Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CXXI

CHAPITRE CXXI.


Cy dit comment les seigneurs d’Angleterre menoient avec eux toutes choses nécessaires ; et de leur manière de chevaucher.


Vous devez savoir que les seigneurs d’Angleterre et les riches hommes menoient sur leurs chars, tentes, pavillons, moulins, fours pour cuire et forges pour forger fers de chevaux et toutes autres choses nécessaires ; et pour tout ce étoffer, il menoit bien huit mille chars tous attelés, chacun de quatre roncins bons et forts, que ils avoient mis hors d’Angleterre. Et avoient encore sur ces chars plusieurs nacelles et batelets faits et ordonnés si subtivement de cuir boullu que c’étoit merveilles à regarder ; et si pouvoient bien trois hommes dedans, pour aider à nager parmi un étang ou un vivier tant grand qu’il fût, et pêcher à leur volonté. De quoi ils eurent grand’aise tout le temps et tout le carême, voire les seigneurs et les gens d’état ; mais les communes se passoient de ce qu’ils trouvoient, Et avec ce, le roi avoit bien pour lui trente fauconniers à cheval chargés d’oiseaux, et bien soixante couples de forts chiens et autant de lévriers, dont il alloit chacun jour ou en chasse ou en rivière, ainsi qu’il lui plaisoit ; et si y avoit plusieurs des seigneurs et des riches hommes qui avoient leurs chiens et leurs oiseaux aussi bien comme le roi. Et étoit toujours leur ost parti en trois parties, et chevauchoit chacun ost par soi, et avoit chacun ost avant-garde et arrière-garde, et se logeoit chacun ost par lui une lieue arrière de l’autre : dont le prince en menoit l’une partie, le duc de Lancastre l’autre, et le roi d’Angleterre la tierce et la plus grande. Et ainsi se maintinrent-ils dès Calais jusques adonc que ils vinrent devant la cité de Chartres.