Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CLXXIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 233-234).

CHAPITRE CLXXIX.


Comment le connétable de France atout l’avant-garde vint devant le pont de Comines où il fut moult en souci.


Tout ainsi comme il fut ordonné il fut fait ; et se délogèrent à lendemain ceux de l’avant-garde et passèrent outre par ordonnance vers Comines, et trouvoient les chemins tout faits, car le sire de Rambures et messire Josse de Hallewyn y avoient grandement ensoigné et entendu : ce fut le lundi. Quand le connétable et les maréchaux de France, et ceux de l’avant-garde furent venus au pont à Comines, là les convint arrêter ; car ils trouvèrent le pont si défait qu’il n’étoit mie en puissance de homme du refaire, au cas que on leur défendroit et que on y mettroit empêchement au vouloir refaire. Et les Flamands étoient bien si puissans, par outre la rivière, que du défendre et garder le pas et tenir contre tout homme qui escarmoucher et assaillir les voudroit par devant ; car ils étoient plus de neuf mille, que au pas du pont, que en la ville de Comines. Et là étoit Piètre du Bois leur capitaine qui montroit bien volonté du défendre ; et étoit le dit Piètre du Bois au pied du pont sur la chaussée et tenoit une hache en sa main ; et là étoient les Flamands tout rangés d’une part et d’autre. Le connétable de France et les seigneurs qui là étoient regardoient la manière de ce pas, et imaginoient bien que c’étoit chose impossible de passer par-là, si le pont n’étoit refait. Adonc firent-ils chevaucher de leurs varlets pour aviser la rivière dessous et dessus, pour savoir si on y trouveroit nuls guets. Quand ces varlets orent chevauché au long de la rivière, dessous et dessus près d’une lieue, ils retournèrent à leurs seigneurs qui les attendoient au pas, et leur dirent que ils n’avoient trouvé nuls lieux où chevaux pussent prendre terre, dont fut le connétable moult courroucé, et dit : « Nous avons été mal conseillés de prendre ce chemin ; mieux nous vaulsist être allés par Saint-Omer que ci séjourner en ce danger ; ou avoir passé l’Escaut à Tournay, ainsi que le sire de Coucy disoit, et allés tout droit devant Audenarde combattre nos ennemis, puisque combattre les devons, et voulons : ils sont bien si orgueilleux que ils nous eussent attendus à leur siége. » Adonc dit messire Louis de Sancerre : « Connétable, je conseille que nous nous logeons ci pour ce jour, et faisons loger nos gens au mieux que ils pourront au fuer que ils viennent ; et envoyons à Lille, par la rivière, querre des nefs et des claies : si ferons demain un pont sur ces beaux prés et passerons outre, puisque nous ne pouvons autrement faire. » Donc dit messire Josse de Hallewyn : « Sire, nous avons bien avisé, passé a deux jours, le sire de Rambures, et moi de tout cela faire ; mais il y a un grand empêchement. Entre ci et Lille sied la ville de Menin sur celle rivière par où il convient la navire, si elle veut venir jusques à ci, passer ; et les Flamands qui là sont ont défait leur pont, et tellement croisé de grand merrien et d’estaches parmi les gistes du pont, que impossible seroit du passer nef ni nacelle. » — « Je ne sais donc, dit le connétable, que nous puissions faire : bon seroit de prendre le chemin de Aire et là passer la Lys, puisque nous ne pouvons avoir ci le passage appareillé. »

Entrementes que le connétable et les maréchaux de France et de Bourgogne étoient au pas de Comines en celle abusion, ni ils ne savoient lequel faire pour le meilleur, soubtilloient autres chevaliers et écuyers, par beau fait d’armes et hante emprise, à eux aventurer vaillamment et à passer celle rivière de la Lys, comment que il fût, et aller sur leur fort combattre les Flamands pour conquérir la ville et le passage, si comme je vous recorderai présentement.