Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre XXIV

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 131-137).

CHAPITRE XXIV.

Comment traité se renouvela à Tours en Touraine entre le roi de France et le duc de Bretagne, et du mariage et allience de la fille de France au fils du duc de Bretagne et de Jean de Bretagne, comte de Paintièvre, à la fille du dit duc de Bretagne.


Vous savez, si comme il est ici dessus contenu en notre histoire en plusieurs lieux, comment le duc de Bretagne et messire Olivier de Cliçon, pour ce temps connétable de France, avoient haine l’un sur l’autre. Le duc de Bretagne, avec la haine qu’il avoit sur le dit messire Olivier, avoit grand’envie qu’il étoit si bien du roi et de son secret conseil, et volontiers y eût mis trouble et empêchement s’il sçût ou pût, et s’il ne doutât trop le roi à courroucer. Et souvent se repentoit de ce que, quand il tint en son danger messire Olivier de Cliçon, au chastel à l’Ermine, que tantôt il ne le fît mourir ; car si mort eût été, on l’eût passé et oublié, ni nul ne lui en eût fait guerre que bien il ne fût allé au devant. Le duc, pour ces haines et envies qu’il avoit sur le dit messire Olivier, se tenoit dur et haut, et clos en toutes obéissances, là où bonnement il pouvoit résister à l’encontre de la couronne de France ; et bien savoit que il faisoit mal et point n’y pourvéoit, mais souffroit les choses aller à l’aventure. Et tenoit à amour trop grandement les Anglois ; et faisoit pourvoir ses villes et ses châteaux d’artilleries et de vivres ; et mandoit en Angleterre couvertement gens d’armes et archers, et les établissoit en ses forts ; et donnoit à entendre que il attendoit guerre ; et ne savoient ses gens où ni à qui il vouloit faire guerre. Néanmoins, tout ce qu’il faisoit étoit bien sçu en France ; et en parloient les aucuns bien largement sur sa partie. Et bien savoit le duc de Bretagne que plusieurs seigneurs en France, et non pas tous, l’avoient grandement contre courage, mais il n’en faisoit compte, ains cheminoit toujours avant, et se confioit grandement de plusieurs de ses choses en sa cousine la duchesse de Bourgogne. Il avoit droit, car de ce lieu il étoit bien appuyé et fort porté, car la dame, pour cause de lignage, l’aimoit, pourtant que le comte de Flandre son père, qui cousin germain avoit été à ce duc, l’avoit toujours aimé et conforté en toutes ses tribulations. Cette dame de Bourgogne, que je vous dis, étoit bien dame, car le duc son mari ne l’eût point volontiers courroucé, et bien y avoit cause, car de par la dame le duc tenoit grands héritages, et si en avoit de beaux enfans ; de quoi le duc étoit plus tenu à elle, et étoit aussi toute la couronne de France.

Ces haines et dissimulations impétueuses et merveilleuses se couvoient entre ces parties, et quoique le duc de Bretagne eût été en France à Paris devers le roi, et lui eût fait hommage, je ne vous sais pas bien à dire si ce fut de bon cœur, car, lui retourné en Bretagne, on en aperçut en lui trop petit de bon amendement. Il avoit juré obéissance, et que au pape d’Avignon il obéiroit, mais non fit oncques ; ainçois le condamnoit en ses paroles, et ne vouloit nully souffrir à pourvoir des bulles de ce pape ; et se tenoit neutre en trop de choses ; et donnoit les bénéfices ; et ne pouvoit nul clerc venir à provision de bénéfice, en son pays, si il ne lui plaisoit grandement. Avec tout ce, des commandemens et exploits qui venoient de la chambre de parlement à Paris, il ne faisoit nul compte, mais vouloit que ses sergens exerçassent toujours devant ou avant en leur office ; mêmement les prélats de Bretagne, c’est à entendre les évêques, perdoient grand’foison de leurs juridictions par ce duc ; dont les plaintes en venoient grandes et grosses en la chambre de parlement à Paris, mais ils n’en pouvoient avoir autre chose ; car quand il étoit requis ou admonesté de venir ouïr droit en la chambre de parlement, ou il envoyât personne idoine et suffisamment fondée de procuration pour ouïr droit pour lui ou contre lui, les officiers du roi, au commandement de leur maître, venoient en Bretagne pour sommer le duc et accomplir leur mandement ; mais ils ne pouvoient, quand ils étoient là venus, voir le duc ni parler à lui. Et se faisoit excuser ; et quand les sergens du roi étoient partis et retournés, ce duc disoit : « Oil ! je irai ou envoierai à Paris pour ouïr droit ! Je ne m’en travaillerai jà ! Je fus, n’a pas trois ans, là pour ouïr et avoir droit, mais oncques je n’en ouïs parler. Nos seigneurs de parlement le tournent bien ainsi qu’ils veulent. Ils me tiennent bien pour jeune et ignorant, quand ainsi me veulent mener. Je voue bien que, si mes hommes de ma duché de Bretagne étoient tous à un et obéissans à ma volonté, ainsi que ils le dussent être, je donnerois le royaume de France tant à faire que les déraisonnables entendroient à raison, et cils qui ont servi loyaument seroient payés loyaument, et ceux qui ont desservi à être justiciés seroient justiciés, et ceux qui veulent avoir droit auroient droit. »

Vous devez savoir que telles choses, et autres assez, étoient souvent mises en place et réveillées en la chambre du roi ; et disoient ceux de son détroit conseil : « Ce duc est trop présomptueux et orgueilleux, quand on ne le peut amener à raison ; et si on lui souffre ses opinions sur la noblesse et franchise du royaume de France, il en sera trop grandement affoibli ; et si y prendront exemple tous autres seigneurs, dont la juridiction du royaume petit à petit se perdra. »

Si fut avisé, pour remédier et pour obvier à toutes ces choses, que doucement on le manderoit que il vînt à Tours en Touraine ; et le roi de France se travailleroit tant pour l’amour de lui que il viendroit là, et seroit à l’encontre de lui ; et seroient de-lez le roi, de son conseil souverain, le duc de Berry, le duc de Bourgogne, l’évêque de Chartres et l’évêque d’Autun. Et étoient ces quatre expressément nommés, pour tant que le duc de Bretagne les avoit plus à grâce que tout le demeurant de France, excepté le comte d’Estampes et le seigneur de Coucy. Encore étoient bien ces deux en sa grâce.

Sur cel état que je vous dis on persévéra ; et furent envoyés en Bretagne devers le duc le comte d’Estampes et maître Yves d’Eurient, lesquels eurent moult de peine et de travail à émouvoir le duc à ce qu’il voulsist venir encontre le roi et ses oncles à Tours en Touraine. Tant lui montrèrent de belles paroles colorées et armées de raison que il s’inclina, et dit que à Tours en Touraine il viendroit, et que on ne l’avoit que faire de presser d’aller plus avant, car point il n’iroit, et aussi son adversaire Olivier de Cliçon point il ne verroit. Tout ce lui eut-on en convenant ainçois qu’il voulsist venir à Tours.

Or retournèrent en France les dessus dits ambassadeurs, et contèrent au roi et à ses oncles comment ils avoient exploité. On s’en contenta, car on n’en pouvoit autre chose faire ni avoir. Si firent le roi et les seigneurs qui à Tours devoient aller leurs pourvéances grandes et grosses, ainsi que pour demeurer deux ou trois mois ; car bien sentoient et imaginoient que leurs traités et parlemens ne seroient pas si tôt accomplis.

Or vinrent le roi de France, le duc de Touraine son frère, le duc de Berry, le duc de Bourgogne, Jean de Bourgogne son fils, le duc de Bourbon, le sire de Coucy, le comte de la Marche, le comte de Saint-Pol, et tous les consaulx de France à Tours en Touraine et s’y logèrent. Aussi y vinrent d’un lez le connétable de France et Jean de Bretagne son beau fils, et leurs consaulx, car bien y avoient à faire. Le duc de Bretagne vint après eux bien quinze jours ; et disoient les aucuns, quoiqu’il les eût là fait venir, que point il n’y viendroit, car il s’envoya excuser par trois fois ; et disoit qu’il étoit malade et qu’il ne pouvoit chevaucher. Finablement il y vint. Si étoient ses pourvéances toutes faites pour lui et pour ses gens ; et furent logés tous à leur aise. Si commencèrent les parlemens à entrer, et à aller les moyens des parties de l’un à l’autre ; les jours étoient courts, si comme ils sont en hiver, si ne pouvoit-on longuement parlementer devant dîner ni après dîner jusques au soir.

Ces parlemens et ces traités étant à Tours, sur la forme et manière que je vous dis, entre le roi de France et le duc de Bretagne, qui durèrent moult avant en l’hiver, vinrent de Toulouse et des parties de Foix et de Béarn messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion, et arrivèrent à Tours un mercredi. La cité étoit si remplie de seigneurs et de toutes gens que à grand’peine purent-ils être logés. Toutefois ils le furent ; et allèrent devers le roi et les seigneurs, et remontra messire Roger d’Espaigne au roi et à son conseil, aussi à tous les autres seigneurs et à leurs consaulx, sagement et bellement, ce pourquoi il étoit là venu et à grand loisir. Et de ce fut-il bien aisé, car le roi et les seigneurs étoient si chargés pour le fait de Bretagne qui moult leur touchoit, que à peine pouvoient-ils entendre à autre chose fors à cette. Néanmoins messire Roger fut volontiers ouï ; mais il ne fut pas si briévement répondu. Avant séjourna plus de deux mois, et lui disoit-on toujours : « Nous nous conseillerons. » Et ce conseil ne venoit point.

Encore y eut un autre empêchement, le roi là étant à Tours, et qui moult chargea le conseil, car ils y vinrent de par le roi d’Angleterre, messire Jean dit Clanvou, chevalier et chambellan du roi ; et Richard Rohalle, clerc en lois et en droit du conseil du roi d’Angleterre, parler au roi de France et à son conseil, sur l’état dont je vous ai parlé autrefois, et ce pourquoi mes seigneurs Thomas de Percy et le sire de Cliffort furent et avoient été en devant à Paris. Quand les Anglois furent venus, on cloyt tous traités et consaulx, et entendit-on à eux et à leur délivrance. Il me fut dit que ils apportoient lettres de créance au roi, et aux ducs de Berry et de Bourgogne. On les ouït parler. La créance étoit telle, que le roi d’Angleterre et ses oncles vouloient savoir si le roi de France et ses consaulx étoient en volonté de tenir le parlement à Amiens, ainsi que proposé étoit, sur forme de paix entre les deux rois, leurs conjoints et leurs adhers. Le roi de France, qui ne désiroit autre chose à ce qu’il montroit que de venir à paix, répondit : « Oil, » et lui délivré du duc de Bretagne et parti de Tours, il n’entendroit jamais à autre chose, qu’il seroit venu à Amiens, si comme ordonné étoit, et là attendroit les traiteurs d’Angleterre, et leur feroit faire la meilleure chère qu’on pourroit.

De tout ce se contentèrent grandement les Anglois ; et furent cinq jours à Tours en Touraine, le plus de-lez le roi, les seigneurs et le chancelier de France. Quand ils eurent fait ce pourquoi ils étoient venus, ils prirent congé au roi et aux seigneurs. Le roi leur fit donner de ses largesses, dont ils le remercièrent grandement ; et furent délivrés aux hôtels de par le roi, et puis se départirent. Et sachez pour lors que ils ne virent point le duc de Bretagne ni ne parlèrent à lui, car point ne vouloient que les François y eussent nulle suspection de mal. Et retournèrent parmi France et Picardie à Calais, et là montèrent en la mer. Et arrivèrent à Douvres et puis vinrent à Londres ; et trouvèrent le roi et les seigneurs du conseil à Westmoustier, auxquels ils firent réponse de tout ce que ils avoient vu et trouvé, voire qui appartenoit à dire. La réponse et la relation qu’ils firent plut bien au roi d’Angleterre et à son conseil, et s’ordonnèrent sur ce pour venir à Amiens. Or vous conterons-nous des légaulx de Béarn et de Foix.

Vous devez savoir que messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion, qui en légation étoient venus en France de par le vicomte de Chastelbon et pour ses besognes, s’acquittèrent loyaument et vaillamment ; et moult de peine et de travail eurent à poursuivir le roi et la cour et ceux de l’étroit conseil. C’est à entendre, les chevaliers et les clercs de sa chambre boutoient le roi en l’oreille que il prît la comté de Foix et l’attribuât au domaine de la couronne de France, puisque les Foissois le vouloient. À ce s’inclinoit assez le roi ; mais le duc de Bourgogne, comme sage et imaginatif, ne s’y vouloit accorder, et disoit, que le roi de France avoit des terres et des frontières assez à garder, sans encharger celle nouvelle peine et déshériter l’héritier ; mais conseilloit que le roi reprît l’argent et les florins qui payés avoient été, et aucune chose outre. Néanmoins il m’est avis que le duc de Bourgogne n’en eût point été cru, mais le duc de Berry reprit la besogne et s’en chargea de tous points, parmi le moyen que je vous dirai.

Vous savez comment il avoit allé de lui jadis et du comte Gaston de Foix, quand il envoya en Béarn devers le dit le comte si notables personnes que le comte de Sancerre, le vicomte d’Ascy, le seigneur de la Rivière et messire Guillaume de la Trémoille traiter du mariage madamoiselle Jeanne de Boulogne, laquelle le comte de Foix avoit en garde et nourrisson. Le comte de Foix entendit bien aux traiteurs et au mariage, mais sa réponse fut telle, que jà le duc de Berry ne l’auroit à femme ni autrement, si n’avoit payé trente mille francs pour la garde et nourrisson de la jeune fille de Boulogne. Le duc les paya, car il vouloit avoir la dame : or lui en souvint-il quand il fut temps et heure ; et manda messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion en sa chambre à Tours, et se fit là enclore entre eux trois, et leur dit : « Si vous voulez venir à bonne conclusion de vos procès, vous y viendrez, mais avant il me convient ravoir trente mille francs, lesquels mes gens payèrent un jour et mirent outre au comte de Foix, avant que je pusse avoir ma femme. Toujours a été l’imagination de moi telle que, si je survivois le comte de Foix, ils me retourneroient. » Les deux chevaliers, quand ils eurent ouï le duc de Berry ainsi parler, regardèrent l’un l’autre sans mot sonner. Donc dit le duc : « Beaux seigneurs, pour vérité dire et remontrer, je vous ai tollu la parole, conseillez-vous et parlez ensemble ; car sans ce traité faire du tout à ma volonté, le vôtre ne se passera jà. Je me fais fort de beau-frère de Bourgogne, il en fera à ma volonté ; il a en gouvernement les marches de Picardie et je les marches de Languedoc. Au-dessous de moi, ni contre ma volonté nul ne parlera ni contredira ; et ce vicomte de Chastelbon trouve et trouvera argent assez, car le comte mort en avoit plus assemblé que le roi n’en a en trésor. »

Donc parla messire Roger d’Espaigne et dit : « Monseigneur, posé que nous vous voulsissions accorder votre demande, si n’avons-nous pas la mise avec nous. » — « Ha ! répondit le duc, messire Roger, jà pour ce ne demeurera ; vous en ferez la dette sur votre foi et scellé, et je les vous croirai, bien et encore outre s’il vous besogne. » — « Monseigneur, dit le chevalier, grands mercis ! Nous parlerons ensemble et demain vous en répondrons. » — « Il me plaît bien, » dit le duc.

Lors cessèrent-ils leur parlement, et fut la chambre ouverte. Les chevaliers se départirent du duc de Berry et retournèrent à leur hôtel ; et eurent ce jour mainte imagination à savoir quelle chose ils feroient, et si ils retourneroient sans accorder au duc de Berry ce qu’il demandoit. Tout considéré, ils regardèrent pour le mieux, puisque tant avoient séjourné et frayé sur celle quête, que ils accorderoient au duc sa demande, mais que il pût tant faire que leur querelle fût claire, et que l’héritage demeurât au vicomte de Chastelbon. Si retournèrent à lendemain devers le duc de Berry et lui offrirent ce qu’il demandoit ; et firent messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion leur dette au duc de Berry des trente mille francs, par condition telle qu’il feroit tant devers le roi et le conseil que, pour rendre la somme que on avoit prêtée de florins sur la comté de Foix, l’héritage demeureroit au vicomte de Chastelbon. Répondit le duc : « Or me laissez convenir ; je le vous ferai ; ni autrement ne le vueil-je entendre. »

Depuis ce jour en avant le duc de Berry, qui désiroit à avoir les trente mille francs, fut si bon pour le vicomte de Chastelbon et si certain avocat que la besogne se conclut du tout à son entente ; et se délayèrent le roi et son conseil de leur primeraine volonté ; et eurent les lettres les deux chevaliers étranges de leur confirmation pour la comté de Foix au vicomte de Chastelbon toutes ouvertes, et lettres adressans à l’évêque de Noyon et au seigneur de la Rivière qui se tenoient à Toulouse ; et étoit la substance des lettres telle, si comme je fus adonc informé par hommes créables qui en la légation avoient été.

« Charles, par la grâce de Dieu, roi de France, mandons et commandons à révérend homme l’évêque de Noyon et à notre chevalier et chambellan, le seigneur de la Rivière que, le vicomte de Chastelbon, héritier de Foix et de Béarn, laissent paisiblement jouir et possesser de son héritage de la comté de Foix et des appartenances de cette terre, par le moyen de remettre avant en votre garde la somme de soixante mille francs, prendre et recevoir tout à un payement en la cité de Toulouse ; et les deniers payés, voulons que dessous le scel de notre sénéchal de Toulouse ils en aient, et ait le vicomte de Chastelbon, et ceux qui de ce s’entremettent, lettres de quittance. Avec tout ce, par un autre payement, voulons que receviez vingt mille francs, pour les frais et coûtages eus de vous aller séjourner et retourner ès marches et limitations de la comté de Foix ; et de cet argent payé donner lettres de quittance dessous le dessus dit scel de notre office de Toulouse : sauf tant et réservé que nous voulons et réservons que messire Yvain de Foix et mesire Gratien de Foix, fils et enfans bâtards au comte Gaston de Foix de bonne mémoire, aient part et assignation raisonnable ès meubles et héritages qui furent à leur père, par l’avis et discrétion de messire Roger d’Espaigne, du comte de Bruniquel, de messire Rémond de Chastel-Neuf et du seigneur de Corasse, auxquels nous en escripvons qu’ils s’en acquittent tellement et si à point que notre conscience en soit acquittée, car jà un jour nous le promîmes ainsi au père. Et là où défaute y auroit, fût par la coulpe des quatre chevaliers que nous y commettons, ou par la rébellion ou dureté dudit vicomte de Chastelbon nous adnullons et enfraindons tous traités et scellés, donnés et accordés, et voulons qu’ils soient de nulle valeur. En témoin de ces lettres données en notre scel en la cité de Tours le douzième an de notre règne, le vingtième jour du mois de décembre. »

Les lettres faites, escriptes et scellées, et toutes les ordonnances à l’entente du conseil du roi et assez à la plaisance des légaux de Foix, les chevaliers s’ordonnèrent pour retourner en leur pays, et prirent congé du roi et des seigneurs ; et payèrent partout, et puis se départirent de Tours en Touraine et se mirent au retour.

Vous savez que messire Louis de Sancerre maréchal de France se tenoit ès marches de Carcassonne, et étoit tenu un grand temps comme souverain regard institué de par le roi et le conseil de toutes les marches et limitations de delà jusques à la rivière de Gironde et la rivière de Dordogne. Or l’avoient, l’évêque de Noyon et le sire de la Rivière, mandé à Toulouse. Il étoit venu ; lesquels seigneurs lui avoient dit ainsi : « Maréchal, le vicomte de Chastelbon, qui se veut tenir et tient héritier de la comté de Foix et des appendances, sauf et réservé la terre de Béarn, par la mort et succession du comte Gaston de Foix, est en traités devers nous, lesquels nous avons envoyés en France devers le roi et le conseil ; et ne savons, ni savoir pouvons encore, que le roi et son conseil en voudront faire. Si soyez pourvu de gens d’armes et garnissez la frontière sur la comté de Foix, car messire Roger d’Espaigne et messire Espaing de Lion revenus, qui sont en France, et nous oyons et véons par eux ou par autres messages du roi que iceux ne puissent venir à traité de paix, et que le roi veuille avoir la terre, vous y entrerez de fait et le saisirez, selon le droit et la puissance que le roi nous a donnée en celle quête et querelle. » Si que, à la requête et ordonnance des dessus dits messire Louis de Sancerre s’étoit pourvu, et pourvéoit encore tous les jours, attendant la relation de France.

Nous lairrons un petit cette matière ester et parlerons du duc de Bretagne.

Vous savez comment les traités étoient à Tours en Touraine entre le roi de France et le duc de Bretagne, lequel duc donna moult de peine au roi et à son conseil, car il ne vouloit descendre ni venir à raison, si comme on disoit. On lui demandoit ; il refusoit ; de rechef il demandoit ; on lui refusoit. Toutes ces choses se différoient ; et sans y trouver aucun moyen, on ne fût jamais venu à conclusion d’accord. Bien disoit le duc que il vouloit servir le roi de France de son hommage, si avant comme il étoit tenu ; et on lui proposoit ainsi : « Pourquoi quand vous reconnoissez que vous êtes homme au roi de France, n’obéissez-vous à toutes choses de raison ? » Il demandoit en quoi il étoit rebelle ; on lui montroit en plusieurs cas : « Premièrement en la créance du pape d’Avignon, que le roi votre sire tient à vrai pape, vous vous différez et dissimulez grandement ; car à ses commandemens vous ne voulez obéir, mais pourvéez les clercs des bénéfices de Bretagne ; et les impétrans apportans bulles du pape, vous les ignorez ; c’est grandement contre la majesté royale, et péchez en conscience et en esprit. » Le duc répondit à ce, et disoit : « De ma conscience ne doit nul par raison juger, fors Dieu, qui est souverain juge de la matière et article de ce dont vous me opposez et arguez. Je vous vueil répondre de ces papes qui sont en différend. Il n’en est faite nulle déclaration ; et au jour que les premières nouvelles vinrent de la création de Urbain, je étois en la ville de Gand de-lez mon cousin le comte de Flandre ; et lui envoya lettres patentes scellées de son scel, Robert de Genève, cardinal pour ces jours ; et signifioit et certifioit ainsi au comte mon cousin ; que par la grâce de Dieu et l’inspiration divine ils avoient pape, et le nommoit-on Urbain. Comment peut-on cela défaire ? Il me semble que c’est trop fort. Je ne vueil pas parler contre le roi ni sa majesté, car je suis son cousin et son homme, et le servirai bien et loyaument quand j’en serai requis, si avant que je y suis tenu. Mais je vueil parler contre ceux qui ne le conseillent pas bien à point. » Donc lui fut demandé : « Dites-nous lesquels ce sont qui mal le conseillent, si y pourvoirons. » Le duc répondit, et dit : « Vous les connoissez mieux que je ne fais, car vous les fréquentez plus souvent : mais encore tant que aux bénéfices de mon pays je vueil parler ; je ne suis pas si haut ni si cruel aux impétrans que vous me dites ; car je souffre bien les clercs de mon pays à pourveoir de la bulle Clément. Mais ceux qui point ne sont de la nation je les refuse ; et la cause pourquoi, je le vous dirai : ils en veulent porter la graisse hors du pays et point desservir les bénéfices ; c’est contre droit, raison et conscience, ni je ne m’y puis accorder. Tant que aux sergens du roi qui viennent en Bretagne exploiter, vous dites et mettez en termes que je suis rebelle et haut : non suis, ni ne voudrois être ; mais vous devez savoir, et si vous ne le savez, si l’apprenez, que le fief de la duché de Bretagne est de si noble condition que souverainement nul n’y doit ni peut exploiter tant que leur souverain seigneur naturel, c’est à entendre le duc de Bretagne, tienne sa cour ouverte pour ouïr droit, et ses officiers appareillés pour exploiter en droit en la terre de Bretagne, et faire ce que office demande ; et si j’avois en ma terre sergent ni officier nul qui fussent contraires, et que étrangers et autres eussent cause de plaindre d’eux, je les punirois et ferois punir tellemment que seroit à tous exemple. Outre, je dis, que le conseil du roi fait fort à reprendre ; et veut et désire, à ce qu’il montre, que guerre et haine se nourrisse entre le roi et moi ; cause pourquoi, elle est toute claire. Ils souffrent Jean de Blois, mon cousin, deux choses déraisonnables à user contre moi. La première est que il s’escript et nomme Jean de Bretagne ; tant que de ce nom il n’y a cause de procéder. Et montrerai qu’il tend encore à venir à l’héritage de Bretagne. Il en est placé hors, car j’ai enfans, fils et fille, qui succéderont l’héritage. Secondement il porte les hermines, ce sont les armes de Bretagne ; et à toutes ces choses il a renoncé au nom, aux armes et au chalenge. Bien est vérité que, pour moi contrarier, Cliçon le tient en celle opinion ; et tant qu’il soit en cil état je n’entendrai à nul traité de paix ni d’amour devers le roi. Guerre ne ferai-je point au roi, car c’est mon seigneur naturel, mais si par haineuse et envieuse information il me fait guerre, je me défendrai ; et me trouvera-t-on en ma terre ; tout ce vueil-je bien que le roi sache. »

Ainsi se demenoient les traités rigoureusement entte le conseil du roi de France et le duc de Bretagne, car le duc étoit maître et sire de son conseil ; mais le roi de France ne l’étoit pas. Ainçois le conseilloit messire Olivier de Cliçon, le Bègue de Vilaines, messire Jean le Mercier et Montagu. Le duc de Bourgogne, qui clair véoit et oyoit sur ces traités, souffroit bien que les raisons et défenses du duc de Bretagne fussent jetées en la place, et les soutenoit couvertement ce qu’il pouvoit ; et avoit assez d’accord son frère le duc de Berry, car il hayoit trop grandement en cœur ceux de la chambre du conseil du roi, pour ce que ils avoient détruit son trésorier Bethisac, si comme vous savez qu’il fut honteusement justicié à Béziers ; mais souffrir lui convenoit, car il n’étoit pas encore heure du contrevenger.

En celle différence demeurèrent-ils plus de trois mois, toujours séjournant à Tours ; et ne pouvoient leurs traités venir à bonne conclusion. Et furent sur le point de départir sans rien faire. Et étoit le roi de France en grand’volonté, eux partis de là et retournés en France, de faire un grand mandement, et sur l’été qui venoit aller en Bretagne et faire guerre au duc et à ceux qui de son accord seroient, et laisser en paix les autres. Mais les ducs de Berry et de Bourgogne, le sire de Coucy, le comte de Saint-Pol, messire Guy de la Trémoille, le chancelier de France, et plusieurs prélats et hauts barons de France qui là étoient, et qui le fait imaginoient, pour obvier à ces rébellions rigoureuses, en parloient à la fois ensemble, et disoient : « Le roi, et nous qui sommes les souverains de son royaume, et si prochains de lignage, devons avoir traité et parlement sur forme de paix à ce carême en la cité d’Amiens contre les Anglois. Si nous faut hâter de rompre ce maltalent ci, qui est à présent entre le roi et le duc de Bretagne ; car qui se départiroit de ci sans accord, les Anglois en leurs traités en seroient plus forts, car ils tendroient à être confortés et aidés du duc de Bretagne et de son pays, car le duc a les Anglois assez à main quand il veut. Et si nous avions guerre aux Anglois et au duc de Bretagne, quoique autrefois l’avons-nous eu, ce nous seroit trop grand’peine. »

Tant regardèrent ces seigneurs et subtilèrent, et leurs consaulx, que on trouva un moyen entre le roi de France et le duc de Bretagne : je vous dirai quel il fut. Et certainement sans ce moyen on ne fût point venu à conclusion d’accord. Ce fut que le roi de France avoit une fille et le duc un fils. On fit un mariage de ce fils à celle fille. Pareillement Jean de Bretagne avoit un fils de la fille de messire Olivier de Cliçon, et le duc de Bretagne avoit une fille ; si fut regardé, pour toutes paix, que le mariage seroit bel et bien pris de ce fils à celle fille. Ainsi se firent ces mariages entre ces parties ; mais nonobstant toutes ces choses et ces alliances, il convint Jean de Bretagne mettre jus ses armes de Bretagne et prendre celles de Chastillon. Et si aucune chose vouloit porter de Bretagne, pour tant qu’il étoit d’extraction de par sa mère, qui fille avoit été de un duc de Bretagne, sur les armes de Chastillon il pouvoit prendre une bordure d’hermine, ou trois lambeaux d’hermine, ou un écusson d’hermine au chef de gueules, et non plus avant.

Ainsi se portèrent ces parçons, les devises et les ordonnances. Et se apaisèrent ces parties ; et demeura le duc de Bretagne en l’amour du roi de France et de ses oncles, et dîna de-lez le roi ; et là fut Jean de Bretagne comte de Paintièvre ; et se montrèrent grand semblant d’amour par le moyen et alliance de ce mariage ; mais oncques il ne voult voir messire Olivier de Cliçon, tant l’avoit-il en grand’haine. Aussi messire Olivier n’en fit compte, car il le héoit de toute sa puissance.

Ces mariages concordés et alliés, et les seigneurs jurés et obligés pour procéder avant au temps à venir, quand les enfans auroient encore un peu plus d’âge, de tout ce furent lettres levées et tabellionnées. Les seigneurs eurent avis que ils se départiroient de Tours, et que trop y avoient séjourné, et se retrairent vers Paris ; car terme approchoit qu’ils devoient aller et être à Amiens, la cité des parlemens, le roi de France personnellement, son frère, ses oncles et leurs consaulx, à l’encontre du roi d’Angleterre, de ses frères et de leurs consaulx, qui aussi y devoient être. Si prit le duc de Bretagne congé au roi, à son frère et à leurs oncles, et à ceux où il avoit le mieux sa grâce ; et se départit de Tours, et retourna arrière en son pays. Aussi firent tous les autres seigneurs. Le duc de Berry et le duc de Bourgogne, et le sire de Coucy demeurèrent derrière ; je vous dirai par quelle raison.