Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XI

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Livre II. [1377]

CHAPITRE XI.


Comment la ville de Duras fut assiégée et prise d’assaut par les François et le château après par composition.


Tant exploitèrent les osts du duc d’Anjou que ils vinrent devant Duras ; et quand ils durent approcher, il fut ordonné de tantôt assaillir[1], dont se mirent gens d’armes en ordonnance d’assauts et tous leurs arbalêtriers pavoisés[2] devant ; et ainsi approchèrent la ville. Et vous dis qu’il y avoit là aucuns varlets dessous les seigneurs, qui s’étoient pourvus d’échelles pour avoir mieux l’avantage de monter sur les murs. Et lors fut l’assaut grand et horrible ; et ceux qui montoient se combattoient main à main à ceux de dedans ; et dura cel assaut de pleine venue moult longuement. Si y eut là fait sur les échelles plusieurs grands appertises d’armes ; et se combattoient ceux de dehors à ceux de dedans main à main ; et dura l’assaut la plus grand’partie du jour ; et quand ils se furent bien battus et travaillés, par l’ordonnance des maréchaux on sonna les trompettes de retraite : si se retrait chacun en son logis.

Ce soir arrivèrent en l’ost messire Alain de la Houssoye et messire Alain de Saint-Pol, et une grand’route de Bretons, qui avoient chevauché vers Libourne et assailli une garnison d’Anglois qui s’appelle Cadilhac : si l’avoient pris à force et occis ceux qui dedans étoient. Quand ce vint au matin, le duc d’Anjou commanda que on allât à l’assaut, et que chacun se éprouvât sans faintise ; et fit-on à savoir par un cri et par un héraut que, le premier qui entreroit dedans Duras il gagneroit cinq cents francs. La convoitise de gagner fit avancer plusieurs povres compagnons ; dont furent échelles levées en plusieurs lieux autour des murs ; et là commença l’assaut fort et grand, et qui bien fut continué ; car les jeunes chevaliers et écuyers qui se désiroient à avancer ne s’épargnoient point, mais s’abandonnoient et assailloient de grand’volonté. Le sire de Langurant étoit monté sur une échelle tout premier, l’épée en la main, et rendoit grand’peine à ce qu’il pût entrer le premier en la ville, non pour gagner les cinq cents francs, mais pour exaulcer son nom ; car il étoit durement courroucé sur le seigneur de Duras, pourtant que légèrement il s’étoit retourné Anglois. Et vous dis que cil sire de Langurant y fit de sa main merveilles d’armes, et tant que ses gens et plusieurs autres étrangers étoient ébahis de ce que il faisoit ; et tant s’avança que de sa vie il se mit en grand’aventure ; car ceux de dedans par force lui arrachèrent le bassinet de la tête atout le camail ; et eût été mort sans remède ; mais un sien écuyer, qui de près le suivoit, le couvrit de sa targe, et le chevalier descendit petit à petit jus ; mais il reçut en descendant maint dur horion sur sa targe. Si fut moult prisé à cet assaut de tous ceux qui le virent.

D’autre part messire Tristan de Roye et messire Parcevaux d’Aineval sur une échelle assailloient moult vaillamment ; et aussi faisoient messire Jean de Jumont et messire Jean de Rosoy : chacun en son endroit y faisoit merveilles d’armes. D’autre part, à un autre créneau, étoit le sire de Sorel monté sur une échelle, et se combattoit main à main à ceux de dedans. Et disoient les aucuns qui le véoient, que si nul pouvoir avoir l’avantage d’entrer premier dedans, il en étoit au chemin. Le chevalier ne s’aventuroit mie pour le profit des cinq cents francs, fors que pour honneur et l’avancement de son corps. Mais ainsi que les fortunes sont périlleuses à plusieurs gens, il fut là de ceux de dedans bouté si roidement que de coup de glaive il fut renversé au fond du fossé et lui rompit-on le col. Ainsi mourut le chevalier ; et aussi fit un écuyer de Bretagne qui s’armoit de gueules à deux chevrons échiquetés d’or et d’azur, et duquel le connétable fut moult courroucé. Adonc se rengagea l’assaut et renforça de toutes parts plus grand que devant ; et là fut bon chevalier le sire de Mucident, et montra bien, à ce que il assailloit, que il étoit bon François. La ville de Duras fut par force conquise ; et y entrèrent tous premiers messire Tristan de Roye et messire Jean de Rosoy. Quand les gens d’armes qui dedans Duras étoient virent que leur ville se commençoit à perdre, si se retrairent au châtel et laissèrent convenir le demeurant.

Ainsi fut la ville de Duras prise et ceux tous morts qui dedans furent trouvés, et puis se retrairent les gens d’armes dedans leurs logis : si se désarmèrent et aisèrent, car ils trouvèrent bien de quoi. À lendemain le connétable de France monta à cheval, et le maréchal de France avec lui, et s’en allèrent vers le châtel pour aviser de quel côté on le pourroit assaillir et prendre. Tout imaginé, ils le trouvèrent merveilleusement fort, et dirent que sans long siége il n’étoit mie à prendre ; et à leur retour ils contèrent tout ce au duc d’Anjou. « Il ne peut chaloir, dit le duc d’Anjou ; j’ai dit et juré que jamais ne partirai de ci si aurai le châtel à ma volonté. » Donc répondit le connétable : « Et vous n’en serez jà dédit. »

Adonc fit-on dresser tous les engins qui là étoient devant le châtel. Quand ceux du fort virent les atournements et l’ordonnance de ceux de la ville et des François, et que l’assaut leur seroit fellon et périlleux, si s’avisèrent que ils se mettroient en traité. Si traitèrent devant le connétable que on les voulsist prendre à mercy, sauves leurs corps et le leur, et ils rendroient le châtel. Le duc d’Anjou eut conseil, par l’avis du connétable, que il ne vouloit plus travailler ni faire blesser ses gens, et que il les prendroit par ce parti. Au tiers jour ils se départirent, et furent conduits là où ils vouloient aller ; et le connétable prit la possession du châtel. Mais il me semble que le duc d’Anjou ordonna et commanda que il fût abattu.

  1. Le duc d’Anjou était occupé du siége de Duras le 18 et le 27 octobre ; c’est par ce siége qu’il termina la campagne.
  2. Munis de leurs pavois.