Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CXLII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 449-450).

CHAPITRE CXLII.


Comment les deux rois allongèrent les trêves de Bretagne du premier jour de mai jusques à la Saint-Jean-Baptiste.


Après toutes ces choses faites et devisées, et ces lettres et ces commissions baillées et délivrées et si bien tout ordonné par l’avis adoncques de l’un roi et de l’autre, que les parties se tenoient pour contentes, vérité est qu’il fut parlé de monseigneur Charles de Blois et de monseigneur Jean de Montfort sur l’état de Bretagne ; car chacun réclamoit droit à avoir très grand à l’héritage de Bretagne ; et quoique là en fut parlementé et regardé comment on pourroit toucher les choses et eux apaiser, rien n’en fut définitivement fait, car, si comme je fus depuis informé, le roi d’Angleterre et les siens n’y avoient point trop grand’affection, car ils présumoient le temps à venir pour ce qu’il convenoit toutes manières de gens d’armes de leur côté partir et vider des garnisons et forteresses qu’ils tenoient à point et avoient tenu au royaume de France et retraire quelque part que fût, et mieux valoit et plus profitable étoit que ces guerroyeurs et pilleurs se retraissent en la duché de Bretagne, qui est un des gras pays du monde et bon pour tenir gens d’armes, jusques à ce qu’ils revinssent en Angleterre ; car leur pays en pourroit être perdu et robé. Cette imagination fit assez brièvement passer les Anglois le parlement en l’article de Bretagne, dont ce fut péché et mal fait que on n’en exploitât autrement ; car si les deux rois eussent bien voulu acertes par l’avis de leurs conseillers, paix eût là été entre les parties dessus dites, et se fût chacun tenu à ce que on lui eût donné, et si eût r’eu messire Charles de Blois ses enfans qui gissoient prisonniers en Angleterre, et si eût plus pleinement vécu qu’il ne fit. Et pour ce qu’il n’en fut rien fait oncques, les guerres ne furent si grands en la duché de Bretagne paravant l’ordonnance de la paix des deux rois dont nous parlons maintenant, comme elles ont été depuis, si comme vous orrez avant en l’histoire, et même entre les seigneurs, barons et chevaliers du pays de Bretagne qui ont soutenu l’une opinion ou l’autre. Si que le duc de Henri de Lancastre, qui fut vaillant sire, sage et imaginatif, et qui trop durement aimoit le comte de Montfort et son avancement, dit au roi Jean de France, présent le roi d’Angleterre et la plus grand’partie de leur conseil : « Sire, encore ont les trêves de Bretagne qui furent prises et données devant Rennes, à durer jusques au premier jour de mai qui vient ; là en dedans envoiera le roi notre sire, par le regard de son conseil, gens de par lui et de par son fils le jeune duc de monseigneur Jean de Montfort, en France devers vous ; et ceux auront pouvoir et autorité d’entendre et de prendre tel droit que le dit messire Jean peut avoir de la succession son seigneur son père à la duché de Bretagne, et que vous et votre conseil et le nôtre mis ensemble en ordonneront ; et pour plus grand’sûreté c’est bon que les trêves soient ralongées jusques à la Saint-Jean-Baptiste en suivant. » Ainsi fut-il fait, comme le dessus dit duc de Lancastre le parlementa ; et puis parlèrent les seigneurs d’autre matière.