Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXVIII
CHAPITRE CCXVIII.
Sur ce traité retournèrent le duc de Lancastre et messire Jean Chandos, et contèrent au dit prince comment ils avoient exploité, et aussi au roi Dam Piètre. Ce traité leur plut assez bien ; et tinrent leur journée et vinrent au dit lieu où elle étoit assignée, et d’autre part le roi de Navarre et son plus espécial conseil.
Là furent à Pierre-Férade ces trois seigneurs, le roi Dam Piètre, le prince de Galles et le duc de Lancastre d’un côté, et le roi de Navarre de l’autre, longuement ensemble en parlement ; et là fut devisé, ordonné et accordé quelle chose chacun devoit avoir et faire ; et là furent renouvelés et convenancés quels traités avoient été entre ces parties en la cité de Bayonne. Et là sçut de vérité le dit roi de Navarre quelle chose il devoit avoir et tenir sur le royaume de Castille ; et jurèrent bonne paix amour et confédération ensemble le roi Dam Piètre et lui ; et se départirent de leur parlement amiablement ensemble sur l’ordonnance que le prince et son ost pouvoient passer quand il leur plairoit, et trouveroient le passage et les détroits tous ouverts, et tous vivres appareillés parmi le royaume de Navarre, parmi les payant.
Adonc se retraist le dit roi de Navarre en la cité de Pampelune, et le prince et son frère et le roi Dam Piètre en leurs logis en la cité de Dasc. Encore étoient à venir plusieurs grands seigneurs de Poitou, de Bretagne et de Gascogne en l’ost du prince qui se tenoient derrière ; car, si comme il est dit ci-dessus, on ne sçut clairement jusques à la fin de ce parlement si le prince auroit le passage ou non ; et mêmement on supposoit en France que ils ne passeroient point et que le roi de Navarre lui briseroit son voyage, et on en vit le contraire. Donc quand les chevaliers et les écuyers, tant d’un côté comme de l’autre, en sçurent la vérité et que le passage étoit ouvert, si avancèrent leurs besognes, et se hâtèrent du plus qu’ils purent, car ils le sçurent tantôt et que le prince passeroit et que on ne se retourneroit point sans bataille. Si vinrent le sire de Clisson à belle route de gens d’armes, et aussi au dernier, et moult envis, le sire de Labreth atout deux cents lances, et s’accompagna en voyage avec le captal de Buch.
Tous ces traités, ces parlemens et ces détriemens étoient sçus en France ; car toujours y avoit messagers allans et venans sur les chemins, qui portoient et rapportoient les nouvelles. De quoi quand messire Bertran du Guesclin, qui se tenoit de-lez le duc d’Anjou, sçut que le prince passeroit et que le passage de Navarre lui étoit ouvert, si avança ses besognes et renforça ses semonces et son mandement, et connut tantôt que cette chose ne se départiroit jamais sans bataille. Si se mit au chemin par devers Arragon pour venir devers le roi Henry ; et s’avança du plus qu’il put ; et aussi le suivirent toutes manières de gens d’armes qui en étoient mandés et priés, et plusieurs aussi du royaume de France et d’ailleurs qui en avoient affection et qui se vouloient avancer.
Or parlerons-nous du passage du prince et comment ordonnément il passa, et toute sa route.