Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre XLVIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 359-360).

CHAPITRE XLVIII.


Comment messire Jacques d’Audelée donna ses cinq cents marcs d’argent de revenue que le prince lui avoit donnés à ses quatre écuyers.


Quand messire James d’Audelée fut arrière rapporté en sa litière en son logis, et il eut grandement remercié le prince du don que donné lui avoit, il n’eut guères reposé en sa loge, quand il manda messire Pierre d’Audelée son frère, messire Berthelemy de Brues, messire Étienne de Cousenton, le seigneur de Villeby et monseigneur Raoul de Ferrières : ceux étoient de son sang et de son lignage. Si très tôt que ils furent venus et en la présence de lui, il se avança de parler au mieux qu’il put ; car il étoit durement foible pour les navrures qu’il avoit : et fit venir avant les quatre écuyers qu’il avoit eus pour son corps, la journée, et dit ainsi aux chevaliers qui là étoient : « Seigneurs, il a plu à monseigneur le prince qu’il m’a donné cinq cents marcs de revenue par an et en héritage, pour lequel don je lui ai encore fait petit service, et puis faire de mon corps tant seulement. Il est vérité que vecy quatre écuyers qui m’ont toujours loyaument servi, et par espécial à la journée d’huy. Ce que j’ai d’honneur, c’est par leur emprise et leur hardiment ; pour quoi, en la présence de vous qui êtes de mon lignage, je leur veux maintenant rémunérer les grands et agréables services qu’ils m’ont faits. C’est mon intention que je leur donne et résigne en leurs mains le don et les cinq cents marcs que monseigneur le prince m’a donnés et accordés, en telle forme et manière que donnés les m’a, et m’en deshérite et les en hérite purement et franchement, sans nul rappel. »

Adonc regardèrent les chevaliers qui là étoient l’un l’autre, et dirent entr’eux : « Il vient à monseigneur Jame de grand’vaillance de faire tel don. » Si lui répondirent tous à une voix : « Sire, Dieu y ait part ! ainsi le témoignerons là où ils voudront. » Et se partirent atant de lui ; et s’en allèrent les aucuns devers le prince qui devoit donner à souper au roi de France et à son fils, et à la plus grand’partie des comtes et des barons qui prisonniers étoient ; et tout de leurs pourvéances, car les François en avoient fait amener après eux grand’foison, et elles étoient aux Anglois et aux Gascons faillies, et plusieurs en y avoit entr’eux qui n’avoient goûté de pain, trois jours étoient passés.