Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CLXI

CHAPITRE CLXI.


Comment le roi d’Angleterre envoya les quatre ducs de France à Calais, et pouvoient aller trois jours hors et au quart retourner.


En ce temps avoit fait grâce[1] le roi d’Angleterre à quatre ducs, c’est à savoir, le duc d’Orléans, le duc d’Anjou, le duc de Berry et le duc de Bourbon ; et se tenoient ces quatre seigneurs à Calais, et pouvoient chevaucher quelque part qu’ils vouloient trois jours hors de Calais, et au quatrième, dedans soleil esconsant, revenir. Et l’avoit fait le roi d’Angleterre en bonne intention, et pour ce qu’ils fussent plus prochains de leur pourchas de France, et que ils soignassent et entendissent à leur délivrance, ainsi qu’ils faisoient. Les quatre seigneurs dessus dits étant à Calais, envoyèrent plusieurs fois grands messages de par eux au roi de France et au duc de Normandie son ains-né fils qui là les avoient mis, en eux remontrant et priant qu’ils entendissent à leur délivrance, ainsi que juré et promis leur avoient quand ils entrèrent en Angleterre, ou autrement ils y entendroient eux-mêmes et ne se tiendroient point pour prisonniers. Et combien que ces seigneurs, ainsi que vous savez, fussent très prochains du roi, leurs messages et procureurs ne pouvoient mie être ouïs ni délivrés à leur aise ; dont grandement en déplaisoit aux seigneurs dessus dits, et par espécial au duc d’Anjou ; et disoit bien qu’il y pourverroit de remède, comment qu’il en pût avenir.

Or étoit adonc le royaume et le conseil du roi et du duc de Normandie durement chargé et embesogné, tant pour la croix que le roi de France avoit adonc prise et enchargée, que pour la guerre au roi de Navarre, qui guerroyoit et hérioit fortement le royaume de France ; et avoit adonc remandé aucuns des capitaines des compagnies en Lombardie pour mieux faire la guerre[2]. C’étoit la principale cause pourquoi on ne pouvoit légèrement entendre aux quatre ducs dessus nommés, ni leurs messages délivrer quand ils étoient venus en France.

  1. Le roi d’Angleterre avait mis cette grâce à un très haut prix et avait imposé aux quatre princes des conditions très dures, ainsi qu’on peut le voir dans le traité pour leur délivrance, conclu au mois de novembre 1362. Mais tout onéreux qu’était ce traité, le roi de France le ratifia par ses lettres datées d’Avignon le 26 janvier 1363 ; et il parait que les princes eurent la liberté de passer à Calais vers le mois de mai suivant pour en accélérer l’accomplissement. On trouve plusieurs pièces relatives à cette négociation dans Rymer.
  2. Il est inconcevable, d’après ce que dit ici Froissart, comment M. Secousse, qui travaillait avec tant d’exactitude et qui a si souvent cité Froissart, dans son histoire de Charles-le-Mauvais, a pu avancer que ce prince ne troubla point le royaume depuis 1360 jusqu’à la fin du règne du roi Jean, et qu’il n’a même rien trouvé sur lui, ni dans nos historiens, ni dans les autres monumens.