Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CCXXXV

Texte établi par J. A. C. BuchonA. Desrez (IIp. 329-333).

CHAPITRE CCXXXV.


Comment l’amiral de France et les Escots entrèrent en Angleterre ardant, et exillant le pays ; et de la mort du fils au comte de Staffort.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment l’amiral de la mer, atout grand’charge de gens d’armes, arriva au hâvre de Haindebourch en Escosse[1], et comment ses gens trouvèrent autre pays et autres gens que ils ne cuidoient. Les barons d’Escosse et le conseil du roi, l’année passée, avoient informé les chevaliers qui y avoient été, messire Geoffroy de Chargny et messire Aymar de Marse, que si l’amiral de France, ou le connétable, ou les maréchaux passoient la mer en Escosse atout mille lances de bonnes gens et cinq cents arbalétriers, et eussent avecques eux le harnois d’armes pour armer eux mille en Escosse, avecques l’aide et le demeurant du royaume d’Escosse ils combattroient bien les Anglois, et feroient un si grand treu en Angleterre que jamais ne seroit recouvré. Sur cel état avoient l’amiral de France et les François passé la mer et étoient venus en Escosse. Si ne trouvèrent pas en voir assez de ces promesses : tout premier ils trouvèrent dures gens et mal amis et povre pays ; et ne sçurent tantôt les seigneurs, chevaliers et écuyers de France qui là étoient, où envoyer leurs varlets sur le pays pour fourrager ; ni aller ils n’y osoient fors en grands routes, pour les malandrins du pays qui les attendoient au pas, et les ruoient jus, meshaignoient et occioient.

Or vint le roi Robert d’Escosse, un grand bon homme à uns rouges yeux rebraciés : ils sembloient fourrés de sendail[2] ; et bien montroit que il n’étoit pas aux armes trop vaillant homme et que il eût plus cher le séjourner que le chevaucher ; mais il avoit jusques à neuf fils, et ceux aimoient les armes. Quand le roi d’Escosse fut venu à Haindebourch, ces barons de France se trairent devers lui et s’accointèrent de lui, ainsi comme il appartenoit et que bien le savoient faire ; et étoient avecques eux à ces accointances le comte de Douglas, le comte de Mouret, le comte de la Mare, le comte de Surlant et plusieurs autres. Là requit l’amiral et pria au roi que, sur l’état pourquoi ils là venus au pays étoient, on leur accomplist, et dist que il vouloit chevaucher en Angleterre. Les barons et les chevaliers d’Escosse qui se désiroient à avancer en furent tout réjouis, et répondirent que si à Dieu plaisoit, ils feroient un tel voyage où ils auroient honneur et profit. Le roi d’Escosse fit son mandement grand et fort ; et vinrent à Haindebourch, et là environ, au jour qui assigné y fut, plus de trente mille hommes, et tous à cheval, et ainsi qu’ils venoient ils se logeoient à l’usage de leur pays, et n’avoient pas tous leurs aises.

Messire Jean de Vienne, qui grand désir avoit de chevaucher et d’employer ses gens en Angleterre pour faire aucun bon exploit d’armes, quand il vit ces Escots venus, dit qu’il étoit temps de chevaucher, et que trop avoient là séjourné. Si fut le département signifié à toutes gens. Adonc se mirent-ils à voie et prindrent le chemin de Rosebourch. À celle chevauchée n’étoit point le roi ; mais étoit demeuré en Haindebourch, et étoient tous ses enfans en l’armée. Et sachez que jusques à douze cens pièces de harnois, pour armer en bon arroi de pied en cap, furent délivrés aux chevaliers et écuyers d’Escosse et de Norvège[3] qui étoient mal armés, lesquels harnois l’amiral avoit fait venir de Paris : dont les compagnons qui en furent revêtus orent grand’joie. Or chevauchèrent ces gens d’armes vers Northonbrelande, et exploitèrent tant qu’il vinrent à l’abbaye de Mauros ; et se logèrent les seigneurs et toutes manières de gens autour de la rive. À lendemain ils s’en vinrent sur la Morlane, et depuis devant Rosebourch.

Du chastel de Rosebourch, de par messire Jean de Montagu, à qui le chastel est et toute la terre de là environ, étoit le gardien et capitaine un chevalier qui se appeloit messire Édouard Clifford. L’amiral de France et tous ceux de sa route et les Escots s’arrêtèrent devant, et bien l’avisèrent : si regardèrent, tout considéré, que à l’assaillir ils ne pourroient rien conquester ; car le chastel est bel, grand et fort et bien muni d’armes et d’artillerie. Si passèrent outre, et vinrent tout contreval celle rivière de Tuide, en approchant Bervich et la mer ; et chevauchèrent tant que ils vinrent devant deux tours carrées, fortes assez. Au dedans avoit deux chevaliers, le père et le fils, qui s’appeloient tous deux messire Jean Strand. À ces tours avoit adonc bon herbergage de une plate maison qui fut tantôt arse et les tours assaillies ; et là ot fait de grandes appertises d’armes, et plusieurs Escots blessés au trait et du jet des pierres. Finalement les tours furent prises et les chevaliers dedans, par bel assaut, qui les défendoient et qui vaillamment se défendirent tant comme ils purent durer.

Après la conquête de ces deux tours, et que les Escots et les François en furent seigneurs, on s’en vint devant un fort chastel d’autre part que on appelle au pays Werk, et est de l’héritage messire Jean de Montagu. Si en étoit gardien et capitaine de par lui messire Jean de Mouseborne, lequel avoit là dedans sa femme et ses enfans et tout son cariage. Et bien savoit en devant que les François devoient venir ; si avoit à son pouvoir grandement bien pourvu le chastel de gens d’armes et d’artillerie pour attendre l’assaut. Devant le chastel de Werk s’amenagèrent et s’arrêtèrent tous ceux de l’ost, car il siéd sur une belle rivière qui rentre en la mer par le Tuide, dessous Bervich. À ce chastel de Werk ot un jour grand assaut ; et moult bien s’y portèrent les François, trop mieux que les Escots ; car ils entroient dedans les fossés et les passoient à grand’peine tout outre. Et là ot fait de ceux d’amont à ceux d’aval grandes appertises d’armes ; car les François montoient amont sur les échelles et s’en venoient combattre main à main de ceux du fort. Là fut messire Jean de Mouseborne très bon chevalier, et se combattit moult vaillamment aux chevaliers françois qui montoient sur ces échelles. Et là, à cel assaut, fut occis un chevalier allemand, qui s’appeloit messire Werry Wenselin, dont ce fut dommage ; et moult en y ot ce jour de navrés et de blessés. Mais finalement il y avoit si grand peuple, et fut l’assaut si continué que le chastel fut pris, et le chevalier, sa femme et ses enfans dedans ; et orent les François qui premiers y entrèrent plus de quarante prisonniers. Puis fut le chastel ars et détruit, car ils véoient qu’il ne faisoit pas à tenir, ni garder ne le pourroient, si avant en Angleterre comme il étoit.

Après le conquêt du chastel de Werk et la prise de messire Jean de Mouseborne, l’amiral de France et les barons de France et d’Escosse chevauchèrent vers Anuich, en la terre du seigneur de Percy ; et se logèrent tout en-mi, et ardirent et exillièrent aucuns villages ; et furent jusques à Broel, un bel chastel et fort qui est sur la marine, au comte de Northonbrelande ; mais point n’y assaillirent, car ils savoient bien qu’ils y perdroient leur peine. Et chevauchèrent toute celle frontière jusques à Mourepès, en-mi chemin de Bervich et de Neuf-chastel sur Thin ; et là entendirent que le duc de Lancastre, le comte de Northonbrelande, le comte de Northinghen, le sire de Neufville et les barons de la marche et de la frontière de Northonbrelande et de l’archevêché d’Yorch et de l’évêché de Durem, venoient à grand effort. Quand les nouvelles en furent venues jusques à l’amiral, si en fut tout réjoui ; aussi furent tous les barons et chevaliers de France qui en sa compagnie étoient ; car ils désiroient à avoir bataille ; mais les Escots n’en faisoient nul compte.

Là fut conseillé à Mourepès qu’ils se trairoient vers la marche de Bervich pour la cause de leurs pourvéances qui les suivoient, et pour avoir leur pays au dos, et là sur leurs marches ils attendroient leurs ennemis. Messire Jean de Vienne, qui point ne vouloit issir hors de conseil, les crut. Adonc ne chevauchèrent-ils plus avant en Northonbrelande, et s’en vinrent devers Bervich, de laquelle cité messire Mahieu Rademen étoit capitaine, et avoit là dedans avecques lui grand’foison de bonnes gens d’armes. Les François et les Escots furent devant ; mais point n’y assaillirent ; ainçois passèrent outre et prindrent le chemin de Dombare pour rentrer en leur pays.

Les nouvelles étoient venues en Angleterre que les François et les Escots étoient entrés en la marche de Northonbrelande, et détruisoient et ardoient tout le pays. Et sachez que en devant ces nouvelles le royaume d’Angleterre étoit tout pourvu et avisé de la venue de l’amiral et des François en Escosse ; si étoient tous les seigneurs sur leurs gardes ; et avoit le roi fait son mandement par tout Angleterre ; et étoient tous traits sur les champs, comtes, barons, chevaliers et écuyers ; et prenoient ainsi comme ils venoient leur chemin vers Escosse, et menaçoient fort les Escots. Et avoient fait les Anglois tout cel été les plus belles pourvéances que oncques mais ils fissent pour aller en Escosse, tant par mer comme par terre ; car ils avoient sur la mer jusques à six vingt gros vaisseaux chargés de pourvéances, qui les suivoient, frontians[4] Angleterre pour venir au Umbre. Et venoit le roi accompagné de ses oncles, le comte de Cantebruge et le comte de Bouquenghen, et de ses deux frères, le comte de Kent et messire Thomas de Hollande. Là étoient le comte de Sallebery, le comte d’Arondel, le comte d’Asquesuffort, le jeune comte de Pennebroch, le jeune sire Despenser, le comte de Staffort, le comte de Devensière, et tant de barons et de chevaliers que ils étoient bien quatre mille lances, sans ceux que le duc de Lancastre, le comte de Northonbrelande, le comte de Northinghen, le sire de Lacy, le sire de Neufville et les barons des frontières d’Escosse, avoient, qui jà poursuivoient les Escots et les François, où bien avoit deux mille lances et vingt mille archers. Et le roi et les seigneurs qui venoient avoient en leurs routes bien cinquante mille archers, sans les gros varlets.

Tant exploitèrent le roi d’Angleterre et ses osts, en venant après le duc de Lancastre et les autres qui étoient premiers, que ils vinrent en la marche d’Yorch ; car sur le chemin nouvelles étoient venues au roi et à ses gens que leurs gens se devoient combattre aux Escots en la marche de Northonbrelande, et pour ce se hâtoient-ils le plus. Et s’en vint le roi loger à Saint-Jean de Buvrelé, outre la cité d’Yorch et la cité de Durem ; et là leur vinrent nouvelles que les Escots étoient retraits vers leur pays : si se logèrent toutes manières de gens d’armes en la marche de Northonbrelande. Or vous vueil-je recorder une aventure assez dure qui avint en l’ost du roi d’Angleterre, parquoi son voyage en fut presque rompu, et les seigneurs en guerre mortelle l’un à l’autre.

En la marche de Saint-Jean de Buvrelé, en la diocèse d’Yorch, étoit le roi d’Angleterre logé, et grand’foison de comtes, de barons et de chevaliers de son royaume ; car chacun se logeoit au plus près de lui qu’il pouvoit par raison, et par espécial ses deux oncles, et messire Thomas de Hollande, comte de Kent, et messire Jean de Hollande, ses frères, étoient là en belle compagnie de gens d’armes. En la route du roi avoit un chevalier de Bohème qui étoit venu voir la roine d’Angleterre ; et pour l’amour de la roine, le roi et les barons lui faisoient fête : ce chevalier appeloit-on messire Nicle, frisque et joli chevalier étoit à l’usage d’Allemagne. Et avint que, sus une remontée et sur les champs, au dehors d’un village assez près de Saint-Jean de Buvrelé, deux écuyers qui étoient à messire Jean de Hollande, frère du roi, s’entreprirent de paroles pour leurs logis à messire Nicle. et le poursuivirent de près pour lui faire un grand déplaisir. Sur ces paroles que le chevalier avoit aux écuyers, s’embattirent deux archers à messire Richart de Staffort, fils au comte de Staffort, et tant que de paroles ils commencèrent à aider au chevalier pour la cause de ce que il étoit étranger, et blâmèrent les écuyers en reprenant leurs paroles, et en disant : « Vous avez grand tort qui vous prenez à ce chevalier ; jà savez-vous qu’il est à madame la roine et de son pays. Si fait mieux à déporter que un autre. » — « Voire, dit l’un de ces écuyers à l’archer qui avoit dit celle parole, et tu, herlos, en veux-tu parler ? À toi qu’en monte, si je lui blâme ses folies ? » — « À moi qu’en monte ? dit l’archer. Il en monte assez ; car il est compaing à mon maître ; si ne serai jà en lieu où il reçoive blâme ni vilenie. » — « Et si je cuidois, herlos, dit l’écuyer, que tu le voulsisses aider ni porter encontre moi, je te bouterois celle épée dedans le corps. » Et fit semblant en parlant de le férir. L’archer recula, qui tenoit son arc tout appareillé ; et encoche bonne sajette, et laist aller, et fiert l’écuyer de visé, et lui met la sajette tout parmi la mamelle et le cœur, et l’abat tout mort.

L’autre écuyer, quand il vit son compagnon en ce parti, s’en foui ; messire Nicle étoit jà parti et r’allé en son logis. Les archers s’en vinrent vers leur maître, et lui contèrent l’aventure. Messire Richard en fit bien compte, et dit que ils avoient mal exploité. « Par ma foi, dit l’archer, il convenoit que ce advenist, si je ne voulois être mort. Et encore ai-je plus cher que je l’aie mort que ce qu’il m’eût mort. » — « Or va, va, dit messire Richard, ne te mets point en voie qu’on te puisse trouver ; je ferai traiter de ta paix à messire Jean de Hollande par monseigneur mon père ou par autrui. » L’archer répondit, et dit : « Sire, volontiers. »

Nouvelles vinrent à messire Jean de Hollande que un des archers à messire Jean de Staffort avoit tué son écuyer, celui au monde qu’il aimoit mieux, et la cause pourquoi, on lui dit que ce avoit été par la coulpe de messire Nicle, ce chevalier estraigne. Quand messire Jean de Hollande fut informé de cette adventure, si cuida bien forcener d’annoi, et dit : « Jamais ne beuvrai ai ne mangerai si sera ce amendé. » Tantôt il monte à cheval et fait monter aucuns de ses hommes, et se part de son logis, et ja étoit tout tard, et se trait sur les champs et fit enquérir où ce messire Nicle étoit logé. On lui dit que on pensoit bien qu’il étoit logé en l’arrière-garde avecques le comte Devensière, et le comte de Staffort et leurs gens. Messire Jean de Hollande prit ce chemin, et commença à chevaucher à l’aventure pour trouver messire Nicle. Ainsi comme il et ses gens chevauchoient entre haies et buissons, sur le détroit d’un pas où on ne se pouvoit détourner que on n’encontrât l’un l’autre, messire Richard de Staffort et lui s’entrecontrèrent. Pour ce que il étoit nuit, ils demandèrent en passant : « Qui est là ? » Et entrèrent l’un dedans l’autre : « Je suis Staffort, » — « Et je suis Hollande. » Donc dit messire Jean de Hollande qui étoit encore en sa félonie : « Staffort, Staffort, aussi te demandois-je ; tes gens m’ont tué mon écuyer que je tant aimois. » Et à ces mots il lance une épée de Bordeaux qu’il tenoit toute nue. Le coup chéy sur messire Richard de Staffort ; si lui bouta au corps et l’abattit mort, dont ce fut grand’pitié ; et puis passa outre, et ne savoit pas encore qui il eût assené, mais bien savoit qu’il en avoit l’un mort. Là furent les gens messire Richard de Staffort moult courroucés, ce fut raison, quand ils virent leur maître mort ; et commencèrent à crier : « Ha, ha, Hollande, Hollande ! vous avez mort le fils du comte de Staffort : pesantes nouvelles seront au père quand il le saura. » Aucunes gens de messire de Hollande entendirent ce ; si le dirent à leur maître : « Sire, vous avez mort messire Richard de Staffort. » — « À la bonne heure, dit messire Jean, j’ai plus cher que je l’aie mort que moindre de lui ; or ai-je tant mieux vengé mon écuyer. »

Adonc s’en vint messire Jean de Hollande en la ville de Saint-Jean de Buvrelé et en prit la franchise ; et point ne s’en départit, car la ville est franche ; et bien savoit qu’il y auroit pour la mort du chevalier grand trouble en l’ost. Et ne savoit que son frère le roi d’Angleterre en diroit. Donc, pour eschiver tous périls, il s’enferma en la dite ville.

Les nouvelles vinrent au comte de Staffort que son fils étoit occis par grand’mésaventure. « Occis ! dit le comte ; et qui l’a mort ? » On lui recorda, ceux qui au fait avoient été : « Monseigneur, le frère du roi, messire Jean de Hollande. » Adonc lui fut recordé la cause, et comment et pourquoi. Or devez-vous penser et sentir que cil qui aimoit son fils, car plus n’en avoit, et si étoit beau chevalier, jeune et entreprenant, fut courroucé outre mesure ; et manda, quoiqu’il fût nuit, tous ses amis, pour avoir conseil comment il en pourroit user ni soi contrevenger. Toutefois les plus sages et les mieux avisés de son conseil le refrenèrent, et lui dirent que à lendemain on remontreroit ce au roi d’Angleterre, et seroit requis que il en fit loi et justice.

Ainsi se passa la nuit ; et fut messire Richard de Staffort ensepveli au matin en une église d’un village qui là est ; et y furent tous ceux de son lignage, barons, chevaliers et écuyers qui en celle armée étoient.

Après l’obsèque fait, le comte de Staffort et eux bien soixante de son lignage et du lignage son fils montèrent sur leurs chevaux et s’en vinrent vers le roi qui jà étoit informé de celle avenue. Si trouvèrent le roi et ses oncles et grand’foison d’autres seigneurs de-lez lui. Le comte de Staffort, quand il fut venu devant le roi, se mit à genoux, et puis parla tout en pleurant, et dit en grand’angoisse de cœur : « Roi, tu es roi de toute Angleterre et as juré solemnellement à tenir le royaume d’Angleterre en droit et à faire justice ; et tu sais comment ton frère, sans nul titre de raison, a mort mon fils et mon héritier. Si te requiers que tu me fasses droit et justice, ou autrement tu n’auras pire ennemi de moi ; et vueil bien que tu saches que la mort de mon fils me touche de si près que, si je ne cuidois rompre et briser le voyage auquel nous sommes, et recevoir, par le trouble que je mettrois en notre ost plus de dommage et de paroles que d’honneur, il seroit amendé et contrevengé si hautement que à cent ans à venir on en parleroit en Angleterre. Mais à présent je m’en souffrirai tant que nous serons sur ce voyage d’Escosse, car je ne veuil pas réjouir nos ennemis de mon annoy. » — « Comte de Staffort, répondit le roi, soyez tout certain que je tiendrai justice et raison si avant que les barons de mon royaume ne oseroient ou voudroient juger ; ni jà pour frère que j’aie je ne m’en feindrai. » Adonc répondirent ceux du lignage au comte de Staffort : « Sire, vous avez bien parlé ; et grand merci. »

Ainsi furent les proesmes de messire Richard de Staffort rapaisés ; et se parfit le voyage allant en Escosse, si comme je vous recorderai ; ni oncques sur tout le chemin, le comte de Staffort ne montra semblant de la mort de son fils ; dont tous les barons le tinrent à moult sage[5].

  1. C’est à dire à Leith.
  2. Sorte d’étoffe écarlate, fort estimée alors.
  3. Peut-être Froissart entend-il par-là les troupes venues des îles Orkney.
  4. En suivant les frontières d’Angleterre.
  5. Le comte de Stafford fit, l’année suivante, un pèlerinage à Jérusalem, probablement à l’occasion de la perte son fils, et mourut l’année d’après, à son retour à Rhodes.