Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LII
CHAPITRE LII.
Quand les haines et tribulations vinrent premièrement en Flandre, le pays étoit si plein et si rempli de biens que merveilles seroit à raconter et à considérer ; et tenoient les gens des bonnes villes si grands états que merveilles étoit à regarder. Et devez savoir que toutes ces guerres et haines murent par orgueil et par envie que les bonnes villes de Flandre avoient l’une sur l’autre, ceux de Gand sur la ville de Bruges, et ceux de Bruges sur la ville de Gand, et ainsi les autres villes les unes sur les autres. Mais tant y avoit de ressort que nulle guerre entre elles principaument ne se pouvoit mouvoir ni élever, si leur sire le comte ne le consentit, car il étoit tant craint et tant amé que nul ne l’osoit courroucer. Aussi le comte, qui étoit sage et subtil, ressoignoit si la guerre et le mautalent entre ses gens et lui que oncques seigneur ne fit plus de lui. Et fut premièrement si froid et si dur à émouvoir la guerre que nullement il ne s’y vouloit bouter ; car bien sentoit en ses imaginations que, quand le différend seroit entre lui et son pays, il en seroit plus foible et moins douté de ses voisins. Encore ressoignoit-il la guerre pour un autre cas, quoique en la fin il lui convint prendre, c’est à savoir grands destructions de mises et de corps et de chevance ; car en son temps il avoit vécu et régné en grand’prospérité et en grand’paix et en autant de ses déduits que nul sire terrien pouvoit avoir eu. Et ces guerres qui lui sourdirent sous la main commencèrent par si petite incidence, que au justement considérer, si sens et avis s’en fussent ensoignés, il ne dût point avoir eu de guerre ; et peuvent dire et pourront, ceux qui cette matière liront ou lire feront, que ce fut œuvre du deable, car vous savez et avez ouï dire aux sages que le deable subtile et attire nuit et jour à bouter guerre et haine là où il voit paix, et court au long, de petit en petit, pour voir comment il peut venir à ses ententes. Et ainsi fut-il et avint en Flandre en ce temps, si comme vous pourrez clairement voir et connoitre par les traités de l’ordonnance de la matière que s’ensuit[1].
En ce temps que le comte Louis de Flandre étoit en sa greigneur prospérité, il y avoit un bourgeois à Gand qui s’appeloit Jean Lyon[2], sage homme, subtil, hardi, cruel et entreprenant, et froid au besoin assez. Cil Jean fut si très bien du comte comme il apparut, car le comte l’embesogna de faire occire un homme à Gand qui lui étoit contraire et déplaisant ; et au commandement du comte, couvertement Jean Lyon prit paroles et débat à lui et l’occit. Le bourgeois ot grands plaintes de tous ; et pour doutance de ce il s’en vint demeurer à Douay, et là fut près de trois ans, et tenoit bon état et grand ; et tout payoit le comte. Pour cette occision Jean Lyon en la ville de Gand perdit un jour tout ce qu’il y avoit, et fut banni de la ville de Gand à cinquante ans et un jour. Depuis, le comte de Flandre exploita tant qu’il lui fit avoir paix à partie, et r’avoir la ville de Gand et la franchise, ce que on n’avoit oncques mais vu : dont plusieurs gens en Gand et en Flandre furent moult émerveillés : mais ainsi fut et avint. Avecques tout ce le comte, pour le recouvrer en chevance et tenir son état, le fit doyen des navieurs[3]. Cel office lui pouvoit bien valoir mille livres l’an, à aller droiturièrement avant. Cil Jean Lyon étoit si très bien du comte que nul mieux de lui.
En ce temps avoit un autre lignage à Gand que on appeloit les Mahieux ; et étoient cils sept frères, et les plus grands de tous les navieurs. Entre ces sept frères en y avoit un qui s’appeloit Gisebrest Mahieu, riche homme et sage, et subtil et entreprenant grandement, trop plus que nuls de ses frères. Cil Gisebrest avoit grand’envie sur ce Jean Lyon, couvertement, de ce qu’il le véoit si bien du comte de Flandre, et subtiloit nuit et jour comment il le pourroit ôter de sa grâce. Plusieurs fois il ot en pensée que il le feroit occire par ses frères ; mais il ne parosoit pour la doute du comte ; et tant subtila, visa et imagina, qu’il trouva le chemin. Et la cause pourquoi principalement ils s’entrehéoient, je le vous dirai pour mieux venir à la fondation de ma matière.
Anciennement avoit en la ville du Dan une guerre mortelle de deux riches hommes navieurs et de leurs lignages, qui s’appeloient l’un sire Jean Piet et l’autre sire Jean Barde. Par cette guerre, d’amis étoient morts de eux dix huit. Gisebrest Mahieu et ses frères étoient du lignage de l’un, et Jean Lyon étoit de l’autre. Ces haines couvertes étoient ainsi de long-temps nourries entre celles deux parties quoiqu’ils parlassent, bussent et mangeassent à la fois ensemble ; et trop plus grand compte en faisoit le lignage Mahieu que Jean Lyon ne faisoit. Gisebrest qui subtilioit à détruire Jean Lyon, sans coup férir, avisa un subtil tour. Et séjournoit une fois le comte de Flandre à Gand : Gisebrest s’en vint à l’un des plus prochains chambellans du comte, et s’acointa de lui et lui dit : « Si monseigneur de Flandre vouloit, il auroit tous les ans un grand profit sur les navieurs dont il n’a maintenant rien ; et ce profit les étrangers navieurs payeroient, voire mais Jean Lyon, qui doyen est et maître des navieurs, s’en voulsist loyaument acquitter. » Ce chambellan dit qu’il montreroit ce au comte, ainsi qu’il fit. Le comte, ainsi que plusieurs seigneurs par nature sont enclins à leur profit et ne regardent mie loyaument à la fin où les choses puent venir, fors à avoir la mise et la chevance, et ce les deçoit, respondit à son chambellan : « Faites-moi Gisebrest Mahieu venir, et nous orrons quelle chose il veut dire. » Cil le fit venir. Gisebrest parla au comte et lui remonstra plusieurs raisons raisonnables, ce sembloit-il au comte ; pourquoi le comte répondit : « C’est bon ; ainsi soit et on fasse venir Jean Lyon. » Si fut appelé en la chambre, en la présence de Gisebrest, Jean Lyon qui rien ne savoit de cette matière. Quand le comte lui entama cette matière, il dit : « Jean, si vous voulez nous aurons grand profit en cette chose. » Jean, qui étoit loyal, à cette ordonnance regarda que ce n’étoit pas une chose raisonnable ; et si n’osoit dire du contraire, et répondit ainsi : « Monseigneur, ce que vous demandez et que Gisebrest met avant je ne le puis pas faire tout seul, car dur sera à l’esvoiturer aux notonniers. » — « Jean, répondit le comte, si vous vous en voulez loyaument acquitter il sera fait. » — « Monseigneur, répondit Jean, j’en ferai mon plein pouvoir. » Ainsi se départit leur parlement. Gisebrest Mahieu, qui tiroit à mettre mal Jean Lyon du comte de Flandre, ni n’entendoit à autre chose, s’envint à ses frères tous six et leur dit. « Il est heure, mais que vous me veuilliez aider en cette besogne, ainsi que frères doivent aider l’un à l’autre, car c’est pour vous que je me combats ; je déconfirai Jean Lyon sans coup férir et le mettrai si mal du comte qu’oncques n’en fut si bien que il en sera mal. Quoique je die ni montre en ce parlement, quand tous les navieurs seront venus et Jean Lyon fera sa demande, si la débatez, et je me feindrai ; et dirai et maintiendrai à monseigneur que, si Jean Lyon vouloit soi loyaument en acquitter, cette ordonnance se feroit. Je connois bien monseigneur de tant que, ainçois qu’il n’en vienne à son entente, Jean Lyon perdra toute sa grâce, et lui ôtera son office, et me sera donné ; et quand je l’aurai, vous l’accorderez. Nous sommes forts et puissans en cette ville, navieur nul ne nous contredira nos volontés ; et puis de petit à petit je mènerai tel Jean Lyon que il sera tout rué jus : ainsi serons-nous vengés subtilement et sans coup férir. » Tous ses frères s’y accordèrent. Le parlement[4] vint : les navieurs furent tous appareillés ; et là remontrèrent Jean Lyon et Gisebrest Mahieu la volonté du comte, et de ce nouvel estatut que il vouloit élever sur le navie[5] du Lis et de l’Escaut ; laquelle chose sembla à tous trop dure et trop nouvelle ; et espécialement les six frères Gisebrest Mahieu, tous six d’une opinion et d’une sieutte, étoient plus durs et plus contraints que tous les autres. Dont Jean Lyon, qui étoit le souverain d’iceux, et qui les vouloit à son loyal pouvoir à franchises anciennes tenir, en étoit tout lie et cuidoit que ce fût pour lui ; et ce étoit contre lui du tout.
Jean Lyon rapporta au comte la réponse des navieurs et lui dit : « Monseigneur, c’est une chose qui nullement ne se peut faire, et dont un plus grand mal pourroit avenir : laissez les choses en leur état ancien et ne faites rien de nouvel. » Cette réponse ne plut mie bien au comte ; car il véoit que, cela élevé dont il étoit informé, il pouvoit tous les ans avoir six ou sept mille florins de profit. Si se tint adoncques, et pour ce n’en pensa-t-il mie moins ; et fit soigneusement poursuir par paroles et traités ces navieurs, lesquels Jean Lyon trouvoit trop rebelles. D’autre part Gisebrest Mahieu venoit au comte et à son conseil, et disoit que Jean Lyon s’acquittoit trop mollement en celle besogne, et que s’il avoit son office il feroit tant à tous les navieurs que le comte de Flandre auroit héritablement ce profit. Le comte, qui ne véoit mie bien clair, car la convoitise de la chevance l’aveugloit, ot conseil, et de lui même il ôta Jean Lyon de son office et y mit Gisebrest Mahieu. Quand Gisebrest fut doyen des navieurs, il tourna tous ses frères à sa volonté, et fit venir le comte à son entente et à ce profit ; dont il n’étoit mie le mieux ami de la greigneur partie des navieurs ; mais il les convenoit souffrir, car les sept frères étoient trop grands avecques l’aide du comte : si les convenoit taire et souffrir. Ainsi vint par subtile voie Gisebrest Mahieu en la grâce et amour du comte, et Jean Lyon en fut du tout privé et ôté. Et donnoit Gisebrest Mahieu aux gens du comte, aux chambellans et officiers, grands dons et beaux joyaux, par quoi il avoit l’amour de eux ; et aussi au comte, dont il l’aveugloit tout. Et tous ces dons et présens faisoit-il payer aux navieurs, dont les plusieurs ne s’en contentoient mie trop bien ; mais ils n’osoient mot sonner. Jean Lyon, qui étoit tout hors de la grâce et de l’amour du comte, se tenoit en sa maison, et vivoit du sien, et souffroit tout bellement tout ce que on lui faisoit ; car Gisebrest Mahieu, qui doyen étoit des navieurs et qui ce Jean haioit couvertement, lui retranchoit au tiers ou au quart les profits qu’il dût avoir de sa navie. Jean souffroit tout et ne sonnoit mot, et se dissimuloit sagement, et feignoit de prendre en gré tout ce que on lui faisoit. De quoi Pierre du Bois, qui étoit un de ses varlets, s’émerveilloit grandement et le remontroit à son maître, comment il pouvoit souffrir les torts que on lui faisoit. Et Jean Lyon répondit : « Or tout coi ; il est heure de taire, et si est heure de parler. »
Gisebrest avoit un frère que on appeloit Estiennart, subtil homme et avisé durement ; et disoit à ses frères et sortissoit bien tout ce qui leur avint : « Certes, seigneurs, Jean Lyon se souffre maintenant et abaisse la tête bien bas ; mais il fait tout par sens et par malice, car encore nous honnira-t-il tous et nous mettra plus bas que nous ne sommes maintenant haut. Mais je conseillerois une chose, que, entrementes que nous sommes en la grâce de monseigneur le comte, et il en est tout hors, que nous l’occions : je l’occirai trop aise si j’en suis chargé, et ainsi serons-nous hors de périls, et trop légèrement chevirons-nous de la mort de lui. » Ses autres frères nullement ne le vouloient consentir, et disoient que il ne leur faisoit nul mal, et que point on ne devoit homme occire s’il ne l’a trop grandement desservi. Si demeura la chose en cette balance un temps, et tant que le deable qui oncques ne dort, réveilla ceux de Bruges à faire fossés pour avoir l’aisement de la rivière du Lis ; et en avoient le comte assez de leur accord[6] ; et envoyèrent grand’quantité de pionniers et de gens d’armes pour eux garder. En devant, ès autres années, l’avoient-ils ainsi fait ; mais ceux de Gand par puissance leur avoient toujours brisé leur propos. Ces nouvelles vinrent à Gand, que de rechef ceux de Bruges faisoient efforcément fossés pour avoir le cours de la rivière du Lis, qui leur étoit trop grandement à leur préjudice. Si commencèrent à murmurer moult de gens parmi la ville de Gand, et espécialement les navieurs à qui la chose touchoit trop malement, que on ne devoit mie à ceux de Bruges souffrir de fossoyer ainsi à l’encontre de la rivière pour avoir le cours de l’eau et le fil, dont leur ville seroit défaite. Et disoient encore les aucuns tout quoyment : « Or Dieu garde Jean Lyon ! si il fût notre doyen la besogne ne se portât pas ainsi ; ceux de Bruges ne fussent si osés de venir si avant sur nous. » Jean Lyon étoit bien informé de ces besognes ; et se commença un petit à réveiller, et dit en soi-même : « J’ai dormi un temps ; mais il appert à petit d’affaire que je me réveillerai, et mettrai un tel trouble entre celle ville et le comte qu’il coûtera cent mille vies. » Cette chose de ces fossoyeurs commença à augmenter et enflamber. Et avint que une femme qui venoit de pèlerinage de Notre-Dame de Boulogne, toute lassée et échauffée, s’assit en my le marché, là où il avoit le plus de gens, et fit grandement l’esbaye. On lui demanda dont elle venoit. Elle répondit : « De Boulogne ; si ai vu et trouvé sur mon chemin le plus grand meschef que oncques avint à la bonne ville de Gand, car ils sont plus de cinq cents pionniers qui ouvrent nuit et jour au-devant du Lis, et auront tantôt la rivière si on ne leur débat. » Les paroles de la femme furent bien ouïes et entendues, et recordées en plusieurs lieux en la ville. Adonc s’émurent ceux de Gand, et dirent que ce ne faisoit mie à soutenir ni à consentir. Si se trairent les plusieurs devers Jean Lyon et lui demandèrent conseil de celle chose, et comment on en pourroit user. Quand Jean Lyon se vit appelé de ceula de Gand, dont il désiroit à avoir la grâce et l’amour, si en fut grandement réjoui ; mais nul semblant de sa joie il ne fit, car il n’étoit pas encore heure tant que la chose fût mieux entouillée ; et se fit prier et requerre trop durement ainçois qu’il voulsist rien dire ni montrer. Et quand il parla, il dit ; « Seigneurs, si vous voulez cette chose aventurer et mettre sus, il faut que en la ville de Gand un ancien usage qui jadis y fut soit recouvré et renouvelé, c’est que les blancs chaperons soient remis avant, et ces blancs chaperons aient un chef auquel ils puissent tous retraire et eux rallier. » Cette parole fut moult volontiers ouïe et entendue ; et dirent tous d’une voix : « Nous le voulons ; or avant aux blancs chaperons ! » Là furent faits les blancs chaperons, donnés et délivrés plus de cinq cents, et tous à compagnons qui trop plus cher aimoient la guerre que la paix ; car ils n’avoient rien que perdre. Et fut Jean Lyon élu à être chef de ces blancs chaperons, lequel office il reçut assez liement, pour soi venger de ses ennemis, et pour entroubler la ville de Gand contre ceux de Bruges et le comte son seigneur. Et fut ordonné pour aller contre ces pionniers fossoyeurs de Bruges, comme souverain capitaine, et le doyen des blancs chaperons en sa compagnie. Ces deux avecques leurs gens avoient plus cher guerre que paix.
Quand Gisebrest Mahieu et ses frères virent la contenance de ces blancs chaperons, si ne furent pas trop réjouis ; et dit Estiennart, l’un des frères : « Je le vous disois bien, certes ; cil Jean Lyon nous déconfira. Mieux vaulsist que on m’eût cru et laissé convenir de l’occire ; que ce qu’il fût en l’état où il est et où il viendra, et tout par ces blancs chaperons qu’il a remis sus. » — « Nennil, dit Gisebrest ; mais que j’aie parlé à monseigneur, on les mettra tous jus. Je vueil bien qu’ils fassent leur emprise d’aller encontre ces pionniers de Bruges pour le profit de notre ville ; car au voir dire notre ville seroit autrement perdue. »
Jean Lyon et sa route et tous les blancs chaperons se partirent de Gand, en volonté et en propos de tous occire ces pionniers fosseurs et ceux qui les gardoient. Les nouvelles vinrent à ces fosseurs et à leurs gardes que les Gantois venoient là moult efforcément ; si se doutèrent de tout perdre, et laissèrent leur ouvrage, et se retrairent à Bruges tout effrayés, ni oncques puis ne s’enhardirent de fossoyer. Quand Jean Lyon et les blancs chaperons virent qu’ils n’y avoient nullui trouvé, si furent tout courroucés et se retrairent à Gand. Pour ce ne cessèrent-ils mie de leur office ; mais alloient les blancs chaperons tout avisans parmi la ville. Et les tenoit Jean Lyon en tel état, et disoit à aucuns tout secrètement. « Tenez-vous tout aises, buvez et mangez, et ne vous effrayez de chose que vous despendiez ; tel payera temprement votre écot qui ne vous donroit pas maintenant un dîner. »
Ce terme pendant et cette même semaine que Jean Lyon et les blancs chaperons furent mis sus pour trouver les pionniers fosseurs de Bruges étoient venues nouvelles à Gand et requêtes pour ceux qui des franchises de Gand se vouloient aider, en disant à ceux qui la loi maintenoient pour la saison : « Seigneurs, on tient prisonnier à Erclo, ci, de-lez nous, qui est en la franchise de Gand, en la prison du comte, un nôtre bourgeois, et avons sommé le baillif de monseigneur de Flandre ; mais il dit que il ne le rendra point ; ainsi se dérompent petit à petit et affoiblissent vos franchises, qui du temps passé ont été si hautes, si nobles et si prisées, et avecques ce si bien tenues et gardées, que nul ne les osoit prendre ni briser, non plus les nobles chevaliers que les autres ; et s’en tenoient les plus nobles chevaliers de Flandre à bien parés quand ils étoient bourgeois de Gand. » Ceux de la loi répondirent à ceux de la partie du bourgeois que on tenoit en prison : « Nous en écrirons volontiers devers le baillif de Gand et lui manderons que il le nous envoye ; car voirement son office ne s’étend pas si avant que il puist tenir notre bourgeois en la prison au comte, au préjudice de la ville. » Si comme ils le dirent ils le firent, et rescripsirent au baillif pour ravoir leur prisonnier qui étoit à Erclo. Le baillif fut tantôt conseillé de répondre et dit : « Que nous avons de paroles pour un navieur ! Dites, ce dit le baillif qui s’appeloit Roger d’Auterme[7], à ceux de Gand que si c’étoit un plus riche hom dix fois que il ne soit, si ne sera-t-il jamais hors de notre prison, si monseigneur de Flandre ne le commande ; j’ai bien puissance de l’arrêter, mais je n’ai nulle puissance de le délivrer. » Les paroles et réponses de Roger d’Auterme furent ainsi recordées à ceux de Gand, dont ils furent moult courroucés ; et dirent qu’il avoit orgueilleusement répondu. Pour telles réponses et pour telles incidences que pour des fosseurs de Bruges, qui fossoyer vouloient sur l’héritage de ceux de Gand et pour tels choses semblables dont on vouloit de force blesser les franchises de Gand, souffroient les riches hommes et les sages de Gand à courir parmi la ville et sur le pays de Gand cette pendaille et ribaudaille que on nommoit les blancs chaperons, pour être plus craints et renommés ; car il besogne bien en un lignage qu’il y en ait des fols et des outrageux pour soutenir, quand besoin est, les paisibles.
- ↑ Jacques Meyer, dans ses Annales de Flandre, livre XVII, à l’année 1379, entre dans un détail plus circonstancié des causes de la guerre de Flandre, dont il parle avec impartialité. Meyer fait remonter l’origine de la division entre le comte Louis de Male et les Gantois, au voyage que le comte fit à Gand pour des fêtes et des tournois, immédiatement après la Pentecôte 1379. Il demanda pour subvenir aux frais de ces divertissemens un subside qui lui fut refusé.
- ↑ Meyer rappelle Hyoms, ou Heynsius.
- ↑ Les navieurs, appelés aussi nageurs, étaient le corps des commerçants par eau. Meyer les appelle en latin nautaæ.
- ↑ L’assemblée des navieurs.
- ↑ Commerce par eau.
- ↑ Mayer dit que le comte, mécontent du refus de subside qu’il avait éprouvé à Gand, alla à Bruges, et qu’il reçut beaucoup d’argent des Brugeois pour la permission qu’il leur accorda de faire ce canal, mais sans l’approbation de la noblesse et sans avoir assemblé son conseil.
- ↑ Meyer l’appelle en latin Rogerius Duternius, et Oudegherst, Roger van Oultrenick.