Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre LXXXVII

CHAPITRE LXXXVII.


Comment messire Philippe de Navarre et ses gens proposèrent d’eux fuir quand il seroit anuité.


Oncques les françois ne purent sitôt venir que les Navarrois ne fussent bien rangés et ordonnés et mis en trois batailles, ce qu’ils avoient d’archers devant eux, et chacun sire entre ses gens, sa bannière et son pennon devant lui. Quand les barons et les chevaliers de France virent leur convine, si se arrêtèrent tout coi devant eux en-my les champs, et se mirent tous à pied, et conseillèrent de premier comment ils se maintiendroient. Les plusieurs vouloient que tantôt et sans délai on allât combattre les ennemis ; les autres débattoient cette ordonnance et disoient : « Nos gens sont lassés et travaillés, et s’en y a encore grand’foison derrière : c’est bon que nous les attendions et nous logions ci mais-huy ; car tantôt sera tard ; et demain nous les combattrons plus ordonnément. » Ce conseil par droite élection fut tenu ; et se logèrent les François là devant les Navarrois en-my les champs, bien et faiticement : ce fut tantôt fait ; et rangèrent tout leur charroy, dont ils avoient grand’foison, autour d’eux. Et quand les Navarrois virent leur convine et que point ne seroient combattus, si se retrairent sur le soir en leur fort, au village de Thorigny, et se aisèrent de ce qu’ils avoient ; ce n’étoit point plenté ; et se conseillèrent ce soir que si très tôt que il seroit anuité, ils monteroient à cheval et passeroîent la rivière de Somme à gué assez près de là, et côtoyeroient les bois de Bohain, car ils avoient avec eux qui les savoient mener et conduire ; tantôt à lendemain ils seroient à Velly, qui se tenoit pour eux ; et si ils y étoient, ils seroient échappés de tous périls.