitaine Campbell, aussi peu satisfaisantes et aussi vaines que celles de la seconde vue. Un acte de désertion formel peut, dans tous les cas, se pallier par le prétexte de l’ivresse. Le meurtre d’un officier peut aisément se colorer de la raison d’une démence passagère. Non, il faut un exemple, et si celui qui doit en servir est d’ailleurs un bon soldat, l’exemple n’en produira que plus d’effet. » Puisque telle est la volonté immuable du général, continua Campbell en soupirant, ayez soin, respectable M. Tyrie, de préparer le malheureux à subir demain, à la pointe du jour, le grand changement auquel tôt au tard nous sommes tous assujettis.

« Et pour lequel, ajouta le ministre, je prie Dieu de nous préparer tous aussi bien que je tâcherai de le faire à l’égard de ce pauvre jeune homme. »

Le lendemain, dès que les premiers rayons du soleil levant saluèrent les tours grisâtres qui couronnent le sommet de ce bizarre et effrayant rocher, les soldats du nouveau régiment montagnard arrivèrent sur la place d’armes, dans l’intérieur du château de Dunbarton, et, s’étant rangés en ordre, ils commencèrent à descendre les escaliers rapides et les passages étroits qui conduisent vers la porte extérieure, située au pied du même rocher. Les sons farouches et sauvages du pibroch se firent entendre, et furent accompagnés bientôt par les fifres et les tambours qui battirent le chant funèbre.

Le sort du malheureux criminel n’excita pas d’abord dans le régiment cette pitié générale qu’il aurait probablement fait naître s’il avait été condamné seulement pour crime de désertion. Le meurtre d’Allan Break avait donné une couleur bien différente à l’action d’Hamish. Outre que le défunt était fort aimé, il appartenait à un clan nombreux et puissant, dont plusieurs membres figuraient dans les rangs de ce corps. Le malheureux Hamish, au contraire, était peu connu de ses compagnons d’armes, et il n’était lié presque avec personne. Son père, il est vrai, avait été renomme par sa force et son courage, mais il était d’un clan rompu, nom donné à ceux qui n’avaient point de chef pour les conduire au combat.

Il aurait été presque impossible, dans tout autre cas, de faire sortir des rangs le détachement nécessaire pour l’exécution de la sentence ; mais les six individus choisis pour cet office étaient amis du défunt et descendaient comme lui de la race de Mac Dhonnil Dhu ; et ce ne fut pas sans le plaisir amer de la vengeance qu’ils se préparèrent à remplir la triste tâche que le devoir leur imposait. La première compagnie du régiment défila hors de la porte, et fut suivie des autres, qui s’avancèrent successivement, et s’arrêtèrent selon les ordres de l’adjudant, de manière à former trois côtés d’un carré long, les soldats faisant face à l’intérieur du carré. Le quatrième côté, qui était vide, était fermé par le rocher escarpé sur lequel le château s’élève. Au centre du cortège marchait la victime infortunée de la loi, nu-tête, désarmée, et les mains liées. Son visage était couvert d’une pâleur mortelle, mais son pas était ferme et ses yeux plus brillants que jamais. À son côté marchait le ministre : on portait devant lui le cercueil qui devait recevoir sa dépouille mortelle. Ses camarades avaient l’air grave et solennel. Malgré eux, ils étaient émus de pitié pour le malheureux jeune homme, dont les belles formes, l’air mâle, le maintien soumis et résigné avaient adouci, dès qu’il avait paru à leurs regards, les sentiments haineux dans le cœur même de ceux qui avaient été le plus animés contre lui.

Le cercueil destiné à recevoir le corps d’Hamish Beam fut placé au bout du carré, à environ une toise du pied du rocher qui s’élève à cet endroit aussi perpendiculairement qu’un mur de pierre, jusqu’à la hauteur de trois ou quatre cents pieds. On conduisit au même endroit le prisonnier, près duquel marchait toujours le ministre, s’efforçant de l’encourager et de lui prodiguer des exhortations et des consolations que le jeune homme paraissait écouter avec un respectueux recueillement. Le détachement qui devait faire feu entra dans le carré, marchant d’un pas lent et comme avec répugnance, et il se rangea sur une ligne en face du prisonnier, à cinq toises de distance à peu près. Déjà le ministre se disposait à se retirer : « Pensez, mon fils, à ce que je vous ai dit, et reposez vos espérances sur l’ancre que je vous ai donnée, lui dit-il : vous échangerez une courte et misérable existence ici-bas pour une vie qui ne vous offrira ni peines ni douleurs. Y a-t-il quelque autre chose que je puisse faire pour vous ? »

Le jeune homme regarda les boutons de ses manches de chemise. Ils étaient d’or. C’était peut-être le reste d’un butin pris par son père à quelque officier anglais pendant les guerres civiles. Le ministre les détacha.

« Ma mère ! » s’écria-t-il avec un effort pénible, « donnez-les à ma pauvre mère ! Voyez-la, mon père, et apprenez-lui ce qu’elle doit penser de tout ceci. Dites-lui qu’Hamish Beam éprouve plus de joie de mourir que jamais il n’en ressentit à se reposer un long jour de chasse. Adieu, mon père, adieu ! »

Le bon prêtre eut à peine la force de s’éloigner de ce lieu fatal. Un officier s’avança et lui offrit son bras pour le soutenir. Jetant alors un dernier regard vers Hamish, il l’aperçut agenouillé sur le cercueil. Le peu de personnes qui l’avaient entouré d’abord s’étaient retirées. Le signal fut donné Le rocher retentit du bruit de la décharge : Hamish tomba, poussant un gémissement, et expira sans probablement sentir l’agonie de la mort.

Dix ou douze soldats de sa compagnie s’avancèrent alors, et déposèrent avec un respect solennel les restes de leur camarade dans le cercueil, tandis que les tambours battaient de nouveau la marche funèbre, et que les soldats des différentes compagnies, marchant sur une seule file, passaient un à un devant le cercueil, afin que tous pussent recevoir de ce spectacle terrible la leçon qu’il était destinée leur donner. Le régiment se mit alors en marche, et remonta l’antique rocher, la musique, suivant l’usage ordinaire, faisant retentir l’air de sons joyeux, comme si la douleur et même la tristesse ne devaient séjourner que le moins de temps possible dans l’âme d’un soldat.

Pendant ce temps, le petit détachement, dont on a déjà parlé, porta le corps du malheureux Hamish à son humble tombe creusée dans un coin du cimetière de Dunbarton, ordinairement réservé aux criminels. Là, parmi la poussière des coupables, repose un jeune homme dont le nom, s’il eut survécu aux événements funestes qui le poussèrent à sa perte, aurait orné les annales des braves.

Le ministre de Glenorquhy quitta Dunbarton immédiatement après avoir été témoin de la dernière scène de ce triste drame. Sa raison reconnaissait la justice de la sentence qui avait voulu que le sang fût payé par le sang, et il convenait que le caractère vindicatif de ses compatriotes avait besoin d’être fortement contenu par le frein puissant de la loi ; mais il pleurait l’homme qui en avait été la victime. Qui peut accuser la foudre du ciel lorsqu’elle éclate au milieu des arbres de la forêt ? Et pourtant qui peut s’empêcher de gémir lorsqu’elle va frapper le tronc superbe du jeune chêne qui promettait d’être l’orgueil de la vallée qui l’avait vu naître ? Méditant sur ces tristes événements, midi le surprit dans les défilés de la montagne qui devaient le conduire à sa demeure encore éloignée.

Se confiant dans la connaissance qu’il avait du pays, le ministre avait quitté la grande route pour prendre un de ces sentiers plus courts, qui ne sont ordinairement fréquentés que par les piétons ou par ceux qui montent des chevaux du pays, petits, mais d’un pied sûr et d’une intelligence extrême. Le lieu qu’il avait alors à traverser était triste et désolé, et des traditions y ajoutaient encore toutes les terreurs de la superstition ; car on assurait qu’il était fréquenté par le malin esprit appelé Cloght-dearg, c’est-à-dire, Manteau-Rouge. Cet esprit, revêtu de la forme d’une femme, disait-on, traversait la vallée à toute heure, mais principalement à midi et à minuit. Ennemi de l’homme et de tous les êtres de la création, il faisait tout le mal que son pouvoir lui permettait de faire, et se plaisait à glacer d’horreur et d’effroi ceux auxquels il ne pouvait nuire autrement.

Le ministre de Glenorquhy s’était déclaré ouvertement contre la plupart de ces idées superstitieuses, qu’il regardait avec raison comme provenant des siècles ténébreux du papisme, peut-être même de ceux du paganisme, et comme ne méritant ni l’attention ni la croyance des chrétiens d’un âge éclairé. Plusieurs de ses paroissiens, ceux même qui lui étaient le plus attachés, l’accusaient de témérité dans son opposition à l’ancienne croyance de leurs pères : quoiqu’ils admirassent la force morale de leur pasteur, ils ne pouvaient s’empêcher de lui témoigner la crainte qu’il ne devînt un jour la victime de sa témérité, et qu’il ne fût déchiré en morceaux dans la vallée de Cloght-dearg, ou dans quelque autre de ces solitudes sauvages qu’il semblait traverser seul avec une sorte de plaisir et d’orgueil, aux heures où l’on supposait que les malins esprits avaient le plus de pouvoir sur les hommes et les animaux.

Les traditions qu’il avait entendu raconter lui revinrent à l’esprit en traversant cette solitude, et un sourire mélancolique passa rapidement sur ses lèvres : il songeait à l’inconséquence de la nature humaine. Combien de braves, se disait-il, que le son du pibroch aurait fait courir tête baissée contre les baïonnettes, comme un taureau sauvage contre son ennemi, et qui auraient frémi à la seule idée de ces visions, de ces fantômes imaginaires ; tandis que lui, homme de paix, et peu propre, dans les dangers mêmes ordinaires, à opposer une résistance vigoureuse, osait les braver sans hésiter !

Tout en contemplant la scène de désolation dont il était environné, il s’avouait à lui-même que ce lieu était parfaitement convenable pour servir de retraite aux esprits qui, dit-on, se plaisent dans la solitude et les lieux désolés. La vallée étroite, et bordée de rochers escarpés, permettait à peine au soleil de midi de lancer quelques-uns de ses rayons sur le sombre et chétif ruisseau qui coulait à travers ces retraites sauvages, le plus souvent sans bruit, et parfois en murmurant tristement contre les grosses pierres et les rochers qui semblaient vouloir entraver sa marche. Pendant l’hiver, ou dans la saison pluvieuse, ce ruisseau devenait un torrent écumant, d’une largeur effrayante : à de pareilles époques il avait arraché ces énormes fragments de rochers qui, au temps dont nous parlons, cachaient son cours et paraissaient vouloir l’interrompre totalement. « Sans doute, pensait le ministre, ce ruisseau qui descend de la montagne, gonflé tout à coup par une chute d’eau ou un violent orage, a souvent été cause des accidents que l’on attribue à la puissance du Clogth-dearg. »

Au moment où cette idée lui venait à l’esprit, une voix de femme lui cria d’un accent farouche et perçant ; « Michel Tyrie ! Michel Tyrie ! » Étonné, il regarda autour de lui, non sans une sorte de crainte. Il lui sembla, pendant un instant, que le malin esprit, dont il avait nié l’existence, allait lui apparaître pour le punir de son incrédulité. Cette pensée n’eut dans son esprit que la durée de l’éclair, et elle ne l’empêcha pas de répondre d’une voix ferme : « Qui m’appelle ? où êtes-vous ?

— Je suis celle qui voyage dans la misère, entre la vie et la mort, » répondit la voix ; et à ces mots, une femme d’une haute taille sortit du milieu des fragments du rocher, qui jusqu’alors l’avaient dérobée aux regards du ministre.

Tandis qu’elle s’approchait, son manteau de tartan, où dominait un rouge éclatant, sa haute stature, son pas grave, ses traits ridés et ses regards farouches, qui perçaient sous sa coiffe, auraient pu aisément la faire prendre pour l’esprit qui avait donné son nom à la vallée ; mais M. Tyrie reconnut aussitôt en elle la femme de l’Arbre, la veuve de Mac Tavish Mhor, la mère malheureuse qui avait perdu son enfant. Je ne sais si le ministre n’aurait pas préféré la visite du Cloght-dearg lui-même à la présence d’Elspat, criminelle et misérable comme elle était. Il tira, comme par instinct, la bride de son cheval, et resta immobile, cherchant à recueillir ses idées, tandis qu’Elspat, en quelques pas, arrivait devant la tête de son cheval.

« Michel Tyrie, dit-elle, les femmes du clachan[30], folles qu’elles sont, te regardent comme un dieu… sois-en un pour moi, et dis-moi que mon fils existe. Dis-le, et moi aussi je serai de ta religion… Je fléchirai mes genoux le septième jour dans la maison où tu célèbres ton culte, et ton Dieu sera mon Dieu.

— Malheureuse femme ! répondit le prêtre, l’homme ne forme point de pacte avec son Créateur, comme avec une créature de boue semblable à lui-même. Penses-tu traiter avec celui qui créa la terre et répandit l’immensité des cieux ? Ou bien est-ce que tu crois pouvoir offrir un hommage ou un vœu qui soit, à ses yeux, digne d’être accepté ? Il nous a demandé l’obéissance et non le sacrifice, la patience à supporter les épreuves dont il nous afflige, et non de vains présents tels que l’homme en offre à son semblable, fait de boue comme lui, pour corrompre son esprit inconstant, et le détourner de ses desseins.

— Tais-toi, prêtre ! » répondit la femme dans son désespoir ; « ne prononce pas devant moi les paroles de ton livre blanc. Les parents d’Elspat étaient du nombre de ceux qui faisaient le signe de la croix, et s’agenouillaient au son de la cloche sacrée : Elspat sait qu’on peut expier devant l’autel les actions faites sur la montagne. Elspat avait autrefois des troupeaux de bêtes à laine et de bêtes à cornes, des chèvres sur les rochers escarpés, et des bestiaux dans les prairies. Elle portait de l’or autour de son cou et sur sa chevelure, des chaînes d’or aussi pesantes que celles des héros des anciens temps. Elle aurait cédé tout cela au prêtre, tout ; et s’il avait désiré les joyaux d’une noble dame ou la bourse d’un chef, eût-il été aussi grand, aussi puissant que Mac Callum Mhor lui-même, Mac Tavish Mhor les lui aurait procurés, dès qu’Elspat les lui avait promis. Elspat, maintenant, est pauvre et n’a rien à donner. Mais l’abbé noir d’Inchaffray lui aurait ordonné de battre de verges ses épaules, et de se déchirer les pieds en allant en pèlerinage, et il lui aurait accordé son pardon quand il aurait vu son sang couler et sa chair meurtrie. Tels étaient les prêtres qui avaient un pouvoir réel même sur les plus puissants. Ils menaçaient les grands de la terre avec des paroles qui sortaient de leur bouche, avec les sentences de leurs livres sacrés, avec la lueur de leurs cierges et le tintement lugubre de leurs cloches. Les puissants s’inclinaient à leur voix ; à l’ordre des prêtres, ils déliaient ceux qu’ils avaient enchaînés dans leur colère ; ils mettaient en liberté, sans lui nuire, celui qu’ils avaient condamné à la mort et dont ils voulaient le sang. Ceux-là étaient des prêtres puissants, et ils avaient bien le droit d’ordonner au pauvre de s’agenouiller, puisqu’ils pouvaient humilier les superbes. Mais vous ! contre qui exercez-vous votre force ? contre de faibles femmes, coupables de folie, et quelques hommes qui jamais n’ont su porter l’épée ! Les prêtres d’autrefois ressemblaient au torrent qui, pendant l’hiver, remplit les profondeurs de la vallée et fait rouler les uns contre les autres les quartiers de rochers aussi aisément que le jeune garçon joue avec la balle qu’il jette devant lui. Mais vous, vous ne ressemblez qu’au ruisseau qui, desséché par les chaleurs de l’été, est détourné par les joncs et arrêté par un buisson de glaïeuls. Malheur sur votre tête, puisqu’il n’y a point de secours à attendre de vous ! »

Le ministre n’eut pas de peine à comprendre qu’Elspat avait renoncé à la foi catholique romaine sans en adopter aucune autre. Elle conservait encore une idée vague et confuse des accommodements que l’on pouvait faire avec les prêtres, par le moyen de la confession, des aumônes et de la pénitence : elle se rappelait l’étendue de leur pouvoir, qui, selon elle, aurait été capable d’assurer le salut de son fils. Ému de compassion pour son malheur, et plein d’indulgence pour ses erreurs et son ignorance, il lui répondit avec douceur :

« Hélas ! malheureuse femme ! plût à Dieu que je pusse t’apprendre aussi aisément où tu dois désormais chercher des consolations, qu’il m’est facile de t’assurer d’un seul mot que Rome et tout son clergé, fussent-ils encore dans toute la plénitude de leur pouvoir, ne sauraient, ni en récompense de tes dons, ni pour tes pénitences, apporter à tes infortunes la plus faible consolation. Elspat Mac Tavish, j’ai de cruelles choses à vous apprendre.

— Je les sais déjà sans que tu aies besoin de recourir à des paroles, répondit l’infortunée ; mon fils est condamné à mourir.

— Elspat, reprit le ministre, il a été condamné, et la sentence est exécutée. »

La malheureuse mère leva les yeux au ciel, et poussa un cri si différent de celui d’une créature humaine, que l’aigle qui planait au milieu des airs y répondit comme il eût fait au cri de sa compagne.

« Impossible ! s’écria-t-elle ; c’est impossible ! Les hommes ne peuvent condamner et tuer le même jour ! Tu me trompes. Le peuple t’appelle saint : mais as-tu bien le cœur assez dur pour dire à une mère qu’elle a tué son enfant, son enfant unique ?

— Dieu sait, » dit le prêtre, les yeux baignés de larmes, « que je voudrais avoir de meilleures nouvelles à vous donner ; mais malheureusement celles que je vous apporte sont aussi certaines que fatales. Mes oreilles ont entendu le coup mortel, mes yeux ont vu la mort de votre fils, ses funérailles ; et ma bouche rend témoignage de ce que mon oreille a entendu, de ce que mes yeux ont vu ! »

Elspat joignit les mains et les éleva vers le ciel comme une sybille prête à annoncer la guerre et la désolation ; et, dans sa fureur impuissante et terrible, elle vomit un torrent d’imprécations effroyables.

« Vil Saxon ! s’écria-t-elle, vil hypocrite ! misérable imposteur ! puissent les yeux qui ont vu avec calme la mort de mon fils aux blonds cheveux s’éteindre dans leurs orbites, et se dissoudre dans les pleurs que tu répandras pour les parents les plus proches et les amis les plus chers ! Puissent les oreilles qui ont entendu le signal de son trépas être désormais sourdes à toute espèce de son, si ce n’est au cri du corbeau et au sifflement du serpent ! Puisse la langue qui m’a raconté cette mort et mon propre crime se dessécher dans ta bouche ! Ou plutôt, quand tu prieras avec ton peuple, puisse l’esprit du mal te souffler des blasphèmes au lieu de bénédictions, jusqu’à ce que les hommes fuient de terreur, et que la foudre céleste, lancée contre ta tête, arrête pour jamais ta voix maudissante et maudite ! Pars ! éloigne-toi ! Jamais, jamais Elspat n’adressera autant de paroles à une créature humaine ! »

Elle tint sa promesse. Depuis ce jour le monde fut un désert pour elle, un désert où elle resta sans penser, sans prendre de soin, d’intérêt à rien ; où elle végéta, absorbée dans son désespoir et insensible pour tout le reste.

Quant à sa manière d’exister, le lecteur en sait déjà presque autant qu’il m’est possible de lui en apprendre. Mais, pour sa mort, je ne puis lui en rien dire. On suppose qu’elle arriva quelques années après le jour où elle attira l’attention de mon excellente amie mistress Béthune Baliol. Sa bienveillance qui ne se contentait pas de verser une larme stérile lorsqu’il y avait lieu d’exercer une charité réelle, lui fit faire plusieurs tentatives pour adoucir la situation de cette misérable femme. Mais tous ses efforts ne parvinrent qu’à faire accepter à Elspat des moyens d’existence moins précaires, considération tout à fait indifférente pour elle, bien qu’elle soit importante pour les êtres même les plus malheureux. Ce fut inutilement qu’on essaya de placer quelqu’un dans sa cabane pour prendre soin de sa personne ; l’aversion avec laquelle elle regardait quiconque osait s’introduire dans sa solitude, et la terreur secrète qu’elle inspirait à ceux que l’on choisissait pour habiter avec la redoutable Femme de l’Arbre, furent des obstacles insurmontables. Lorsqu’enfin Elspat fut devenue incapable, du moins en apparence, de se retourner sur le misérable grabat qui lui servait de lit, le successeur de M. Tyrie, homme aussi charitable que son devancier, envoya deux femmes pour prendre soin d’elle à ses derniers moments, qui ne pouvaient être éloignés, à ce qu’on présumait, et pour l’empêcher de mourir, faute de secours ou de nourriture, avant le jour où elle devait succomber naturellement à la vieillesse ou à la maladie.

Ce fut un soir du mois de novembre que les deux femmes chargées de cette triste mission arrivèrent à la cabane d’Elspat. L’infortunée, étendue sur son grabat, ne paraissait déjà plus qu’un corps sans vie ; ses yeux seuls roulaient dans leurs orbites d’une manière effrayante. Ils lancèrent des regards sombres et ardents, et parurent observer avec surprise et indignation la présence des deux étrangères. Celles-ci furent effrayées d’abord de ses regards ; mais, rassurées bientôt par la compagnie l’une de l’autre, elles ranimèrent le feu, allumèrent une chandelle, préparèrent de la nourriture, et firent enfin tous les arrangements pour s’acquitter des devoirs qui leur étaient prescrits.

Elles convinrent ensemble de veiller chacune à leur tour près du lit de la malade. Mais vers minuit, vaincues par la fatigue du voyage (car elles venaient d’assez loin), toutes deux s’endormirent d’un profond sommeil. Lorsqu’elles s’éveillèrent, ce qui ne fut qu’au bout de quelques heures, la malade avait disparu, et la cabane était vide. Frappées d’épouvante, elles coururent à la porte qui était fermée au loquet comme si personne ne l’avait ouverte.

Elles cherchèrent au milieu des ténèbres, elles appelèrent par son nom celle qui avait été confiée à leurs soins : le corbeau de nuit croassa du haut de son vieux chêne, le renard hurla sur la montagne, le bruit du torrent se fit entendre et fut répété par les échos, mais nulle voix humaine ne répondit. Elles ne firent point de plus amples recherches avant que le jour parût ; car la disparition soudaine d’une femme faible et expirante comme Elspat, sa vie étrange, les bruits qui couraient sur elle, les jetaient dans une telle épouvante, qu’elles n’eurent pas le courage de sortir de la cabane. Elles restèrent donc dans un état de terreur inexprimable, tantôt croyant avoir entendu sa voix au dehors, tantôt s’imaginant que des sons d’une nature extraordinaire se mêlaient aux tristes soupirs de la brise de nuit ou au bruit de la cascade. Quelquefois aussi le loquet de la porte remuait, comme si une main faible et impuissante eût essayé de le lever, et à chaque instant elles s’attendaient à voir entrer la redoutable Elspat animée d’une force surnaturelle, et accompagnée peut-être de quelque être encore plus terrible. Le jour parut enfin. Elles cherchèrent dans les buissons, dans les rochers, partout, mais vainement. Deux heures après, le ministre lui-même arriva, et, sur le rapport des deux femmes, il répandit l’alarme dans tout le pays. On fit une recherche exacte et générale dans le voisinage de la hutte et du vieux chêne ; mais tout fut inutile. Elspat Mac Tavish ne fut jamais retrouvée ni morte ni vivante ; et jamais on ne découvrit la moindre trace, le moindre renseignement sur son sort.

Quant aux opinions sur sa disparition, elles différèrent beaucoup. Les personnes superstitieuses pensèrent que le malin esprit, sous l’influence duquel elle avait vécu, l’avait emportée, corps et âme ; et il existe encore bon nombre de gens qui évitent de passer à une heure indue près du chêne sous lequel on assure qu’elle a coutume de venir s’asseoir. D’autres, moins crédules, supposèrent que, s’il avait été possible de visiter le gouffre de Corri Dhu, les profondeurs du lac, ou celles de la rivière, on y aurait trouvé les restes d’Elspat Mac Tavish ; car il était plus que probable que, dans l’état de désorganisation où se trouvaient son corps et son esprit, elle s’était précipitée, soit par accident, soit à dessein, dans l’un de ces abîmes.

Le pasteur était d’une opinion à part. Selon lui, impatientée de la vue des deux gardes placées près d’elle, cette malheureuse femme, guidée par une sorte d’instinct animal, s’était éloignée de la vue de ses semblables, afin que son agonie pût avoir lieu dans quelque antre caché, où, selon toutes probabilités, ses restes mortels seraient à l’abri des regards des humains. Cette espèce d’instinct qui parut d’accord avec tout le cours de sa vie sauvage et extraordinaire, et il lui sembla qu’une pareille influence avait pu causer cette étrange disparition.




  1. Tyndrum est un hameau du comté de Perth, au nord de l’Écosse, sur la rivière de Tay ; Glenuilt est un autre hameau du même comté. a. m.
  2. Ceci a été ou est encore un des talents du postillon. Dans un des plus beaux districts des Highlands, montagnes d’Écosse, il existait, il n’y a pas encore long-temps, un pont sur lequel on lisait ce terrible avertissement : « Prenez à droite, le côté gauche est dangereux. » a. m.
  3. Mountain dew, dit le texte, pour désigner l’eau-de-vie de contrebande. a. m.
  4. Phrase celtique pour exprimer l’usage de boire à la santé de quelqu’un à plein verre. C’est aussi une sorte de coup de l’étrier. a. m.
  5. The Wellington of his day, le Wellington de son temps, dit le texte. L’adulation, il faut en convenir, est ici un peu forte. a. m.
  6. Ce vers est tiré d’une ballade fort touchante que j’ai entendu chanter par une des jeunes ladies d’Edgeworthstown, en 1825. Je ne crois pas que ce morceau ait été imprimé. a. m.
  7. Le premier qui ait tracé des routes militaires dans le nord de l’Écosse. a. m.
  8. C’est-à-dire l’Irlande : allusion à l’espèce de naïveté irlandaise (irish blunder) que renferme celle supposition qu’une chose soit vue avant d’être faite. a. m.
  9. Morceau de gazon coupé avec une bêche. a. m.
  10. C’est-à-dire la nation juive. a. m.
  11. L’Anglais emploie les mots bad, méchante, et mad, folle, entre lesquels il est aisé de se méprendre. a. m.
  12. Hamish, c’est-à-dire, James ou Jacques. a. m.
  13. Ce dernier mot veut dire grand. a. m.
  14. Ou black mail, espèce de taxe que les hommes tels que Rob-Roy faisaient payer aux fermiers écossais. a. m.
  15. La garde des Highlands. a. m.
  16. C’était le nom des marchands écossais des montagnes. a. m.
  17. Ces deux mots celtiques signifient red soldiers ou soldats rouges, ainsi désignés à cause de l’uniforme rouge des soldats anglais. a. m.
  18. The trush’song, le chant de la grive, est en Écosse ce qu’est pour nous le champ du rossignol. a.m.
  19. Sorte d’acrelle aux baies rouges. Cloud veut dire nuage ou tache, et berry signifie grain ou baie. a. m.
  20. Sidier d’hu, c’est-à-dire, soldats noirs, par opposition à sidier roy, ou soldats rouges. a. m.
  21. Bourse de peau de chèvre que les montagnards écossais portent à leur ceinture. a. m.
  22. Dernière déroute des montagnards écossais dans leurs luttes contre les troupes anglaises ou hanovriennes. a. m.
  23. Patrie d’Ossian, dans le comté d’Argyle en Écosse, théâtre d’un affreux massacre. Les habitants de ce canton avaient pris les armes pour Jacques II ; mais ils les avaient déposées comptant sur l’anmistie. On prétexta qu’ils n’avaient point prêté leur serment à l’époque fixée. Les soldats de Guillaume III furent reçus hospitalièrement à Glencoe ; ils vécurent plusieurs jours à la table et sous le toit des montagnards : enfin pendant la nuit du 15 février 1092, ils assaillirent leurs hôtes et massacrèrent indistinctement femmes, enfants et vieillards.
  24. Father’s roof-tree, la poutre du toit paternel. Les Écossais boivent ainsi à la poutre, et les Anglais au foyer. a. m.
  25. Généalogistes. a. m.
  26. Pyramide triangulaire, formée par trois piques et sur laquelle les Anglais attachent les malheureux condamnés à ce supplice infâme. a. m.
  27. Dunbarton, lieu de garnison anglaise. a. m.
  28. La montagne noire. a. m.
  29. Les veaux marins sont considérés par les montagnards comme des princes enchantés. a. m.
  30. C’est-à-dire du village et littéralement des pierres. a. m.