Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CCXV

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 518-519).

CHAPITRE CCXV.


Comment les compagnies envoyèrent les prisonniers sur leurs foyers et comment le pape défendit aux dits prisonniers qu’ils n’en payassent rien.


Après la déconfiture et la prise des dessus dits, messire Perducas de Labreth, messire Robert Ceni, messire Jean Trivet, messire Robert d’Aubeterre, le bourg de Breteuil. Naudon de Bagerent et leurs routes départirent leur butin et tout leur gain, dont ils eurent grand’foison ; et tous ceux qui prisonniers avoient, ils leur demeuroient et en pouvoient faire leur profit, rançonner ou quitter si ils le vouloient ; dont ils leur firent très bonne compagnie, et les rançonnèrent courtoisement, chacun selon son état et son affaire ; et encore plus doucement pour ce que cette avenue leur étoit foraineusement venue et par beau fait d’armes ; et les recrurent tous, petit s’en faillirent, sur leur foi ; et leur donnèrent terme de rapporter leurs rançons à Bordeaux, ou ailleurs où bon leur sembla. Si se partit chacun et revint en son pays, et les Compagnies s’en rallèrent devers monseigneur le prince, qui les rcçut liement et les vit très volontiers et les envoya loger en une marche que on appelle Bascle entre les montagnes.

Or vous dirai qu’il avint de cette besogne, et comment le comte de Narbonne, le sénéchal de Toulouse et les autres prisonniers qui avoient été rançonnés et recrus sur leur foi, finèrent et payèrent.

En ce temps régnoit le pape Urbain Ve, qui tant hayoit ces manières de gens que plus ne pouvoit, et les avoit dès grand temps excommuniés pour les vilains faits qu’ils faisoient. Si que, quand il fut informé de cette journée, et comment, en bien faisant à son entente, le comte de Narbonne et les autres avoient été rués jus, si en fut durement courroucé, et se souffrit tant qu’ils furent tous mis à finance et revenus en leurs maisons. Si leur manda par mots exprès et défendit étroitement que de leurs rançons ils ne payassent nulles, et les dispensa et absout de leur foi[1].

Ainsi furent quittes ces seigneurs, chevaliers et écuyers qui avoient été pris à Montalban, et n’osèrent briser le commandement du pape. Si vint à aucuns bien à point, et aux Compagnies moult mal, qui s’étoient attendus à avoir argent et le cuidoient avoir, pour faire leurs besognes, eux monter et appareiller, ainsi que compagnons de guerre s’habillent quand ils ont largement de quoi, et ils n’eurent rien. Si leur vint à grand contraire cette ordonnance du pape, et se complaignirent par plusieurs fois à messire Jean Chandos, qui étoit connétable d’Aquitaine et regard par droit d’armes sur tels besognes. Mais il s’en dissimuloit envers eux au mieux qu’il pouvoit, pourtant qu’il savoit bonnement que le pape les excommunieroit, et que leurs faits et états tournoient à pillerie. Si que il me semble qu’ils n’en eurent oncques puis autre chose.

  1. Ce scandale de l’exemption de la foi des sermens, si souvent renouvelé par les papes, est une souillure justement reprochée au système romain, et dont les funestes effets se feront long-temps sentir encore.