Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre XLII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 351-352).

CHAPITRE XLII.


Comment le duc de Bourbon, le duc d’Athènes et plusieurs autres barons et chevaliers furent morts, et aussi plusieurs pris.


Ce lundi fut la bataille des Anglois et des François, assez près de Poitiers, moult dure et moult forte ; et y fut le roi Jean de France de son côté moult bon chevalier ; et si la quarte partie de ses gens l’eussent ressemblé, la journée eût été pour eux ; mais il n’en avint mie ainsi. Toutefois les ducs, les comtes, les barons et les chevaliers et écuyers qui demeurèrent se acquittèrent à leur pouvoir bien et loyaument, et se combattirent tant que ils furent tous morts ou pris ; peu s’en sauvèrent de ceux qui descendirent à pied jus de leurs chevaux sur le sablon, de-lez le roi leur seigneur. Là furent occis, dont ce fut pitié et dommage, le gentil duc de Bourbon qui s’appelait messire Pierre, et assez près de lui messire Guichard de Beaujeu et messire Jean de Landas ; et pris et durement navré l’Archiprêtre, messire Thibaut de Vodenay et messire Baudouin d’Ennequin ; morts, le duc d’Athènes connétable de France et l’évêque de Châlons en Champagne[1] ; et d’autre part, pris le comte de Waudemont et de Jenville, et le comte de Ventadour, et cil de Vendôme ; et occis, un petit plus dessus, messire Guillaume de Neelle et messire Eustache de Ribeumont ; et d’Auvergne, le sire de La Tour, et messire Guillaume de Montagu ; et pris, messire Louis de Maleval, le sire de Pierre-Buffière, et le sire de Seregnach ; et en celle empainte furent plus de deux cents chevaliers morts et pris.

D’autre part se combattoient aucuns bons chevaliers de Normandie à une route d’Anglois ; et là furent morts messire Grimouton de Chambli et monseigneur le Baudrain de la Heuse, et plusieurs autres qui étoient déroutés et se combattoient par troupeaux et par compagnies, ainsi que ils se trouvoient et recueilloient. Et toudis chevauchoit le prince et s’adressoit vers la bataille du roi ; et la plus grand’partie des siens entendoit à faire la besogne à son profit et au mieux qu’ils pouvoient, car tous ne pouvoient mie être ensemble. Si y eut ce jour faites maintes appertises d’armes qui toutes ne vinrent mie à connoissance ; car on ne peut pas tout voir ni savoir, ni les plus preux et les plus hardis aviser ni concevoir. Si en veuil parler au plus justement que je pourrai, selon ce que j’en fus depuis informé par les chevaliers et écuyers qui furent d’une part et d’autre.

  1. Suivant M. Villani, le roi aurait accepté les conditions proposées par les deux légats médiateurs, les cardinaux de Périgord et d’Urgel, s’il n’en eût été détourné par les conseils violens de ce prélat guerrier, nommé Renaud Chauveau. Cet historien rapporte même le discours que l’évêque tint au roi pour l’animer au combat.