Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXXXVIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 536-537).

CHAPITRE CCXXXVIII.


Ci dit des vaillans chevaliers qui furent en la bataille du prince, et des paroles que le roi Henry disoit à ses gens.


Moult fut cette bataille grande et périlleuse, et moult y eut de gens morts, navrés, éteints et meshaigniés. Si portoient ces communautés d’Espaigne, à leur usage, fondes dont ils jetoient pierres ; et ce gréva au commencement moult les Anglois ; mais quand ce jet fut passé et ils sentirent ces sajettes, ils ne tinrent puis nul conroy. Si y avoit-il en la bataille du roi Henry grand’foison de bonnes gens d’armes, tant d’Espaigne, d’Arragon, que de Portingal, qui s’acquittèrent loyaument et moult volontiers, et ne se déconfirent mie sitôt, mais se combattirent très vaillamment de lances, de guisarmes[1], d’archegaies, d’épieux et d’épées. Et y avoit encore sur èle, en la bataille du roi Henry, plusieurs géniteurs[2] montés sur chevaux tous armés, qui tenoient leurs batailles en vertu ; car quand elles branloient ou se vouloient ouvrir par un côté, ces géniteurs qui étoient sur èle les reboutoient avant et les resvigouroient. Si n’eurent mie les Anglois et les Gascons la journée d’avantage, mais le comparèrent et achetèrent moult grandement par bonne chevalerie et par grand’prouesse et vaillance d’armes. Là, à voir dire, avec le prince étoit toute la fîeur de la chevalerie du monde et les meilleurs combattans.

Un petit en sus de la bataille du prince étoit le roi James de Maiogres et sa route, qui se combattoient vaillamment et s’acquittoient à leur loyal pouvoir. D’autre part étoit messire Martin de la Kare qui représentoit le roi de Navarre, et qui aussi en faisoit bien son devoir. Je ne puis mie de tous les bons parler ; mais de-lez le prince et en sa bataille avoit plusieurs bons chevaliers tant d’Angleterre que de Gascogne, tels que monseigneur Richard de Pont-Chardon, messire Thomas le Despenser, messire Thomas de Holland, messire Neel Lornich, messire Hue et Philippe de Courtenay et messire Jean Trivet, messire Nicolas Bond, messire Thomas Trivet et plusieurs autres, tels que le sénéchal de Saintonge, messire Baudoin de Franville, le sénéchal de Bordeaux, le sénéchal de la Rochelle, le sénéchal d’Agénois, le sénéchal de Poitou, le sénéchal d’Angoulémois, le sénéchal de Rouergue, le sénéchal de Limousin, le sénéchal de Bigorre, messire Louis de Meleval, messire Raymon de Mareuil et plusieurs autres. Et sachez que nul ne se faignoit de bien combattre ; et aussi ils trouvoient bien à qui, car Espaignols et Castellains étoient près de cent mille têtes armées ; si que la grand’quantité du peuple les tenoit en vertu, et ne put être qu’il n’en y eût de bien combattans et bien faisans à leur pouvoir.

Là étoit le roi Dan Piètre moult échauffé, qui durement désiroit à trouver et encontrer son frère le bâtard Henry, et disoit : « Où est ce fils de putain, qui s’appelle roi de Castille ? »

Le roi Henry se combattoit autre part moult vaillamment, et tenoit ce qu’il pouvoit ses gens en vertu, et leur disoit : « Bonnes gens, vous m’avez fait roi et couronné roi ; aidez-moi à défendre et garder l’héritage dont vous m’avez hérité. » Telles paroles et autres que ce jour il leur dit en firent plusieurs hardis et vaillans, et demeurer sur les champs, qui pour leur honneur ne daignoient fuir.

  1. Pique armée d’une hache.
  2. Chevaliers armés à la légère.