Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CXXXIX

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 444-447).

CHAPITRE CXXXIX.


Ci après s’ensuit la forme et la manière de la lettre de renonciation que fit le roi d’Angleterre entre lui et le roi de France[1].


Édouard, par la grâce de Dieu, roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande et d’Aquitaine, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Sçavoir faisons, que nous avons promis et promettons bailler ou faire bailler et délivrer royalement et de fait au roi de France notre très cher frère, ou à ses gens députés espéciaux en cette partie, aux frères Augustins dedans la ville de Bruges, au jour de la fête Saint Andrieu prochainement venant en un an, lettres scellées de notre grand scel en lacs de soye et cire verte, au cas que notre dit frère aura faites les renonciations qu’il doit faire de sa partie, et notre très cher neveu son fils ains-né, et icelles baillées à nos gens ou députés au dit lieu et terme, par la manière que obligés y sont : desquelles lettres de mot à mot la teneur s’ensuit.

Édouard, par la grâce de Dieu roi d’Angleterre, seigneur d’Irlande et d’Aquitaine. Savoir faisons à tous présens et à venir, que comme guerres mortelles aient longuement duré entre nous qui avons réclamé avoir droit au royaume de France et à la couronne d’icelui royaume d’une part, et le roi Philippe de France, lui vivant ; et après son décès, entre notre très cher frère son fils, le roi Jean de France d’autre part ; et aient porté moult grands dommages, non pas seulement à nous et à notre royaume, mais aux royaumes voisins et à toute chrétienté ; car par les dites guerres sont maintes fois avenues batailles mortelles, occisions de gens, et pillemens et arsures, et destruction de peuple, périls d’âmes, défloration de pucelles et de vierges, deshonnêtemens de femmes mariées et veuves, et arsures de villes, d’abbayes, de manoirs et de édifices, roberies et oppressions, guettemens de voies et de chemins, justice en est faillie, et la foi chrétienne refroidie, et marchandise périe ; et tant d’autres maléfices et horribles faits s’en sont ensuivis qu’ils ne pourroient être dits, nombrés ni escrips, par lesquels notre dit royaume et les autres royaumes par chrétienté ont soutenu moult d’afflictions et de dommages irréparables. Pourquoi nous, considérans et pensans les maux dessus dits, et que vraisemblable étoit que plus grands s’en pourroient ensuir au temps à venir, et ayans grand’pitié et compassion de notre peuple, qui en la persécution de nos guerres ont exposé leurs corps et leurs biens à tous périls, sans eschever dépens et mises, dont nous devons bien avoir perpétuelle mémoire ; avons pour ce soutenu par plusieurs fois traité de paix. Premièrement par le moyen de honorables pères en Dieu plusieurs cardinaux et messages de notre saint père le pape, qui à grand’diligence et instance y travaillèrent pour le temps de lors ; et depuis ce, y ait eu plusieurs traités et plusieurs voies touchées entre nous et notre dit frère de France. Finablement au mois de mai dernièrement passé, vinrent en France messages de par notre saint père le pape, notre très cher et féal l’abbé de Clugny, frère Simon de Langres, maître en divinité, maître de l’ordre des frères Prêcheurs, et Hugue de Genève, chevalier, seigneur d’Anthon, où nous étions lors en notre ost ; et tant allèrent et tant vinrent les dits messages devers nous et devers notre très cher neveu Charles duc de Normandie, dauphin de Vienne, et régent pour le temps du royaume de France, que en plusieurs lieux se assemblèrent traiteurs d’une part et d’autre, pour traiter et parler de paix entre nous et notre dit frère de France, et les royaumes de l’un et de l’autre. Et au dernier se assemblèrent les dits traiteurs et procureurs de par nous et de par notre ains-né fils le prince de Galles, aux choses dessus écrites par espécial députés, et les traiteurs et procureurs de notre dit frère et son ains-né fils, ayant à ce pouvoir et autorité de l’un et de l’autre, à Bretigny près de Chartres, auquel lieu fut parlé, traité et accordé des traiteurs et procureurs de l’une partie et de l’autre, sur tous les discords, dissensions et guerres que nous et notre dit frère avions l’un contre l’autre : lequel traité et paix les procureurs d’une partie et de l’autre, pour l’une partie et pour l’autre, jurèrent sur saintes Évangiles tenir et garder ; et après le jurèrent solemnellement pour nous et pour lui notre dit fils et le dit notre neveu le duc de Normandie, ayant à ce pouvoir pour son dit père notre frère et pour lui.

Après ces choses ainsi faites et à nous rapportées et exposées, considéré que notre dit frère de France s’accordoit et consentoit audit traité et vouloit icelui et la paix tenir, garder et accomplir de sa partie, iceux traité et paix, du conseil et consentement de plusieurs de notre sang et lignage, ducs, comtes, chevaliers et gens d’église, des barons et chevaliers et autres nobles, bourgeois et autres sages de notre royaume, pour apaiser les grands maux et les douleurs dessus dits dont le peuple étoit si malement mené, si comme dessus est dit et escript, à l’honneur et à la gloire du roi des rois et pour révérence de sainte église, de notre saint père le pape et de ses messages, avons consenti et consentons, ratifions et approuvons. Et comme par la teneur du dit traité de paix notre dit frère de France doit délivrer et délaisser, et a baillé et délivré et délaissé, si comme il est contenu en ses lettres sur ce faites plus pleinement, à perpétuité à nous, pour nous et pour nos hoirs et successeurs, à tenir perpétuellement et à toujours toutes les choses qui s’ensuivent, par la manière que notre dit frère ou ses fils, et leurs ancesseurs rois de France les ont tenues du temps passé : c’est à sçavoir, ce qui est en souveraineté, en souveraineté, et ce qui est en demaine, à tenir en demaine, et ce qui est à tenir en fief, en fief, et sans rappel à toujours mais pour lui ni pour ses hoirs quelconques, qu’ils soient présens et à venir. C’est à sçavoir, la cité et le châtel et toute la comté de Poitiers et toute la terre et le pays de Poitou, ensemble le fief de Touars et la terre de Belleville ; la cité et le châtel de Saintes, et tout le pays de Xaintonge pardeçà et pardelà la Charente ; la cité et le châtel d’Agen, et la terre et le pays d’Agénois ; la cité, le châtel et toute la comté de Pierregord, et la terre et la comté de Pierreguis ; la cité et le châtel de Limoges, et toute la terre et le pays de Limosin ; la cité et le châtel de Caours, et toute la terre et le pays de Caoursin ; la ville, le château, et tout le pays de Tarbe, et la terre pays et comté de Bigorre ; la comté, la terre et le pays de Gaure ; la cité et le châtel d’Angoulême ; la comté, la terre et le pays d’Angoulémois ; la cité et le châtel de Rodès, et toute la terre et le pays de Rouergue ; et ce que nous ou autres rois d’Angleterre tinrent anciennement en la ville de Monstereul sur mer et ès appartenances. Item la comté de Ponthieu tout entièrement, sauf et excepté et selon la teneur de l’article contenu audit traité qui de la dite comté fait mention. Item le châtel et la ville de Calais, le châtel, la ville et la seigneurie de Merk ; les villes, châteaux, forteresses et seigneuries de Sangattes, Couloigne, Hames, Walle, et Oye, avecques les bois, terres, marais, rivières, rentes, seigneuries et autres choses contenues en l’article du traité faisant mention de ce. Item le châtel, la ville et tout entièrement la comté de Guines, avecques toutes les terres, villes, châteaux, forteresses, lieux, hommes, hommages, seigneuries, bois, forêts et droitures, selon la teneur de l’article faisant de ce mention plus pleinement au dit traité ; et avec les îles adjacentes aux terres, bois, pays et lieux avant nommés, ensemble et avec toutes les autres îles, lesquelles nous tenons à présent et tenions au temps du dit traité. Et comme par la forme et teneur du dit traité et de la paix, nous et notre dit frère le roi de France devons et avons promis, par foi et par serment l’un à l’autre, iceux traités et paix tenir, garder et non venir encontre, et soyons tenus nous et notre dit frère et nos fils ains-nés faire sur ce, par obligation et promesse, par foi et par serment, faits d’une partie et d’autre, certaines renonciations l’un pour l’autre, selon la forme et teneur dudit article entre les autres audit traité contenues, dont la forme est telle : Item est accordé que le roi de France et son aisné-né fils le régent, pour eux et pour leurs hoirs à toujours, et au plus tôt qu’il se pourra, sans mal engin, et au plus tard dedans la Saint-Michel prochainement venant en un an, rendront et bailleront au dit roi d’Angleterre et à tous ses hoirs et successeurs, et transporteront en eux tous les honneurs et régalités et obédiences, hommages-liges et autres, vassaux, fiefs, services, reconnoissances, serments, droiture, mère et mixte impère, toutes manières de jurisdictions, hautes et basses, ressorts, sauvegardes, seigneuries et souverainetés qui appartenoient ou appartiennent et pourront en aucune manière appartenir aux rois et à la couronne de France, ou à aucune autre personne à cause du roi et de la couronne de France, hoirs ni successeurs tant de seigneurs comme des sujets nobles ou non nobles, en quelconques temps que ce soit, ès cités, comtés, châteaux, terres, pays, îles et lieux avant nommés, ou en aucun d’eux, et à leurs appartenances et appendances quelconques, ou ès personnes, vassaux et sujets quelconques d’iceux, soient princes, ducs, comtes, vicomtes, archevêques, évêques et autres prélats d’église, barons, nobles et autres quelconques, sans rien à eux, leurs hoirs et successeurs ou à la couronne de France ou autre que ce soit, retenir ni réserver en iceux, pourquoi eux ni leurs hoirs ou successeurs, ou aucuns rois de France, ou autres que ce soit, à cause du royaume et de la couronne de France, aucune chose y pourroit chalengier ou demander au temps à venir sur le roi d’Angleterre, ses hoirs et ses successeurs, ou sur aucuns des vassaux et sujets avant dits pour cause des pays et lieux avant nommés ; ainsi que toutes les avant nommées personnes et leurs hoirs et successeurs perpétuellement seront hommes-liges et sujets du roi d’Angleterre et à tous ses hoirs et successeurs ; et que le dit roi d’Angleterre, ses hoirs et ses successeurs, toutes les personnes, cités, comtés, terres, pays, îles, châteaux et lieux avant nommés, et toutes leurs appartenances et appendances, auront et tiendront et à eux demeureront pleinement, perpétuellement et franchement en leur seigneurie, souveraineté et obéissance, ligeauté et subjection, comme nos prédécesseurs les rois de France les avoient et tenoient au tems passé ; et que le dit roi d’Angleterre et ses hoirs et successeurs auront et tiendront perpétuellement et paisiblement tous les pays avant nommés, avec leurs appartenances et appendances, et les autres choses avant nommées, en toutes franchises et libertés perpétuelles, comme seigneur souverain et lige et voisin au roi de France et au royaume de France, sans y reconnaître souverain ou faire aucune obéissance, hommage, ressort et subjection, et sans faire au temps à venir aucun service et reconnaissance au roi ni à la couronne de France des cités, comtés, châteaux, terres, pays, îles, lieux et personnes avant nommées, ou pour aucunes d’icelles.

Item est accordé que le roi de France et ses ains-nés fils renonceront expressément aux dits ressorts et souverainetés, et à tout le droit qu’ils ont ou pourront avoir à toutes les choses qui par ce traité doivent appartenir au roi d’Angleterre. Et semblablement le roi d’Angleterre et ses fils ains-nés renonceront expressément à toutes les choses qui par ce présent traité ne doivent être baillées au roi d’Angleterre, et à toutes les demandes qu’il faisoit au roi de France, et par espécial au nom, aux droit, au armes et au chalenge de la couronne de France et du royaume de France, à l’hommage et souveraineté et domaine de la duché de Normandie et de la duché de Touraine, des comtés d’Anjou et du Maine, et à la souveraineté et hommage de la comté et du pays de Flandre, et à toutes autres demandes que le roi d’Angleterre faisoit en devant au temps du dit chalenge, ou faire pourroit au temps à venir au dit royaume de France, par quelconque cause que ce soit, outre et excepté ce qui par ce présent traité doit demeurer et être baillé au roi d’Angleterre et à ses hoirs. Et transporteront, cesseront et délaisseront l’un roi à l’autre, perpétuellement, tout le droit, que chacun d’eux a ou peut avoir en toutes les choses qui par ce présent traité doivent demeurer ou être baillées à chacun d’eux ; et du temps et lieu, où et quand, les dites renonciations parleront et ordonneront les deux rois à Calais ensemble. Et pour ce que notre dit frère de France et son ains-né fils, pour tenir et accomplir les articles de la paix et accords dessus dits, ont renoncé expressément aux ressorts et souverainetés compris ès dits articles, et à tout le droit que ils avoient ou pouvoient avoir en toutes les choses dessus dites que notre dit frère nous a à bailler, délivrer, et délaisser, et ès autres qui dès-or-en-avant nous doivent demeurer ou appartenir par les dits traités et paix, nous, parmi les dites choses, renonçons expressément à toutes les choses qui par les dits traités et paix ne doivent être baillées ni demeurer à nous, pour nous ni pour nos hoirs, et à toutes les demandes que nous faisions ou pourrions faire envers notre dit frère de France, et par espécial, au nom et au droit de la couronne et du royaume de France, à l’hommage, souveraineté et domaine de la duché de Normandie, des comtés d’Anjou et du Maine, du duché de Touraine, et à la souveraineté et hommage du duché de Bretagne, et à la souveraineté et hommage du pays et de la comté de Flandre, et à toutes autres demandes que nous faisons ou faire pourrions à notre dit frère, pour quelque cause que ce fût ; outre et excepté ce qui par ce présent traité doit demeurer à nous et à nos hoirs. Et en lui transportons, cessons et délaissons, et il en nous, et l’un en l’autre, au mieux que nous pouvons, tout tel droit que chacun de nous peut ou pourroit avoir en toutes les choses qui par le dit traité et paix doivent demeurer ou être baillées à chacun de nous, réservé aux églises et gens d’église, ce qui à eux appartient ou peut appartenir ; et que tout ce qui a été occupé et detenu ou leur pour occasion des guerres leur soit recompensé, restitué et rendu et délivré, et que les villes et forteresses et tous les habitans en icelles seront et demeureront en tels libertés et franchises comme elles étoient par avant en notre main et seigneurie ; et leur seront confirmées par notre dit frère de France, si il en est requis, si contraires ne sont aux choses dessus dites. Et soumettons quant à toutes ces choses nous, nos hoirs et successeurs, à la jurisdiction et cohercion de l’église de Rome ; et voulons et consentons que notre saint père le pape confirme toutes ces choses, en donnant monitions et mandemens généraux sur l’accomplissement d’icelles contre nous, nos hoirs et successeurs, et contre tous nos sujets, soient communes, collèges, universités, ou personnes singulières quelconques, et en donnant sentences généraux d’excommuniement, de suspension et d’interdit pour être encourus par nous ou par eux par ce fait ; et sitôt que nous ou eux ferons ou attempterons en occupant ville, cité, châtel ou forteresse, ou autre quelconque chose faisant, ratifiant ou agréant, ou donnant conseil, confort, faveur ni aide, célément ou en appert contre la dite paix ; desquelles sentences ils ne puissent être absous jusques à ce qu’ils aient fait plénière satisfaction à tous ceux qui par celui fait auront soutenu ou soutiendront dommage. Et avecques ce, voulons et consentons que notre dit saint père le pape, pour ce que plus fermement soit tenue et gardée la dite paix à perpétuité, toutes paccions, confédérations, alliances et convenances, comment que elles puissent être nommées, qui pourront être préjudiciables ou obvier par voie quelconque à la dite paix au temps présent ou à venir, supposé qu’elles fussent fermes ou vallées par peines et par sermens, ou confirmées de notre saint père le pape ou d’autres, soient cassées, irritées et mises au néant, comme contraires au bien commun et au bien de paix commune et profitable à toute chrétienté, et déplaisans à Dieu ; et à tous sermens faits en tel cas soient relâchés ; et soit décerné par le dit notre saint père le pape que nul ne soit tenu à tels sermens, alliances et convenances tenir ou garder ; et défendre que au temps à venir ne soient faites telles ou semblables. Et si de fait aucun attemptoit ou faisoit le contraire que dès maintenant les casse et irrite et rende nulles et de nulle valeur ; et néanmoins nous les en punirons, comme violateurs de paix, par peines de corps et de biens, si comme le cas le requerra et que raison le voudra. Et si nous faisions, procurions, ou souffrions être fait le contraire, que Dieu ne veuille ! nous voulons être tenus et réputés pour mençongier et déloyal, et voulons encourra en tel blâme et diffame comme roi sacré doit encourir en tel cas. Et jurons sur le corps Jésus-Christ les choses dites tenir, garder et accomplir, et encontre non venir par nous ou par autre, par quelque cause ou manière que ce soit.

En témoin, etc. Donné, etc.

Et pour ce que les dites choses et chacune d’icelles soient de point en point, et par la forme et manière dessus dite, tenues et accomplies, nous obligeons nous, nos hoirs et tous les biens de nous et de nos hoirs ; à notre dit frère le roi de France et à ses hoirs ; et jurons sur saintes Évangiles par nous corporellement touchées, que nous parferons, accorderons et accomplirons, au cas dessus dit, toutes les devant dites choses par nous promises et accordées, comme devant est dit. Et voulons que, au cas que notre dit frère et notre dit neveu auroient faites les dites renonciations, et envoyées et baillées comme dit est, et les dites lettres ne fussent baillées à notre dit frère ou à ses députés, au lieu et au terme, et par la forme et manière que dessus est dit, dès lors au cas dessus dit nos présentes lettres et quantque dedans est compris aient tant de vigueur, effet et fermeté comme auroient nos autres lettres par nous promises à bailler, comme dit est : sauf toutes voies et réservé pour nous, nos hoirs et successeurs que les dites lettres dessus incorporées n’aient aucun effet, ni ne nous puissent porter aucun préjudice ou dommage jusques à ce que nos dits frère et nepveu auront faites, envoyées et baillées les dites renonciations par la manière dessus dite ; et aussi qu’ils ne s’en puissent aider contre nous, nos hoirs et successeurs en aucune manière, si non au cas dessus dit.

En témoin de laquelle chose nous avons fait mettre notre scel à ces présentes lettres. Données à Calais le 24e jour du mois d’octobre, l’an de grâce Notre Seigneur 1360.

  1. Cette lettre est imprimée, sans aucune différence, dans Rymer.