Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre I

CHAPITRE PREMIER.


Comment trépassèrent de ce monde la roine de France et la duchesse de Normandie, et comment le roi de France et son fils se remarièrent.


En celle année trépassa de ce siècle la roine de France, femme au roi Philippe, et sœur germaine au duc Ode de Bourgogne. Aussi fit madame Bonne ducoise de Normandie, fille au gentil roi de Behaigne qui demeura à Crécy. Si furent le père et le fils veves de leurs deux femmes[1].

Assez tôt après se remaria le roi Philippe à madame Blanche[2] fille du roi Louis de Navarre[3] qui mourut devant Argesille[4], et aussi se remaria le duc Jean de Normandie fils ains-né du roi de France à la comtesse de Boulogne[5], qui veuve étoit de monseigneur Philippe de Bourgogne, son cousin germain, qui mort avoit été devant Aiguillon en Gascogne[6]. Comment que ces dames fussent moult prochaines de sang et de lignage au père et au fils, si fut ce tout fait par la dispensation du pape Clément qui régnoit pour ce temps.

  1. La reine Jeanne de Bourgogne et Bonne de Luxembourg, duchesse de Normandie, moururent en 1349. L’épitaphe placée autrefois sur le tombeau de Bonne de Luxembourg, dans l’abbaye de Maubuisson, fixe la date de sa mort au 11 septembre 1349.
  2. Matteo Villani raconte que le duc Jean voulait épouser Blanche, mais que le roi profita d’un voyage de son fils pour l’épouser lui-même en son absence.
  3. Blanche n’était pas fille de Louis de Navarre, mais de Philippe III de Navarre.
  4. Il mourut à Xerez le 16 septembre 1343.
  5. Presque tous les historiens modernes ont fixé le second mariage du roi et celui de Jean son fils en 1349, suivant notre manière actuelle, sans avoir égard au témoignage des Chroniques de France qui placent le premier de ces mariages au mois de janvier, le second au mois de février 1349, c’est-à-dire 1350. Il était cependant facile d’éviter cette erreur. La date des jours où il est dit que ces mariages furent faits, savoir le mardi 19 janvier celui du roi, et le mardi 9 février celui de Jean son fils aîné, détermina exactement la fixation de l’année. Qu’on ouvre le calendrier de l’Art de vérifier les dates, on verra qu’en l’année 1350, lettre dominicale C, Pâques le 28 mars, le 19 janvier est en effet le mardi, et le 9 février pareillement le mardi. Si cette date eût été fixée, nos historiens modernes n’auraient pas été obligés, pour donner au roi et à son fils la liberté de se marier en secondes noces au commencement de l’année 1349, de faire mourir leurs premières femmes en 1348, contre le témoignage formel des Chroniques de France et du continuateur de Nangis, qui placent leur mort en 1349.
  6. Il mourut d’une chute de cheval.